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La journée du 8 mars à Alger

Textes parus dans El-Oumami, n° 24, avril 1982, p. 6 et 11-12

المرأة ويومها العالمي (photo publiée dans El Djeich, n° 216, mars 1982, p. 5)

A l’appel du comité d’action, rassemblement du 8 mars (Maison du Peuple — UGTA). Une cinquantaine de femmes. Refus de nous laisser entrer dans la salle où se tenait un gala organisé par les femmes travailleuses de la Santé. Menaces des flics. Des « syndicalistes » viennent nous demander de nous disperser. L’hôpital Mustapha étant investi par les flics (grève des agents), la fac étant surveillée, la cité-U trop loin, nous décidons de nous rendre à la Fédération Algérienne des ciné-clubs où se tient une rencontre des femmes.

Un animateur nous laisse entrer puis des filles viennent le prévenir qu’il s’agit du comité d’action. Aussitôt, menaces. On nous laisse dans l’obscurité. Les animatrices (Algéria­-Bab-El-Oued) nous demandent de partir. Une violente discussion éclate entre d’une part le comité d’action, d’autre part les animatrices. Insultes. Une fille de la Fédération menace d’appeler les flics. Attaques personnelles (des rancœurs se sont accumulées…). On remet sur le tapis la question des « méthodes » de lutte. Les animatrices estiment qu’elles n’ont pas à « couvrir » une A.G. « illégale ». Elles ont arraché le droit au ciné-club et ne veulent pas d’ennuis (FLN). Le comité d’action soutient qu’aucun travail n’est possible au sein de ces ciné-clubs qui projettent un film pour le projeter et refusent de laisser passer une information sur les luttes des femmes en Algérie (les animatrices du ciné-club de l’Algéria ayant refusé jeudi, aux militantes du comité d’action de diffuser leur tract d’appel au rassemblement). Il propose la rédaction d’un texte dénonçant l’UGTA et informant de l’impossibilité d’avoir une salle un 8 mars. Hurlements : on accuse le comité de rédiger des tracts à n’en plus finir au lieu de s’interroger sur son incapacité de mobiliser. Le comité d’action — qui laisse entendre qu’il a été le seul jusque là à poser les problèmes dans la rue — estime que les ciné-clubs ne mobilisent pas : la preuve, aucune femme n’est venue à cette rencontre. Les débats tombent parfois bien bas.

Proposition du comité de faire une réunion à la cité U, jeudi.

Par ailleurs, il faut rappeler que le gala organisé par les femmes de la Santé (UGTA) à la Maison du Peuple a été neutralisé par la fermeture de la Maison du Peuple et l’intervention des flics qui ont « gentiment » prié les femmes de rejoindre la salle Harcha où un après-midi récréatif organisé par l’UNFA avec la participation du chanteur Chaou les attendait.

Nous reproduisons ici le tract d’appel au rassemblement du 8 mars diffusé par le comité d’action d’Alger pour information. Mais il doit être clair que cela ne signifie nullement que nous soyons d’accord avec l’ensemble des orientations et des méthodes avancées par le groupe qui dirige ce comité. A notre avis, le comité d’action avance des revendications justes et légitimes. Il s’agit également du seul comité ayant posé les problèmes dans la rue (rassemblements) après s’être constitué indépendamment de l’UNFA. Tout en soutenant les initiatives prises pour la satisfaction des revendications légitimes avec des méthodes de la lutte directe, nous continuerons à lutter pour favoriser l’éclosion d’un mouvement féminin organiquement lié au mouvement ouvrier, c’est-à-dire qui intégrera la lutte contre les lois et les pratiques discriminatoires dans le cadre de la lutte du prolétariat contre l’exploitation et l’oppression capitalistes.

Appel du comité d’action

Le 8 mars, c’est notre journée, c’est la journée internationale des femmes. C’est une journée historiquement placée sous le signe de la lutte. Nous avons lutté, nous luttons encore pour conquérir nos droits. Sans relâche, nous avons exprimé notre refus et notre opposition à un texte imposé qui aurait régi la vie de chacun d’entre nous. Nous avons dénoncé le procédé anti-démocratique employé. Pétitions, assemblées générales, rassemblements ont fait aboutir notre première revendication : NON AU VOTE PAR L’APN DE CE TEXTE.

Ce qui s’impose à nous aujourd’hui, c’est de lutter pour arracher nos droits.

Nous refusons toute codification des relations familiales (code de la famille, statut personnel, etc.)

Pour nos droits :

– majorité égale à l’homme,
– droits inconditionnels au travail,
– abolition de la polygamie,
– égalité des droits et ses effets,
– reconnaissance de l’adoption, etc.

Il nous faut rester mobilisées, pour avancer dans cette voie, il faut nous approprier notre journée : le 8 mars.

Donnons lui ainsi son contenu réel.

Pour discuter de nos droits.

Pour en débattre.

Rassemblons-nous : Maison du Peu­ple — Place du 1er Mai 14 H.

Comité d’action issu des rassemblements. Rappelons qu’une commission siège actuellement discutant « du dossier de la famille ».

La bataille doit continuer….


Remarques sur le travail parmi les femmes

Les quelques considérations que nous rappelons ici au sujet du travail parmi les femmes ne prétendent pas répondre à toutes les interrogations soulevées par les militantes engagées sur ce terrain. Rédigées en fonction des problèmes posés actuellement par le mouvement des femmes à Alger, elles compléteront utilement les orientations que nous avons déjà avancées dans les numéros précédents d’El­-Oumami.

1. L’aggravation de la crise économique et sociale et la détérioration des conditions de vie (exiguïté et insalubrité des logements, prolifération des bidonvilles (1), infrastructure sanitaire et médicale insuffisante ou même inexistante dans certaines régions, pénuries de produits alimentaires, de médicaments, de gaz butane, manque d’eau, d’électricité, etc.) rendent encore plus pénible l’esclavage domestique auquel est soumise la femme en Algé­rie, particulièrement au sein des couches les plus démunies. Pour « joindre les deux bouts », la ménagère doit économiser sur tout, sauf, bien entendu, sur son travail. Certaines, pour survivre, « louent » leurs services à la journée : ménages, cuisine, vente sur les marchés, travaux dans les Hammams… D’autres se débrouillent avec des travaux à domicile (couture, confection de gâteaux que les enfants vont vendre à la sauvette…). Et puis, il y a celles qui, réduites à la misère la plus atroce, mendient ou se prostituent. (2)

La constitution de comités de quartiers autour des questions les plus brûlantes peut être l’un des moyens d’aider les femmes à lutter contre l’abrutissement auquel les travaux ménagers les plus mesquins et les plus rudes pourraient les forcer et de les « amener à la vie politique ».

2. Les grandes lignes du droit musulman (selon lequel le juge se prononce en Algérie) sont les suivantes : Polygamie (quatre épouses) et répudiations sont autorisées, toutes les facilités sont accordées à l’époux qui veut divorcer mais de « sérieux » motifs sont exigés de l’épouse et le mariage pour la femme est subordonné à l’autorisation paternelle. Il faut donc exiger la liberté totale de se marier, de divorcer, d’étudier, de travailler, de circuler, exiger l’abolition des lois ignobles mettant des entraves au divorce, interdisant l’avortement et la reconnaissance des enfants naturels, et mettant la contraception sous contrôle. 280 PMI seulement pour toute l’Algérie peuvent délivrer des contraceptifs. Le taux de mortalité maternelle en milieu assisté est très élevé (les conditions dans lesquelles se font les accouchements sont catastrophiques). Aucune information sérieuse sur la contraception n’a été envisagée. Pour la seule ville d’Alger, plus de 50 enfants sont abandonnés chaque mois. Les avortements clandestins se multiplient, dans les conditions que l’on peut deviner et la prostitution —enrichissant certains putois qui poussent de grands cris d’indignation et condamnent les femmes qui y sont réduites — ne cesse d’augmenter. Un travail important reste à faire auprès des femmes qui ressentent durement cette oppression (interdiction de travailler, d’étudier. de circuler…). Par exemple, un travail d’agitation autour de plusieurs demandes de divorce rejetées peut être envisagé en vue d’une action collective (rassemblement, manifestation).

3. Dans tous les pays capitalistes, la bourgeoisie a recours à la « trique » (persécutions, emprisonnements, arrestations, interdictions…) mais aussi à des méthodes plus « artificielles » (lorsqu’elle le peut) pour détourner les ouvriers de la lutte contre sa domination. Lénine parlait du besoin qu’a la bourgeoisie de sauvegarder deux fonctions sociales : celle du bourreau et celle du prêtre, la première pour réprimer, la seconde pour consoler et surtout faire accepter par les opprimés sa domination et les détourner de l’action révolutionnaire. En Algérie, pour « justifier » l’oppression de la femme, la bourgeoisie a recours à l’idéologie arabo-­islamique. La Charte, par exemple, donne « son » explication du chômage des femmes : Elles « constituent une réserve appréciable de la force de travail » mais « l’intégration de la femme algérienne dans les circuits de la production doit tenir compte des contraintes inhérentes au rôle de la mère de famille et à celui de l’épouse ».

Les réformistes du PAGS et de l’UNJA vont jusqu’à se perdre dans le brouillard de la religion pour expliquer — par l’étude des Sourates du Coran et des Hadiths de Mohammed — que l’Is­lam serait une religion « progressiste » incompatible avec l’oppression des femmes. Les pagsistes sont logiques avec eux-mêmes et assument ainsi jus­qu’au bout leur fonction de valets de la bourgeoisie. L’obscurantisme religieux n’est que le reflet et le produit de l’asservissement économique, social et politique des masses ouvrières et exploitées. Les idées dominantes d’une époque sont celles de la classe dominante. Dans la mesure où les réformistes du PAGS contribuent par leurs discours et par leur pratique à la défense des rapports de production et d’exploitation instaurés dans le secteur d’Etat sous prétexte de défendre les soi-disant « acquis » de la révolution, il est naturel qu’ils arrivent à défendre l’idéologie qui sert à justifier et à légitimer ces rapports d’exploitation et d’oppression. C’est pourquoi la lutte contre l’oppression des femmes doit être inséparable de la lutte acharnée contre toutes celles et tous ceux qui cherchent à réaménager de façon superficielle cette oppression au nom de la sauvegarde des valeurs « progressistes » de l’Islam, etc.

4. Selon certaines, prétextant l’ « arriération » des masses populaires, il faut d’abord se regrouper entre intellectuelles « averties » (bourgeoises et petites-bourgeoises). Cette voie est proposée aux femmes comme la seule valable dans les conditions difficiles de lutte en Algérie (répression), mais, pour éviter la trique de la bourgeoisie, on va se cacher derrière des éléments… de cette même bourgeoisie, conclusion : on leur laisse la direction du mouvement. Cette voie est doublement dangereuse.

a) Elle appelle à la collaboration de classes au sein du mouvement, sous prétexte que la quantité fait la force et que la « qualité » vient « d’en haut ». Elle écarte d’emblée tout travail d’éducation politique et fait de l’égalité des droits un but en soi.

b) Elle condamne le mouvement, dans la pratique, à l’isolement, (c’est-à-dire qu’il se coupe du mouvement social).

Nous devons, quant à nous envisager un travail d’agitation auprès des ouvrières, surtout que les conditions s’y prêtent (3), et combattre l’attitude qui consiste à spéculer sur l’ « état arriéré » des ouvrières (et des ouvriers) pour s’opposer à un travail d’éveil et de sensibilisation politiques (les « partisans frénétiques » de la bourgeoisie n’ont jamais apprécié que les organisations économiques et syndicales se mêlent de politique).

« Il est faux de dire que les masses ne comprendront pas l’idée de la lutte politique, l’ouvrier le plus frustre la comprendra, à condition bien entendu, que l’agitateur ou le propagandiste sache l’aborder de façon à lui communiquer cette idée, à la lui présenter dans un langage intelligible et en s’appuyant sur des faits de la vie quotidienne. » (4)

Outre le travail d’agitation autour des besoins les plus pressants des femmes des couches opprimées, nous devons faire en sorte que les femmes s’assimilent « l’idée générale de la lutte politique ». L’argument avancé par certaines selon lequel ce travail effraierait les femmes venues lutter pour leurs droits élémentaires ne cache le plus souvent que la réticence à faire sortir la lutte du « cabinet étroit » de l’intellectuelle. Les petites-bourgeoises bornées craignant pour leurs intérêts en seront peut-être effrayées mais les éléments sincères et combatifs y trouveront la nécessaire explication de la nature de leur oppression. Il s’agira donc de les amener à discerner derrière le « voile des coutumes enracinées », derrière les textes et les lois, les déclarations solennelles et les luttes déjà en cours : la lutte des classes. Il faudra attiser en elles la haine du bourgeois, du flic, du larbin.

5. La thèse grossière avancée par le féminisme est que les communistes-révolutionnaires seraient indifférents à l’oppression des femmes en Algérie. Dirigée en apparence contre un des principes du marxisme (il n’est de question féminine en dehors de la lutte de classes), elle est en réalité dirigée contre toute la doctrine du socialisme scientifique. En décourageant tout travail d’éducation politique (éveil au marxisme) elle laisse supposer que le système peut être rafistolé et qu’il s’agit simplement d’y faire admettre une « vision féminine » (à l’égal d’une « vision masculine »).

En Algérie, il est plus qu’urgent de propager les idées du vrai socialisme. Appeler à un mouvement des femmes « en général », mouvement censé unir toutes les femmes algériennes (cela suppose que cette union ne soit pas enfreinte par un travail politique), c’est refuser — en irresponsables — d’admettre que les cassures seront inévitables lorsqu’il faudra agir (et elles ont déjà eu lieu lorsqu’il a fallu passer à l’action). Celles qui protestent contre un travail allant au-delà de questions « purement féminines » (au nom de l’union « sâcrée » des femmes) et qui prétendent que la radicalisation se fera un jour « spontanément », celles-là même obscurcissent les consciences en refusant d’élargir l’horizon de celles que leur oppression révolte et pousse à agir politiquement. C’est pourquoi une de nos tâches essentielles consiste à encourager les éléments qui manifestent le besoin d’aller plus loin à se constituer en cercles sur la base des classiques du marxisme et de notre presse.


(1) A El-Madania dans 2.800 baraques « vivent » 25.000 personnes (plus de 9 personnes par baraque). L’UNFA y passant pour proposer des cours d’éducation sanitaire et… comptabiliser les cartes y a été durement reçue : « De qui se moque-t-on ! » ont jeté les femmes des bidonvilles, « les problèmes sanitaires ici c’est le bidonville lui-même ! ». Pendant ce temps, à côté des bidonvilles, on construit ici un stade et là un… monument aux morts!

(2) Un rapport de l’UNFA sur le centre d’accueil féminin de Dely-Brahim révèle : « dans certains dortoirs sales, des malades mentaux cohabitent avec des personnes normales. Les malades devenant agressifs ou en état de crise, sont un danger pour les autres pensionnaires et surtout pour les enfants présents. Des femmes âgées, impotentes attendent la mort, enroulées dans une couverture usée, incapables de se déplacer même pour leurs besoins immédiats… »

(3) Voici quelques exemples sur les conditions de travail des ouvrières :
– A Oran, des ouvrières embauchées à la saison par l’office des ports déchargent les camions, vident les chambres frigorifiques, travaillent assises à même le sol mouillé, parfois près de quinze heures par jour. Sans bottes, sans gants, sans blouse. Leurs mains sont rongées par la potasse et la saumure. Le salaire est misérable.
– Au complexe lainier de Tiaret : protection insuffisante contre les acides, les émanations dangereuses. Pas de combinaison de travail. Les gants en plastique fondent au contact de certains produits. Dans certains ateliers, on oblige les ouvrières à faire aussi fonction de femmes de ménage.
– A Alger, des ateliers de confection clandestins situés dans des caves d’immeubles : pas d’aération. Atmosphère bruyante et poussiéreuse. Les ouvrières sont payées minablement, à la pièce.
– A l’Unité Sonitex d’Ain-Temouchent, le temps de réalisation d’un article est passé de 58 secondes en 1976 à 32 secondes en 1981. On appelle ça « la performance au féminin » (!) (El-Moudjahid).

(4) Lénine, Œuvres, tome 4.

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