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Les initiatives des J.A.L.B.

Article paru dans Courant alternatif, n° 65, avril 1987, p. 16-18

Affiche éditée par les Jeunes Arabes de Lyon et Banlieue (Source : Odysseo)

Cet interview des « Jeunes Arabes de Lyon et Banlieue » (J.A.LB.) fait suite aux présentations faites dans C.A. de diverses associations issues de l’immigration maghrébine, de leurs pratiques locales, de leurs initiatives régionales ou nationales :
– « Texture et Miroir » de Lille (n° 61) ;
– « Hors la zône » de Barbès (n° 61) ;
– « Regroupement d’Associations Jeunes Ile de France » (n° 54) ;
– 3e marche de novembre 85 (n° 51)…

Il porte essentiellement sur deux sujets :
– La lutte des JALB contre les expulsions à Lyon et plus globalement contre la loi de septembre 86 (qui a débuté en juin 86 par une grève de la faim de 2 JALB) ;
– Leur présentation d’un candidat aux prochaines élections présidentielles.

Les JALB sont aujourd’hui l’association de jeunes issus de l’immigration qui a réussi à percer dans les média grâce essentiellement à leur recherche du spectaculaire et à leur choix de s’adresser directement aux institutions (Eglises, Etat, Justice). C’est dans cette logique qu’ils devraient présenter un candidat aux élections présidentielles comme si la citoyenneté des jeunes issus de l’immigration, l’égalité des droits, passaient d’abord par un essai de représentation politicienne.

Privilégier ce terrain, c’est croire en un Etat de Droit complètement mythique, pour régler les problèmes de droits sociaux, économiques et politiques de l’immigration. A suivre !

Reims le… 16 mars 87

C.A. : Les JALB, vous venez d’organiser un meeting à Lyon. Pour les lecteurs de C.A. pouvez-vous dire quel travail vous réalisez en ce moment ?

Saaden : Le travail que l’on fait par rapport aux expulsions, c’est un travail qui a commencé bien avant la promulgation de la loi du 9 septembre ; je rappellerai que l’on a fait une grève de la faim par rapport à ce projet, que l’on avait descellé les clefs de voûte dangereuses de cette loi et que la philosophie, la lettre et l’esprit dans lesquels elle était rédigée ne nous avaient pas échappé. Nous savons pertinemment que cette loi tend à précariser de plus en plus les statuts des familles immigrées et a pour but de les inquiéter et de les déstabiliser. Alors par rapport à ça, il y a eu cette grève de la faim. Quelques amendements ont suivi ; on a pu mettre sur le plan politique le problème des expulsions qui. serait sans ça passé comme une lettre à la poste à l’époque. La loi du 9 septembre a été mise en application depuis ; elle a débuté avec l’expulsion des 101 Maliens. Le travail que l’on fait c’est un travail de terrain pour savoir, par exemple, quelles sont les personnes détenues dans les centres de rétention. Nous suivons les commissions départementales d’expulsions, commissions qui ont pour but de donner un avis, qui maintenant n’est plus que consultatif, sur le bien fondé d’une expulsion. Alors dans la loi en elle-même, on peut expulser de 2 manières : – Selon l’article 23 qui est : menace pour l’ordre public, qui est pour nous une épée de Damoclès, une notion floue, vague et qui appartient à l’autorité préfectorale ou au Ministère de l’intérieur.

C.A. : A Lyon, plus de la moitié des arrêtés auraient été cassés ou pourvus d’un sursis à exécution. A l’origine: « la fréquente absence dans les dossiers transmis par la préfecture de motifs justifiant la « menace de l’ordre public » ». Vous, vous dites que l’expulsion est trop souvent légitimée par des condamnations pénales alors qu’une jurisprudence administrative de 77 rend caduque ce type d’amalgame et que la circulaire d’application de la loi de septembre 86 du Ministre de l’intérieur précise elle aussi qu’« une peine de prison n’est ni nécessaire ni suffisante pour permettre l’expulsion » (voir Libé du 22/01/87).

Saaden : Je rappellerai que les premières personnes visées et touchées par les expulsions par l’article 23 sont des jeunes qui pour la plupart ont fait de la prison ; c’est vrai que la plupart des arrêtés ne sont pas justifiés ; cette menace pour l’ordre public ne correspond à rien ; je rappellerai un fait divers que j’ai lu dans la presse régionale où un automobiliste bon français avec 3 grammes d’alcool dans le sang a tué 3 personnes Il s’est vu condamné en correctionnelle à un an avec sursis, alors que ces jeunes qui sont nés en France, qui ont toute leur famille en France, on leur retire leur carte de résidence ou leur carte de séjour ! Pour essayer de préciser cette menace à l’ordre public, une circulaire est apparue le 17/09/1986. Dedans est stipulé qu’une condamnation pénale n’est « ni nécessaire ni suffisante » et qu’a priori ce ne peut être « qu’un élément d’appréciation » ; le constat que l’on fait, c’est que la plupart des jeunes qui y passeront ont eu une peine de prison antérieurement. Il s’agit presque de menaces à retardement. Ces arrêtés sont mal ficelés ; pris d’une manière très très large, et lorsque certaines personnes ont pu faire des recours, le tribunal administratif a constaté que les dossiers concernant les futurs expulsables étaient vides, et par conséquent ordonné un sursis à exécution, et a par la suite statué sur une annulation. Mais il reste l’article 26, la procédure d’urgence absolue, qui elle touche tout le monde.

C.A. : Qu’est-ce que l’article 26 ?

Saaden : L’article 26, dans l’ordonnance de 1945, l’ancienne réglementation qui a été réformée, était un article à caractère exceptionnel qui ne concernait que les terroristes, les agents secrets, alors qu’aujourd’hui il est utilise de façon très large, un peu pour n’importe qui.

C.A. : Lors de leur meeting du 13 janvier à Lyon, les JALB avaient annoncé le retour des expulsés, par l’organisation de filières clandestines, ce qui avait fait bondir Claude Malhuret, le secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme qui vous avait traités d’irresponsables. Est-ce-que ces filières vont se mettre en place ou est-ce seulement une menace destinée à faire un coup de presse ?

Saaden : Effectivement, nous avions annoncé un réseau de solidarité, voire de caches pour les expulsés qui désireraient revenir. Pourquoi cela? Après 4 mois de pratiques sur le terrain, après avoir étudié la loi, et au vu des conséquences dramatiques pour certaines familles, des situations humaines insupportables, nous considérons que cette loi est inique et arbitraire, sans aucun respect de l’être humain. Par conséquent, nous nous mettons, comme le dit Malhuret : « hors-la-loi » ; parce que nous considérons que ce n’est pas nous qui nous mettons en travers de la loi mais que c’est la loi qui se met en travers de nos droits, et par conséquent, nous ne pouvons supporter de telles situations. Nous sommes déterminés et convaincus de nos droits de résider en France sans aucune condition.

C.A. : Quelles sont ces cellules d’alerte que vous avez impulsées ? Qui s’y retrouve et quel travail est-il fait à l’intérieur ?

Saaden : Nous avons mis en place une permanence juridique gratuite et essayons d’orienter et de conseiller juridiquement les gens qui ont des problèmes d’expulsion, de non-renouvellement de cartes, la perte d’un travail ou d’autres raisons. Pour ce qui est de la mise en place de notre réseau de solidarité, lorsque nous avons commencé ça, ça a fait un boom et nous nous étonnons que cela n’ait dérangé personne lorsque la CIMADE avait annoncé la création d’un réseau semblable. Je rappellerai que nous travaillons dans ce sens en collaboration avec la CIMADE et que pour nous ce n’est pas une solution réelle, pas un moyen d’arranger les problèmes. Ce que nous voulons, c’est une solution législative, juridique, une négociation pour la réforme de certains articles et de certaines mesures contenues dans la loi du 9 septembre.

C.A. : Est-ce que vous pouvez expliquer la rétroactivité de la loi Pasqua et quelle riposte face à cela ?

Saaden : Il n’y a pas de réel recours face à cette rétroactivité ; d’ailleurs, certains magistrats qui siègent à la Commission départementale d’expulsion sur la région lyonnaise se sont posé si fortement la question qu’ils ont interrogé par 2 fois le ministre de l’Intérieur. User de la rétroactivité permet d’élargir la fourchette des expulsables ; à l’heure actuelle sur la région lyonnaise, cette commission a eu lieu 3 fois (elle se tient tous les mois et demi). En moyenne, 20 personnes passent devant cette commission et les 3/4 sont jugés expulsables. On peut évaluer entre trois cents et quatre cents les concernés qui pourrissent dans les prisons lyonnaises et qui appréhendent fortement l’expulsion, et pour qui un bannissement, une expulsion sont dramatiques. Un jeune qui a vécu toute sa vie en France se retrouve dans un pays inconnu, est remis aux autorités de ce pays qui souvent le condamnent à une peine de prison, lui retirent ses papiers ; la plupart sont voués à la clochardisation.

C.A.: Comment vous situez-vous par rapport à l’immigration de la 1ère génération, et de la 2ème génération qui n’ont pas la nationalité française et qui revendiquent des droits en tant qu’immigrés (droit au logement, au travail et droit de vote) ?

Djida : La 1ère génération, c’est nos parents, et ils vivent la même chose que nous, mais ce sont eux qui flippent quand ils entendent parler des lois qui risquent d’expulser leurs enfants et flippent encore quand on parle des élections et que leurs enfants peuvent être manipulés, mais ils se sentent revalorisés, réhabilités par ce que l’on fait. Leurs problèmes et les nôtres sont indissociables. Au sein des J.A.L.B., un certain nombre est de nationalité d’origine, les autres de nationalité française, donc les problèmes qui concernent les premiers nous concernent sur au moins deux points : les expulsions et les élections. On va sa positionner par rapport à une campagne électorale, celle que l’on se propose de faire pour les présidentielles. Notre position c’est le droit de vote pour toute personne vivant en France, travaillant en France et qui a le droit de donner son point de vue. Dans d’autres pays cela s’est déjà fait.

C.A.: Finalement, n’aspirez-vous pas, en tant que J.A.L.B., à être reconnus par la classe politique française, ou aspirez-vous à être autre chose ?

Djida : On espère qu’il y aura d’autres gens qui s’exprimeront de mieux en mieux. En tous les cas, on ne veut pas être en permanence un enjeu politique électoraliste passif qui fasse l’appoint des forces politiques françaises mais que, à un moment donné, ce que l’on dit ou ce que l’on fait compte pour nous et pas pour les autres.

C.A. : Pourquoi les assises des Jeunes arabes de France, et que veut dire la présentation d’un candidat aux présidentielles ?

Djida : Depuis 82, avec le droit d’association, il y a eu un essor donné à la création d’associations qui ont été dans une situation de dépendance par rapport aux institutions avec lesquelles elles discutaient et notamment au niveau subventions. Au niveau du discours, et à un moment donné, il y a eu une impasse. On a senti aux premières assises, en juin 84, que les gens n’étaient pas à l’aise dans les discours associatifs. On a senti les limites du discours associatif ; aujourd’hui, on se retrouve dans une situation nationale où il y a un réseau de jeunes organisés collectivement soit individuellement, soit avec d’autres collectifs anti-racistes qui galèrent contre les lois et les problèmes quotidiens. Depuis la grève de la faim, on s’est aperçu que nous avions créé une situation aux répercussions nationales et qui pouvait impulser une dynamique d’organisation au niveau national. Cela n’a pas été et on se demande pourquoi. En dehors du fait du flip réel depuis l’application de ces lois, ce flip touche tous les jeunes qui s’expriment ou qui s’organisent collectivement. Dans la même logique que la grève de la faim, on veut casser ce flip et surtout trouver les moyens de s’organiser au niveau national mais avec des objectifs précis : préparer une action décisive et déterminée par rapport aux lois Pasqua.

C.A. : D’autres associations de travailleurs immigrés et de jeunes issus de l’immigration se réunissent actuellement et discutent autour d’une charte de revendication et de commission riposte face aux expulsions dans l’idée d’états généraux. Qu’en pensez-vous ? Comment vous situez-vous par rapport à d’autres initiatives nationales ?

Djida : Pour nous, jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas de charte existant en France qui révèle réellement les problèmes des jeunes. Nous n’avons participé à aucune en tous les cas. Les 1ères assises nationales que nous avions organisées à Lyon étaient les premières à mettre sur la place publique la volonté d’autonomie et d’auto-organisation entre nous au niveau de la réflexion, des moyens, et au niveau de la méthode pour réagir aux conditions de vie que l’on nous fait mener, et aujourd’hui, en dehors du discours qui a été repris à partir de ces assises, dans certaines associations (nous sommes autonomes), on ne connaît aucune situation en France où les jeunes s’organisent de manière réellement autonome avec des bases irréversibles solides. Tu fais référence à la réunion de Lille qui a eu lieu fin octobre, à laquelle nous n’avons pas participé. Cette réunion nationale était issue de la première réunion nationale autour des comités de soutien à la grève de la faim. Nous avons assisté à la première et estimé que c’était vraiment en dehors de la plaque alors que nous, nous posions, par la grève de la faim, le problèmes des réalités quotidiennes à résoudre immédiatement et là on s’est encore retrouvés confrontés à des discours de chapelle idéologiques qui n’avaient rien à voir avec la réalité que nous posions. A chaque fois il y a ce glissement, lorsqu’on impulse quelque chose et la réunion et la charte de Lille sont dans la même logique, c’est-à-dire pour nous : inexistantes et irrecevables, même si une de ces associations, partie prenante de la réunion, « Texture et Miroir », est sur le terrain, nous semble-t-il, la plus proche de ce que l’on fait, c’est-à-dire qui se mobilise concrètement, ce qui n’est pas le cas des autres associations qu’elle avait réunies.

C.A. : Que veut dire la présentation d’un candidat aux élections présidentielles ?

Djida : Jusqu’à maintenant, on a toujours fait l’appoint des forces politiques. Quand on a posé le problème du vote, on ne l’a jamais posé de manière claire. On sait très bien que de manière sous-jacente à tout discours anti-raciste, le vote immigré est considéré comme un vote de seconde zone, en solde, et qu’il ne peut être « qu’utilisé ». Toujours dans cette logique un peu malsaine, d’utiliser une voix de plus en comptabilisant des voix et par un vote utile. Le fait de créer une situation au niveau d’une campagne électorale où nous serons présents et de présenter un candidat, ça nous permettra d’impulser le vote des gens concernés. On créera les conditions claires pour un vote possible. Jusqu’à maintenant, voter pour qui ? Qui est-ce qui a été assez réglo avec nous pour que l’on vote pour lui ? En présentant un candidat, nous ferons un cumul de votes possibles contre ces lois-là : contre le statut d’immigré marginalisé dans la situation de non-droit où on veut nous maintenir, mais ça ne sera pas des voix diluées dans la masse d’un anti-racisme sentimentaliste ou paternaliste apitoyé. Que les choses soient claires, par rapport au meeting que l’on a fait dernièrement à la fac (Lyon 111), meeting Stop-racisme où Isabelle Thomas s’est fait conspuer par les J.A.L.B. et les étudiants libertaires (NDLR), les vraies questions ont été posées. Psychologiquement, ça va créer des situations sans précédent, pour les institutions, car les élections présidentielles touchent à l’essence même de notre société…

Ce que l’on fait aujourd’hui au cas par cas, les assises, les élections, notre manière d’interpeller les institutions, c’est toujours pour aller plus loin dans le fait qu’il y a un fait de société qui est incontournable, que quelles que soient les lois qui sont mises en place, ces lois-là n’en rajouteront qu’aux tensions sociales. A long terme, nous en sommes certains, ce que nous faisons aujourd’hui sera résolu. Aujourd’hui, nous en ramassons plein la gueule en espérant que les autres en ramasseront moins, en espérant que l’on puisse faire des choix autrement que spécifiques, mais que l’on puisse faire des choix de société globaux, avec tout le monde.

Interview réalisée par PAPY et Olga

A partir du 15 mars la CIMADE de Lyon a démarré une campagne intitulée SO-LEX : Solidarité expulsion avec dans un premier temps l’envoi massif de cartes postales (notre photo) à Charles Pasqua, avec au dos le texte suivant :

Monsieur le Ministre,

Le gouvernement actuel de notre pays continue d’appliquer une politique inhumaine à l’égard de personnes ayant toute leur vie en France mais étant de nationalité étrangère. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont arrachés à leur famille, leurs amis, leur quartier.

Nous nous opposons à la mesure d’expulsion prise en Préfecture du ……………….. le ……………….. contre M. ……………….. né le ……………….. à ……………….. et nous vous demandons d’intervenir pour que cette personne conserve le droit de vivre en France. Dans l’espoir d’une réponse.

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