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Une interview d’un Commissaire politique de l’Armée de libération par Claude Gérard

Entretien paru dans La Voix du Peuple, n° 27 [novembre 1956] ; il a été publié à l’origine par le journal marocain Al Alam, puis repris dans La Vérité, n° 411, 25 mai 1956.

Mlle Claude Gérard, commandante de la résistance française, journaliste bien connue, s’est rendue dans les maquis algériens en mars dernier.

Certains autres journalistes et intellectuels français pressentis pour enquêter dans les maquis de l’Armée de libération nationale afin d’informer objectivement l’opinion publique sur la composition réelle de notre armée, se sont récusés pour diverses raisons qu’il ne nous appartient pas d’apprécier.

Il s’est trouvé une femme, dont le courage est à souligner, pour accepter cette mission d’information objective.

Elle a eu sur les lieux un entretien avec un commissaire politique d’un des groupes armés qu’elle a rapporté et dont nous donnons ci-dessous l’intégralité.

Pour avoir informé objectivement l’opinion publique sur les réalités et sur l’importance des maquis, Claude Gérard a été arrêtée et se trouve à l’heure actuelle détenue à la prison de la Roquette.

_Quels sont les points du territoire algérien sur lesquels l’Armée de libération est implantée? Et y a-t-il des noms déjà connus de la presse parmi les chefs, tels par exemple Zirout Youssef, Ben Boulaïd, Bélounis, Si Rabah, etc?

_L’A.L.N. s’est petit à petit implanté sur tout le territoire algérien. Chaque zone de maquis est commandée par un chef. La presse ne connaît que ceux dont les noms ont été révélés au début de l’insurrection, les autres ne tiennent pas à se faire connaître.

_Puis-je vous demander de me donner une idée de l’importance de l’A.L.N.?

_Personne n’est en mesure de préciser les effectifs de l’A.L.N., mais l’on peut affirmer en tout cas qu’ils sont plusieurs fois supérieurs aux chiffres donnés par la presse colonialiste.

_Avez-vous dans l’Armée de libération une unité de commandement?

_Le commandement militaire de chaque zone est autonome. Mais il existe un État-major de liaison qui transmet des instructions aux différents maquis.

Pour les décisions importantes, les chefs des différentes zones se réunissent. Ces réunions sont toujours restreintes en raison des difficultés.

_Quels sont à votre connaissance les secteurs qui sont exclusivement contrôlés par le Front de libération nationale?

_Les maquis de Grande Kabylie où d’ailleurs une lutte d’influence se manifeste vivement. Même dans ces maquis dont les chefs sont hostiles au M.N.A., les combattants sont fidèles à Messali Hadj.

_Quels sont les liens de l’Armée de libération avec le M.N.A.?

_L’Armée de libération nationale est en relation directe avec le Mouvement National Algérien (MNA).

_Pourriez-vous me dire en quelques mots comment l’Armée de libération s’est formée?

_Dès que l’insurrection du 1er novembre 1954 a éclaté, la plupart des militants M.T.L.D. qui ont échappé à la répression ont rejoint les maquis et ont appelé le peuple à la lutte pour sa libération. Celui-ci a répondu immédiatement. Ces mêmes militants forment actuellement les cadres des maquis.

_Que pouvez-vous me déclarer à propos des « règlements de compte » qui opposent certains maquis de Kabylie?

_Ces luttes entre groupes armés n’ont existé qu’en Kabylie où une lutte d’influence a vu le jour. Ces attaques sont le fait de certains dirigeants qui portent une grave responsabilité en créant des divisions dans les rangs de la résistance.

_L’Armée de libération représentant une force très importante cela m’amène à vous poser la question qui intéresse le plus l’opinion métropolitaine : « En cas de négociations, dans quelles conditions l’Armée de libération accepterait-elle une trêve – ou un cessez-le-feu -? Quelle pourrait être l’autorité algérienne qualifiée pour faire connaitre les conditions de l’Armée de libération et garantir au nom de cette dernière le respect de la trêve? »

_Le cessez-le-feu nécessaire à la consultation du peuple algérien ne sera accepté par l’A.L.N. qu’après une déclaration du gouvernement français admettant le droit du peuple algérien à disposer de lui-même, la libération de Messali Hadj et de tous les détenus politiques.

La seule autorité algérienne dont la voix serait entendue des combattants de l’Armée de libération nationale lorsqu’elle nous dirait de cesser le feu ; car les garanties formelles du respect de cette trêve seraient données, est celle de notre chef national Messali Hadj.

Les négociations s’ouvriront avec tous les représentants du peuple algérien issus des élections qui auront lieu aussitôt après le cessez-le-feu.

_Mais par ailleurs, pour ce cessez-le-feu, comment faudra-t-il alors procéder avec le Front?

_Dans les conversations préliminaires au cessez-le-feu, nous ne jetons l’exclusive sur personne.

_Pensez-vous qu’en fait, une solution et un processus identique à ceux adoptés et suivis pour le Maroc seraient possibles?

_Nous pensons que la solution doit être la même mais le processus différent du fait de l’existence au Maroc du Sultan, détenteur de la souveraineté marocaine. Pour l’Algérie, nous estimons que seule une CONSTITUANTE ALGÉRIENNE SOUVERAINE élue par tout le peuple algérien sans aucune distinction, sera qualifiée pour désigner un gouvernement algérien. Cette solution a été la plateforme du Mouvement national algérien depuis sa création, il y a plus de 30 ans.

_J’ai été frappée au cours de mes contacts, tant avec les combattants de l’Armée de libération, qu’avec la population de l’intérêt qui est porté à S. M. le Sultan Mohammed V et à l’indépendance du Maroc. Pensez-vous qu’en conséquence une médiation du Sultan pourrait être de nature à faciliter une solution?

_Il est certain que S. M. Mohammed V jouit en Algérie d’un prestige immense vu les souffrances qu’il a endurées pour l’indépendance de son pays. Il est en outre une autorité religieuse. Nous pensons que sa médiation contribuerait à hâter la solution de notre problème national.

_Permettez-moi  encore ces deux questions : _Si des négociations aboutissent à cette reconnaissance de l’État algérien que vous souhaitez, quel statut et quelle place auraient les Français d’Algérie dans cet État?

_Une fois l’État algérien reconnu, les Algériens d’origine européenne seront considérés comme citoyens algériens au même titre que les autres. De toute façon, ils auront la liberté de décider de leur sort.

Nous sommes certains que la plupart des Français se familiariseront très vite avec la nationalité algérienne. Une coopération franche et loyale s’établira immédiatement…

_Et enfin, dans le cas contraire, c’est-à-dire si des négociations n’étaient pas envisagées, qu’en sera-t-il de la suite de la guerre d’Algérie?

_Le peuple algérien est décidé à lutter et luttera jusqu’à la victoire. D’ailleurs son histoire depuis la conquête est une suite interrompue de luttes pour sa libération. Malgré les répressions sanglantes qu’il a subies, il ne s’est jamais soumis au régime colonial qui lui est imposé. La paix et le calme nécessaires au déroulement d’élections libres ne pourront jamais être établis par la force. Quant à nous, combattants de l’A.L.N., il ne saurait être question de cesser le combat, bien au contraire, nous lutterons jusqu’à la victoire de notre juste cause.

2 réponses sur « Une interview d’un Commissaire politique de l’Armée de libération par Claude Gérard »

Gérard Claude a été arrêtée en avril 1956 et emprisonnée pendant plusieurs mois à la Roquette. Puis-je savoir à quelle date elle a été libérée. Merci

Bonjour, Claude Gérard a été détenue du 28 mai au 11 août 1956 d’après Le Monde daté du 14 août 1956. Bien à vous.

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