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Un seul combat, une seule voie

Article paru dans le Bulletin de liaison, organe du Comité national de défense de la révolution, n° 7, avril 1966, p. 10-12

Les problèmes majeurs qui se posent à l’humanité de notre temps sont dominés par la constatation d’une situation intolérable due à la division de notre planète en deux mondes opposés : celui de la faim et celui de l’abondance. Ce fossé, qui chaque année s’approfondit un peu plus, constitue la ligne de partage qui dresse d’une part les trois quarts du genre humain : exploités manquant du minimum vital et dont le nombre augmente vertigineusement et, d’autre part, la minorité de nantis qui concentre entre ses mains des moyens de production colossaux, des richesses fabuleuses et les leviers de commande politique.

Toute analyse politique sérieuse doit passer obligatoirement par l’étude et l’appréciation correcte de cet état de fait aux conséquences dramatiques.

Malgré la confusion savamment entretenue par ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que cette réalité tragique éclate au grand jour, la vérité avance à grands pas et, partout, une première prise de conscience se fait, et la vague des affamés monte en même temps que sa clameur s’amplifie. Plus ce mouvement se précise et gagne en profondeur plus il devient nécessaire que les options politiques se clarifient et s’adaptent.

Un combat à l’échelle de la planète

Des voix « autorisées » s’élèvent pour réclamer plus de justice. Certaines préconisent l’organisation d’une aumône internationale, prélevée sur les budgets militaires des pays riches – comme s’il existait un remède de cette sorte à une situation dont les causes sont liées à la structure même de l’économie mondiale et qu’aucun expédient ne peut atténuer.

Ni les déclarations humanitaires, ni les campagnes mondiales, ni les distributions de denrées alimentaires sur les surplus… ne sauveront l’Indien qui meurt de famine, l’Indonésien agonisant du même mal, le Viet-Namien écrasé sous les bombes, l’Egyptien espérant indéfiniment en la fin du barrage d’Assouan, l’Africain gémissant sous la botte des mercenaires promus sauveurs, après la fin des « rédempteurs », des politiciens tarés et des cohortes de sorciers et des spéculateurs en tous genres, le Sud-Américain asservi par les oligarchies galonnées et leurs maîtres yankees, l’Algérien victime expiatoire de la gabegie monstrueuse des militaires assoiffés de puissance.

La solution doit venir de nous-mêmes

Pour tous ces damnés, il ne pourra être envisagé de salut que lorsqu’ils auront compris cette vérité éclatante : la solution de leur drame ne peut venir que d’eux-mêmes. Attendre des gouvernements ou des bienfaiteurs providentiels qu’ils apportent des améliorations à leur sort est une erreur, car ce sont ceux-là leurs pires ennemis, les affameurs syndiqués contre lesquels une lutte implacable devra être menée. C’est une question de vie ou de mort. Dans ce combat pour l’existence et la survie, chaque peuple est aujourd’hui placé devant ses responsabilités. L’affrontement gigantesque qui se prépare et dont l’issue est certaine, conduira immanquablement les masses déshéritées du monde exploité à occuper la scène politique et à imposer d’une façon ou d’une autre, leurs exigences afin de forger par elles-mêmes leur destin.

En tant qu’Algériens, notre combat se place tout naturellement dans ce cadre.

Il est évident que la lutte acharnée menée contre le colonialisme ne peut se justifier que dans la mesure où, une fois l’indépendance acquise, nous continuons à combattre avec le même acharnement l’installation au pouvoir d’hommes corrompus, incapables, soumis à l’impérialisme et dont le seul but est de tirer profit de leur position et de détourner, à leur bénéfice, des sommes et des biens considérables appartenant au peuple algérien.

Le combat d’hier n’est pas achevé

Le combat d’hier n’est pas achevé. Il n’a fait que changer de protagonistes. Le colon, le fonctionnaire, le policier, le militaire français ont laissé la place à leurs homologues algériens. Seuls les visages ont changé. Les choses restent telles quelles, ou, pire, elles ont régressé dans tous les domaines : régression douloureusement ressentie et qui fait regretter aux esprits mal éclairés l’ère coloniale, malgré ses injustices et son arbitraire.

L’heure n’est ni aux regrets, ni aux espoirs sans lendemain, ni à l’attente angoissée, ni aux promesses mirobolantes. L’heure est au choix définitif entre le camp de ceux qui gouvernent, qui profitent et qui s’enrichissent et celui de la grande majorité qui subit, qui souffre et qui meurt. Les arguments spécieux, les alibis, les fausses justifications sont sans valeur quand il s’agit de prendre position. Le recours à de tels artifices cache mal des arrières-pensées malhonnêtes : certains pseudo-intellectuels, soi-disant techniciens, éludent le problème politique et justifient leur collaboration avec un pouvoir méprisable par des arguments « humanitaires » en prétendant, qu’à leurs postes, ils rendent service.

En toute bonne foi, qui servent-ils ? Si ce n’est leur appétit petit-bourgeois, leurs intérêts personnels et leurs petits amis trafiquants. Qui croient-ils tromper avec leurs explications savantes ? Ceux qui voient de jour en jour leur situation misérable se dégrader, tandis qu’ils constatent que profiteurs et parvenus nagent, sans vergogne, dans l’opulence et l’oisiveté ?

Toutes les fortunes providentielles, toutes les ascensions vertigineuses, toutes ces mutations sociales ont fait comprendre au peuple que l’ancien combattant, le patriote d’hier, le militant du 1er novembre, l’honnête citoyen de jadis n’existent plus. L’indépendance, telle un raz-de-marée, a provoqué des bouleversements brutaux. Les critères eux-mêmes, se sont transformés. Des vies entières de dévoueemnt et de militantisme ont été effacées en un instant dans la course aux postes et aux richesses. Combien de militants de la cause nationale, hier sincères et dévoués se sont métamorphosés, qui en ministre débauché et vaniteux, qui en trafiquant d’influence consacré sur la place publique, qui en haut fonctionnaire corrompu : profiteurs, opportunistes, renégats qui se servent de leur fausse gloire pour parachever avec plus d’âpreté encore, l’exploitation commencée par le colonialisme. Et cela, sans fausse honte, au nom d’un prétendu socialisme qui tranquilise leur bonne conscience.

Il n’est pas inutile d’insister sur cet aspect fondamental de la situation, sur cette monstrueuse comédie, cette tricherie de tous les instants, au moment où une armée de jeunes, d’étudiants révolutionnaires, d’ouvriers exploités, de paysans déjetés, de chômeurs abandonnés, ressentent dans leur chair le marasme et cherchent, confusément, à situer les responsabilités.

L’heure est indiscutablement au choix

Il a fallu moins de quatre ans pour que la situation se décante enfin et permette de voir plus clair. Le doute, les hésitations resteront le lot des aveugles-nés ou de ceux qui sont atteints de ce mal qui s’appelle lâcheté et trahison. Nier la nécessité de se déterminer et l’urgence de cette démarche, c’est se mettre consciemment à la solde de la nouvelle classe, celle qui s’est appropriée les fruits de l’indépendance et s’en attribue généreusement les avantages. L’heure est indiscutablement au choix.

Pour notre part, nous avons fait celui-ci : oeuvrer au sein des masses populaires, parmi les jeunes, les travailleurs, ouvriers et paysans, les chômeurs, les artisans ruinés, les petits commerçants écrasés d’impôts. Nous nous reconnaissons uniquement dans ces classes sociales dont le poids a été capital au cours de la lutte de libération et qui, maintenant, malgré quelques moments de désarroi, restent le véritable moteur et le seul fer-de-lance de la révolution. Elles détruiront les Ben Bella, Boumedienne et tout autre triste sire dont les actes iront à l’encontre des droits sacrés du peuple ou qui tentera de le démunir de ses pouvoirs politique et économique. Car, il est clair, que le peuple finira par arracher sa liberté et chassera les apprentis-dictateurs. Pour parvenir à cet objectif, il n’y a qu’une seule vie : la voie révolutionnaire de la construction du socialisme.

Une seule voie : la révolution socialiste

On aura beau nous rétorquer que le peuple algrien ne veut plus du socialisme. Nous répondrons, comme lui, que nous aussi nous sommes opposés « aux socialismes », l’un mystificateur et charlatant, l’autre attentiste et militariste dont a été affligé notre pays et qui ont permis à une classe de parasites de s’approprier les fruits de la lutte ppulaire et d’établir sa dictature grâce à un appareil répressif aux effectifs pléthoriques. Ce socialisme qui ressemble étrangement au capitalisme le plus rétrograde, personne n’en veut, si ce n’est ceux qui en profitent et qui ne sont qu’une infime minorité.

Le véritable socialisme, dont la doctrine et la pratique ne cessent à aucun moment d’être indissolublement liées, devra remettre le pouvoir politque aux mains des travailleurs des villes et des campagnes, des intellectuels révolutionnaires, en un mot, les classes aujourd’hui opprimées et exploitées. Il devra permettre la réalisation effective d’une démocratie de masses qui donnera un contenu réel aux notions de liberté et de justice. Un renversment de la politique économique, sous le contrôle direct des travailleurs, permettra de rendre moins illusoire la recherche du bien-être pour les plus larges masses.

Que ceux qui ressentent cette nécessité de changement se rassemblent, s’organisent et se préparent sérieusement à engager la lutte pour l’accomplissement de la deuxième étape de la révolution.

Chercher ailleurs, attendre, avoir peur ou se résigner, sont autant d’attitudes qui empêchent le jaillissement de la vérité et le redressement auquel notre peuple aspire de toutes ses forces !

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