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Algérie, nation indépendante

Article paru dans Alarme, organe du Ferment ouvrier révolutionnaire, n° 40, avril à décembre 1988, p. 14-15.

 

 

« Les Ferhat Abbas et Ho Chi Minh, tout à fait comparables aux Massu métropolitains et aux colons, ne peuvent agir que par le recul de la révolution, et par les innombrables manigances inter-impérialistes du marchandage entre les deux blocs. »

« La fin de l’éternité ». G. Munis, 1959.

 

La vague de grèves, aboutissant aux journées d’émeutes d’octobre 88, souligne nettement la nature de quelques conceptions sur l’Algérie et les « nations indépendantes ».

Tout d’abord, l’aspect le plus frappant : la répression des émeutes, brutale et meurtrière. Les manifestants, très largement jeunes, ont pu comparer les ordres des militaires algériens avec ceux des israéliens. Les plus âgés ont pu rappeler les consignes des militaires français envoyés par la gauche dans les années 50. Ainsi, dans la fumée des affrontements, l’Etat algérien a été contraint de dissiper l’illusion sur laquelle il vivait la libération nationale. Après 26 ans d’ « indépendance » de la nation, les libérateurs peuvent enfin massacrer tout seuls leurs conationaux, sans avoir de compte à rendre. En fait, les dirigeants de l’Etat algérien ont été identifiés depuis longtemps pour ce qu’ils sont, par le prolétariat. Chaque grève voit les travailleurs s’affronter soit au Syndicat, soit au Parti-Etat, soit à l’Armée, soit à tous, et ce depuis des années maintenant. Que les hommes qui personnifient l’Etat soient maghrébins ou français, les prolétaires doivent faire face à la même répression.

Que dire alors de ceux qui assignèrent sans hésiter aux travailleurs algériens la tâche de se libérer de la tutelle française avant tout (tout quoi ? toute lutte pour leur propre classe !) et qui soutinrent la formation et l’activité du F.L.N ? Ils ont œuvré à l’embrigadement du prolétariat, c’est-à dire à sa mobilisation pour la défense de « sa » Patrie, « son » Etat, « sa » Nation. Concrètement la lutte contre le « colonialisme français » s’est inscrite dans le cadre de la lutte entre blocs militaires, et c’est sur ce front, où le prolétariat n’apparait jamais en tant que classe, que les prolétaires algériens et français sont allés mourir. Ces premiers massacres ont préparé ceux auxquels nous assistons aujourd’hui, non plus pour l’établissement mais pour le maintien de la Nation, la Patrie et l’Etat algériens.

Toutes les organisations qui ont défendu un camp contre un autre, à l’époque de la guerre d’Algérie, se sont retrouvées hier comme aujourd’hui dans le camp des capitalistes, des massacreurs. Tant en France qu’en Algérie, des germes d’insoumission à l’ordre établi (et donc aussi au futur Etat algérien) se sont manifestés. Du boycott à la grève ou au sabotage, toutes nationalités de patrons confondues, malgré les consignes du FLN, aux mobilisations de mères de familles contre le départ des soldats. Au lieu d’encourager, d’approfondir ces débordements dans une perspective défaitiste révolutionnaire, ils furent minutieusement remis dans l’ornière de la libération nationale.

Or la libération nationale ne peut être un objectif propre au prolétariat, dans la mesure où la nation, comme cadre, est celui de son exploitation. Elle est donc illusion d’une libération. Mais de plus, la mondialisation-même des rapports de production capitalistes, effectuée au tournant du siècle, s’est vue parachevée par la division du monde en deux blocs militaires. La libération nationale est alors une foutaise, chaque nation devant se satelliser dans un bloc avec la possibilité de changer d’orbite. Les tenants de la libération nationale projettent donc deux illusions :
1) La libération nationale est possible.
2) Elle est bénéfique au prolétariat.

Sur la nature de la possibilité, il a été répondu plus haut. Quant au caractère « bénéfique » il devient évidemment négatif puisqu’on demande aux prolétaires de se sacrifier pour une illusion. Les effets de la « libération nationale », oppression, répression, exploitation, induisent à leur tour la question : comment peut-on défendre ces luttes d’indépendance ? Et bien en prétendant que le type de régime qui s’installe en cas de victoire constitue un progrès sur la situation précédente. En quoi consiste ce progrès ? En la nationalisation, ou l’étatisation de tout ou partie des moyens de production.

Que ce pouvoir soit désigné comme communiste, socialiste, ouvrier déformé ou dégénéré, voire même capitaliste, peut importe. L’essentiel est d’y voir un progrès pour le prolétariat. Le caractère progressiste provient d’une injection (plus ou moins diluée selon les nuances) de progressivité venus de l’étatisation russe. Ceci revient à reconnaître que :
1) il n’y a pas libération mais alignement sur un autre bloc.
2) Que ce bloc est progressiste malgré ses éventuels défauts.

Or, non seulement l’étatisation des moyens de production n’est pas un progrès, mais c’est le moyen principal sur lequel s’est appuyée la contre-révolution en Russie. La classe capitaliste y exploitant collectivement le prolétariat, et ce de la seule façon possible aujourd’hui : en lui faisant suer et en s’accaparant la plus-value. Le système capitaliste, parvenu à sa maturité, a manifesté l’existence de conditions objectives à son dépassement révolutionnaire, par la mondialisation des rapports de production capitalistes, la guerre mondiale et la vague révolutionnaire de 1917 à 1937. De l’échec de cette dernière, essentiellement du à la contre-révolution russe, nous héritons de la division du monde en blocs.

Cependant cette division est elle-même illusoire et disparaît lorsque le prolétariat se manifeste sur son terrain de classe. La gauche et l’extrême-gauche ont montré leur appartenance de classe capitaliste en prétendant subordonner les affrontements de classe aux antagonismes entre blocs. Les prolétaires d’Algérie eux, ont réaffirmé le caractère anational du prolétariat, l’identité de ses ennemis et de ses objectifs sur toute la planète.

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