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Mohamed Saïl : L’oppression en Algérie

Article de Mohamed Saïl paru dans L’Eveil social, n° 26, février 1934

Mohamed Saïl (1894-1953) , militant anarchiste et anarcho-syndicaliste, en 1936 en Espagne (au premier rang, au milieu) avec des membres du Groupe international de la colonne Durruti.

Lettre ouverte au caïd des Beni-Oughlis, Sidi-Aich (Constantine) :

« Imposante Seigneurie »,

Souffrez que le révolté, l’homme qui a perdu l’habitude de courber la tête sous l’outrage de vos pareils, trouble votre pesante digestion en vous importunant de sa diatribe insultante…

D’après l’enquête que j’ai menée dans les milieux algériens de Paris, il ressort que votre opulente personne se glorifie, tel l’âne chargé des reliques, d’être parvenue au point culminant du « larbinisrne » officiel et intégral. Votre charge de larbin vous coûta cent mille francs. Il ne vous fallut pas longtemps pour récupérer cette somme rondelette sur le dos des indigènes, vos victimes.

En moins de deux ans, vous avez su rançonner une petite fortune aux pauvres bougres que la misère chassait de ce coin inhospitalier. Tout travailleur soucieux de s’expatrier pour aller chercher ailleurs le pain qui lui manquait en Algérie, fut obligé de laisser entre vos mains les quelques sous qu’il avait amassés à force de privations. Les lois d’exception qui régissent le territoire algérien veulent, en effet, que l’émigration soit réglée par les caïds. La plupart de ces caïds étant faits à votre image, c’est-à-dire ayant la conscience placée sous leurs babouches, il en résulte une exploitation ignoble dont les plus misérables d’entre les travailleurs sont les victimes. Pour votre part, il paraîtrait que le chiffre de vos victimes s’élèverait à plus de quatre mille. Il est peu de brigands qui pourraient se vanter d’avoir étendu le banditisme d’une telle manière…

Pour l’extorsion des impôts, vous êtes également doué de grandes qualités. En pleine nuit, suivi de vos « chiens serviles », vous allez surprendre dans sa cahute le malheureux qui ne dispose pas d’un liard pour s’acquitter de la somme dont vous le taxez. Pour le pauvre hère, c’est la saisie de son maigre patrimoine. Vous le laissez avec les seules pauvres hardes qu’il a sur le corps… Il ne reste que détresse et souffrance là où passe votre justice.

Insatiable, lorsqu’il s’agit de gonfler votre fortune mal acquise, vous devenez d’une ingéniosité sans pareille et le prétexte le plus ridicule vous suffit pour pressurer l’indigène. Une dispute survient-elle entre mari et femme, vite vous réclamez l’amende ; deux voisins se chamaillent-ils pour une question de fèves ou de haricots… l’amende. Tous les moyens vous sont bons, et les fonctionnaires de la République démocratique vous laissent faire complaisamment vos petites saletés.

Je possède, Monsieur le caïd, de nombreux documents sur vos agissements canailles. Ces documents seront portés à la connaissance du public de la métropole et d’Algérie afin qu’il puisse se faire une idée exacte de ce qu’est la justice en Afrique du Nord. La crainte du scandale puisse-t-elle vous inspirer une conduite plus sage et mettre un terme à votre odieux trafic.

Saïl MOHAMED.

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