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Robert Louzon : Requête à Messali Hadj

Article de Robert Louzon paru dans La Révolution prolétarienne, n° 140, juillet-août 1959, p. 15


Messali Hadj est l’une des plus grandes figures du combat contre le colonialisme. Organisateur des ouvriers parisiens d’origine algérienne dans les années qui suivirent la première guerre mondiale, ouvrier lui-même, il devint, lorsqu’il eut regagné son pays natal, le fondateur et le porte-drapeau du premier mouvement national algérien à base populaire qu’il y ait eu. C’est grâce à lui que le nationalisme algérien cessa d’être confiné au sein de petits groupes d’intellectuels pour devenir un mouvement de masse englobant peu à peu l’ensemble du peuple algérien et mettant au premier plan les revendications des plus exploités : ouvriers et paysans.

Naturellement, cela lui valut d’être la bête noire de l’occupant. Tous les moyens furent bons pour lui fermer la bouche et lui interdire toute activité. Durant des années, il fut confiné, par mesure administrative, dans un bled du Sud algérien, puis, après avoir joui quelque temps, après la Libération, d’une liberté relative, un beau jour – et toujours par simple mesure administrative, sans qu’un délit quelconque lui soit imputé (en fait, parce que s’étant rendu à Orléansville il y avait été accueilli par une foule nombreuse) – il fut enlevé d’Algérie et mis en résidence forcée en France, d’abord sur le continent, puis sur une ile de l’Atlantique, pour n’en être libéré qu’il y a quelques mois, avec interdiction d’aller en Algérie.

Au cours de ses internements successifs, tout comme pendant ses courtes périodes de liberté, Messali Hadj fut le chef aimé et vénéré de tous ceux de ses compatriotes qui « se sentaient battre quelque chose sous la mamelle gauche », et dont le nombre, en grande partie grâce à lui, ne cessait de s’accentuer. Durant longtemps ses conseils furent des ordres.

Cependant, peu avant le soulèvement de l’Aurès, dans l’énervement causé chez les militants algériens par la sensation que leur force croissante était insuffisamment employée, les membres du parti messaliste cherchèrent de nouveaux moyens d’agir.

Ils les cherchèrent dans deux directions différentes.

Les uns crurent les trouver sur la voie que l’on pourrait appeler « réformiste » ; les autres, dans la voie révolutionnaire.

Le maire d’Alger d’alors, le libéral Jacques Chevallier, ayant proposé aux conseillers municipaux appartenant au parti de Messali Hadj de travailler avec la municipalité, de bonne foi, pour l’amélioration des conditions de vie de la population musulmane d’Alger, notamment de son logement, ceux-ci acceptèrent, et, pour la première fois, l’on vit de véritables représentants du peuple algérien, et non plus seulement des « élus administratifs », œuvrer en commun avec un représentant de la puissance dominatrice.

Les autres… préparèrent l’insurrection.

Confiné en France dans une petite ville de province, éloigné de son milieu et des réalités de l’évolution algérienne, Messali Hadj refusa d’aller aussi bien avec les uns qu’avec les autres.

Des premiers, les collaborateurs du maire d’Alger, il n’hésita pas à se séparer ; il quitta le parti qu’il avait fondé – dont c’était la première scission – pour en créer un autre, pur de toute collaboration.

Quant aux seconds, lorsque leurs préparatifs furent achevés et qu’ils eurent décidé de passer à l’attaque, ils demandèrent à Messali Hadj de prendre la tête du mouvement. Pour des raisons que j’ignore, et qui étaient peut-être très valables, Messali Hadj refusa. Ses anciens lieutenants passèrent outre, et, le 1er novembre 1954, levèrent, sans Messali, le drapeau de la révolte.

Depuis lors, ils n’ont cessé de se battre ; voici près de six ans qu’ils tiennent en échec l’armée française.

Le vieux chef, cependant, ne les a pas ralliés. Non seulement il ne les a pas ralliés, mais les fidèles qu’il a conservés, sinon en Algérie, du moins au sein de l’immigration algérienne en France, se livrent à une guerre au couteau contre les représentants de ceux qui se battent dans les maquis algériens : les représentants du F.L.N. Guerre au couteau qui se poursuit sans arrêt, de représailles en représailles, de vendetta en vendetta, et dont le seul bénéficiaire est, bien entendu, la puissance impériale qui assiste, le sourire aux lèvres, à cette lutte fratricide entre les deux fractions de ses ennemis.

Rien ne saurait être plus dommageable à la grande cause à laquelle Messali Hadj a consacré sa vie : l’indépendance de son peuple. Alors, comment ne fait-il point le nécessaire pour y mettre fin?

Ses griefs contre le F.L.N. sont peut-être extrêmement grave, je n’en sais rien ; mais je dis que quoi que ce soit que Messali Hadj ait à reprocher au F.L.N., quels que soient les crimes même que celui-ci ait pu commettre à son égard ou à l’égard de ses partisans, il n’en reste pas moins que le F.L.N. se bat contre le colonialisme français et que se battre contre lui quand on est soi-même l’ennemi-né du colonialisme est alors un crime plus grave que tous ceux que le F.L.N. a pu commettre : c’est le crime des crimes. C’est une absurdité.

Je supplie donc Messali Hadj de bien vouloir reconsidérer sa position ; le « çof » ne saurait l’emporter sur la nation. Messali sait que cette requête lui vient d’un homme qui, dans la faible mesure de ses moyens, n’a pas cessé, bien avant même que Messali soit d’âge à entrer dans la vie politique, de combattre partout, et particulièrement en Afrique du Nord, le colonialisme et l’impérialisme de ses propres compatriotes. Qu’il ne détourne donc pas l’oreille !

Je ne crois pas trop m’avancer en disant que si Messali Hadj donnait l’ordre aux membres du M.N.A. de cesser d’attaquer ceux du F.L.N., les attentats contre les membres du M.N.A. cesseraient eux-mêmes aussitôt.

D’un mot, Messali peut arrêter la guerre fratricide ! D’un mot, il peut reconstituer le front uni de tous les Algériens dignes de ce nom ! Quelle grande œuvre ce serait là ! Ce serait le plus grand acte que, dans sa vie déjà si remplie. Messali aurait accompli, le plus immense service qu’il pourra jamais rendre à la cause qu’il a déjà si magnifiquement servie.

Ce mot, est-ce trop espérer qu’il le dise !

(Nous publions d’autre part un récent appel de Messali Hadj qui semble répondre au désir de Louzon. – N. de la R.).

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