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Vive la commune de Pékin !

Textes parus dans Le Brise-Glace, n° 4, été 1990, p. 25-28

Traces

On trouvera ci-après des traces du passage de quelques individus à travers une unité de temps. Parmi eux figuraient des rédacteurs du Brise-glace. En 1989-1990, nous sommes intervenus à propos du massacre de Tien An Men, du recensement et de la lutte des délogés : la portée immédiate de nos interventions peut paraître dérisoire. Cependant…

D’abord, nous avons rencontré des gens d’horizons divers avec qui nous avons eu l’occasion de vérifier par la pratique que nous avions en commun le refus de vivre dans la passivité les à-coups les plus sanglants ou les plus dégueulasses du procès de domestication de l’espèce humaine. Nous avons vérifié que pouvait encore se créer entre des individus qui ne se connaissaient pas la veille, une communauté profonde, efficace et chaleureuse. Nous avons ainsi une fois de plus constaté que le premier intérêt des interventions pratiques, même dans des époques défavorables, est de nouer des liens qui rompent l’isolement, approfondissent la réflexion, contrecarrent l’autodomestication et la neurasthénie.

Ensuite, nous ne sommes pas mécontents d’avoir provoqué un incident diplomatique entre la France et la Chine, encouragé la résistance au fichage et brièvement mais très concrètement renvoyé le parti socialiste aux poubelles de l’histoire.

Au lendemain de l’écrasement du mouvement qui a secoué Pékin et les grandes villes de la Chine au printemps 1989, nous avons diffusé le tract « Nous n’allons pas nous agenouiller devant ces chiens ! » successivement aux manifestations des 6 et 24 juin à Paris. Entre-temps, nous nous sommes associés à une trentaine de personnes pour constituer le comité « Pékins de tous les pays, unissons-nous ! », qui a organisé le 29 juin l’occupation, pendant deux heures du Service de l’éducation de l’ambassade de Chine à Paris et diffusé le tract bilingue français-chinois « Pas de larmes pour la Chine ». Ce comité a ensuite diffusé l’affiche portant le même titre à partir du 9 juillet lors de diverses manifestations. Le comité s’est dissous à la fin juillet. Les locaux diplomatiques que nous avions désignés à la vindicte ont eu leur façade sérieusement dégradée lors de la manifestation des « Sans-Cravates » le 14 juillet.

Dans ses communiqués rageurs, l’Agence Chine Nouvelle a diffusé le nom du comité. Nous pouvons donc présumer qu’en même temps que nous emmerdions les bureaucrates et leurs interlocuteurs d’Occident nous avons adressé un signe fraternel aux rebelles chinois qui ont reçu l’information.

En diffusant un contre-questionnaire en mars 1990, le Comité des Non-Recensés Solidaires a encouragé la résistance des dizaines de milliers de personnes réfractaires au recensement. « INSEE PAS TOUT » a touché plusieurs centaines de personnes. A notre connaissance, l’Etat n’a pas mis à exécution ses menaces de poursuite. Sans doute la possibilité d’une défense collective l’a-t-elle encouragé dans la voie de la mansuétude.

Le Comité pour l’occupation du 10, rue de Solférino était composé de gens qui participaient à la lutte des délogés de la place de la Réunion, et d’autres qui n’y participaient pas directement. Dès l’origine, ce comité a mené une action autonome par rapport à une lutte qui tirait son ambiguïté des premiers concernés eux-mêmes. En effet, les familles africaines qui campaient sur la place avaient, en squattant pendant deux ans, puis en refusant de se disperser, manifesté un bel esprit de résistance. Mais – qui y trouverait à redire? – leur souci étant de se faire reloger, elles ont fait confiance à la logique de la charité et des magouilles réformistes mises en oeuvre par une partie du Comité des mal-logés et par les innombrables organisations et politiciens accourus. A ce jour (17 juin), le moins qu’on puisse dire est que leur confiance a été mal placée.

En tout cas, le Comité pour l’occupation… a affirmé un point de vue universel sur ce qui, dans cette lutte particulière, nous était commun. En diffusant l’affiche « Où va se loger l’infamie ? », il a aussi perturbé, à un niveau local mais efficace, la gestion social-démocrate des conflits – mélange qui se voudrait savant de matraquage, de mensonge médiatique et de dialogue entre matraqueurs et matraqués.

Ce qui aurait dû être l’apogée de la récupération d’une lutte que le parti gouvernemental avait d’abord essayé d’étouffer – la manifestation du 16 juin – a tourné à la déroute. Tout en diffusant le tract « Délogeurs, délogés… « , nous avons déployé avant le passage de la manifestation la banderole dont la photo clôt ce numéro du Brise-glace. Cette banderole, tendue entre les deux trottoirs en surplomb qui bordaient la chaussée, parcours de la manif est bientôt devenue le point de ralliement de tous les irréguliers. Environ trois cents personnes se sont ainsi retrouvées et, notre nombre devenant dissuasif, la manif de la honte a défilé de bout en bout sous les fourches caudines de notre colère, sans qu’aucun service d’ordre n’ose venir s’affronter à nous. La troupe de la LCR et celle de SOS Racisme ont défilé sous les cris de « collabos », celle du PCF s’est vu rappeler l’affaire du bulldozer de Vitry, et quand celle du PS se présenta, se fut le délire : bombardée de crachats et du contenu de plusieurs poubelles, elle se débanda et finit par faire disparaître ses banderoles. Ce fut un de ces moments trop rares où les rebelles se regroupent et se vengent de tant d’avanies et de mensonges qu’on leur a infligés.

Un de ces instants fugaces où l’on sent que, décidément, les mauvais jours finiront.


« NOUS N’ALLONS PAS NOUS AGENOUILLER DEVANT CES CHIENS ! »

Dans les rues de Pékin, on a parlé, on a ri, on a chanté, on a fait tout ce que la dictature capitaliste d’Etat interdisait de faire depuis quarante ans.

Dans les rues de Pékin, petits entrepreneurs, étudiants, ouvriers et chômeurs ont commencé de vivre ces moments où l’on cesse d’être entrepreneur, étudiant, ouvrier ou chômeur.

Dans les rues de Pékin, on a commencé à vivre comme si les classes avaient été réellement abolies, comme si la liberté était là.

Dans les rues de Pékin, on a résisté, sans reculer devant la violence, pour défendre cette liberté, cette « démocratie »-là.

C’est ce scandale que les bureaucrates-tankistes n’ont pas supporté. C’est ce scandale que les pleureuses journalistiques et politiques d’Occident s’efforcent de noyer sous des torrents de larmes. C’est ce scandale que nous voulons saluer.

VIVE LA COMMUNE DE PEKIN !


PAS DE LARMES POUR LA CHINE

CEUX QUI VOUDRAIENT NOUS FAIRE PLEURER SUR LA CHINE sont ceux qui out toujours menti sur elle. lls ont justifié la dictature maoïste au nom d’une « étrangeté » radicale des Chinois et aujourd’hui en « découvrant » que Deng est un boucher, ils montrent qu’ils confondent la liberté avec la liberté du commerce.

En réalité, c’est le régime de Deng qui colla au trou les Wei Jinsheng et les Ren Wanding, animateurs du printemps de Pékin de 1979 et qui depuis n’a jamais cessé de condamner les dissidents. Le mensonge idéologique de la distinction entre les « délinquants » et les autres est devenu éclatant dans cette société chinoise qui, grâce à l’ « ouverture » tant louée combine aujourd’hui les tares du capitalisme bureaucratique et celles du capitalisme sauvage. Dans un climat de corruption généralisée et de révolte endémique, le parti devenu « combinocrate » n’a jamais cessé d’exercer sa terreur sur le reste de la société : exécutions publiques de milliers de « droits communs », avortement et stérilisation forcés de milliers de femmes, féroce normalisation des mœurs… C’est cela, la modernisation et l’ouverture tant regrettée.

Le sang coule aujourd’hui dans la continuité d’une dictature, dont sont complices ceux qui feignent de croire que ce qu’ont fait les révoltés pouvait être toléré à Paris mieux qu’en Chine (comment furent traités les étudiants français de 1986 quand ils prétendirent manifester devant l’Assemblée ?) Complices ceux qui voudraient réduire à un « mouvement étudiant » une lame de fond où les ouvriers et chômeurs ont joué un rôle décisif.

Complices, ces images qui nous réduisaient devant les émeutiers à la passivité décervelée et qui servent aujourd’hui à diriger les balles explosives. Journalistes et massacreurs concourent au même but avec des moyens opposés *. Qu’ils la mitraillent de photos ou de balles, ils s’emploient à prouver que la révolte est sans issue et la liberté impraticable autrement que dans sa version marchande et parlementaire.

Quand à Pékin et ailleurs, artisans, étudiants, employés et ouvriers vivent dans la rue ces heures de communauté où les rôles sociaux sont réellement abolis et où l’on agit comme si les classes avaient réellement disparu, nous ne voyons pas là de quoi pleurer. Ce que la rue chinoise est venue nous confirmer, après la Palestine, l’Algérie, l’Argentine, le Nigéria, après tant d’autres pays mais sur une échelle et avec une profondeur inégalée c’est que, contre la dictature socialiste ou celle du FMI, malgré le sang là-bas et la veulerie ici, l’initiative des gouvernés a encore tout l’avenir pour elle.

Frères de Pékin et d’ailleurs, pourrons-nous vous dire nos rêves ? Au moins avons-nous des ennemis communs : ceux qui ont encensé vos bourreaux, ceux qui leur vendent des armes, ceux qui vous ensevelissent aujourd’hui sous le mensonge et les larmes.

COMITÉ « PÉKINS DE TOUS LES PAYS, UNISSONS-NOUS ! »

* Les journalistes ont contribué à répandre l’illusion qu’il suffisait d’être télévisé pour être protégé du massacre


AFP 5/7/89

Pékin a protesté lundi auprès du gouvernement français contre l’occupation et le harcèlement des services éducatifs de l’ambassade de Chine à Paris, a annoncé l’agence officielle Chine Nouvelle.

Selon un responsable du ministère des Affaires étrangères chargé des Affaires européennes cité par Chine Nouvelle, « le comité Pékins de tous les pays unissons-nous » regroupant plusieurs français a investi le 29 juin le bâtiment abritant les services éducatifs de l’ambassade de Chine en France ».

Ce responsable non identifié a signalé à l’ambassadeur de France à Pékin que les manifestants avaient également répandu des tracts et déployé des affiches « injurieuses à l’égard de la Chine » dans les locaux de l’ambassade chinoise. Il a souligné à l’adresse de l’ambassadeur français la gravité de cet incident contraire selon lui aux règles des relations internationales, a précisé l’agence Chine Nouvelle. Enfin, il a demandé au gouvernement français de punir les coupables et de prendre des mesures afin que de tels incidents ne se reproduisent pas, notant au passage que la police française avait été très lente à réagir pour refouler les manifestants.


SOMMES FIERS D’AVOIR OCCUPÉ LES SERVICES ÉDUCATIFS DE L’AMBASSADE CHINOISE À PARIS LE 29 JUIN 1989 STOP PROTESTONS SOLENNELLEMENT CONTRE SOUPCON DE CONNIVENCE AVEC POLICE FRANCAISE STOP CONFIRMONS L’APOSTROPHE LANCÉE A VOS SUBORDONNÉS : VOUS ETES LA HONTE DE L’HUMANITÉ STOP CONFIRMONS SANCTIONS DÉJÀ PRONONCÉE PAR TOUS LES PÉKINS DU MONDE « L’HUMANITÉ NE SERA HEUREUSE QUE LE JOUR OU LE DERNIER CAPITALISTE AURA ÉTÉ PENDU AVEC LES TRIPES DU DERNIER BUREAUCRATE » STOP SIGNÉ : COMITÉ PÉKINS DE TOUS LES PAYS UNISSONS-NOUS

télégramme adressé à Deng Xiaoping


Pékins de tous les pays…

… Unissons-nous

« Nous voulons devenir maîtres de notre destinée, nous n’avons pas besoin des dieux, ni d’empereurs, nous n’avons foi en nul sauveur, nous voulons avoir barre sur notre propre vie. »
La Cinquième modernisation : la démocratie
Wei Jingsheng

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