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Problèmes du racisme et du chômage

Article paru dans les Cahiers du communisme de conseil, n° 12, novembre 1972, p. 41-47


Chaque année, à la suite des violentes émeutes qui secouent sporadiquement la plupart des grandes villes et les campus universitaires des U.S.A., la presse parle sans cesse des « pauvres noirs » et de « l’inique discrimination » dont ils sont victimes. La bourgeoisie s’apitoie d’autant plus hypocritement sur le sort tragique de millions de travailleurs noirs, jamaïcains ou mexicains, qu’elle est directement à l’origine, par toute son organisation sociale, de leur déchéance. Toujours selon les journaux à grand tirage, il s’agirait d’un problème exclusivement « racial ».

Ainsi, la bourgeoisie américaine, sortie de la guerre et de la crise de 1929 en grand vainqueur, a pu éviter que les travailleurs blancs et noirs, passant par-dessus les barrières nationales et raciales, se retrouvent tous unis au coude-à-coude, et solidaires dans la lutte contre le capitalisme. Une pareille union sonnerait effectivement le tocsin de l’économie capitaliste américaine.

D’autre part, à situer le problème sur le terrain racial, à reprendre le mythe de l’embourgeoisement du prolétariat américain, la gauche radicale des U.S.A. a créé, en définitive, une idéologie anti-prolétarienne qui fait le jeu de la bourgeoisie. Pour elle, ce n’est plus le prolétariat qui est porteur des intérêts de l’ensemble de la société mais des éléments élus, comme les bandes d’adolescents, l’underground et les minorités ethniques.

La « révolution », conçue essentiellement en tant que révolte contre la « société blanche », dont parlent les dirigeants du mouvement extrémiste noir qui, depuis leur lointain exil algérien, préparent les cadres d’un futur Etat noir est l’exact contre-pied de la politique de la Maison Blanche qui tend à confiner la population noire dans les ghettos. Elle n’apporterait rien qui puisse satisfaire les intérêts du prolétariat noir, mais serait un véritable pactole pour les bureaucrates noirs. Les solutions préconisées par cette « avant-garde » de style opportuniste, autonomie administrative des quartiers noirs, contrôle des noirs sur la police, œuvres sociales d’aide aux nécessiteux des ghettos et aux prisonniers, ressemblent par trop à celles qui furent en honneur sous les différents Fronts Populaires. Elles tournent résolument le dos à une profonde transformation sociale dont seul le prolétariat peut être l’artisan conscient.

Le naufrage actuel des « Blacks Panthers » illustre bien que toute organisation basée sur le culte des spécificités ethniques est un poison réactionnaire que le capitalisme essaie de distiller dans le prolétariat. Ce n’est pas l’établissement d’une administration nationaliste noire, avec ses capitalistes noirs, ses parlementaires noirs, sa police et son armée noires, qui libérera le prolétariat noir de sa servitude.

En fait, le capitalisme « noir » ne date pas d’aujourd’hui : 20 banques en 1968, 29 actuellement, mais perdues comme une goutte d’eau dans l’océan. Pour le milieu d’affaires noir, la grande préoccupation est d’attirer les ressources dont il a besoin en soulevant l’ « enthousiasme du peuple noir ».

La bourgeoisie consciente que la cohésion des travailleurs du monde entier est la seule force capable de la menacer dans ses fondements, fait tout ce qui est en son pouvoir pour emprisonner la grande majorité de la classe ouvrière dans le préjugé vicieux que son ennemi, ce n’est pas le capitalisme, mais le travailleur étranger. Le racisme n’est pas un phénomène abstrait ainsi que l’enseignent les distingués professeurs de sociologie ; aucune malédiction divine ne condamne ces travailleurs à rester des parias. C’est précisément une réalité politique et sociale dont les racines plongent au plus profond des structures de la société capitaliste.

Dans l’exploitation de la classe ouvrière des pays semi-coloniaux, le capitalisme trouve un excellent moyen de réaliser une plus grande masse de profit. Mais toujours soucieuse d’améliorer le rendement de ses forces productives pour affronter la concurrence, cette économie, en introduisant des machines à haut rendement, renvoie des milliers d’ouvriers de ses usines. Dans les périodes durant lesquelles le chômage s’accroît, diminuant le nombre relatif d’ouvriers, le racisme redouble d’intensité et provoque parmi les travailleurs des divisions dangereuses.

Nous devons nous attendre à une progression du chômage bien supérieure aux estimations avancées par les milieux gouvernementaux, estimations d’ailleurs aléatoires, puisque chaque nation ne définit pas le chômage suivant les mêmes critères. Pourtant, en période de développement économique, le chômage est à la fois une nécessité et une condition de l’existence même du Capital. Nécessité puisque le Capital, pour se reproduire dans les meilleures conditions suppose une quantité toujours plus importante de force de travail en activité (en valeur absolue), et d’une réserve capable de s’adapter immédiatement à une hypothétique reprise économique.

Condition puisque seule la réalisation de la plus-value extraite de la force de travail assure la survie et le développement du Capital. Pour cela la force de travail, comme n’importe quelle marchandise est stockée pour une demande ultérieure, à la différence que les capitalistes se préoccupent fort peu de son entretien. Le gouvernement accorde seulement à certains chômeurs, sous des conditions encore plus incertaines, des allocation d’aide publique modiques qui sont autant d’aumônes ressenties comme telles. Dans cette situation d’infériorité, le travailleur inoccupé, dans son isolement, devient vite un marginal qui peut aussi bien servir de clientèle électorale pour candidats de « gôche » et staliniens que de pivots à de futures bandes armées de type fasciste.

Mais le chômage, contenu à un certain niveau, n’en représente pas moins un facteur de paix sociale, une marge de sécurité pour le marché du travail, un moyen de pression qui tend à faire augmenter le taux de plus-value :

« Lorsque le capital s’accroît rapidement, la concurrence entre les travailleurs croît incomparablement plus vite, les occasions d’emplois, les moyens d’existence de la classe laborieuse diminuent proportionnellement davantage ; et cependant, la croissance rapide du capital est la condition la plus favorable au travail salarié ».
– Marx, « Travail salarié et Capital », p 229, La Pléiade, I.

Il représente la surpopulation relative des Etats développés à l’époque de l’automation et de la rentabilité agricole et commerciale. Les prévisions de Marx au sujet de l’évolution industrielle se sont réalisées pleinement. Le développement de la grande industrie, la concentration industrielle, l’extension du capitalisme sur tout le globe, tout cela s’est produit comme il l’avait prévu.

Le prolétariat industriel s’est accru d’une façon formidable, et s’est concentré par centaines de milliers dans les zones industrielles et minières. Dans l’agriculture également s’est produit le phénomène de centralisation qui a dépossédé les petits propriétaires. Les tendances vers l’expropriation des petits producteurs n’ont pas été contrecarrées par les diverses formes de coopération. Ainsi, les couches de petits paysans, artisans et commerçants viennent augmenter les rangs de l’armée de réserve industrielle, aux côtés des petits-bourgeois intellectuels en surnombre. Ces chômeurs constituent le niveau le plus bas de la « qualification » professionnelle, et seront le plus souvent employés pour des travaux saisonniers, les plus pénibles et les moins payés. La prolifération des entreprises de travail temporaire dans toute ville de quelque importance en dit long sur ce phénomène et sur son exploitation par les milieux industriels.

Car il faut attendre les périodes de pleine crise pour que le chômage devienne une menace et un symptôme décisif pour l’avenir du capitalisme. L’extension du chômage témoigne alors de la perte des marchés extérieurs d’intérêt vital pour chaque Etat. Le chômage partiel de quelques 19.000 ouvriers de chez Renault, annoncé par la Régie comme un simple revers économique passager – le recul des ventes de petit modèle -,semble cacher une faille plus profonde. L’O.I.T. avait compris l’importance de ce problème de marché, elle qui recommandait en 1970 l’ouverture des marchés des pays industrialisés au profit des pays d’Amérique Latine. Mais arrive un moment où le chômage devient une brèche impossible à colmater, où tous les remèdes s’avérant emplâtre sur jambe de bois.

Se trouvant devant des difficultés grandissantes, le capitalisme développe alors des thèmes et des idées xénophobes : lorsque cette propagande atteint favorablement les travailleurs, des grèves pour interdire l’embauche des « étrangers » ont lieu, qui rendent d’inestimables services aux bourgeoisies nationales. Avec le déclenchement d’une sournoise poussée nationaliste, les patrons sont en mesure d’infliger de sévères défaites au prolétariat.

C’est aussi la politique d’austérité, du « retroussez-vos-manches ! », du blocage des prix et des salaires, blocage fictif puisque les commerçants passent outre sans prendre de risques inconsidérés. L’augmentation des prix est donc générale, elle frappe en particulier les matières premières, et se répercute sur tous leurs composés, provoquant des faillites à la chaîne parmi les entreprises les moins compétitives, et inondant le marché du travail d’un nouveau contingent de chômeurs.

Les syndicats clament alors le droit au travail dans une optique de simple survie au sein du régime. Cette position est inconcevable dans une perspective prolétarienne comme l’affirmait déjà Marx :

« Le droit au travail est, au sens bourgeois,un contresens, un désir vain et pitoyable ; mais derrière le droit au travail, il y a le pouvoir sur le capital, l’appropriation des moyens de production, leur subordination à la classe ouvrière associée, c’est à dire la suppression du salariat, du capital et de leurs relations réciproques ».

Les usines qui continuent leur production limitent leurs effectifs tout en essayant d’augmenter le productivité. Les travailleurs restant en activité seront mis en demeure de faire de nombreuses heures supplémentaires, et de subir des cadences encore plus rapides. La pression exercée par le chômage grandissant joue alors son plein rôle, et nous ne pouvons douter que les syndicats et l’union de la gôche ne mettent tout en oeuvre pour faire respecter l’ORDRE ET L’AUSTERITE.

D’autre part, l’immigration qui avait été encouragée dans les périodes de reprise se trouve énergiquement limitée et contrôlée. Ainsi,en 1971, la Grande-Bretagne a supprimé les statuts privilégiés des membres du Commonwealth ; les Pays-Bas songent à freiner sérieusement l’afflux d’Antillais et de Surinamais. De même, après avoir signé un accord avec le gouvernement portugais, pour la limitation et la réglementation de l’immigration, la France a signé un accord identique avec le très « socialiste » président Boumediene, à la grande satisfaction de la C.G.T. qui le réclamait depuis longtemps.

En France, les ouvriers nord-africains et noirs sont exploités avec férocité ; sur eux la bourgeoisie s’est déchargée du fardeau de la sur-exploitation, contre eux, elle nourrit l’hostilité des travailleurs blancs en « associant » ces derniers à sa prospérité. Profitant de leur isolement, les capitalistes réalisent sur leur dos de grands profits. Généralement démunis du droit de vote, ces ouvriers n’intéressent pas les grands syndicats et les organisations soi-disant « ouvrières », qui ne peuvent y trouver une force d’appui électoral. Une propagande raciste bien orchestrée contribue à enfermer ces travailleurs dans un véritable ghetto, les isolant ainsi des autres travailleurs dans une hantise de tout développement d’un mouvement communiste.

Toutefois, le prolétariat de couleur, s’intégrant nécessairement dans les rapports sociaux capitalistes, se familiarise alors avec la lutte contre l’exploitation.Vivant dans de grandes villes, ils sont amenés à réfléchir sur leur situation et à se soulever contre elle. C’est dans les usines, les Mines, les chantiers et au contact de la production qu’ils constitueront avec leurs camarades de tous les pays, les meilleures forces révolutionnaires.

Racisme et exploitation sont des phénomènes étroitement déterminés et liés ; ils exigent une intervention collective du prolétariat mondial. Cela représente le seul mouvement capable de satisfaire les besoins intellectuels, économiques et sociaux des travailleurs du monde entier. Là réside la seule chance de sortir les travailleurs de l’ornière nationaliste.

« PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »

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