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Souad Benani : « Pour bien comprendre l’affaire des foulards en France… »

Éditorial de Souad Benani paru dans les Carnets des Nanas Beurs, n° 1, été 1990, p. 3-4


Pour bien comprendre l’affaire des foulards en France, il faut aussi connaître la situation des femmes dans la chariâ.

Comme dans toutes sociétés de type patriarcale (c’est-à-dire une grande partie de notre planète), les femmes occupent une place inégalitaire. Leur rôle tend cependant à évoluer, à devenir de plus en plus important, et parfois même à conquérir un espace, dévolue jusqu’à présent aux hommes.

Il est évident que cette ascension que nous constatons presque partout, ne se fait pas sans heurt. L’irréversibilité de cette tendance, crée en contrepartie des résistances. Résistance du pouvoir, résistance du masculin, et cela est d’autant plus notoire en terre d’Islam où jusque-là les hommes ont régné pendant 14 siècles sans partage !

L’occident a vécu ses résistances particulières au 18e et 19e siècle et début du 20e. Les femmes ont payé un lourd tribu ; le mode de production capitaliste, les deux grandes guerres mondiales, ont paradoxalement favorisé de façon plus rapide leur intégration sur le marché du travail, et d’une certaine manière la rupture avec les traditions patriarcales. Ainsi une certaine autonomie des femmes, due aux responsabilités qu’elles assumaient et à leur indépendance financière a commence dès lors à se profiler.

En terre d’Islam, qui recouvre largement plus que le monde arabe, l’histoire n’est évidemment pas similaire. L’Etat-Nation, au Maghreb est un Etat théocratique. La modernité de l’Etat politique a préservé de façon incontestable le dogme religieux. L’Islam est inscrit dans la constitution comme religion d’Etat. Ainsi nous sommes en régime théocratique, affilié directement à l’héritage du prophète Mahomet qui postule pour l’Umma : c’est-à-dire la communauté. L’Islam est donc « din wa dawla » c’est-à-dire religion et cité.

La fondation de l’Etat de Médine en est un « exemple parfait », et jusqu’à aujourd’hui, à la veille du 21e siècle, nous conservons l’indistinction de deux pouvoirs, temporels et spirituels.

Ainsi femmes et hommes évoluent dans un monde, une quotidienneté sacralisée. Ce caractère sacral s’irradie aux valeurs juridiques, telles que les règles concernant le mariage, la famille, la mort, les testaments, la garde des enfants, la vie sexuelle et même les interdits alimentaires.

Nous pouvons donc retenir que les Etats du Maghreb pour ne parler que de ceux-là, sont des Etats modernes, dotés d’une constitution, mais aussi respective-ment d’un code de la famille. Ces derniers (presque similaires pour l’Algérie et le Maroc, plus progressistes pour la Tunisie), sont d’inspiration religieuse, et définissent de façon précise le rôle et la place des femmes, premièrement dans la cellule familiale, deuxièmement dans la société.

Des droits leur sont reconnus, comme par exemple la possibilité de refuser un mariage (puisqu’il faut son consentement) mais aussi des interdits sont émis par la loi.

En Algérie par exemple : le nouveau code de la famille ou tout au moins l’avant projet, a suscité un large mouve-ment de protestation de la part des femmes. Des centaines de femmes (en 1981/1982) ont manifesté en protestant contre la stigmatisation par la loi de leur infériorité. A leur tête des anciennes résistantes du FLN. Mais deux ans plus tard, le 9 juin 1984, après le recul du pouvoir, le code de la famille fut voté par l’APN (Assemblée Populaire Nationale).

– Le code de la famille en Tunisie, a supprimé la polygamie. Tandis qu’elle reste maintenue au Maroc et en Algérie.

– A l’image des pays du pourtour de la Méditerranée, des femmes dans les campagnes et dans les villes sont encore totalement déshéritées. Le Coran accorde aux femmes la moitié de la part de leurs frères.

– De très jeune filles continuent à être mariées de force, alors que chacun des codes fixe l’âge du mariage (18 ans révolus pour les femmes) et requiert nécessairement le consentement de la femme.

– Des crimes d’honneur existent encore, et la justice demeure clémente pour les meurtriers, car il va de soi partout de surveiller la virginité des filles et leur bonne moralité.

– La garde des enfants (Hadana) dans le code algérien l’article 62 du droit de garde (hadana) prévoit l’éducation de l’enfant dans la religion de son père. C’est un des principes fondamentaux du droit de garde. Une mère française par exemple, dont l’époux est algérien, peut se voir refuser la garde de l’enfant pour raison de maintien dans la religion musulmane.

Cette simple clause, en plus d’autres problèmes de justice, crée de sérieux litiges. Comme en témoignent les luttes des mères des enfants enlevés en Algérie.

Par ailleurs l’article 64 stipule :

« Le droit de garde est dévolu d’abord à la mère de l’enfant puis à la mère de celle-ci, puis à la tante maternelle, puis au père, puis à la mère de celui-ci »…

Les entraves dues au code de la famille :

Pour les femmes algériennes et marocaines, elles ne peuvent contracter libre-ment un mariage sans le consentement du tuteur matrimonial (père, frère etc.). A l’exception des tunisiennes qui n’ont pas besoin d’un tuteur (mariage pour les filles fixé à 20 ans).

D’autre part l’avortement est autorisé en Tunisie. Il demeure interdit en Algérie et au Maroc. Et dans ces deux pays la polygamie est encore en vigueur alors qu’elle est interdite en Tunisie. De même que la répudiation.

Les conséquences en France :

Les familles immigrées installées en France, viennent le plus fréquemment d’un milieu rural, pauvre financièrement et « pauvre » dans son niveau culturel (large taux d’analphabétisme). Placées dans une société étrangère et étant obligés de vivre dans ce modèle dominant, qui déprécie leur propre culture, les familles essayent de préserver des lambeaux d’identité… mais comment ?

Traditionnellement, dans les sociétés d’origine, dans les sociétés musulmanes, c’est sur les femmes que reposent l’honneur, c’est aussi sur elles que les hommes par le pouvoir de l’islam, peuvent exercer leur autorité. Alors on s’attache à surveiller, opprimer les filles et les femmes (arrêt des études, mariage forcé, d’où les fugues et les tentatives de suicide).

Rappelons les événements de Suresnes.

Les mariages mixtes sont interdits par la loi des pays d’origine. Le code tunisien ne stipule pas cette clause, mais en 1965, une circulaire ministérielle tombe sur les bureaux des cadis (juges). Interdiction est faite aux juges de procéder aux unions des femmes musulmanes avec des non-musulmans.

Il est évident que tous ces éléments énoncés de façon rapide montrent un conflit de plus en plus flagrant entre les hommes et les femmes, aussi bien dans les sociétés d’origine, que dans des sociétés d’accueil comme en France.

Mais cet aspect conflictuel est un indice extrêmement important. De cette crise va résulter «un élément nouveau». Les hommes sentent que leur pouvoir sur les femmes est sérieusement mis en branle. Ils accentuent momentanément par différents moyens leur autoritarisme car ils sentent que les femmes musulmanes sont en train de gagner leur indépendance, leur liberté et leur autonomie. Que faire pour se battre jusqu’au bout ?

Dans ce processus de libération des jeunes beurettes s’est posé tout d’un coup la question des foulards.

Ces jeunes filles sur lesquelles tous les espoirs s’étaient fondés, celles sur qui s’était fait le pari de l’intégration, revanche de plusieurs générations de femmes d’ici et d’ailleurs, devenaient «l’obstacle».

La polémique nationale, soutenue de façon spectaculaire par les médias, transformait trois jeunes filles portant foulard, en machine en marche de l’obscurantisme. Nous ne dirons jamais assez notre attachement à la libération totale des femmes. Se battre contre le port du voile, contre tous les intégrismes, contre la claustration, l’infériorisation des femmes, font partie de nos principes fondamentaux.

Mais il en est aussi un qui reste fondamentale celui de l’instruction. Les femmes maghrébines dans leur majorité ont trop longtemps été écartées du savoir et de la connaissance. Elles en ont non seulement souffert, personnellement, mais aussi politiquement. Cela a servi à tous les pouvoirs, de les « jeter » hors de la sphère publique, et d’amputer les nations de la moitié de leurs membres.

C’est pourquoi nous continuerons à nous battre contre les pratiques d’exclusion.

Ce numéro spécial des Nanas Beurs, ouvre ses pages de façon démocratique, à toutes les femmes qui ont voulu s’exprimer. Les opinions sont contradictoires, mais nos lectrices et nos lecteurs pourront peut être à la lumière de ces contributions se faire une idée nouvelle.

Quant à nous, notre pari reste le même, le processus de libération des jeunes filles issues de l’immigration maghrébine est irréversible.

Nous continuerons par tous les moyens à le favoriser !

Souad BENANI
Nanas Beurs

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