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Paysans nord-africains et ouvriers français

Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 11, octobre 1959, p. 1-2.

 

 

Il y a un an De Gaulle arrivait au pouvoir en promettant la paix en Algérie et depuis la guerre n’a fait quo s’intensifier. On aurait pu croire que la population travailleuse, qui en supporte les conséquences, serait mécontente et s’opposerait à cette politique. Non, De Gaulle continue la guerre et tout le monde se tait. Mais s’il l’arrête, tout le monde criera au miracle et prétendra qu’il est un homme génial et pacifique.

En 1956, les travailleurs français ont remis une fois de plus leur sort entre les mains des politiciens. Ils ont voté on masse pour le programme de paix en Algérie, mais les députés, eux, ont voté la guerre. Malgré cela, à part les manifestations contre le départ des rappelés en 56, vite noyées, tout le monde se tait. En 1958, beaucoup d’ouvriers votent pour De Gaulle, espérant la paix. Il continue la guerre et tout le monde se tait. On envoie des jeunes se battre. Ils se battent. On leur fait faire les choses les plus dégoûtantes de la guerre : tortures, massacres, chasse à l’homme. Ils le font, et pas mal d’entre eux, même, y trouvent une certaine gloire.

Voilà l’attitude d’une classe ouvrière civilisée, cultivée et ayant derrière elle un passé, une tradition révolutionnaire qui a fait l’admiration des travailleurs des autres pays.

Et maintenant voyons ce quo font ces paysans algériens arriérés, illettrés, sans passé révolutionnaire, vivant dans la misère et l’ignorance. Ces paysans ne remettent pas leur sort entre les mains de monsieur De Gaulle comme les travailleurs français. Les paysans algériens prennent leur sort entre leurs mains. Ils prennent le maquis, se battent, se font traquer et certains meurent, tout cela parce qu’ils ont décidé de faire respecter leur propre volonté. Ce sont de telles actions qui dans l’histoire du mouvement ouvrier ont suscité l’admiration des travailleurs. La lutte des communards en 1871, celle des ouvriers et paysans espagnols en 1936, celle des ouvriers hongrois en 1956, ont servi chaque fois d’exemple aux autres travailleurs. La révolte des paysans algériens s’inscrit dans la même histoire.

Non seulement ces hommes ont pris les armes dans des conditions tragiques où ils sont les plus faibles, mais ils ont déjà imposé une partie de leurs aspirations.

Avant 1954, les libéraux qui osaient parler d1augmontor le nombre des écoles, de se pencher sur le sort des masses algériennes, étaient considérés comme des fous ou des gens dangereux. Aujourd’hui, le représentant patenté du grand capital ne passe pas une semaine sans promettre qu’il va hausser le niveau de vie des Algériens. S’il dit cela, c’est uniquement parce que les Algériens en armes l’obligent à le dire.

Parler d’autodétermination avant 1959, cela faisait tomber un gouvernement, chambouler un ministère. Aujourd’hui les politiciens parlent d’autodétermination comme d’une chose naturelle. Ce n’est ni les travailleurs français, ni les politiciens libéraux qui ont imposé ce mot. Ce sont les paysans algériens en armes. Ce sont ces gens arriérés qui ont fait changer le langage d’une des plus vieilles bourgeoisies du monde. Ce sont ces simples fellagas qui mobilisent depuis cinq ans 500.000 soldats d’une des grandes puissances du globe. Rien que cela pourrait susciter l’admiration du prolétariat français. Mais il n’en est rien et ceux qui récoltent de la gloire aux yeux de certains ouvriers français ce sont plutôt les mercenaires, les paras et consorts qui se livrent à la chasse à l’homme, qui ne savent qu’obéir aux ordres de leurs chefs, qui font la guerre dans des conditions de sécurité. Quand des divisions entières se battent avec le matériel le plus moderne, avec canons, chars et avions, contre des poignées de paysans armés d’armes légères, il vient de suite à l’esprit que les soldats français qui se livrent à cet exercice de destruction n’ont aucun mérite si on les compare à ceux qui, tous les jours, doivent inventer des ruses, renouveler continuellement leurs méthodes de guérilla, pour combattre, subsister et protéger leur vie. Dans ce sens, ces paysans, aussi arriérés soient-ils, ont des qualités humaines infiniment supérieures à celles des soldats français. On a vu dans toute l’Europe, pendant l’occupation, de 39 à 45, les maquisards développer dans leur lutte un courage et des capacités d’initiative stupéfiants, alors que les SS, avec leurs méthodes de combat, n’arrivaient qu’à se dégrader et se réalisaient seulement dans les atrocités. Dans cette guerre les uns ne sont que des soldats mercenaires qui font ce qu’on leur dit de faire, les autres risquent leur vie parce qu’ils le veulent bien, et s’ils le veulent, c’est parce qu’ils trouvent dans cette lutte un idéal et une raison de vivre. Les uns se battent pour avoir leur lopin de terre. Les autres, bien qu’ils ne savent pas le plus souvent pourquoi ils se battent, luttent en réalité pour que le lopin de terre reste la propriété des colons. Les uns se battent pour être respectés, et ne pas être à la merci de n’importe quel fonctionnaire européen, les autres se battent parce qu’ils exécutent les ordres de leurs supérieurs et qu’ils ne veulent pas prendre la responsabilité de ne pas les appliquer.

Que ce soit sur le plan militaire ou sur le plan de leur comportement dans la vie, ce sont ces paysans algériens qui sont les plus proches des traditions révolutionnaires de nos communards de 1871.

Quant aux prolétaires français, s’ils continuent longtemps à accepter la guerre et à la payer, à remettre leur sort entre les mains de leur général, ils ne feront que renforcer leurs propres exploiteurs.

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