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Georges Henein : L’esprit frappeur

Extrait de Georges Henein, L’esprit frappeur (Carnets 1940-1973), Paris, Encre éditions, 1980, p. 159-160.

 

 

1960. – Mort de Camus. Albert Camus dont le destin vient de s’interrompre comme au milieu d’une phrase, appartient au jaillissement de la Libération. Jusqu’à sa mort, il est resté marqué à la fois par les exigences et par l’équivoque de cette conjoncture particulière. C’est l’homme du retour à la lumière du jour, c’est celui qui découvrit la liberté dans les catacombes et qui, rentrant dans la Cité, la voulait libre comme son cœur. Mais on ne fabrique pas de la liberté avec du ciment et des lois. En 1944, Camus émerge du chaos de la guerre, porteur d’une morale fraternelle, et il s’étonne de trouver un monde divisé. Il annonce l’heure de la justice, et il s’étonne de se heurter partout à l’arbitraire.

Tandis que Malraux se laisse fasciner par les mythes aventureux, et que Sartre fait sa soumission aux disciplines toujours contestables de l’Histoire, Camus, lui, demeure fidèle à l’individu et comme lié à sa fragilité.

Après Simone Weil – dont la pensée a, sans nul doute, orienté sa propre réflexion – Albert Camus a hésité à jouer le rôle de garant. D’aucuns lui en veulent de s’être récusé de la sorte, au moment où l’on comptait sur lui. Quelque réserve que puisse inspirer telle ou telle de ses attitudes, on devrait savoir gré à Camus de n’avoir jamais franchi le seuil de la perversion intellectuelle. Quant au principe de la souillure – qui n’est que l’envers de la souillure des principes – suffisamment nombreux sont ceux qui cherchent dans cette voie des satisfactions particulières qu’ils ne trouveront dans aucune autre. En vérité, pourquoi parlerait-on de désertion quand un intellectuel engagé « décroche » et non lorsqu’un homme libre s’engage?

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