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Travailleuses immigrées : Pourquoi les femmes doivent entrer dans la production

Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 14, octobre 1977, p. 9-12


Les femmes immigrées maghrébines qui travaillent dans
la production représentent une très petite minorité. A Marseille, par exemple, sur 100 travailleurs algériens, à peine 4 sont des femmes.

Ces femmes travaillent dans des conditions particulièrement dures :
. les salaires les plus bas (moins élevés à qualification égale, que ceux des travailleurs immigrés, qui sont pourtant déjà miséreux) ;
. les travaux les plus rudes et les plus rebutants ;
. des conditions de travail intolérables (travail aux pièces, hygiène inexistante, heures de travail souvent incompatibles avec une vie familiale, …) ;
. des risques particulièrement grands de licenciement, du fait que ce sont des femmes d’abord, et des immigrées ensuite.

Après cela, la plus grande majorité cumule une deuxième journée de travail à la maison, avec bien souvent 4 à 6 enfants dont il a fallu faire garder certains pendant la journée, le mari qui exige de sa femme qu’elle accomplisse seule toutes les corvées domestiques, les budgets de misère sur lesquels il faut bien faire vivre tous (oscillant entre 200 Fr et 100 Fr seulement par mois et par personnel), et avec ça un logement souvent insalubre.

Ces travailleuses immigrées ont dû surmonter un grand nombre de
difficultés ; d’abord aller chercher du travail dans un pays dont on cannait mal la langue et où il y a déjà un fort chômage ; vaincre le racisme qui nous barre souvent la route, et vaincre la résistance du mari ou de la famille qui ne trouvent pas toujours « convenable » qu’une femme travaille. Et enfin, s’arranger pour faire garder les enfants à peu de frais, et accomplir tout de même les tâches domestiques dans le peu de temps qui reste.

Pourtant, malgré toutes ces difficultés, ces femmes se sont donné de sérieux atouts en allant travailler dans les usines ou les entreprises. Nous allons voir quels sont ces atouts que donne aux femmes l’indépendance économique.

Pourquoi les femmes doivent travailler à l’extérieur.

Écoutons d’abord le témoignage d’une travailleuse maghrébine de 23 ans, qui travaille durement parfois 11 h par jour :

« Si je veux garder mon indépendance, – et pour moi c’est la seule chose qui compte -, je dois préparer une formation professionnelle ; comme ça, si je rentre au pays, je pourrai travailler, gagner ma vie, être indépendante. Je pense que pour gagner la liberté, les femmes doivent avoir un métier. Je ne veux pas être exploitée par un mari. J’ai presque pas été à l’école, et c’est plus difficile de faire une formation. Mais dans mon pays, les femmes comme moi sont très nombreuses, et pour le moment, il n’y a pas de travail pour elles. Alors, elles continuent à rester chez elles comme avant, et dépendent de leur mari. Si une femme ne sort pas de chez elle, elle ne voit rien d’autre, et elle accepte tout parce qu’elle est obligée, elle a pas le choix. »

(…) « Chez nous, c’est les filles de la bourgeoisie qui apprennent un métier, mais pour les femmes du peuple, il y a même pas l’école, et la misère est grande. Il y en a qui se remplissent les poches. Il y a beaucoup de choses que j’ai comprises, ici en France. Je sais qu’il faut lutter pour tout. Mais chez nous, c’est les femmes qui doivent se libérer. »

En effet, une femme au foyer qui ne sort jamais de chez elle et qui est accablée de tâches domestiques (ménage, enfants, cuisine, etc…) reste complètement sous la coupe de son mari et de sa famille, sans avoir la possibilité de se rendre compte de sa situation, puisque tout la monde autour d’elle l’a trouve « normale ». Dès l’instant où elle va travailler à l’extérieur, avec d’autres femmes qui ont les mêmes servitudes, elle commence à mieux comprendre que sa situation est injuste, et qu’à plusieurs il serait plus facile d’imposer un rapport de forces.

Si par exemple, toutes les travailleuses de l’usine vont à une réunion du soir du syndicat, il sera plus facile à faire admettre au mari qu’il est nécessaire que sa femme y aille.

D’autre part, si la femme est indépendante économiquement, elle aura un poids autrement plus grand dans la famille, et pourra établir un rapport de forces différent entre elle et son mari : elle aura un moyen de pression financier, qui lui permettra de ne plus accepter n’importe quoi, et même de partir vivre de ses propres ressources dans les cas extrêmes.

Mais, surtout, la journée passée loin de la maison permettra à la femme de réfléchir et de discuter de sa condition et de son oppression, et de se sentir à l’occasion solidaire des luttes ou des grèves menées par son mari travailleur.

Ce sera déjà un premier pas, jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’on ne pourra lutter contre nos conditions de vie et de travail intolérables qu’en s’alliant tous, travailleurs et travailleuses, dans les usines, chose qu’elle n’aurait jamais eu les moyens de comprendre si elle était restée toute seule chez elle. Car ce sont les luttes des ouvriers et des ouvrières contre le système capitaliste, qui permettront à la femme de lutter réellement contre sa condition d’opprimée, et non seulement sa lutte solitaire contre son esclavage familial.

En, effet, se développant depuis quelques années des luttes de femmes immigrées au foyer (par exemple, en 1972 à l’occasion de l’assassinat par un flic de Mohamed Diab, à la suite de quoi sa femme et sa fille se retrouvaient sans ressources), contre la vie de misère qui leur est faite (bidonvilles, pauvreté noire, etc…). Certaines de ces femmes, en sont venues à avancer la revendication d’un salaire ménager, et pensent sortir de leur situation en demandant un peu d’argent à l’Etat qui les exploite et les attaque de tous les côtés. Voyons pourquoi il faut mieux en définitive combattre cet Etat exploiteur directement, plutôt que de lui demander de l’argent.

Pour ou contre un salaire ménager ?

Cette revendication, sur laquelle s’était d’ailleurs penchée la bourgeoisie française il y a quelques années, est ainsi expliquée par une femme de Nanterre :

« (parlant d’un enfant) Ce qu’on dit, c’est il va qu’être ouvrier ; et c’est qui ?, c’est eux (les bourgeois) qui vont en avoir besoin ; un ouvrier, regarde qui c’est : c’est nous. Les enfants, on ne croit pas qu’ils vont devenir médecins ou n’importe quoi ; ils vont aller sur un chantier du bâtiment, et c’est eux qui vont en avoir besoin. Alors, la fille va être grande, elle va faire de la couture, elle va faire je ne sais quoi. Alors, en fait, c’est eux qui vont en avoir besoin. Et si un jour je ne fais pas le ménage, … Et si le mari, je ne lui fais pas sa bouffe, si je ne lave pas ses affaires, c’est fini, il n’ira pas à l’usine. C’est eux qui vont en avoir besoin, alors que c’est moi qui suis en train de m’en occuper pour le rendre grand, pour qu’il soit costaud, pour qu’il lève bien les poutres. Eh bien, ça, c’est du travail que je fais pour eux ; alors, ils ont qu’à me donner de l’argent ; ça serait bien si on pouvait être payé. »

Il est certain que si la bourgeoisie se décidait à accorder aux femmes un salaire ménager, nous ne refuserions pas l’argent ; nos conditions de vie sont tellement misérables et difficiles, que nous ne refuserions pas un peu plus d’argent.

Pourtant, nous sommes contre cette revendication. Pourquoi ? Parce qu’elle correspond aux intérêts de la bourgeoisie. Ce n’est pas un hasard si par exemple la bourgeoisie française l’avait envisagée : c’est qu’un salaire « ménager » (qui n’est rien d’autre qu’un salaire différé, de l’argent dû aux travailleurs qu’on leur donne autrement) lui permettrait de maintenir les femmes indéfiniment dans leur asservissement, en les obligeant à rester isolées chez elles, ou en les cantonnant dans des tâches exclusivement ménagères.

Que les femmes restent isolées, cela sert la bourgeoisie, car cela les empêche de fait d’avoir les moyens de se regrouper et de lutter ensemble contre leurs conditions de vie. Or, nous n’avons aucune envie que la bourgeoisie continue éternellement à nous exploiter. C’est pourquoi nous devons la combattre rapidement, et surtout nous en donner les moyens.

Imaginons que les femmes sortent de leurs foyers, entrent dans les usines et les entreprises, viennent lutter avec les travailleurs en masse contre les patrons, et qu’elles se mettent à lutter pour leurs propres intérêts, comme tout travailleurs digne de ce nom, voilà les forces de la classe ouvrière singulièrement augmentées !

Là le rapport de forces entre la bourgeoisie sera autrement plus décisif et favorable à tous les travailleurs !

Voilà pourquoi nous devons lutter peur que les femmes aillent travailler à l’extérieur de chez elles, dans la production : c’est là la première des tâches de tout travailleur conscient de son exploitation, et qui veut la combattre : car les femmes représentent la moitié de la société, et sans elles, jamais aucune révolution ne se fera !


Le logement à Marseille :

1 920 familles (5 500 pers.) en bidonvilles, cités, habitats insalubres.
200 familles en micro. bidonvilles.
450 familles en co-propriété (revenus un peu plus élevés).
12 000 travailleurs isolés, « célibataires », en hôtels meublés chez des marchands de sommeil.
2 000 travailleurs dans des foyers Sonacotra.

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