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Un algérien raconte sa vie (II)

Extraits d’un article paru dans Socialisme ou Barbarie, n° 29, Volume V (11e année), Décembre 1959-Février 1960, p. 54-55.

 

 

14 juillet 1953

Ma femme était à l’hôpital. Elle venait d’accoucher d’un deuxième enfant. Alors je sors de l’hôpital et je savais qu’il y avait le défilé. Je me dis, je vais défiler, c’est pas loin. Mais manque de pot, je tourne d’un côté et je tombe sur trois cars de flicaille qui étaient là. Ils me regardent d’un sale œil. Moi je m’en foutais, je les emmerdais. Il y avait l’autre gosse à la maison qui m’attendait, mais je me suis dit : il va bien m’attendre un petit peu, je vais voir comment c’est le défilé. Parce qu’il y avait Marcel Cachin. J’aimais bien voir ce vieux-là. Et puis d’un seul coup, poum! vlan! j’entends que ça commence la bagarre là-dedans.

Alors je me dis : ça y est. Il vaut mieux que je foute le camp, parce que j’ai le gosse qui m’attend à la maison et si je me lance dans la bagarre, ça va encore péter des flammes. Et si je suis ramassé, mon gosse qui est-ce qui va lui donner à manger? Surtout que je n’ai pas de famille, moi la famille, il faut traverser la mer. Alors je suis rentré à la maison.

Mais arrivé à la maison, j’ai pris le gosse et je suis descendu au café. Il y avait là une bonne femme, une grande gueule :  « Ah! le parti communiste, moi je suis une communiste! » Elle me dit : « Tu te rends compte qu’est-ce qu’ils ont fait les algériens! » _ « Qu’est-ce qu’ils ont fait? » _ « Eh bien! ils ont manifesté et tu te rends compte, ces putains de flics, ils ont laissé arriver juste les algériens et alors ils ont chargé ». Je dis : « Il y avait des français? » _ « Oui, seulement c’est les algériens qui ont arraché les pavés et qui ont fait la grande bagarre. Il y avait les flics en l’air, les cars de renversés et tout le bataclan ». _ « Ah! je dis, c’est beau, les flics, les cars, allez hop! on renverse tout ça ». J’étais content. Je me disais : puisque ça prend de l’extension et que je connais deux gars du P.C. qui sont acharnés là-dedans, je vais aller les voir et puis je vais commencer à activer, je vais m’acharner. Puisque c’est comme ça et comme il y a pas mal de compatriotes parmi nous qui sont là-dedans – c’est pas comme à Alger – je vais activer.

Mais le lendemain matin je regarde le journal et je vois tant de blessés, tant de morts. Oh! Oh! Alors ça m’a soulevé un petit problème. Je me suis dit : c’est là où je vais voir vraiment si les types du P.C. ils sont capables ou non ; je vais voir si les chefs principaux et tout le bataclan ils peuvent nous défendre ; on va voir.

Puisqu’il y a pas mal d’algériens qui sont morts, s’il y a une solidarité, ils vont faire une manifestation, une deuxième manifestation en l’honneur de ceux qui sont tombés en manifestant pour le P.C.

Eh bien, je l’attends jusqu’à l’heure actuelle.

Il n’y a pas eu ça, il n’y a pas eu de manifestation. Ils ont fait des articles sur eux, et puis ils n’en ont plus parlé. C’est là que je me suis aperçu qu’il y a pas mal de types qui sont à la tête du P.C. qui ne valent rien du tout. Parce que les algériens avaient fait acte de solidarité avec l’ouvrier français – puisque l’ouvrier algérien était parmi eux et qu’il a combattu et que les flics ont attendu que ce soit l’algérien qui passe pour lui foutre des coups – les ouvriers français auraient dû se réunir pour faire une manifestation en l’honneur de ces victimes. Ils l’ont fait dans le blabla, dans l’écriture, et c’est tout. Alors là je me suis dit en moi-même, ça ne vaut pas le coup, avec des mecs comme ça, non.

Solidarité ouvrière

Moi je voudrais que l’ouvrier français et l’ouvrier arabe – même demain ou après-demain, quand il y aura l’indépendance algérienne – je voudrais que l’ouvrier français et l’ouvrier arabe soient la main dans la main. Je voudrais que tous les ouvriers aient la main dans la main. Alors là, je donnerais mon sang là-dessus.

Et ça c’est un truc qu’il faut faire, parce qu’à l’heure actuelle, en Algérie, s’il n’y a pas une entr’aide entre l’ouvrier français et l’ouvrier arabe, s’il n’y a pas une communauté de ces deux ouvriers, on va être bouffé par la bourgeoisie algérienne. Donc il faut tenir compte de ça, alors moi ce que je veux c’est une bonne entente de l’ouvrier. Aider maintenant ce peuple qui veut acquérir son indépendance. Qui c’est qui se bat? C’est l’ouvrier qui se bat ; le fellagha qu’est-ce que c’est? Chez nous le fellagha, c’est le fellah. C’est celui qui travaille la terre et qui gagnait 20 francs par jour quand il avait quatre ou cinq gosses et qu’il mangeait un pain avec des oignons dans la terre?

Eh bien! s’il y avait vraiment une fraternité de l’ouvrier, on arriverait à quelque chose.

Une réponse sur « Un algérien raconte sa vie (II) »

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