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La grève de l’I.T.E. de Bouzaréah

Articles parus dans Tribune algérienne, n° 2, février 1975, p. 11-12 et 15-20


La grève qui s’est déroulée à l’Institut de Technologie de l’Education de Bouzaréah jette un vif éclairage sur la prétendue « révolution culturelle » comme sur le caractère démocratique du régime actuel. Qu’on en juge !

Ayant réussi à un examen d’entrée en Juin 1974 et commencé les cours en Octobre 1974, un groupe de 129 enseignants stagiaires furent exclus de l’I.T.E. peu après sous prétexte que leurs dossiers ne remplissaient pas les critères demandés.

Les stagiaires ripostèrent en déclenchant la grève et en élisant leurs représentants qui entreprirent des démarches auprès du ministère des enseignements primaires et secondaires, de la Direction de la Culture et de l’Education de la Wilaya d’Alger (Ex. Inspection Académique) du FLN et de l’UGTA.

Comme le syndicat étudiant, dissous par le pouvoir en 1972, n’existe toujours pas, la coordination ne peut pas être établie avec les étudiants des Facultés ou des Instituts. D’autant que la police fut son apparition et empêcha toute extension du mouvement.

C’est cela l’Algérie en marche vers le progrès et le socialisme !

Quand les étudiants veulent étudier, quand les enseignants veulent se perfectionner pour mieux enseigner, on leur envoie les flics !

Messieurs les Colonels d’Alger remplacent le système métrique par le système matraque !

La réponse du ministère, arrogante et méprisante arriva. Les enseignants devraient sans tarder se soumettre, quitter l’Institut et reprendre leurs postes. Ce qu’une grande partie d’entre eux durent faire.

L’Assemblée Constituante garantira le droit aux étudiants d’étudier et de s’organiser librement dans leur syndicat.

Elle garantira aux enseignants le droit à une formation professionnelle dans les Instituts ou Universités de leur choix, au cours de leur carrière.

Elle garantira le respect des examens, diplômes et avantages acquis.

Elle interdira à la police dont tous les chefs seront élus et révocables par les citoyens et contrôlés par les syndicats de travailleurs, de pénétrer dans quelque lieu où l’on étudie, où l’on enseigne, où l’on travaille.


La grève de la S.N.S. de Kouba

La grève qui s’est déroulée à la S.N.S. de Kouba du 1 au 15 octobre 1974 constitue un événement considérable dans l’histoire de la lutte des classes en Algérie depuis l’indépendance. C’est en effet, la première fois, que les travailleurs s’opposent à la politique du pouvoir en déclenchant la Grève Générale et en s’organisant dans un Comité de Grève, élu par les travailleurs, et lui imposant la satisfaction de toutes leurs revendications.

I°) LES ORIGINES DE LA GREVE

Les causes profondes sont à rechercher dans la politique de blocage des salaires dans les entreprises des secteurs publics et parapublics, établi lors de la mise en place de la Commission Nationale des Prix et des Salaires, l’an dernier.

L’usine S.N.S. de Kouba (ex-Carnot) qui occupe 1200 travailleurs constitue (avec l’usine de Reghaia), l’une des 2 usines de première transformation des métaux ferreux produits par le complexe d’El-Hadjar (Annaba) nationalisée en 1968, cette usine avait conservé le système ancien de rémunération des travailleurs, qui en dit long sur la soi-disant nationalisation « socialiste » du pouvoir. En effet, d’après le Directeur Général de la S.N.S., M. Liassine (La République du 24-25 novembre 1974) :

« Le gestionnaire privé fondait la rémunération d’un agent sur la base d’un salaire horaire très bas complété par une prime indexée sur la production de façon relativement élevée (jusqu’à 30 et 40% du salaire de base) et se réservait le plus grand arbitraire dans l’attribution des qualifications professionnelles. »

Retenons cet aveu de M. Liassine : « le plus grand arbitraire » régnait les salaires et la classification des « agents » dans une entreprise du secteur public, arbitraire qui n’a jamais été dénoncé par les dirigeants qui « construisent » le socialisme, ou par la presse.

Le nouveau régime basé sur le statut type des entreprises « socialistes » et fondé sur la mise en place d’un système hiérarchisé de postes, la classification s’effectuant à partir de « l’interview » de chaque agent. C’est là, le système en application dans les usines capitalistes, qui aboutissait à un réajustement de salaires de 2 à 3 % environ pour la moitié des travailleurs (l’inflation est de 40 à 50 % à Alger) et à une diminution des salaires pour les autres travailleurs.

Blocage ou diminution des salaires, mise en place d’un système scientifique d’exploitation de l’ouvrier, voilà la réalité de l’entreprise « socialiste » du pouvoirs des Colonels.

II°) LA GREVE GENERALE

Pour faire avaler cette mauvaise pilule, toutes les précautions avaient été prises : association des responsables de l’U.G.T.A. et de l’Assemblée des Travailleurs de l’Unité (A.T.U.) de 15 membres élus pour 3 ans dans le cadre de la Gestion Socialiste des entreprises et chargés de co-gérer l’usine avec la direction), deux Assemblées d’information des travailleurs par l’A.T.U. …

Et pourtant !

– Le vendredi 4 octobre, jour de la paie, dans le poste de nuit, 4 ouvriers débraient et bloquent les chaînes pendant 2 heures. En application du règlement intérieur qui interdit la grève, ils sont licenciés.

Lundi 7 octobre – Grève Générale des 1200 travailleurs, une heure après l’ouverture de l’usine.

A 10h., l’A.T.U. se réunit, condamne à l’unanimité la grève et appelle à la reprise immédiate du travail. De leur côté, les travailleurs réunis en Assemblée Générale constituent un Collectif (Comité de Grève) élisent leurs délégués et posent leurs revendications : dissolution de l’A.T.U., augmentation des salaires, réintégration des licenciés, suppression de la classification des postes.

Les responsables de l’UGTA et du FLN, venus d’Alger veulent faire reprendre le travail. Ils sont expulsés brutalement.

Le Directeur refuse de discuter avec les délégués du Collectif et décide, avec l’accord de l’A.T.U. de fermer l’usine, car dira-t-il :

« Discuter avec les agresseurs de l’A.T.U. (même si ces agresseurs sont les mandants de l’A.T.U.) aurait signifié les reconnaître comme les représentants du collectif et reviendrait à bafouer l’UGTA et la Charte Socialiste des Entreprises. C’est d’ailleurs pour cela que la Direction n’a négocié au cours de la grève qu’avec l’ATU, alors qu’une autre position aurait probablement permis de trouver une solution plus rapide à la grève. »

Mercredi 9 octobre : le Secrétariat National de l’UGTA appelle les grévistes à une A.G. à la Maison du Peuple à Alger. Elle est boycottée,

« Bien que la Direction ait mis à la disposition du personnel tous les moyens de transport nécessaires, (dira M. Liassine), les travailleurs en grève ont refusé de s’y rendre, ou en ont été empêchés, manifestant ainsi leur méfiance envers l’UGTA »

Lundi 14 octobre : Le lock-out est levé. Mais le travail ne reprend pas.

Mardi 15 octobre : Cette fois-ci, dans un contexte politique différent, les grévistes participent avec leurs délégués à l’AG qu’ils organisent avec l’UGTA, condamnent l’ATU, exigent la réintégration des licenciés et la suppression de la grille « socialiste » de la classification des postes de travail. Des assurances fermes leur étant données sur ces trois points, le travail reprend le jour même.

III°) UNE GREVE POLITIQUE

La Grève Générale de la S.N.S. de Kouba, constitue la première réponse du prolétariat algérien à la politique de « campagne nationale de la production » qui prétnd lier la productivité du travail dans les enterprises du secteur public et semi-public au problème de l’industrialisation du pays et à la résorbsion du chômage des jeunes. Politique, donc, de surexploitation des travailleurs assortie d’ailleurs à un blocage généraldes salaires.

Au cours de cette lutte, les travailleurs ont su réaliser l’unité et trouvé la forme de leur organisation : Le Collectif des délégués élus. Et c’est organisé, qu’ils se sont affrontés aux structures de la soi-disant Gestion Socialiste des Entreprises, comme aux membres des organisations nationales, contrôlées par le pouvoir : l’UGTA et le FLN.

« … Le démarrage de la deuxième étape de la gestion socialiste coïncide avec le départ de la campagne nationale pour la bataille de la production. Le travailleur sensibilisé par cet important objectif placé dans le cadre du collectif, veillera à répondre à cet impératif qu’est la production dont la finalité, tant il est vrai que les intérêts des entreprises et des travailleurs se rejoignent finalement ; Par conséquent, l’appel à l’augmentation de la production prend un relief particulier en ce sens. En effet produire plus c’est importer moins. Ce qui se traduit par une plus grande économie de divises. Ce qui permet une plus grande capacité d’acquisitions de biens d’équipements, donc une industrialisation plus rapide du pays, une plus grande production, et un plus grand nombre de postes de travail pour répondre à la demande des jeunes qui se présenteront sur le marché de l’emploi.
Toutes ces implications de la production sont expliquées ou doivent m’être au travailleur qui ayant compris cet impératif, veillera lui-même à atteindre cet objectif. »
El Moudjahid 4 février 1975

S’il y a du chômage, c’est la faute des travailleurs qui sont paresseux ! Il a fallu dix ans à Boumédienne et à ses plumitifs pour trouver de tels arguments.

Mais si les travailleurs ont manifesté, tout au long de la Grève, leur haine profonde pour les membres de l’ATU, bureaucrates parasitaires, chargés par le pouvoir de faire suer le burnous des travailleurs dans l’usine, ils ont agi d’une manière différente avec l’UGTA. Dans un premier temps, les dirigeants furent chassés, et l’A.G. de l’UGTA boycottée. mais dans un deuxième temps, le lock-out levé, les travailleurs organisés ont participé à une deuxième A.G. de l’UGTA préparée avec leurs délégués élus. Ils ont manifesté par là, que l’UGTA ne doit pas être au service du pouvoir, mais qu’elle constitue le syndicat des travailleurs, la propriété des travailleurs qui paient leurs cotisations et que les dirigeants doivent être au service exclusif de leurs mandants, les syndiqués.

Et c’est parce qu’ils ont reconquis leur syndicat, qu’ils ont pu imposer à la Direction de la S.N.S. la satisfaction de leurs revendications.

C’est là, un événement très important qui montre la voie à tous les travailleurs. Et c’est à juste titre que le pouvoir a considéré cette grève comme politique.

IV°) LE P.A.G.S. AU SECOURS DE BOUMEDIENNE

D’une manière générale, « El Moudjahid », « Révolution Africaine » ou « Révolution et Travail » ne soufflent mot des grèves qui élatent dans le pays : Grève à la Société La Cigogne (Oran), à la SERIG (Arzew), à la COMSPIP (Annaba), où les travailleurs ont arraché la satisfaction des revendications après une grève de 15 jours…

Mais pour la Grève de la SNS de Kouba, le journaliste stalinien Touaregt, a cru bon de publier un article pour condamner la grève, bien sûr, mais aussi la direction qui avait mal appliqué l’esprit de la Charte de la G.S.E., en laissant se développer la grève.

La direction générale se justifia (La République 24-25/11/1974) en expliquant qu’il s’agissait là, d’une grève politique, car après la dissolution de l’ATU

« Cette grève ne peut pas, dès lors apparaître comme une agression politique dirigée directement contre l’esprit et la lettre de la Charte de la Gestion Socialiste des Entreprises. Le conflit qui s’et développé à Kouba, conflit entre un organe de la Charte de la Gestion Socialiste des Enteprises et des agresseurs prend alors valeur d’exemple. »

Touaregt corrige l’analyse de M. Liassine, qui expose brutalement que la lutte des classes existe en Algérie. Pour lui, les travailleurs n’ont pas condamné la G.S.E. mais sa mauvaise application et ils n’ont pas rejeté l’UGTA dont ils sont membres. Il n’y a pas eu de Comité de grève et même pas de grève, mais « un mouvement de masse qui a été déclenché sur une base fausse qui ne justifiait pas la fin de la poursuite du dialogue » avec les ouvriers et le lock-out.

Déformer les faits, diviser les travailleurs, nier la lutte des classes et empêcher à tout prix que les travailleurs ne s’organisent sur leur terrain de classe… tel est le rôle que s’assignent les plumitifs du régime et leurs maîtres à penser, les staliniens du PAGS, qui écrivent dans leur bulletin « La voix du peuple » à propos de cette grève :

« A l’unité d’emballage métallique (ex-Carnot) de la SNS, le travail a repris. Les ouvriers licenciés ont été réintégrés. La classification des postes de travail qui est une des causes de la grève, est en cours de réexamen.

Ce dénouement positif est un succès pour tous les partisans du secteur d’Etat de l’indépendance économique. C’est le résultat de leurs efforts communs qu’ils soient ouvriers de l’unité, dirigeants de la centrale UGTA, cadres patriotes de la SNS (sic), du ministère de l’industrie ou d’autres milieux politiques au sein et au dehors du pouvoir.

Dans cet esprit, la réflexion commune et le dialogue doivent s’approfondir, en même temps que l’action unie, autour des enseignements de portée nationale, de ce qui s’est passé dans cette unité de la SNS. Car on retrouve les mêmes problèmes sous différentes formes dans un grand nombre d’autres unités de secteur d’Etat…

… Avant l’obligation du recours à la grève, il est indispensable de tenter auparavant toutes les autres possibilités de solution et de luttes. Il faut gagner l’appui des larges milieux patriotiques (Les Directeurs bourgeois gagnent des fortunes ? et éviter ainsi l’isolement (?) ».

Eviter à tout prix que les travailleurs n’affrontent le gouvernement « patriote » de Boumediene et des Colonels de l’A.N.P., telle est la politique actuelle du PAGS. Mais les travailleurs, forts de leur expérience, diront :

– Non à la politique de blocage des salaires, dont les ouvriers font seuls les frais.

– Non à la classification des postes dans les usines.

– Non au statut des entreprises du secteur public.

– Non au travail forcé gratuit, dit « volontariat ».

– Non à la campagne nationale de production, car c’est le régime qui est responsable du chômage des jeunes, pas les travailleurs.

– Non aux ATU et à la Charte de la Gestion Socialiste des Entreprises, qui n’ont pour objet que de faire suer le burnous.

– Indépendance de l’UGTA, vis-à-vis du pouvoir. L’UGTA aux seuls syndiqués, les permanents au seul service de leurs mandants, les travailleurs, pas de patrons et de l’Etat bourgeois de Boumédienne.

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