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Où va l’Algérie indépendante ?

Article paru dans La Révolution prolétarienne, n° 186, octobre 1963, p. 12-13


La R.P. – on l’oublie trop souvent – fut la première à mener le combat systématiquement contre le colonialisme. Dans notre collection de 1925 à 1939, les études et monographies de Louzon, Péra, Finidori ont, pour la première fois en France, mis en relief des mouvements nationaux et révolutionnaires qui, en Tunisie, dans l’Inde, au Vietnam et en Algérie, sont à l’origine de l’indépendance des ex-colonies françaises et anglaises.

Aucun d’entre nous ne songe à renier ce passé. Mais notre lucidité de l’époque n’excuserait pas notre aveuglement d’aujourd’hui. Nous avons affirmé que l’indépendance nationale était une étape nécessaire. Nous n’avons jamais pensé que c’était la fin de la lutte des classes, des conflits politiques et sociaux. Et notre expérience nous permet d’affirmer qu’en subordonnant tout à la prise du pouvoir, un parti révolutionnaire risque de sombrer dans la dictature totalitaire.

Les troubles actuels en Algérie ne nous étonnent pas. Mais nous nous refusons à nous satisfaire de vérités officielles et de certitudes doctrinales.

C’est dans le seul but d’éclairer nos amis que nous publions aujourd’hui des documents sur la crise récente. Séquelles de la guerre anticolonialiste ? Douloureux enfantement d’un régime nouveau ? Rivalités de clans, choc d’intérêts économiques, résistance au totalitarisme ? Ce sont là des interprétations possibles. Il ne nous appartient pas encore de choisir et de conclure. Mais il nous appartient d’entendre les voix des minorités, tant qu’on peut encore les entendre.

Manifeste de l’opposition

Militantes, Militants :

Depuis la crise de l’été 1962 qui a provoqué la rupture dans le mouvement des forces révolutionnaires, brisé l’enthousiasme des masses, divisé les avant-gardes révolutionnaires, la situation n’a pas cessé de se dégrader dans les domaines politiques, économique et social.

Le peuple algérien, privé de ses cadres populaires éclairés avec lesquels il a lutté, communié, souffert et triomphé, se trouve exclu de la vie nationale, déçu par les promesses mensongères et désorienté par les slogans mystificateurs.

A cause de la division et de la dispersion des véritables artisans de l’indépendance : Maquisards écartés des postes supérieurs de l’A.N.P., pourchassés ou soumis au commandement d’ex-officiers de l’armée française ; militants libérés des camps et des prisons systématiquement éliminés au bénéfice des agents de la troisième force, syndicalistes bâillonnés, Chouhadas oubliés et leurs familles abandonnées, la révolution a cédé la place à la contre-révolution.

Sous le masque changeant d’un socialisme charlatanesque, tantôt « musulman » ou « arabe » et tantôt spécifique ou castriste, le régime a développé toutes les tentacules et les pratiques du national-socialisme, par ses fondements policiers et par sa conception unilatérale et autoritaire du parti unique mais non unique instrument de sa dictature.

Ouverte par la proclamation illégale du bureau politique à Tlemcen, la crise de l’été dernier a amorcé un processus implacable de fascisation.

Toutes les tentatives faites par des militants sincères tant au sein de l’Assemblée Nationale qu’à l’A.N.P. et au « parti » se sont heurtées à des structures et à une volonté intraitable. Dans sa progression « triomphaliste ». la dictature a gagné les étanes de l’Assemblée Nationale et du « parti » qu’elle a ravalés au rang d’institutions croupions. Elle en est aujourd’hui à sa dernière étape. Elle tente de légitimer son régime par une constitution qu’elle demande au peuple algérien de ratifier.


Considérant, que le « bureau politique » n’a aucune assise légale, puisqu’il n’a jamais été ni élu ni confirmé par le C.N.R.A., qu’il a trahi ses multiples engagements solennels de tenir le congrès du F.L.N., et que Ben Bella avec la complicité de deux figurants a éliminé la majorité des membres du « bureau politique » pour faire du « parti » sa propriété.

Appelons les militantes et les militants dépositaires des traditions et des principes révolutionnaires du F.L.N. à se regrouper au sein du FRONT DES FORCES SOCIALISTES.

PEUPLE ALGERIEN, TA LIBERTE, TA DIGNITE SONT EN JEU,

PAR TON UNION ET TA VOLONTE TU TRIOMPHERAS DE LA DICTATURE COMME TU AS TRIOMPHE DU COLONIALISME.

Alger, le 3 septembre 1963.

Démission de Krim Belkacem

Le 7 septembre, Krim Belkacem adressait au président de l’Assemblée nationale constituante algérienne, aux députés et aux militants du peuple algérien la lettre suivante :

Dans un télégramme adressé en date du 6 septembre 1963 au Président de l’Assemblée, j’ai remis la démission de mon mandat de Député. J’ai annoncé que je me réservais la liberté de donner les raisons de ma décision par lettre ouverte à l’Assemblée et au peuple algérien.

C’est particulièrement devant ce dernier, auquel je suis lié par mon mandat, que je dois de m’expliquer afin qu’il n’y ait aucune équivoque sur la signification politique de mon geste. Ma présence au sein de l’Assemblée ne peut plus se justifier sans donner une caution à une politique gouvernementale catastrophique et arbitraire.

Dans une Assemblée où la liberté d’expression est aussi absente que l’information de l’opinion algérienne, la place de députés soucieux d’assumer consciencieusement et démocratiquement leurs responsabilités n’est plus possible. Il est significatif que la contrainte d’une situation détériorée oblige certains députés à exercer leur mandat de l’exil, d’un piton, d’une prison ou d’une retraite plus ou moins clandestine. Le droit du Peuple à s’exprimer par ses représentants est aliéné et c’est une duperie de continuer à faire croire à l’existence ou à la prorogation d’une Assemblée Nationale démocratique et populaire qui en fait n’est que la médiocre caricature de celles que nous avons connues avant 1962.


Placés devant une politique d’ascension au pouvoir personnel par la répression accentuée, par le chantage et l’inconditionnalisme nous avons dû, le 12 juillet, alerter l’opinion algérienne. Devant l’échec de l’unité nationale nous avons demandé à chaque Algérien de prendre ses responsabilités.

Tout le monde sait par quels propos injurieux et indignes le chef du Gouvernement a répondu à notre déclaration. Le nom d’une famille amputée de plusieurs de ses membres tombés au Champ d’Honneur, parmi lesquels Krim Rabah officier supérieur de l’A.L.N., a été ignominieusement insulté. Pour ne pas engager une basse polémique qui n’avait pas sa place dans un débat national, nous avons préféré ne pas répondre.

La situation actuelle qui met le pays devant un nouveau coup de force par le vote d’une Constitution personnelle, par un référendum dont on connait déjà l’issue préfabriquée entre les seules mains d’arbitrage et de contrôle d’autorités et d’un prétendu parti politique acquis au pouvoir benbelliste, nous place dans l’obligation d’une démission d’un organisme qui n’a plus sa représentativité nationale.

Le bilan des promesses faites au Peuple dans des déclarations en cascades aussi improvisées que mensongères ont accentué le malaise d’un Peuple assoiffé de dignité.

Sept années de lutte sanglante qui avaient soulevé tant l’admiration mondiale que le respect de nos adversaires donnaient encore plus à ce Peuple le droit légitime de participer à l’édification de son pays et non d’être tenu en marge d’une œuvre nationale.

C’est pour cela que nous nous refusons d’être le jouet ou les complices d’une dictature fasciste. Nous proclamons devant le Peuple l’entière responsabilité des détenteurs du pouvoir actuel.

Les accusations de Ben Bella

Dans un de ses derniers numéros « Alger républicain » a publié certains passages du discours prononcé le 1er octobre par M. Ben Bella et qui n’avaient pas été reproduits jusqu’alors. Evoquant l’action du G.P.R.A. pendant la guerre, le chef de l’Etat avait déclaré, selon le quotidien algérois : « Il y a des gens ici qui connaissent le camp de Khemisset, en Tunisie. Quelqu’un qui s’appelle Boussouf y a tué des milliers de personnes. Il y a aussi des gens ici qui savent que notre gouvernement à Tunis a rempli des cimetières entiers des meilleurs cadres de l’Algérie. Ils ont été tués parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec lui.

» On a dit aussi qu’Abane a été tué au cours d’une bataille. Savez-vous comment il a été tué ? Il a été étranglé par les mains de ces criminels. Abane est mort étranglé par les mains des criminels du G.P.R.A. (1).

» Je peux vous parler pendant dix heures sur de pareils agissements, mais je n’en donnerai qu’un exemple.

» Récemment, il y a deux mois seulement, notre ambassadeur à Tunis a découvert 180 millions de francs cachés dans un coin de l’ambassade.

» Est-ce que des gens pareils méritent une· responsabilité ? Je pense que ces gens ont caché de pareilles sommes dans chaque coin. »

(Le Monde, 6-7 octobre.)


(1) Il s’agit d’Abane Ramdane, qui fut l’un, des membres les plus influents du Comité de coordination et d’exécution du F.L.N. (C.C.E.) avant d’être « liquidé » en 1958.

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