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Le P.C.F., Robert LAMBOTTE, Francis COHEN, François HINCKER : VIVE BOUMEDIENE ! VIVE LA CHARTE !

Article paru dans Tribune algérienne, n° 8, novembre 1976, p. 8-13

Décidément le Parti Communiste Français s’ « intéresse » beaucoup, depuis quelques temps, à ce qui se passe en Algérie… Qu’on en juge !

En 75, succédant à Giscard d’Estaing, Georges Marchais rendait visite à Boumediène et à ses colonels. C’était l’occasion pour lui de saluer et de resserrer l’ « amitié » qui unit le P.C.F. et l’appareil d’Etat algérien dirigé par le glorieux Boumediène « auteur du coup d’Etat anti-démocratique, réactionnaire, manipulé par l’impérialisme » (position du P.C.F. au lendemain du coup d’Etat du 19 Juin 65) * Le communiqué commun F. L.N.-P.C.F. fait lors de cette rencontre saluait la « marche vers le socialisme sous la conduite du F.L.N. et du Conseil de la Révolution ». Pour la première fois, publiquement et par écrit Marchais se prononçait contre la construction d’un Parti Communiste Algérien. D’ailleurs depuis cette date le représentant de l’Algérie au Congrès du P. C.F. n’est plus le P.A.G.S. (Parti d’Avant-Garde Socialiste – nouvelle dénomination de 1’ex-Parti Communiste Algérien) mais le F.L.N…

Cette visite de Marchais a été suivie de nombreuses autres délégations de la CGT et du PC… La plus récente a été celle qui a été conduite par François Hincker et Francis Cohen et qui comprenait Colette Bernas, Yves Fuchs, Jacques Poulet, etc… Ils en ont rapporté un article copieux (le tiers de la revue) pour la Nouvelle Critique (n° 97, Octobre 76) qui vante le socialisme de Boumediène et de ses colonels, la Démocratie qui a régné lors de la discussion et des débats autour de la Charte Nationale (cela signifie-t-il qu’elle n’existait pas auparavant ?) approuvée par 98,51 % des voix (pourquoi l’Humanité titrait-il 80 % ?). Cette Charte consacre pour le P.C.F. l’achèvement de la phase de Révolution Démocratique et Nationale et la « mise en route » d’une nouvelle période historique que les auteurs de l’article, ont d’ailleurs bien du mal à définir. Il faudra attendre la parution d’un livre qui sera rédigé par Robert Lambotte « Algérie, naissance d’une SOCIETE NOUVELLE » Editions Sociales – pour apprendre que la Charte instaure par décret le SOCIALISME EN ALGERIE, Robert Lambotte sait parfaitement que le débat autour de la Charte était truqué et caporalisé (Cf déclaration du C.L.T.A.. TRİBUNE n° 7) et que la « démocratie » dans les débats a été suivie de la mise en fiches, de disparitions et d’arrestations, tout comme il sait parfaitement que les « élections » du 27 Juin ont été des « élections à l’Algérienne » c’est-à-dire des élections truquées. Des millions de travailleurs, de jeunes, de paysans le savent, l’ont vécu, l’ont constaté. Robert Lambotte n’en a cure. Il n’est pas à un mensonge près, liais au-delà du charlatanisme politique et du mensonge, il faut voir dans la parution de ce livre la « nouvelle orientation » du P.C.F. (qui s’était bien gardé pendant des années de commettre quelqu’article que ce soit sur l’Algérie) qui met tout son poids du côté de l’appareil d’Etat militaro-policier de Boumediène, contre le peuple algérien.

Pourquoi aujourd’hui de tels propos ? Pour qui ce livre a-t-il été rédigé ? Qu’y a-t-il d’essentiel dans celui-ci ?

Avant de répondre à ces questions il faut tout d’abord constater que ce livre n’est que la reproduction de la totalité du texte de la « Charte » émaillée, deci delà, de quelques commentaires !

Les Editions Sociales assurent ainsi une large diffusion d’un texte qui a eu une diffusion restreinte en Algérie (1 700 000 exemplaires selon El Moudjahid, 3 500 000 selon l’Humanité !). Si le « débat » a été large et démocratique » Robert Lambotte n’en signale nulle part le contenu. Nous réparerons cet « oubli » dans l’article que nous y consacrons dans ce numéro (à partir de lettres publiées dans El Moudjahid) et où l’on verra que contrairement à ce qu’affirme Lambotte, les travailleurs, les militants, les jeunes ont refusé de soutenir la Charte, et qu’ils ont passé au crible et dénoncé le contenu réactionnaire de celle-ci, qu’ils ont posé leurs propres revendications (indépendance de l’UGTA, libertés démocratiques, remise en cause de l’A.N.P. etc…) Là n’est pas l’essentiel pour Lambotte. Ce qui est essentiel pour lui c’est que la Charte, qui allie harmonieusement la marche vers le socialisme et l’Islam (érigé par la Charte en religion d’Etat !), l’austérité et la répression, la « Nation Arabe » (dont le peuple palestinien et libanais vivent chaque jour les bienfaits) et la « coopération internationale » (entendez la mise de l’Algérie sous la coupe de l’Impérialisme) légitime le coup d’Etat du 19 Juin 65 et Boumediène qui vont priver le peuple algérien de toutes ses libertés.

Le ton, l’enthousiasme et l’acharnement de Lambotte à défendre le régime et sa politique, ne s’expliquent que parce que Lambotte sait parfaitement que celui-ci est en crise ouverte depuis 2 ans, et que celle-ci va en s ‘accentuant chaque jour davantage sous les coups conjugués de la crise économique généralisée, de la crise de l’appareil d’Etat lui-même, et de l’offensive des masses algériennes (AIN BEIDA, BOUFARIK, UNIVERSITE, révoltes, émeutes, grèves, etc…) déterminées à refuser de faire les frais de la politique de Boumediène pour le compte de l’impérialisme et de la bourgeoisie. Telle est la « réalité algérienne » aujourd’hui.. Lambotte comprend parfaitement que la nouvelle forme de domination de classe (restructuration de l’appareil d’Etat) est une tentative de réponse à cette crise politique en même temps qu’elle constitue un aveu public de la faillite du régime tel qu’il a été mis en place après le coup d’Etat du 19 Juin 65, autour de la contre-révolutionnaire A.N.P. et des organes de répression (DARAK EL WATANI, Sûreté Nationale, etc…).

C’est cette situation de crise qui prépare l’explosion révolutionnaire en Algérie qui explique le soudain « réveil » du P.C.F. et l’attention particulière qu’il porte à l’Algérie et à Boumediène. C’est par rapport à cela que celui-ci s’acharne à défendre le maintien coûte que coûte de Boumediène à la tête de l’appareil d’Etat.

La nécessité du maintien en place de Boumediène force le P.C.F. aujourd’hui à monter en première ligne dans la défense inconditionnelle de l’appareil d’Etat dont Boumediène est l’incarnation contre les intérêts des travailleurs, de la paysannerie et de la jeunesse algériens. Pour cela il faut détruire tous les cadres politiques qui pourraient permettre au peuple algérien de poser ses revendications y compris le Parti d’Avant-Garde Socialiste (P.A.G.S.) L’ avant-projet de Charte Nationale « oubliait » de parler du F.L.N., Lambotte dans un article des Cahiers du Communisme (Juin 76) conseillait gentiment à Boumediène (ce qu’il a fait !) de faire disparaître le sigle F.L.N. et de s’orienter vers la construction d’un Parti d’Avant-Garde (quelle coïncidence dans les sigles !) qui serait selon Lambotte la fusion de tous les « militants et organisations progressistes (il s’agit du P.A.G.S. !) et anti-impérialistes ».

Il a fallu l’intervention violente des militants du F.L.N. pour imposer à la Charte la réapparition du sigle F.L.N.

Par cette orientation le P.C.F. reprend la position qui a mené le P.C.A. sous les injonctions du P.C.F., a se dissoudre dans le F.L.N. en 1957 demandant à ce même P.CA. de se dissoudre à nouveau dans l’O.R.P. (Cf note page 1 de cet article), positions qui ont été condamnées dans une auto-critique publique qui a été faite lors de la fondation du P.A.G.S. en 1966.

La réalité c’est que ce livre est destiné principalement aux militants du P.A.G.S. Soutenez Boumediène ! (ce que la direction du P.A.G.S. fait depuis fort longtemps), dissolvez votre organisation !

Devant cette orientation les militants du P.A.G.S. sont désorientés. Bon nombre d’entre eux tirent le bilan de cette position qui vise à liquider leur organisation et refusent de jouer les valets de Boumediène qui a déclenché dès 65 la répression contre eux.

Ils savent que le combat pour le socialisme en Algérie passe par « la construction d’un parti de la classe ouvrière autonome, indépendant de toute autre force ».

Les militants de « Tribune Algérienne » combattent en Algérie pour la reconnaissance et la libre activité de tous les groupes et organisations, comme une nécessité fondamentale de la classe ouvrière algérienne à se doter de ses organisations indépendantes par rapport au pouvoir.

– Indépendance de l’UGTA par rapport au pouvoir !
– Libre activité des organisations, groupes et partis: !
– CONSTITUANTE SOUVERAINE !

Quelle meilleure réponse à Robert Lambotte que ce texte rédigé par Robert LINHART et paru dans la revue mensuelle du P.C.F. « Démocratie Nouvelle » en Septembre 65 ?

« … Aujourd’hui, la démocratie réelle est un besoin pressant et vital pour la construction du pays. Elle est indispensable pour susciter la mobilisation et l’enthousiasme des masses populaires en vue de bâtir leur propre avenir, en vue de consolider d’indépendance. Elle implique le rejet de méthodes autoritaires et de contrainte contre les masses. Elle implique une grande, confiance dans l’énergie créatrice et l’initiative du peuple et de la classe ouvrière, dans la confrontation constructive des opinions en vue des mêmes objectifs. Le bénéfice des libertés démocratiques doit s’étendre à toutes les forces nationales et anti-impérialistes du pays, encourager leur libre épanouissement et ne jeter l’exclusive sur aucune d’elles, en particulier sur les plus progressistes. Seules devront être limitées et combattues les forces contre révolutionnaires et réactionnaires au service de l’ennemi impérialiste.

Ce sont avant tout les masses populaires, les patriotes clairvoyants et leurs organisations, qui doivent en permanence préserver, élargir les méthodes démocratiques et les faire entrer dans la vie du pays.

La démocratie réelle doit se traduire aussi dans les institutions de l’Etat algérien telles qu’elles seront mises sur pied par l’Assemblée nationale constituante.

a) cette Constituante doit être élue par un collège unique, au suffrage universel, direct et secret par tous les citoyens algériens, hommes et femmes âgés de 15 ans révolus. Tous les Algériens ayant 20 ans révolus peuvent être candidats.

Pour permettre h tentes les tendances nationales et progressistes du pays d’être représentées dans cette Assemblée, cette dernière doit être élue au scrutin proportionnel.

b) l’Assemblée constituante doit doter rapidement le pays d’une Constitution écrite prévoyant entre autres :
– Un Parlement fermé d’une Assemblée nationale unique élue dans les mêmes conditions que la constituante et renouvelable tous les 4 ans.
– Un gouvernement issu du Parlement et responsable devant lui.
– Un Président de la République dont le mode d’élection et les pouvoirs seront fixés par la constitution.
– Des assemblées, élues au suffrage universel dans les diverses subdivisions administratives et dans les villes, villages et douars.
– Une armée nationale et populaire, non de métier. Cette armée aidera aux tâches civiles de reconstruction, dans la mesure où elle ne sera pas occupée à des tâches de défense nationale. Elle sera au service de la République, du peuple, de la démocratie et de la paix. Le peuple veillera à ce que cette armée, composée de ses fils, ne soit pas utilisée comme l’instrument de politiques réactionnaires et antidémocratiques, à l’exemple de nombreux pays du Moyen Orient et d’Amérique Latine.
– la garantie par la loi des droits de l’homme, des libertés individuelles et publiques de pensée, d’opinion, de presse, de réunion, d’association et de culte, le respect des libertés syndicales et du droit de grève.
– La garantie par la loi de l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens algériens sans distinction de race, d’origine, de religion, de sexe, de rang social, d’opinions politiques ou philosophiques.
– Une justice indépendante du pouvoir politique; la rédaction d’un code de justice moderne, tenant compte des réalités actuelles, s’inspirant des traditions démocratiques de notre peuple et de tout ce qui est progressiste dans le droit musulman, mais dégage de tout ce qui est figé ou conservateur dans. ce droit… »

Ou cette lettre ouverte au parti d’un militant du P.A.G.S. (envoyée à « TRIBUNE ») qui reprend pour l’essentiel le combat des militants de « TRIBUNE » ?

 » Depuis quelques mois, notre pays est confronté à de graves difficultés.

L’action de l’impérialisme et de la réaction se conjugue avec les problèmes de la vie quotidienne qu’affrontent les masses populaires.

Chaque jour, la flambée des prix amenuise un peu plus le niveau de vie des travailleurs; les pénuries obligent les ménages à une course éperdue pour assurer leur nourriture.

L’exode rural, le manque de logement font que des centaines de milliers de personnes s’entassent dans des appartements trop petits ou dans les bidonvilles.

Sur leur lieu de travail, et malgré les progrès issus de l’industrialisation, les travailleurs sont contraints de combattre chaque jour, pied à pied, pour défendre leurs droits acquis, leurs droits d’expression et d’organisation.

Dans les campagnes, la Réforme agraire n’a pas réglé les problèmes fondamentaux de la paysannerie et ce, malgré les actions du volontariat et le dévouement des militants.

Les désistements, les multiples réformes des circuits de distribution, les retards dans l’application de la 2e phase et dans le démarrage de la 3e phase, et la toute récente pénurie de viande organisée par les chevillards, sont caractéristiques des freins opposés à la Réforme agraire, par la réaction, liée dans bien des endroits aux appareils du F.L.N., des A.P.C, et de l’U.N.P.A.

Face à toutes ces contradictions, face aux graves dangers qui menacent notre pays, en tant que militant du P.A.G.S., qui a vécu toutes les luttes du parti pour sa construction, son indépendance et son développement, en tant que militant qui, sur ces bases, a subi avec d’autres militants la répression et la torture, en tant que militant et responsable syndical, qui a mené avec tous les militants progressistes, la lutte contre la caporalisation de l’U.G.T.A. et pour son indépendance, nous pensons que notre Parti doit aujourd’hui se définir clairement face à un certain nombre de questions fondamentales que se posent la classe ouvrière algérienne et les masses laborieuses.

La déclaration de 1966 qui annonçait la création du P.A.G.S., tirant la leçon de l’activité du P.C.A. et de l’O.R.P., estimait que « dans l’étape démocratique et nationale que traverse notre pays, seul le parti de la classe ouvrière, indépendant de toute autre force politique, est le garant pour les masses populaires d’une lutte résolue pour le socialisme. »

Aujourd’hui, les mots d’ordre de cette déclaration sont plus que jamais à l’ordre du jour.

Notre parti, pour mener une lutte conséquente, doit ouvrir une large discussion dans l’organisation sur les mots d’ordre suivants :
– Pour l’indépendance économique et la rupture avec l’impérialisme !
– Contre la bourgeoisie et la réaction intérieure !
– Pour la libération de tous les emprisonnés politiques, y compris BEN BELLA !
– Pour le retour des exilés politiques !
– Contre la caporalisation de l’U.G.T.A., qui doit rester la propriété des seuls travailleurs !
– Pour la reconnaissance de toutes les organisations, partis et groupes politiques et, en premier, pour nous militants du P.A.G.S., du PARTI D’AVANT-GARDE SOCIALISTE !

Alger, le 1er Mai 76

Camarades du P.A.G.S., qui a raison ?

Linhart et le P.C.P. en 66 ? le P.A.G.S. en 66 ?

le P.C.F. et Lambotte en 76 ?

Ou notre camarade du P.A.G.S. qui a écrit à « TRIBUNE » le 1er Mai 76 ?


* Il faut rappeler que le coup d’Etat du 19 Juin 65 sera suivi de l’arrestation, de la détention et de la torture de dizaines de militants et de dirigeants du P.A.G.S. et de l’U.N.E.A. qui ne seront libérés qu’en 71-72 (après un accord passé entre la direction du P.A.G.S. et Boumediène ! …) et que dans une déclaration de 66 tirant le bilan de l’activité de l’O.R.P. (Organisation de la Révolution Populaire – un front dans lequel le P.C.A. s’était dissous) et du P.C.A., les fondateurs du P.A.G.S. estimaient : « que dans l’étape démocratique et nationale que traverse notre pays, seul le parti de la classe ouvrière, indépendant de toute autre force est le garant pour les masses populaires de la marche résolue vers le socialisme ». Marchais c’est bien connu, n’a aucune mémoire ! ! !

2 réponses sur « Le P.C.F., Robert LAMBOTTE, Francis COHEN, François HINCKER : VIVE BOUMEDIENE ! VIVE LA CHARTE ! »

Merci Nedjib. Je découvre un pan de l’histoire du PCF que je ne connaissais pas, sa conception d’une « démocratie » spécifique à l’Algérie de Boumediene…assez semblable à celle de l’impérialisme américain. Bizarre tout de même…

Merci Zohra pour ton message ! Il y aurait beaucoup à dire au sujet des relations entre le PCF et l’Algérie, non seulement pendant la période coloniale et celle de la révolution anticoloniale, mais aussi après l’indépendance parce que tout (re)commence.

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