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Les étudiants contre Boumedienne

Textes parus dans Tribune algérienne, n° 7, juillet 1976, p. 1621

« Charte nationale : pour une participation constructive », (photo publiée dans El Djeich, n° 157, juin 1976, p. 6)

Le débat caporalisé que voulait imposer Boumedienne autour de son projet de Charte a été saisi par les étudiants d’Algérie comme l’occasion de dresser leurs revendications dans un affrontement politique contre le régime de Boumedienne. Dans la situation de crise politique qui règne aujourd’hui à Alger, la grève des étudiants est un signe avant-coureur de la plus grande importance.

Depuis le 17 avril, jour de la publication de l’avant-projet de Charte lancé par Boumedienne, « l’Algérie vit à l’heure de la Charte » comme ne cessent de l’affirmer la presse, la radio, la télévision qui procèdent à un véritable matraquage de la population. Et cela parce que la plupart des Algériens ont vite compris que la Charte n’était qu’un recueil de citations des discours de Boumedienne, que le jeu était truqué et que le pouvoir ne cherchait qu’à démocratiser sa façade, mais sans toucher à l’essentiel.

Inutile de chercher un bilan chiffré permettant d’apprécier les résultats des « révolutions agraire, industrielle et culturelle » une analyse et des solutions ail chômage massif des femmes et de la jeunesse, à l’inflation, à la misère croissante à la crise du logement, à l’émigration…

Ce n’est pas l’objectif de la Charte, qui lorsqu’elle sera approuvée par un référendum plébiscite deviendra la philosophie de la Révolution à ne pas confondre avec la constitution qui sera élaborée par le pouvoir – et non par une Assemblée constituante élue au suffrage universel – et soumise à un autre référendum-plébiscite, qui constitue le summum de la démocratie dite populaire en Algérie.

Le coup d’envoi du débat « national et démocratique » a été lancé par le discours de BOUMEDIENNE à la salle HARCHA le 1er mai. Peu d’Algériens ont pu participer à ce meeting, car la salle était dès l’ouverture remplie à moitié par les « citoyens » policiers, militaires et fonctionnaires qui allaient constituer une claque sonore. Mais à la tribune, on pouvait remarquer le dernier carré des membres du Conseil de la révolution qui faisaient plus figure d’otages, silencieux et n’applaudissant que rarement et du bout des doigts.

Le débat qui s’est engagé dans les quartiers, les forums, les entreprises, a vite tourné court, car les animateurs, c’est-à-dire les préfets et leurs adjoints, les responsables du FLN, les officiers et les hommes connus du pouvoir, censurent, écartent ou font taire ceux qui parlent de leurs problèmes ou des libertés démocratiques, du chômage, des salaires, de la corruption, de l’arbitraire exerce par l’armée et la police. Chaque fois, on impose que la discussion revienne à l’essentiel, à savoir, « d’enrichir par des idées, des suggestions et des avis » le projet de Charte.

Et de même, la presse laisse le débat s’engager largement sur l’islam, l’éducation… mais censure ou publie une contre-opinion, lorsqu’on aborde la question de l’armée, des libertés démocratiques, de la censure et de l’arbitraire. Ainsi, la presse ne trouve pas de place pour parler de la lutte des classes qui se déroule actuellement en Algérie dans les usines, où les travailleurs luttent ouvertement contre le blocage des salaires, les nouvelles normes de production, la classification des postes, le volontariat qui tend à devenir obligatoire, et à l’université d’Alger.

Réunis pour discuter de la Charte, les étudiants de Sociologie ont rapidement brisé le cadre proposé par les « animateurs » et transformé le « forum » en une véritable assemblée générale, et ont discuté, pendant trois jours (26-28 avril) de leurs revendications : opposition à la réforme de l’enseignement visant à américaniser l’université, à la sélection, aux faux diplômes, à l’insuffisance des bourses, au manque de professeurs… ils s’opposaient aux militants staliniens du PAGS et du Comité du volontariat pour la révolution agraire (CVRA) qui cherchaient à briser la grève et le cadre de l’assemblée générale, où étaient débattus démocratiquement, et sans « animateurs » représentant le pouvoir, les véritables problèmes des étudiants. Dans différentes motions, le PAGS chercha à opposer des motions de soutien au pouvoir avec les motions des étudiants, mais en vain.

De la même façon, le recteur fut dissuadé de faire appel à la police. Le résultat, ce fut le ralliement d’une partie des membres du CVRA aux motions étudiantes, l’expulsion brutale des dirigeants du PAGS – acharnés à défendre le pouvoir – et l’extension du mouvement aux autres facultés : Lettres, Sciences Politiques, Droit, Sciences, et à quelques lycées.

Le mouvement a touché la cité de Bon Aknoun, où 500 étudiants ont été expulsés sous le faux prétexte de « non paiement de loyers ». Mais leurs camarades, pour une large partie membres du CVRA, ont déclenché, malgré l’opposition des dirigeants du PAGS, une grève de la faim, brisé la vaisselle et le mobilier, et imposé au directeur de réintégrer les exclus.

Ce mouvement à l’université présente la plus grande importance, non seulement parce qu’il montre la détermination des étudiants à combattre la politique réactionnaire du pouvoir, et à se doter au cours de leur combat d’organismes élus démocratiquement, mais aussi parce qu’il se situe dans le cadre de la décomposition du régime militaro-policier actuel, qu’il en accentue les fissures, et qu’il annonce un développement de la lutte des classes en Algérie.


A PROPOS DE LA GREVE DU 28 MAI, les étudiants déclarent :

« Les travailleurs ont su distinguer dans leur action leurs VRAIS AMIS DE LEURS FAUX AMIS »

Les enseignants de l’Université d’Alger se sont mis en grève le 28 mai 76 pour leurs revendications. Comme le démontre le tract rédigé et distribué par les étudiants, cette grève a été décidée démocratiquement en A.G. (618 pour, 2 contre, 1 abstention) par les travailleurs, et a rencontré le soutien massif des étudiants (pétitions de soutien signées par les étudiants et adressées à la section syndicale du Supérieur).

Nous reproduisons ci-dessous le tract rédigé et diffusé par la F.T.E.C., le SNESup, et l’Union territoriale d’Alger-Centre (UTAC). Chacun sait que la F.T.E.C. et l’UTAC sont très fortement influencées par le P.A.G.S. (Parti d’avant-garde Socialiste – P.C.A.)

Chacun constatera que le PAGS condamne – au nom de la Charte – la grève des enseignants ! Ce n’est pas la première fois. Qu’on se souvienne du mouvement des étudiants en avril 75 (élections à la Conférence à l’UNJA), où le PAGS avait dénoncé les étudiants comme des « Frères musulmans » ! Qu’on se souvienne de la grève des dockers où, là encore, ils ont condamné la grève des travailleurs !

C’est parce qu’il s’accroche bec et ongles au régime militaro-policier de
Boumediène que le PAGS condamne les travailleurs. La politique a sa logique !

Les étudiants et les travailleurs de l’Université d’Alger ont raison !

Ils ouvrent la voie au combat nécessaire des travailleurs et du peuple algérien contre le régime, pour la satisfaction des revendications, pour les droits et libertés démocratiques, pour le socialisme.


UNION GENERALE DES TRAVAILLEURS ALGERIENS
Bureau Fédéral de la FTEC
– Union de Wilaya d’Alger
Syndicat National de l’Enseignement supérieur
Union territoriale d’Alger-Centre

Appel aux travailleurs de l’université d’Alger-Centre

Des membres du conseil syndical de l’université ont pris la lourde responsabilité d’entraîner une partie des travailleurs dans une aventure politique en décidant d’une grève aujourd’hui, au moment même où notre peuple débat démocratiquement pour une Charte Nationale progressiste, révolutionnaire et socialiste, et où se tiennent les assises du conseil national de l’UGTA.

Il ne s’agit pas d’un fait nouveau. Déjà, au moment de la tenue de la Conférence nationale de la jeunesse, ils ont agi de concert avec les réactionnaires, pour tenter de créer des troubles à l’université par la signature d’une pétition appelant à des marches et grèves.

En novembre dernier, au moment où notre pays faisait face à des menaces de l’impérialisme et de la réaction, ils ont tenté une marche.

Aujourd’hui, ils se démasquent clairement aux yeux de toutes, les forces
progressistes mobilisées autour du débat pour une Charte Nationale garantissant le renforcement de l’option socialiste et l’approfondissement de la révolution.

Il s’agit de menées d’un groupuscule gauchiste qui tentent, comme l’indique la Charte Nationale de faire »le lit de la réaction ». Ils trompent même les travailleurs en diffusant les rumeurs disant qu’ils sont soutenus par « des hautes personnalités » (qui ?).

L’utilisation, des problèmes sociaux est une manœuvre connue. Les problèmes des travailleurs sont légitimes.

Certains sont en voie de solution, une série de réunions engagées entre le ministère concerné et les instances syndicales ont déjà abouti à une fixation de délai pour des problèmes fondamentaux comme le reclassement et la promotion, la titularisation de tous les AM, la création de coopératives de consommation etc.

D’autres nécessitent des actions en profondeur qui passent par la refonte de tout le statut de la fonction publique, comme le précise l’avant-projet de la Charte Nationale. Le manque d’intérêt accordé à la résolution de certains problèmes par certains responsables administratifs ne s’explique pas et fait le jeu de ceux qui les utilisent.

Tout en attirant l’attention de toutes les autorités concernées pour le
règlement des problèmes sociaux en cours, les instances syndicales BF FTEC, UWA, SNESup UTAC, APPELLENT LES TRAVAILLEURS :

– à dénoncer et combattre les agissements de ce groupuscule qui porte atteinte à leurs intérêts légitimes et ceux de la révolution ;

– à rester vigilants et mobilisés pourvue le débat sur l’ avant-projet de la Charte Nationale aboutisse à la réalisation des objectifs de la révolution socialiste.

Alger, le 28 mai 1976

Bureau Fédéral de la F.T.E.C. Union de Wilaya d’Alger Syndicat National de l’Enseignement Supérieur Union Territoriale d’Alger-Centre


LA REPONSE DES ETUDIANTS

Tract diffusé par les étudiants

Les travailleurs de l’université d’Alger ont procédé le vendredi 28 mai 1976 à un arrêt de travail en signe d’avertissement et ce, dans le but de faire valoir leurs revendications légitimes telles que la contractualisation des vacataires ; le fonctionnement immédiat des commissions paritaires en vue du reclassement ; révisions des critères d’attribution de logement etc. Et mettre fin également à l’arbitraire de l’administration. Et si d’ici peu, de justes solutions ne sont pas apportées à leurs problèmes, il est certain que les travailleurs ne manqueront pas de prendre les décisions adéquates pouvant aller jusqu’à la grève illimitée et ce, pour arracher leurs droits, qui ne vont nullement à l’encontre de la construction du socialisme, comme semble le faire croire certains milieux opportunistes. Il est tout à fait surprenant qu’à la suite de l’arrêt de travail, certains travailleurs se sont vus menacés directement et chose beaucoup plus grave, à l’heure où il est question de démocratie, une répression policière s’abat sur certains d’entre eux, les forces de police ont violé le domicile de certains travailleurs, en effectuant des perquisitions suivies de brutalités.

Par ailleurs et toujours dans le but de briser l’action des travailleurs, l’administration a tenté en vain de les isoler, appuyée lâchement en cela par certains enseignants et assistants de l’université qui ont essayé d’assurer normalement des cours et des T.D. Cette attitude se retrouve également au niveau d’une fraction estudiantine minoritaire, qui ne représente qu’elle même, qui a essayé également à sa manière, par des slogans creux et un langage politique pseudo-révolutionnaire (comme à l’accoutumée) de briser l’action des travailleurs.

Dans le même ordre d’idée, l’aristocratie ouvrière de l’UTAC n’a pas manqué de se manifester en diffusant des tracts fallacieux et calomnieux, qualifiant l’action de masse décidée librement par la majorité écrasante des travailleurs (618 voix pour ; 2 contre ; 1 abstention – AG du 15/5/1976), comme étant une action « manipulée par un groupuscule « gauchiste ».

MAIS QUOIQU’IL EN SOIT, LES TRAVAILLEURS ONT SU DISTINGUER DANS LEUR ACTION LEURS VRAIS AMIS DE LEURS FAUX AMIS.

Face à cette situation, il est évident que nous ne pouvons, en aucune façon, rester indifférent aux problèmes qui se posent aux travailleurs dans l’enceinte de notre université car ce serait cautionner par notre silence l’arbitraire et l’atteinte aux libertés démocratiques et syndicales.

C’EST POURQUOI NOUS DEVONS ETRE PRETS A AGIR D’UNE MANIERE EFFICACE POUR SOUTENIR INCONDITIONNELLEMENT L’ACTION QUI SERA DECIDEE PROCHAINEMENT PAR LES TRAVAILLEURS. NOUS DEVONS ETRE PRETS SI LA NECESSITE SE FAIT SENTIR DE DECLENCHER UNE GREVE EN SIGNE DE SOLIDARITE AVEC LES TRAVAILLEURS.

Enfin les étudiants tiennent à saluer chaleureusement le courage politique et physique des travailleurs qui par leur exemple, le premier dans les annales de l’Université, PORTENT UN COUP PERCUTANT AU SYSTEME DE TERREUR POLITIQUE QUI SEVIT EN ALGERIE.

Lis et diffuse ce tract


LETTRE A L’A.G.E.A. du C.L.T.A.

Association Générale des Etudiants Algériens

Nous publions ci-dessous une lettre rédigée le 26 mars 1976 par le C.L.T.A. et communiquée à l’A.G.E.A., proposant à celle-ci une discussion préparatoire à la mise en place d’une campagne commune pour les libertés démocratiques en Algérie. Chacun constatera en lisant cette lettre que le C.L.T.A., qui combat en Algérie et dans l’émigration (cf. déclarations et prises de positions publiées dans ce numéro) sur ce mot d’ordre, respecte la nature et la fonction des organisations syndicales, notamment leur indépendance par rapport à tout parti et au pouvoir. Nous regrettons de n’avoir reçu à ce jour aucune réponse de cette association, qui, par ailleurs, affirme combattre pour les libertés démocratiques. Les « arguments » qui nous ont été avancés oralement (encore une fois nous n’avons reçu aucune réponse écrite à cette lettre !) par un certain nombre de militants de l’AGEA, pour refuser de mener cette campagne ne manquent pas.

Selon certains, le C.L.T.A. (dont le mot d ‘ordre aujourd’hui est la
Constituante algérienne souveraine, comme moyen de mobilisation des masses algériennes, – en premier lieu le prolétariat s’appuyant sur la paysannerie et la jeunesse – contre le régime de l’arbitraire)… fait, après « l’appel des 4 » (KHERREIDINE, LAHOUEL, ABBAS, BEN KHEDDA) le jeu de la réaction !

Pour d’autres, le fait que le C.L.T.A. déclare qu’il est prêt à agir avec tous ceux qui (groupes, militants, partis ou organisations) font leur ce mot d’ordre), revient à soutenir les « 4 »… et la bourgeoisie !

Pour d’autres enfin, (la majorité de la direction de l’AGEA sans doute, car nous espérons que cette lettre a été discutée dans les instances syndicales de l’AGEA et que la « non-réponse » relève d’une prise de position démocratique — Pourquoi ne pas la faire connaître par écrit ?)… l’AGEA ne peut pas passer d’accord avec le C.L.T.A., car cela apparaîtrait comme « une manipulation » de l’AGEA par le CLTA !

Comme si les ennemis de l’AGEA se gênaient d’expliquer que celle-ci
est déjà « manipulée » par les trotskystes !

Tout ceci n’est qu’ « arguties »pour refuser le combat nécessaire et inévitable que mèneront le peuple algérien et sa jeunesse pour ses droits et libertés légitimes.

Quoiqu’il en soit, nous laissons nos lecteurs juges de ces procédés !

2 réponses sur « Les étudiants contre Boumedienne »

Et en même temps Boumediene, qui avait fait ses études à la mosquée de la Zitouna à Tunis, ne cessait de rendre visite aux membres du pouvoir tunisien qui le recevaient avec faste. On fermait les établissements scolaires pour que les élèves aillent l’applaudir lors de son passage dans les avenues de Tunis.
Jusqu’au jour où on a eu vent de son plan d’annexer la Tunisie à l’Algérie, et de relier le Chatt El Jerid á la Méditerranée… alors que Gadafi avait le même projet… d’où la création de la République tuniso-libyenne en 1973, vite dissoute…
Et pendant cela les peuples, ouvriers et étudiants se révoltaient contre leurs pouvoirs despotiques…

Peuple frères… On assistera peut-être un jour à la création d’une fédération nord-africaine. Mais elle se pourra se faire que contre le despotisme et les frontières !

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