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Ammour, Leucate et Moulin : La voie algérienne

Extrait de : Kader Ammour, Christian Leucate et Jean-Jacques Moulin, La voie algérienne. Les contradictions d’un développement national, Paris, François Maspero, 1974, p. 175-176.

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Pour une alternative révolutionnaire

Face à la montée de la bourgeoisie industrielle, face à l’approfondissement de la dépendance vis-à-vis de l’impérialisme, face au durcissement des antagonismes sociaux et de l’oppression politique, face à la mystification idéologique des discours socialisants de la technocratie, il n’est pas d’autre issue historique, pour le prolétariat algérien et les masses rurales, que de se libérer de la tutelle exercée par la petite bourgeoisie bureaucratique, que de s’affirmer de manière autonome comme force sociale organisée ayant vocation dès maintenant à assurer la pleine direction politique du processus révolutionnaire.

Une fois démystifié le rôle équivoque joué par la couche bureaucratique dans la constitution d’un capital et d’une bourgeoisie moderne, une fois mise à jour la nature sociale de l’État et du régime algériens, il apparaît en effet en toute clarté que seules ces classes sociales peuvent prendre en charge les tâches immédiates de la période – la lutte anti-impérialiste, la question agraire, le développement des forces productives – en ouvrant la voie non à un développement national bourgeois dépendant, mais à un bouleversement des rapports sociaux de production et des formes de pouvoir politique, bouleversement dont le terme ne peut être que l’accomplissement général de la révolution socialiste.

Il reste que, de même que le développement des forces productives n’a jamais suffi à imposer la transformation révolutionnaire des rapports de production, les contradictions et les limites de la révolution démocratique dans les pays dominés par l’impérialisme ne sauraient à elles seules gager le développement permanent de la révolution sociale, la transformation de la révolution démocratique en révolution socialiste. Ce n’est que dans la mesure où le rapport de forces entre les classes peut être sanctionné en terme d’hégémonie idéologique et politique du prolétariat, où celui-ci peut imposer durablement sa direction au niveau du pouvoir central et engager la destruction révolutionnaire de l’appareil d’État bourgeois que l’accomplissement des tâches démocratiques ouvre la possibilité d’un développement ininterrompu de la révolution sociale. En dernière instance, c’est donc la capacité du prolétariat à assurer la conduite politique du mouvement historique, son degré de conscience et d’organisation, en tant que classe, qui apparaissent comme le facteur décisif. De ce point de vue les perspectives historiques actuellement ouvertes au développement de la lutte des classes en Algérie reflètent dans toute son ampleur la crise générale de la direction révolutionnaire. Il existe un décalage dramatique entre, d’une part, la gravité des contradictions sociales, l’actualité objective immédiate d’une alternance prolétarienne à un régime bourgeois en crise et, d’autre part, la désorganisation politique du prolétariat et de ses alliés paysans, l’inexistence de toute force suffisamment armée en termes organisationnels et programmatiques, suffisamment liée aux masses populaires pour s’affirmer comme la direction d’une offensive révolutionnaire.

Pour ceux qui, en Algérie, se revendiquent de la lutte de classes, aucune tâche ne peut être plus urgente que de construire cette force nécessaire.

Ce n’est qu’à cette condition que pourra s’engager la lutte conjointe contre l’impérialisme et pour la révolution socialiste et qu’une alliance avec la paysannerie et la petite-bourgeoisie progressiste pourra se nouer clairement sous la direction politique de la classe ouvrière. Toute autre politique – notamment celle qui prétendrait constituer un « front » avec les éléments « anti-impérialistes » du régime sans en remettre en cause la nature de classe – ne pourrait que contribuer à placer durablement les masses algériennes sous la tutelle politique de la petite-bourgeoisie bureaucratique et, en dernière analyse, sous la domination sociale de la bourgeoise naissante.

juin 1974

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