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Meulan : de l’embauche à la Cour de Sûreté le trafic continue

Article paru dans Tout !, n° 2, 8 septembre 1970, p. 8


M. Aguiton, du-Parquet-du-Procureur-Général-auprès-de-la-Sûreté-de-l’Etat est chargé de soutenir l’accusation contre notre frère Marc HATZFELD lors du procès qui doit avoir lieu prochainement. Marc Hatzfeld est à la Santé depuis plusieurs mois pour l’affaire du Bureau de la Main-d’Œuvre de la Mairie de Meulan.

De quoi s’agissait-il ? le réquisitoire définitif dont « TOUT » s’est procuré le texte intégral permet de comprendre ce qui sera en jeu dans ce procès. Ce texte rappelle que le 6 mars 1970, une trentaine de militants investirent la mairie de Meulan et plus particulièrement le Bureau de « l’Agence Nationale de l’Emploi » :

Le tract distribué par les manifestants sur la voie publique est intitulé « A bas l’embauche – trafic », et signé « Groupe ouvrier – étudiant d’action populaire ». Il contient une violente critique contre le bureau d’embauche de Meulan accusé de « complicité » avec un « gang d’embauche des travailleurs immigrés », « l’administration » et la Régie Renault. Il fait allusion aussi aux « conditions de vie réservées aux travailleurs immigrés » et contient notamment les phrases suivantes :

« Aujourd’hui, la bourgeoisie a peur. Elle a peur des luttes menées en commun par les ouvriers et les étudiants, ainsi qu’on a pu le voir ces derniers jours, à Nanterre, quand elle a envoyé des flics. Elle a peur de l’unité de lutte des travailleurs français et immigrés qui est la principale garantie dans les luttes à l’usine et dans les quartiers. »

Manifestement, les organisateurs et participants à l’agression s’étaient préparés à lutter contre les résistances qu’ils pouvaient rencontrer à l’occasion de leur intrusion dans les locaux publics.

En effet, les manifestants qui avaient investi le local de la Main-d’Œuvre étaient aussi entrés dans la mairie pour faire connaitre à la population le sens de l’action entreprise. Peu après, des gendarmes et des employés municipaux tentèrent d’intercepter les militants. Mais dit le réquisitoire :

« A chaque fois ils furent libérés par leurs camarades qui opposèrent une résistance opiniâtre aux forces de l’ordre ». Malgré l’arrivée des gendarmes en renfort et du personnel du Commissariat de Police de Meulan aucune arrestation ne put être opérée sur le champ. »

Cependant Marc Hatzfeld avait été reconnu à la suite de l’intervention de Meulan. Il devait être arrêté avec un tract dans sa voiture de « VIVE la REVOLUTION » qui appelait les ouvriers de Flins à participer aux manifestations des Journées du 27 et 28 mai. Le réquisitoire mentionne alors l’explication donnée par notre camarade lors de son interrogatoire à propos de l’affaire de Meulan.

Il a expliqué que quelques semaines avant les faits, ses camarades et lui avaient « collectivement », personne d’entre eux ne jouant le rôle de chef, décidé d’entreprendre une « action de propagande » contre la mairie de Meulan pour protester contre le « trafic de main-d’œuvre émigrée » auquel seraient associées, selon lui, des personnes travaillant au bureau de la main-d’œuvre. Ce trafic consistait à utiliser des « rabatteurs » pour faire venir la main-d’œuvre du Maroc ou du Nord de la France, en exigeant des travailleurs émigrés ainsi recrutés des sommes variant entre 500 et 2 000 francs suivant les capacités physiques des intéressés et les documents dont ils disposaient, pour leur fournir les pièces qui leur manquaient et les faire embaucher aux usines Renault.

Ces faits étaient tellement de notoriété publique que le Juge d’Instruction lui-même devait en reconnaître la crédibilité puisque le réquisitoire poursuit plus loin…

Le Magistrat Instructeur a fait vérifier s’il était exact qu’un « trafic d’embauche » était pratiqué dans la région de Meulan – Flins. Des renseignements fournis par les services de police, il résulte qu’effectivement un certain Dupont Marcel a été soupçonné de se faire remettre des sommes d’argent par des travailleurs étrangers pour faciliter ou faire faciliter leur embauche par les entreprises de la région, notamment la Régie Renault, et sous le prétexte d’obtenir la remise de documents administratifs par le bureau de la main-d’œuvre de Meulan. Une information ouverte au Tribunal de Versailles sur ce point a été close le 4 juin dernier par une ordonnance de non-lieu. En effet, s’il a été établi que le nommé Dupont faisait signer par des travailleurs étrangers des contrats pour les conseiller dans leurs démarches et recevait à ce titre des rétributions importantes, les éléments constitutifs du délit d’escroquerie, ou de toute infraction, n’ont cependant pas été relevés en l’espèce. L’existence d’une fraude fiscale a seulement été démontrée.

CONTRE QUI, LE REQUISITOIRE ?

Contre Marc ? Si on lit bien ce qui précède, certainement pas.

Le texte d’Aguiton le montre : on ne peut retenir, quand on est la Justice des Cours, que la « fraude fiscale » contre des trafiquants de main-d’œuvre. En d’autres termes, trafiquez, mais n’oubliez pas de donner sa part à l’Etat.

Si les travailleurs immigrés avaient attendu les réquisitoires des procureurs, le trafic aurait continué de plus belle.

Ce que montre le réquisitoire, c’est que le peuple doit s’habituer à se rendre Justice lui-même.

Quatre mois de prison préventive pour Marc, et Dupont (ancien commissaire de Police à Alger, en particulier du temps de l’O.A.S.) court toujours.

A la suite d’actions comme Meulan (rappelez-vous les journaux de
l’époque) la loi « anti-casseurs » fut mise en place. La Cour de Sûreté de l’Etat est aussi une Juridiction « d’exception ». Exception de quoi ? Vos exceptions ne font que confirmer votre règle. Par exemple laisser dormir les négriers sur leur matelas de billets et mettre en taule ceux qui se sont attaqués au trafic.

Devant une engueulade, un chien saute en général à la gorge de celui qui gueule le plus fort. Qui a raison, il s’en fout. La justice bourgeoise ne s’attaque pas au scandale feutré du trafic de main-d’œuvre : elle hurle au scandale contre ceux qui ont barbouillé une mairie pour le dénoncer.

L’action de Meulan était en France l’un des premiers exemples où des militants ont fait le procès que réclamaient les travailleurs.

Début de justice populaire, elle est légitime, dans les formes qu’elle a prise, puisqu’elle a réussi à dénoncer et faire cesser pendant un certain temps le trafic. Elle disait tout haut ce que pensaient des milliers de travailleurs. Nous la rendrons publique par tous les moyens.

Cet article ne fait que commencer cette campagne, que nous voulons continuer partout. Nous dirons tout sur Flins, sur le trafic de l’embauche, sur ce procès.

Alors, Monsieur Aguiton, contre qui ce réquisitoire ?

2 réponses sur « Meulan : de l’embauche à la Cour de Sûreté le trafic continue »

Qu’auraient-ils fait de nos jours ces étudiants face à l’ampleur du problème des sans papiers ??

Autres temps, autre mœurs… On ne peut que constater la dépolitisation du milieu étudiant.

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