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Henry Chazé : Les conseils, qu’est-ce que c’est ?

Article de Gaston Davoust dit Henry Chazé, paru dans les Cahiers du Communisme de Conseils, n° 2, janvier 1969, p. I-IV.

Faites l’essai. Demandez à un vieux camarade de travail ce qu’est un Conseil Ouvrier. Au mieux, s’il a milité, il se souviendra et fera le rapprochement avec les Soviets russes de 1917, il parlera des conseils de marins et d’ouvriers qui furent à l ‘origine de la Révolution Allemande de 1918-1919, des Comités espagnols de 1936, et il terminera sans doute ce rappel historique par les Conseils ouvriers de l’insurrection hongroise de 1956. Mais demandez à un copain de moins de trente ans. De l’écrasement de l’insurrection hongroise, il n’a le souvenir que d’une histoire semblable à celle que vient de connaitre la Tchécoslovaquie. Oui, bien sûr, il y eut des Conseils Ouvriers qui organisèrent une résistance opiniâtre. Ce n’était donc pas un simple mouvement d’indépendance nationale, mais que sait-on au juste sur ce que furent la lutte des ouvriers et le rôle de ces fameux Conseils ?

Il faudrait vraiment que votre interlocuteur de moins de trente ans appartienne à quelque groupuscule pour vous en dire un peu plus, sur ces Conseils hongrois d’abord, puis éventuellement sur ceux de Yougoslavie, sur les Comités d’autogestion algériens, sur la gestion ouvrière en général et tous les problèmes qu’elle soulève dans les organisations révolutionnaires. Pour finir, vous auriez probablement droit au baratin obligatoire sur la nécessité du parti révolutionnaire, d’un vrai de vrai celui-là, et le seul capable de guider et diriger ces pauvres Conseils de travailleurs issus de la base.

Il y a donc lieu d’expliquer ce qu’ont été et ce que peuvent être ces Conseils. Ce n’est pas une forme théorique d’organisation préconisée par des stratèges de la révolution. Ce sont au contraire des organismes surgis spontanément au cours des luttes ouvrières. Rappeler ce fait bien concret est tout simplement tirer un des plus importants enseignements de l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire.

Mais nous sommes en France et le mot Conseil n’a jamais été très employé pour désigner ces organismes que les travailleurs élisent au cours des batailles qu’il leur faut livrer contre le patronat et l’Etat. Comme en Espagne, c’est le mot Comité qui est couramment utilisé pour nommer ce groupe de délégués chargé des tâches d’organisation de toute action de quelque envergure.

Pour comprendre ce qu’est un Conseil ouvrier, partons donc tout bonnement d’un simple Comité de grève. Mais d’un vrai Comité de grève, c’est-à-dire élu par l’ensemble des travailleurs au début de la grève et susceptible d’être modifié dans sa composition au cours des assemblées générales tenues pendant la durée de l’action engagée, ce qui lui donne le caractère d’un Comité exclusivement exécutif et non d’un Comité dirigeant. Comme on le voit, un tel Comité de grève n’a, d’autre part, rien à voir avec un comité composé exclusivement de responsables des différents syndicats d’une entreprise, ce qui ne veut pas dire qu’au sein d’un Comité de grève élu par l’ensemble du personnel ne figurent pas des militants syndicaux ou des membres d’un parti ou organisation politique. Tous les courants de pensée influencent les travailleurs et un Comité élu ne peut que refléter ce qui est et qui change au cours de la lutte.

Qu’une grève dure, s’étende, et se fonde dans un assaut plus global contre le régime d’exploitation, et voilà chaque Comité de grève placé devant des problèmes nouveaux. Il doit faire face à des responsabilités plus élargies qui peuvent aller jusqu’à la tentative de gestion de l’entreprise, en coordination avec tous les autres Comités ayant pris en charge l’administration, la distribution, etc… bref l’organisation et la gestion de toute la société nouvelle qui se crée.

Organismes de lutte au départ, les Comités de travailleurs, ces Conseils ouvriers, peuvent donc devenir des organismes du pouvoir ouvrier, et il leur reviendrait de défendre ce pouvoir contre l’assaut de toutes les forces répressives de la classe dominante menacée. C’est une lutte sans merci comme l’histoire des grands mouvements révolutionnaires nous l’a appris. C’est alors qu’aux Comités ou Conseils de travailleurs se joignent des Comités de soldats, de marins, et que dans les villes se créent des Comités de quartier, enfin que partout les exploités s’organisent, et tout en livrant bataille, mettent en place les structures d’une nouvelle société.

On comprend que tout comme au cours d’une grève, la plus grande vigilance soit nécessaire pour que les Comités ou Conseils de travailleurs conservent leur originalité, c’est à dire qu’ils restent toujours sous le contrôle de ceux qui les ont élus. Car l’histoire nous a appris qu’aucune forme d’organisation n’est garantie contre la bureaucratisation ou contre la conquête par un parti hiérarchisé, auquel cas les Conseils Ouvriers peuvent devenir de simples instruments au service d ‘une minorité dirigeante.

Tel fut le sort des soviets de 1917 lorsque les bolchéviks devinrent majoritaires en leur sein, et celui des Conseils Ouvriers allemands lorsque la parti social-démocrate parvint à les contrôler. Si donc les Comités ou Conseils sont pour les travailleurs la meilleure forme d’organisation qu’ils se soient donné spontanément dans le passé et qu’ils recréent à l’occasion de nouvelles luttes, faut-il encore que le niveau de conscience atteint dans ces luttes permette de préserver ces organismes de toute dégénérescence ? Nous touchons là un problème qui méritera d’être repris. Le texte de Pannekoek publié dans notre numéro 1 nous y aidera. C’est dans un processus de transformation permanente que s’effectue l’adaptation de la conscience à l’existence sociale, nous dit Pannekoek qui s’est efforcé de démêler tout ce qui intervient dans cette formation d ‘une conscience. En fait le niveau de conscience ne se laisse guère analyser, il se vérifie dans et par la lutte des classes.

Pour en rester aux Conseils ou Comités qui peuvent nous intéresser présentement ou dans un proche avenir, c’est-à-dire des Comités de grève ou Comités d’action qui verraient le jour au cours de grèves sauvages ou de nouveaux combats d’ouvriers et d’étudiants de quelque envergure, il faut évidemment souligner l’avantage énorme qu’ils présentent en tant qu’organisme mobilisateurs et unificateurs. Qu’importe alors la multiplicité des tendances qui peuvent s’exprimer au sein des Comités, et dont il serait vain de souhaiter la disparition. Les nécessités de l’action donnent aux divergences leur véritable importance et aux formations de toutes sortes leur vraie dimension.

Il faut d’autre part remarquer, et cela est aussi une leçon de l’histoire, que les travailleurs ne créent des Comités ou Conseils que lorsque les organisations traditionnelles, partis et syndicats, n’ont plus leur confiance, et sans que pour autant ils puissent miser sur les groupements d’extrême gauche dont la multiplicité et la faiblesse sont rebutantes. Dans de telles situations il ne faut donc pas s’étonner que s’impose la création d’organismes unitaires élus par les travailleurs eux-mêmes.

Nous ne prétendons pas être les seuls à considérer les Conseils ou Comités comme les organismes indispensables à toute action révolutionnaire. Mais ce qui nous distingue des autres courants communistes et qui nous vaut cette appellation de Communistes de Conseils, c’est le fait que nous voyons dans ces Conseils les seuls organes réellement représentatifs des travailleurs, et que tous nos efforts tendent à les aider à conserver leur autonomie par rapport à toutes les formations qui se proposent de les diriger.

Nous nous rattachons à, et nous nous réclamons de ce communisme de gauche que Lénine essaya d’éreinter en le dénonçant comme « la maladie infantile du communisme. » Depuis 1920, date à laquelle ce livre de Lénine fut écrit, nous pensons que l’histoire a tranché. La notion léniniste du parti dirigeant ne peut que conduire à une société techno-bureaucratique au sein de laquelle une nouvelle classe dominante remplace la bourgeoisie pour perpétuer l’exploitation des travailleurs. Le léninisme mène au Capitalisme d’Etat et non au socialisme qui ne peut être que l’oeuvre des travailleurs eux- mêmes.

Revenons à la situation présente caractérisée par le fait que chez de nombreux jeunes ouvriers et étudiants se manifeste la volonté de « continuer le combat » et de faire survivre ou revivre ce qui s’était spontanément créé en Mai et Juin. Vouloir à tout prix, c’est-à-dire artificiellement, prolonger la vie d’organismes nés dans et pour l’action risque, en l’absence d’une participation massive des travailleurs ou des étudiants, de conduire à l’ animation de petits cénacles dont la vie est conditionnée par l’entente ou l’affrontement des militants des multiples tendances qui cherchent surtout à étendre leur influence.

Mais il n’on reste pas moins que nous ne pouvons nous désintéresser de l’existence tant dans les entreprises qu’en milieu étudiant de noyaux qui peuvent malgré tout être considérés comme les embryons des nouveaux comités qu’un rebondissement de la lutte de classes ferait naître. N’oublions jamais que la réalité nous offre rarement l’exemple de création d ‘organismes aussi purs que nous les voudrions. L’action concrète ne se déroule pas davantage suivant des schémas et dans le sens que nous pourrions souhaiter.

Notre rôle consiste simplement à défendre nos conceptions grâce à une participation active aux combats dans lesquels nous nous sommes engagés en tant que travailleurs.

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