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Ne votons pas !

Déclaration du Groupe du Réveil anarchiste parue dans Le Réveil socialiste-anarchiste, n° 293, 12 novembre 1910.

Travailleurs,

Dans la comédie électorale, qui va se jouer une fois de plus, voulez-vous comme à l’ordinaire être les comparses à la suite des candidats multicolores au rôle plus ou moins important et se disputant l’honneur de se « dévouer » à la chose publique ?

Chaque année vous renouvelez un Conseil quelconque, et quelques jours avant celui du vote, une bande de quémandeurs, de flatteurs et surtout de menteurs s’adressent à vous, pour vous rappeler que vous êtes le peuple souverain, dont toute la souveraineté se résume dans le suffrage par lequel vous vous donnez des maîtres, qui escamotent ensuite tous vos droits. Par quel incroyable aveuglement la même grossière tromperie peut-elle ainsi se répéter toujours, malgré les déceptions, les violences et les trahisons que les gouvernants de tous les partis ont réservées au peuple ?

Tout d’abord, c’est une erreur que de voir dans les candidats des différentes listes se ruant à la conquête de l’assiette au beurre des ennemis ; ce ne sont en réalité que des concurrents, complices les uns des autres dans l’exploitation politique du pays. De même qu’industriels et commerçants, malgré la concurrence, finissent par s’entendre entre eux, les politiciens sont tous liés par un intérêt commun et sous leurs luttes apparentes se cache la solidarité bien réelle d’hommes jouissant d’une situation privilégiée.

Bien plus, la plupart de ces individus qui affirment vouloir se donner entièrement au mandat qu’ils sollicitent, se hâteront d’y renoncer dès qu’ils pourront obtenir une place ou une sinécure quelconque. Leur but n’est donc pas de servir le peuple, mais de s’en servir pour arriver plus vite à émarger au budget de l’Etat.

Ouvriers, Camarades,

Il n’est pas possible que vous continuiez à vous faire des illusions sur la valeur du bulletin de vote. Tous les pouvoirs ne peuvent aboutir qu’à la défense des propriétaires contre les déshérités, des privilégiés contre les opprimés. L’ordre légal dont tous les partis se déclarent soucieux, n’est autre chose que le respect et l’acceptation de toutes les iniquités commises contre vous. La sympathie que les élus affirment éprouver pour la masse travailleuse, cesse aussitôt que celle-ci réclame la moindre partie de ce qui lui est dû. Rappelez-vous que dans les conflits économiques, ce sont toujours les ouvriers frappés et condamnés, qui ont légalement tort, car la loi ne peut reconnaître et défendre que les intérêts établis et les droits acquis contre les intérêts et les droits nouveaux dont la foule acquiert peu à peu la conscience. Les institutions actuelles visant surtout à la défense, au maintien et au développement de l’exploitation du travail par les classes nanties, tout mouvement d’émancipation et de progrès ne peut avoir qu’un caractère extra-légal, accompli non pas en collaboration avec les dirigeants, mais contre eux. Les soi-disant lois de protection ouvrière, violées systématiquement dans ce qu’elles peuvent avoir d’utile pour nous, servent d’autre part à augmenter les attributions et les fonctions de l’Etat, tout en restreignant chaque jour notre liberté d’action. Une liberté même partielle devient, d’ailleurs, pour nos maîtres une licence dès qu’elle ne favorise pas leurs privilèges de classe. Voyez ce qui en est pour le droit de grève, désormais refusé à tous les ouvriers et employés des services publics.

Quel a donc été le rôle des autorités dans toutes les luttes que nous avons dû soutenir au cours de ces dernières années pour empêcher que notre situation économique n’empirât avec le renchérissement de la vie ? Assurer si possible l’exploitation des patrons, d’abord ; hâter l’écrasement des salariés, ensuite, par les menaces, les pressions et les persécutions policières et autres, car toute tentative de diminuer notre misère revêt forcément un caractère de désordre dans une société dont toute la vie économique et politique est basée sur cette misère.

Le gouvernement genevois n’avouait-il pas que si pour appuyer la Compagnie du P.-L.-M. au moment de la grève, il avait toléré sur territoire genevois des militaires français en activité de service, le gouvernement français à son tour avait toléré, lors de la dernière grève des tramways, des miliciens suisses en armes à Annemasse ? Ainsi les armées soit-disant instituées pour la défense de la patrie, servent à la protection internationale de l’exploitation capitaliste pour laquelle les frontières n’existent déjà plus. Et vous iriez par votre vote sanctionner cet état de choses ? Quels que soient les candidats que vous appuierez, vous donnerez en votant votre adhésion au régime qui nous est imposé, sans avoir même l’espoir d’une modification quelque peu importante, puisque vous savez à n’en pas douter que les élections pacifiques donnent toujours le pouvoir aux vieux partis conservateurs.

Travailleurs,

Certains soi-disant socialistes en mal de députation, nous objecteront : — « Faut-il donc laisser tout faire, sans opposition aucune ? »

Rien de plus ridicule que la fameuse opposition parlementaire, que l’on sait toujours vaincue à l’avance. Elle ne sert qu’à légitimer toutes les mesures que le pouvoir législatif est fatalement amené à prendre contre le peuple, car elles ne l’auront été que sur une base et moyennant des formes consacrées par le suffrage populaire lui-même. Une opposition efficace ne peut être d’initiative parlementaire, mais elle doit venir de la foule elle-même et s’affirmer ailleurs que dans les parlements. Les électeurs confiants dans l’oeuvre des élus attendent d’une députation ce qui ne peut résulter que de leur propre action directe. En admettant même la parfaite honnêteté des représentants, il est évident que quelques hommes ne pourront nous procurer ce qu’il nous serait bien plus facile d’obtenir nous-mêmes, qui, étant le grand nombre, pouvons être la force.

La conquête à laquelle nous devons viser n’est d’ailleurs pas celle du pouvoir. Nous n’aurons jamais à passer notre vie à l’Hôtel de Ville, mais bien dans les usines, les ateliers, les fabriques, les chantiers, les champs, partout où l’on travaille, produit et crée. Et c’est à conquérir pour nous la terre, les machines, l’outillage, les matières premières que nous devons nous préparer pour soustraire notre travail à toute exploitation et à toute autorité, hâtant ainsi l’avènement d’un nouveau monde de bien-être et de liberté.

Ouvriers, Camarades,

Voter c’est reconnaître son esclavage ;

Voter c’est abdiquer tous ses droits dans les mains de quelques politiciens ;

Voter c’est permettre aux classes nanties de légitimer leurs iniquités par la sanction du suffrage universel ;

Voter c’est trahir la cause de l’émancipation populaire pour se rallier au régime capitaliste.

Travailleurs, abstenez-vous ! L’arme du bulletin de vote sera toujours nulle pour la défense de vos intérêts, et bien qu’elle ait été forgée par eux et tout à leur avantage, vos maîtres ne s’en contentent point pour maintenir leur domination et recourent de plus en plus à la force armée.

Faites-en de même à l’occasion, et désertez les urnes !

GROUPE DU REVEIL ANARCHISTE

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