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Algérie. L’Etat bourgeois n’est pas à démocratiser, mais à détruire !

Article paru dans Le Prolétaire, n° 411, juin-juillet 1991


L’instauration de l’état de siège dans toute l’Algérie, l’intervention brutale de l’armée pour « rétablir l’ordre » – l’ordre bourgeois , fondé sur la misère, l’exploitation et la répression -, n’est ni un phénomène accidentel provoqué par les manœuvres de tel ou tel clan de la classe dirigeante en réponse aux « provocations » du FIS, ni une simple péripétie sans lendemain sur la « voie irréversible vers la Démocratie ».

Le processus de démocratisation avait été mis en route par l’Etat bourgeois en réponse aux émeutes d’octobre 88, férocement réprimées par l’armée. La classe dirigeante voulait ouvrir une soupape de sécurité afin que puisse se dissiper sans dommages l’énergie dégagée par l’aggravation des tensions sociales. La bourgeoisie algérienne reprenait là l’exemple de ses consœurs maghrébines ; mais elle-même s’était déjà sentie obligée, aux débuts du régime Chadli, de mettre en oeuvre une certaine « libéralisation » comme pare-feu à la détérioration du climat social. En même temps elle ouvrait la voie au développement des forces islamistes, d’abord en encourageant l’activité des bandes de Frères Musulmans, puis en construisant d’innombrables mosquées et en faisane venir les prédicateurs islamistes nécessaires à l’intoxication des masses par l’opium du peuple qu’est la religion.

Depuis cette époque la détérioration de la situation du capitalisme algérien à la suite de la crise économique mondiale, l’a poussé à accentuer l’exploitation et l’oppression des travailleurs et des couches déshéritées, au travers en particulier de la libéralisation économique. Nous avions écrit lors des émeutes de 88 que la bourgeoisie affamait les masses algériennes pour nourrir le capitalisme : l’agriculture délaissée n’étant plus capable de nourrir une population urbaine en forte augmentation car grossie de l’exode rural, il faut importer les denrées alimentaires de base. Mais pour faire tourner les usines, l’Etat rogne sur les importations alimentaires afin de maintenir les importations nécessaires à l’industrie.

LA CRISE DU CAPITALISME ALGERIEN

Fortement tributaire des hydrocarbures pour ses exportations (95 % des recettes d’exportation qui tournent autour de 7 milliards de dollars par an, sont réalisées par les ventes de pétrole et de gaz), lourdement endetté ( en 1989 le service de la dette extérieure a représenté 73,2 % des recettes d’exportation), le faible capitalisme algérien, aux structures typiques d’une nation « en développement », est étroitement soumis aux aléas du marché mondial et de la situation économique des grands pays occidentaux. Ses premiers clients sont, dans l’ordre, l’Italie, les Etats-Unis et la France ; ses premiers fournisseurs, toujours dans l’ordre, étant la France, l’Italie et les Etats-Unis. Le volume des échanges avec la France, qui avait atteint 50 milliards de francs en 1984, n’était plus que de 25,3 milliards en 1990. La croissance de l’économie se fait en dents de scie largement déterminées par les cours du pétrole. Nous avons les variations suivantes du PNB, en % par année :

1986 : – 0,2 % ; 1987 : + 1,3 % ; 1988 : – 1,4 % ; 1989 : + 3,3 % ; 1990 : – 1,8 % (1).

Le PNB par habitant est passé de 3 201 dollars en 1986 à 2 689 en 1987 et 2 500 en 1990.

La dette extérieure, de 27 milliards de dollars a progressé de 50 % en 4 ans. Selon les spécialistes, ce n’est pas son volume qui pose vraiment problème, mais le fait qu’il s’agit essentiellement de prêts à court terme. Cette erreur de gestion fait que la dette devrait pour l’essentiel être remboursée dans les années en cours, jusqu’en 1995 : 8 milliards de dollars par an devraient être remboursés notamment dans les 3 ans qui viennent (à comparer aux 7 milliards de recette du commerce extérieur en 89). Les responsables algériens ont toujours refusé le « ré-échelonnement » de la dette parce qu’il aurait comme conséquence de rendre plus difficile et plus cher l’obtention de nouveaux crédits. Or le capitalisme algérien a besoin sans cesse de nouveaux crédits, de nouveaux investissements, de nouveaux capitaux qu’il ne peut trouver à l’intérieur de ses frontières.

Pour attirer ces capitaux, l’Etat accélère la libéralisation de l’économie et s’ouvre aux investisseurs étrangers, s’efforce de pousser à la rentabilité des entreprises d’Etat devenues autonomes et libère les prix de nombre de marchandises. Ces réformes économiques ont valu à l’Algérie le soutien du FMI sous la forme d’un premier prêt de 400 millions de dollars début juin. Auparavant, l’Algérie avait obtenu en mai un prêt de l’Italie de 7 milliards de dollars sur 10 ans pour l’aider à faire face au remboursement de sa dette et pour ouvrir le marché algérien aux entreprises de la Péninsule. Ce prêt, le plus gros jamais accordé par l’Italie à un pays méditerranéen, a fait grincer beaucoup de dents en France ; et les algériens n’ont pas manqué de faire valoir aux français que s’ils voulaient conserver leurs positions dans le pays, ils devaient être aussi compréhensifs que les italiens. La France, premier créditeur de l’Algérie, se fait en effet tirer l’oreille pour accorder de nouveaux crédits. Le Crédit Lyonnais qui a la charge de « reprofiler » la dette algérienne (c’est-à-dire de convertir par de nouveaux emprunts cette dette à court terme en dette à long terme) ne parait pas très pressée de boucler l’affaire. La France rappelle que « notamment en fin d’année 89 elle est apparue comme prêteur en dernier ressort de l’Algérie » (2), c’est-à-dire a assurés sa trésorerie pour lui éviter la mise en défaut. Ce sont là des choses qui se payent, car entre bourgeois, rien n’est jamais gratuit…

L’augmentation du prix du pétrole au cours de l’automne et de l’hiver a été un ballon d’oxygène inattendu qui a fait rentrer dans les caisses de l’Etat environ 3 milliards de dollars (3). Mais le budget 91 a été programmé sur la base qui passait pour prudente d’un baril à 23 dollars, alors que depuis le début de la guerre il est retombé à 20 dollars.

Le recours aux crédits extérieurs (demande de prêt à la CEE) étant limité car l’Algérie devient de plus en plus un « pays à risque », il ne reste plus que la ressource traditionnelle de pressurer encore davantage les prolétaires et les masses exploitées.

Le chômage atteint déjà au moins 25 % de la population active. L’inflation, officiellement de 25 % est en réalité plus proche de 50 %. Seuls les produits de première nécessité comme la pain, la semoule, le sucre, etc., ont toujours leurs prix gelés. Mais un ministre du gouvernement Hamrouche laissait entendre que ce n’était que provisoire (4). D’autre part les mesures de chômage technique frappent de nombreuses entreprises qui tournent au ralenti. Les réformes économiques en cours sont synonymes d’intensification de la charge de travail et de menaces de licenciements.

La détérioration continue des conditions de vie et de travail n’est pas allé sans provoquer des réactions : manifestations, mini-émeutes, grèves. Le FIS avec son discours radical et qui s’appuie sur les traditions culturelles et religieuses des masses aussi bien que sur le nationalisme hérité de la guerre d’indépendance, a pu capitaliser l’hostilité au FLN et à l’état de choses existant bien plus facilement que les nouveaux partis démocratiques. Bien incapables de proposer quoi que ce soit pour soulager les difficultés des masses populaires, ces derniers s’adressent surtout aux couches bourgeoises et aux classes moyennes modernes (cadres, techniciens). Disposant d’une forte implantation parmi les petits commerçants (il a animé la fameuse grève des bijoutiers), le FIS a réussi aussi à se faire entendre de la masse des paysans qui, chassés par l’exode rural viennent grossir les rangs des chômeurs des villes. Son influence est jusqu’ici bien moindre parmi la classe ouvrière. Le Syndicat Islamique du Travail – syndicat de type fasciste voulant ignorer les différences de classes semble-t-il vu son audience se réduire parmi les employés des transports. Le SIT s’est opposé à la grève générale des 12 et 13 mars, lancée par l’UGTA, et qui a été un grand succès. Certaines sections du SIT ont d’ailleurs été contraintes de rejoindre le mouvement le deuxième jour pour ne pas voir leurs adhérents déserter l’organisation. Certes, cette grève avait été organisée par les bonzes syndicaux pour tenter de prendre leur distance par rapport à un pouvoir discrédité alors que la multiplication des mouvements revendicatifs (voir la grève des 6000 travailleurs de l’E.N.C.C. commencée fin février) menaçait de les mettre sur la touche. Elle a cependant répondu à un besoin de la classe ouvrière et elle a constitué malgré tout une démonstration de force, potentiellement menaçante pour les bonzes eux-mêmes. Notons au passage que les faux « communistes » du PAGS, implantés dans la bonzerie , n’avaient pas manqué de condamner la grève pour les dangers qu’elle faisait selon eux courir au pays…

En juin 90 les islamistes avaient déjà cassé la grève des éboueurs d’Alger. Le « responsable de l’économie » du FIS estime que « les algériens ne travaillent pas beaucoup et l’exemple vient de haut » ; et en cas de venue au pouvoir des islamistes, les syndicats « devront privilégier l’intérêt général avant de chercher à gonfler les poches des travailleurs » (5).

Cette déclaration et cette pratique démontrent l’orientation fondamentalement anti-ouvrière du FIS. Les islamistes peuvent séduire certaines franges de travailleurs par leur dénonciation virulente des injustices, certaines couches de chômeurs prêts à se raccrocher aux moindres promesses et qu’on dresse contre les femmes qui « prennent des emplois ». Leur base naturelle se trouve dans la petite-bourgeoisie réactionnaire menacée ou en voie de prolétarisation qui se reconnaît dans les odes à l’initiative et à la propriété privées, dans les imprécations contre l’Etat voleur et les dirigeants corrompus et qui rêve d’un Etat où toutes les classes seraient unies au nom de l’Islam. Mais comme les fascismes allemands et italiens ils ne peuvent en fin de compte que servir d’instrument à la classe dirigeante pour protéger l’ordre bourgeois et servir les intérêts du capitalisme y compris contre la petite-bourgeoisie.

LE DEVELOPPEMENT DE LA LUTTE PROLETARIENNE INDEPENDANTE DE CLASSE, ET NON L’UNION AVEC LES BOURGEOIS DEMOCRATES, EST LA REPONSE A LA MONTEE DE L’ISLAMISME

L’aggravation de la situation économique et sociale de l’Algérie est, nous l’avons vu, la cause de l’évolution accélérée de la situation politique. Le FLN a essayé de jouer la carte du seul rempart – à peu près démocratique contre l’obscurantisme du FIS, tout en faisant de la surenchère réactionnaire à l’APN (devenue comme le dirent les caricaturistes une assemblée de barbus). Mais à ce compte-là, c’est le FIS qui sortit grand vainqueur en remportant la majorité des mairies, Kabylie exceptée, lors des élections municipales. Ce premier succès servit dans un premier temps de tremplin aux islamistes ; mais le FLN avait pris soin de retirer aux municipalités une bonne partie de leurs prérogatives, ce qui a sensiblement réduit pour le FIS les possibilités de clientélisme. Les élections législatives, préparées par le gouvernement par un savant charcutage à la française, ne pouvaient laisser espérer au FIS, en butte par ailleurs à un certain désenchantement de ses partisans, une victoire certaine et complète.

Or le FIS estimait qu’il ne pouvait se permettre un échec relatif qui le frustrerait de son accès au pouvoir, sans risquer de voir s’accentuer ce désenchantement. Plus que la contestation des islamistes « modérés », il risquait surtout d’être débordé par les courants les plus extrémistes. Il était donc obligé de se radicaliser tout en reprochant au FLN de ne pas avoir respecté un accord implicite ou explicite passé avec lui sur l’organisation de ces élections ; il engagea l’épreuve de force de la grève générale alors qu’il s’était affaibli au cours des derniers mois, puis devant l’échec de celle-ci, il s’engagea dans une fuite en avant en faisant venir par milliers ses manifestants et en répondant à la police par des manifestations.

Il semble incontestable qu’avant que ces manifestations ne dégénèrent en émeutes la plupart des militants islamistes soient rentrés chez eux, laissant les jeunes des quartiers affronter seuls les forces de répression. Madani l’a admis implicitement en disant que s’il « n’avait pas arrêté ses militants, ils auraient dévoré les blindés ».

Le message à la bourgeoisie est on ne plus clair: sans nous pour encadrer les manifestants, c’est le chaos et l’anarchie. Et les autorités, c’est-à-dire à ce moment-là, l’Etat-major de l’armée, l’ont bien compris en accordant au FIS la destitution du gouvernement et la promesse d’élections législatives et présidentielles « honnêtes » contre son appel au retour au calme.

La direction du FIS a sans aucun doute également donné au moins tacitement son feu vert aux arrestations des éléments incontrôlés en son sein.

QUELOUES ENSEIGNEMENTS

Que le gouvernement respecte ou non ses promesses, que le cri de victoire du FIS soit ou non prématuré est une autre affaire ; mais il ressort avec éclat des événements que l’armée et le FIS sont en dernière analyse, chacun à leur place, les deux facteurs décisifs de la stabilisation de l’ordre bourgeois dans l’Algérie contemporaine. Cela ne signifie pas nécessairement que nous allons à brève échéance vers un gouvernement militaro-islamique (la dite « solution pakistanaise » des experts américains en maintien de l’ordre) ; mais cela signifie que toutes les alternatives politiques bourgeoises seront élaborées et verront le jour sur la base de la combinaison, à des degrés divers et sous des formes variables, de ces deux facteurs, plutôt que sur la base d’une démocratie parlementaire à l’occidentale. Les partis et les forces politiques démocratiques bourgeoises ont fait durant cette crise la démonstration de leur totale nullité, liée à leur absence de base populaire. Par ailleurs le capitalisme algérien n’est pas en situation de pouvoir se payer de façon un tant soit peu durable les frais nécessaires au fonctionnement d’une démocratie libérale (concessions aux travailleurs pour en corrompre certaines couches, mise en place de réseaux d’amortisseurs sociaux, entretien d’appareils de collaboration de classes et ainsi de suite). Les épisodes « d’ouverture démocratique » sont voués à n’être que des parenthèses destinées à jeter de la poudre aux yeux des masses entre deux périodes autoritaires de répression brutale.

Depuis l’indépendance, l’armée a été le principal pilier du régime, non seulement en raison de la faiblesse de la bourgeoisie algérienne, mais aussi et surtout pour mater les tentatives des travailleurs et des couches déshéritées de résister à l’exploitation capitaliste.

Aujourd’hui le développement d’une classe bourgeoise diversifiée pousse sans doute au passage à des formes politiques de type « démocratique » ou semi-démocratique afin de laisser plus de jeu à l’expression des rivalités inter-bourgeoises et afin d’intégrer au système les nouvelles couches moyennes; mais la menace grandissante des sans réserves, chômeurs ou salariés, rend le recours à l’armée encore plus inéluctable qu’autrefois, que ce soit sous la forme ouverte de l’état de siège ou sous la forme masquée d’une dictature militaro-islamique (6).

L’impérialisme a également son mot à dire dans les restructurations politiques. La France qui soutenait le gouvernement Hamrouche , s’est inquiétée des cris de victoire islamiques: les orientations anti-françaises du FIS sont bien connues. Or Paris a les moyens de déstabiliser économiquement tout gouvernement algérien. De même l’Italie a suspendu les imposantes lignes de crédit dont nous avons parlé plus haut dès que l’état de siège a été décrété « en raison de l’incertitude politique » : chantage rien moins que discret pour peser sur les orientations politico-économiques de l’Etat algérien. Ces lignes ont été rétablies après que des personnalités tout à fait rassurantes pour la bourgeoisie internationale aient constitué le nouveau gouvernement.

LA FAILLITE DES ORGANISATIONS OUI SE RECLAMENT DE LA CLASSE OUVRIERE

L’UGTA qui lors de la grève générale de mars avait joué la comédie de la défense intransigeante des intérêts ouvriers, a retrouvé sans effort le langage plus naturel de serviteur de la bourgeoisie :

« notre pays traverse aujourd’hui une phase difficile en raison de la situation résultant des derniers événements qui ont abouti à l’intervention de l’Année Nationale Populaire afin de préserver la paix et la stabilité après que de tels événements aient failli mener à une « fitna » dont les conséquences imprévisibles mettraient en danger l’avenir du pays ».

Préserver la stabilité de la société bourgeoise est évidemment l’impératif premier des bonzes syndicaux qui continuent en appelant à « raffermir le sens de la solidarité nationale entre les différentes couches du peuple algérien », à préserver « l’outil de production en vue de renforcer l’économie nationale et l’unité du pays » (déclaration du secrétariat de l’UGTA, 13/6/91 ), donc en appelant la classe ouvrière non pas à la lutte mais à la collaboration de classes avec la bourgeoisie vampire qui l’exploite et la réprime.

La position des larbins du PAGS est du même tonneau, avec la différence qu’ils avaient appelé dès le 5 avril au boycott des élections par crainte d’une victoire des islamistes. Nostalgique de l’époque heureuse de la dictature du FLN, le PAGS appelait « le peuple dans son ensemble (donc bourgeois et prolétaires-NdlR) et ses forces démocratiques et patriotiques à rejeter cette aventure dangereuse pour le pays et à réclamer l’interdiction des partis obscurantistes qui menacent le devenir du pays« .

Contre le FIS le PAGS préconise une union sacrée avec le FLN et l’Etat bourgeois. Le communiqué du BP du PAGS (14/6), déclare : « le FIS viole la constitution, les lois et l’état de siège (horreur !), il faut l’interdire immédiatement ( … ) pour le salut du processus démocratique et de la patrie ». Il est clair en tout cas que pour le PAGS un processus démocratique non aventuriste ne se conçoit que sous la protection solide des blindés et de l’état de siège…

Le respect fanatique de la loi et de la paix sociale écœure de plus en plus de monde et les pousse à se tourner vers « l’extrême-gauche » trotskyste. Mais celle-ci n’a montré que son incapacité congénitale à prendre des positions authentiquement communistes.

Le Parti des Travailleurs (ex-OST, lié au PCI-MPPT français), connu au travers de sa dirigeante I.ouisa Hanoun, a témoigné à nouveau de son suivisme en soutenant, comme les Ben Bellistes ou le MAJD, … la grève du FIS (ce qui lui a valu les félicitations de Madani) ! Le PT avait déjà fait partie du « G7 », groupe de 7 partis constitué autour des Ben Bellistes au printemps. Ce rassemblement hétéroclite de groupes bourgeois concurrents à la recherche d’une audience s’est dispersé assez vite sans avoir rien fait. Ce n’est pas le PT qui a volontairement mis fin à son alliance avec la clique Ben Belliste, avec le MAJD, parti de l’ancien chef de la Sécurité Militaire sous Boumedienne et ancien Premier ministre de Chadli et autres RCD ; la meilleure preuve que le PT persiste dans sa politique de collaboration de classes est qu’il appelle maintenant à un « gouvernement de crise » « contre la faim et la misère »mais pas contre le capitalisme -, bref à un gouvernement d’union nationale.

L’autre grand courant trotskyste est le PST (proche de la LCR française). Il annonce fièrement dans « Rouge » être « la première organisation d’extrême-gauche en Algérie », avec… « 3000 adhérents possédant une carte du PST » et « plusieurs centaines de militants » (7) ! Voila qui nous montre déjà que nous sommes en présence d’héritiers non du bolchévisme, mais du menchévisme, jusque sur le plan organisationnel.

L’orientation mise en avant par le PST n’est plus la traditionnelle « assemblée constituante » (thème repris maintenant par le FFS d’Aït Ahmed), mais le « Front Ouvrier Populaire ». Nos trotskystes, qui se rappellent sans doute vaguement que Trotsky qualifiait avec raison l’adhésion à un Front Populaire de « trahison du prolétariat dans l’intérêt d’une alliance avec la bourgeoisie » y ont ajouté le mot « ouvrier ». Mais cela ne peut suffire à changer la réalité d’une politique qui, pour refuser à la différence du PT, à la fois le FLN et le FIS, reste interclassiste ( ce Front devant en effet défendre « les intérêts de toutes les couches populaires ») et orientée en direction des démocrates bourgeois (appelés « camp populaire » ou « progressistes »).

L’ OSIA (Organisation Socialiste Illal Amam, ex-MCA), proche du courant troskysant représenté en France par « Socialisme International » continue à parler de la classe ouvrière et du socialisme, mais elle n’arrive pas à sortir du démocratisme qui est le véritable programme commun à toute l’opposition non-islamiste, ni à présenter d’autres perspectives.

Un des slogans du tract de Paris du 11/6 de l’OSIA est le très bourgeois : « Expression de la souveraineté populaire : Election libre d’une Assemblée constituante souveraine ». Et on peut lire dans ce tract des perles de ce type: « c’est autour de cet objectif (les « libertés démocratiques »- NdlR) de lutte que les travailleurs, les jeunes , les femmes, les paysans et les véritables démocrates et révolutionnaires doivent se rassembler désormais ». Quelle différence avec l’interclassisme d’un PST, voire d’un PAGS ? Certes le « rassemblement » des couches exploitées et opprimées est indispensable à la victoire de la révolution ; mais ce rassemblement ne pourra et ne devra se faire que derrière la classe ouvrière, déjà elle-même « rassemblée » autour de son programme et de son parti, et sur des objectifs non pas démocratiques, mais anti-capitalistes ; non pas pour exprimer la mensongère « souveraineté populaire », – mais pour instaurer la dictature du prolétariat. Sinon tout « rassemblement » ne sert qu’on le veuille ou non, qu’à enfermer la classe ouvrière sur le terrain de son ennemi de classe, qu’à la paralyser par une alliance avec les bourgeois démocrates, bref ne sert qu’à préparer les conditions de sa défaite. En 1936, Trotsky, écrivant contre la funeste tactique des staliniens français entrés dans une alliance de Front Populaire avec les socialistes et les bourgeois démocrates du Parti Radical, disait :

« Quand la misère prend le paysan à la gorge, il est capable de faire les sauts les plus inattendus. Il regarde la démocratie avec une méfiance croissante. « Le mot d’ordre de la défense des libertés démocratiques – écrit Montmousseau correspond parfaitement à l’esprit de la paysannerie ». Cette phrase remarquable montre que Montmousseau comprend aussi peu la question paysanne que lu question syndicale (Montmousseau était un responsable syndical NdlR). Les paysans commencent à tourner le dos aux partis « de gauche » précisément parce que ceux-ci sont incapables de leur proposer rien d’autre que des paroles en l’air sur la « défense de la démocratie ». ( … ) Le prolétariat doit parler avec les paysans le langage de la révolution : il ne trouvera pas d’autre langue commune » (« Encore une fois, où va la France? »- mars 1935).

L’OSIA et les trotskystes nous répondront peut-être que les paysans, petits-bourgeois et autres progressistes mal définis n’ont pas en Algérie « fait l’expérience de la démocratie » et que donc les mots d’ordre démocratiques conserveraient leur valeur. Cependant les masses paupérisées et les chômeurs ne se rassemblent pas autour du FIS parce que celui-ci se dit démocrate, mais parce qu’il n’hésite pas – en paroles – à s’en prendre aux bourgeois et à parler de renverser le régime actuel. La seule possibilité de combattre l’influence grandissante des islamistes sur ces masses dépend de l’entrée en lutte de la classe ouvrière, non pas pour démocratiser gentiment l’Etat en accord avec les bourgeois, mais pour l’affronter ouvertement et le renverser.


Nous n’en sommes pas encore là en Algérie ; mais pour résister à l’exploitation capitaliste, pour combattre la répression, pour améliorer et a fortiori pour changer leur sort, les prolétaires ne peuvent envisager de faire un bout de chemin avec la réaction islamique. Ils ne peuvent pas non plus, sous prétexte de barrer la route au FIS, tomber dans l’union sacrée avec le parti gouvernemental, responsable direct de tous les méfaits et de tous les crimes du capitalisme. Mais ils ne peuvent pas davantage se raccrocher à l’alternative « démocratique » aux frères ennemis que sont le FIS et le FLN, version FFS ou version trotskyste plus « radicale », qui est une voie sans issue : les démocrates sont condamnés à passer un accord avec l’un ou avec l’autre.

La classe ouvrière ne peut faire face à l’Etat bourgeois, ne peut arracher les revendications dites démocratiques (comme la suppression des discriminations envers les femmes) que nous préférons appeler sociales et politiques pour écarter toute ambiguïté envers l’idéologie démocratique, que si elle s’organise de façon indépendante, selon les méthodes et les principes de classe. C’est-à-dire qu’elle ne peut imposer un rapport de force favorable vis-à-vis de la bourgeoisie, amorcer la lutte révolutionnaire et avancer ainsi vers son émancipation définitive du joug capitaliste qu’en se dotant de son parti de classe, véritable état-major de combat dans la lutte de classe, constitué sur la base invariante du programme communiste.

Travailler à la constitution de ce parti révolutionnaire marxiste international, en union étroite Sur le fil du temps avec les militants restés fidèles au marxisme authentique dans les autres pays, telle est la tâche qu’imposent objectivement et avec une force toute particulière les événements brûlants d’Algérie aux révolutionnaires qui y trouveront la force de rompre avec le démocratisme et l’interclassisme.

(Le 27 juin 1991)


(1) « La Tribune de l’Expansion », 6/6/91

(2) ibid.

(3) « L’Expansion », 6-19/6/91

(4) ibid.

(5) ibid.

(6) voir comme exemple de la pérennité de leur action, l’avertissement des militaires : « Il importe que nul n’ignore que les enquêtes de recherche et de poursuite (…) s’étaleront sans relâche sur plusieurs années, avec toute la rigueur requise (…). La suppression prévue à terme de l’état de siège n’entamera en rien la poursuite des actions de recherche et de lutte en cours ». Extrait du « communiqué n° 4 » du Commandement militaire.

(8) « Rouge », 13/6/91. Les menchéviks s’étaient d’abord opposés aux bolchéviks en préconisant un parti « large » et « ouvert », alors que pour les bolchéviks, seuls les véritables militants pouvaient être considérés comme membres du parti.

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