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Algérie. La montée de l’intégrisme islamique et la lutte pour la laïcité de l’Etat

Textes parus dans Inprecor, n° 143, 14 février 1983, p. 15-18


LE 2 novembre 1982, des affrontements violents éclataient entre étudiants progressistes et intégristes à la cité universitaire de Ben-Aknoun, près d’Alger. L’étudiant Amzel Kamel était tué par les nervis intégristes, et quinze autres étaient sérieusement blessés. Protestant contre les agissements meurtriers des activistes intégristes, 7 000 personnes accompagnaient les funérailles du jeune Kamel. En riposte, les intégristes organisaient à leur tour un rassemblement de 8 000 personnes, le 12 novembre, devant la Faculté centrale d’Alger, malgré la présence d’un fort dispositif policier.

Craignant l’essor d’un tel courant, le pouvoir réagissait en décembre, en dénonçant les menées intégristes et en suggérant la présence à l’arrière-plan d’influences étrangères. La Libye pourrait être visée. Le procès de 23 intégristes accusés d’appartenir à des organisations subversives était annoncé. En janvier 1983, perquisitions, ratissages et arrestations continuaient.

La propagande des courants intégristes exprime la plupart du temps un projet ouvertement réactionnaire. Ainsi, leurs tracts clandestins réclament la proclamation d’une « République islamique algérienne » dont la Constitution serait le Coran. Ils dénoncent « l’idéologie marxiste suivie par l’Etat » et demandent que « toutes les terres spoliées dans le cadre de la révolution dite agraire soient restituées à leurs propriétaires ».

Mais ce mouvement s’appuie sur un phénomène social profond, dont les mutations sociales, la croissance démographique rapide, le déracinement des masses rurales constituent le fondement. Ainsi, des mosquées « sauvages » se sont multipliées dans les garages, les appartements, les cités populaires, mais aussi dans les facultés ou les hôpitaux. Les prédicateurs échappant au Haut Conseil islamique s’y montrent souvent plus incisifs que le clergé bureaucratisé des mosquées officielles. N’importe qui peut prendre la parole pour dénoncer la corruption ou l’arrogance des nouveaux riches. Ainsi prend forme et circule un discours politique souterrain qui, dans le cadre d’un système de parti unique, ne trouve pas la possibilité de s’exprimer directement.

La Constitution et la Charte ratifiées par référendum en 1976 font de l’islam la religion d’Etat. A côté du ministère des Affaires étrangères, un Haut Conseil islamique veille à la propagation de la pensée islamique. Rétribués par le gouvernement, les imams ont le statut de la fonction publique et ils officient dans des mosquées dont la multiplication est prévue par le Plan. Mais à côté des édifices religieux financés par les fonds publics apparaissent, de plus en plus nombreux, des édifices construits glace à des souscriptions privées, sans entraves administratives. Depuis la création de l’Ecole fondamentale, d’une durée de neuf ans, sous tutelle du ministère de l’Enseignement, il n’y a plus d’établissements confessionnels privés, mais les centres culturels islamiques se sont multipliés, et le ministre des Affaires religieuses a rappelé que la mosquée a, dans l’islam, aussi fonction d’université.

Les mesures répressives prises ces deux derniers mois contre le courant intégriste semblent marquer un coup d’arrêt de la politique de tolérance, voire de bienveillance, jusque-là suivie par le pouvoir. En décembre, les déclarations du président de la République, Chadli Benjedid, ont exprimé une sérieuse mise en garde contre « les éléments qui brandissent des slogans à caractère social, idéologique et religieux » et « veulent inciter le peuple à se refermer sur lui-même et à se noyer dans de faux problèmes n. Il a même laissé entrevoir la possibilité de mobiliser le parti (le FLN) et ses organisations de masse satellites pour organiser un contre-feu : « Certains appellent à la paralysie totale de la société en voulant cloîtrer la femme. Je me demande quel est l’avis de la militante qui a combattu aux côtés de l’homme et qui participe aujourd’hui, toujours à ses côtés. à l’édification nationale. » Pourtant, les autorités étaient peu soucieuses de ce rôle de la femme quand elles proposaient, il y a quelques mois encore, un Code de la famille institutionnalisant l’oppression des femmes et restaurant officiellement les traditions de soumission au père et au mari.

Chadli Benjedid craint surtout que le courant intégriste ne soit un obstacle sur la voie de l’ouverture à un capitalisme plus classique et à l’impérialisme. Dans le numéro 8 de leur bulletin Et Taliaa, nos camarades algériens du Groupe communiste révolutionnaire fournissent une analyse du phénomène intégriste, qui veut éviter aussi bien le jugement simpliste, isolant les effets idéologiques de leurs racines sociales, que les conclusions manichéennes conduisant à soutenir les intégristes pour la simple raison qu’ils s’opposent au pouvoir. Ils considèrent que le pouvoir du FLN, comme l’intégrisme lié aux mosquées, constituent deux obstacles sur la voie de la conquête de l’indépendance de classe et des libertés démocratiques.

C.D.


« ET TALIAA »

Le courant des Frères musulmans, né en Egypte (1), et l’ensemble des organisations apparentées, est d’abord l’expression du conservatisme de la bourgeoisie réactionnaire, en particulier de la bourgeoisie agraire. Malgré son implantation populaire, il est avant tout un courant réactionnaire et pro-impérialiste.

Le schématisme théorique des stali­niens du Parti d’avant-garde socialiste (PAGS) les amène à identifier tout courant islamique ou arabophone, voire mê­me nationaliste, aux Frères musulmans. Les oulémas (2) du cheik Ben Badis se sont caractérisés, dans le passé, par leurs liens avec la bourgeoisie agraire, leur opposition au mot d’ordre d’Indépendan­ce et leurs perspectives assimilationnistes (3). Mais, malgré leur conservatisme, on ne peut les qualifier simplement de réactionnaires. Ils font, objectivement, partie du mouvement national algérien.

La révolution iranienne est venue ajouter, à partir de 1978, une nouvelle dimension au phénomène intégriste. Malgré son programme rétrograde — en particulier sur les femmes et les nationalités —, malgré les velléités pro-impérialistes de certains, malgré le maintien des généraux du chah, la direction nationaliste radicale autour de Khomeini a été propulsée par les masses iraniennes à la tête de la lutte anti-impérialiste.

Plusieurs éléments fondamentaux doivent être retenus. L’islam n’occupe pas la même place que le christianisme dans la révolution démocratique. Si l’Egli­se catholique a pu être combattue par la Révolution française, ce n’est pas strictement au nom du rationalisme, mais parce qu’elle apparaissait clairement aux masses comme une partie de l’Etat féodal. Or l’oppresseur impérialiste ne se réclame pas de l’islam, même si, accessoirement, il a pu l’utiliser pour asseoir sa domination. Au contraire, l’islam a joué un rôle important pour marquer l’identité nationale des « musulmans algériens » qui tenaient à se démarquer des colons (algériens eux aussi), et les masses n’ont pas encore une assez longue expérience des classes dominantes locales pour marquer cette rupture.

Une autre dimension est à retenir : l’absence d’une direction ouvrière révolutionnaire menant le combat démocratique, comme en Chine et au Vietnam. L’échec des directions bourgeoises, y compris les plus radicales, dans l’effort de modernisation économique, permet aux courants intégristes de capter une partie des aspirations des masses.

Depuis les groupuscules intégristes des années 1970 jusqu’à l’audience de masse de ces courants, après la révolution iranienne et après l’échec du projet de Houari Boumedienne, mort fin 1978, la différence est grande et le chemin parcouru considérable.

Un réseau s’organise autour des mosquées

C’est dès le début des années 1970, au moment même de la mise au pas du mouvement étudiant et après le musellement de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), qu’apparaît le courant intégriste en Algérie. Il se revendique de l’islam militant contre l’agression du modernisme. Il s’attaque d’une manière modérée au pouvoir et regroupe quelques anciens militants de l’Asso­ciation des oulémas écartés de l’appareil d’Etat dès 1965.

Ce courant intégriste connaît alors un certain succès auprès des intellectuels, mais son influence de masse reste limitée. La révolution iranienne donne un nouveau souffle à ce mouvement, à partir de 1978. Ses militants s’implantent progressivement dans les quartiers. Il rencontre un certain écho auprès des masses populaires lassées de la politique d’austérité.

Ce courant bénéficie de la marge de manœuvre de cette période qu’on peut qualifier d’ouverture « démocratique », en particulier des 1979 : liberté de prêcher sans l’accord du ministère des Affaires religieuses et disparition des imams désignés par le pouvoir. Imitant les formes d’intervention des militants de la révolution islamique, ils s’implantent dans les quartiers en se basant sur la mosquée.

La mosquée va être le lieu privilégié où se rallient toutes les mouvances intégristes, instituant ouvertement un réseau organisationnel informel. Tolérée par le pouvoir pour contrebalancer le courant gauche, la mouvance intégriste va connaître un essor considérable. Elle se dote, dès l’année 1979, de structures d’organisation qui serviront à son travail de masse. La mosquée devient le lieu idéal pour faire ouvertement de la politique, une tribune permanente et efficace par laquelle la mouvance intégriste capte une fraction significative de jeunes et des couches plébéiennes qui viennent renforcer massivement ce courant.

Dans les mosquées se développent des organes par les biais desquels vont être structurés un grand nombre de jeunes désœuvrés. Les « équipes sportives de croyants » en ont constitué le premier jalon, puis cela a été le tour des fameux « comités d’entretien de la mosquée », autour desquels gravitent énormément de jeunes, et qui sont plutôt des cercles larges d’islamisation où les militants intégristes font un travail de propagande. La khalka, qui permet de parfaire l’éducation idéologique, coiffe toute cette activité.

Malgré le degré d’organisation stricte qui semble exister, les intégristes ne constituent pas un parti. C’est une mouvance qui se cristallise autour d’individus ou de personnalités religieuses. C’est pourquoi il existe une infinité de nuances où se retrouvent, sur un programme réactionnaire qui semble constituer le consensus, des courants modérés comme « Ashab Shora » et « Ashab Edoua », et des courants extrémistes comme « Djounoud Allah » et « Achab el Djihad », etc.

Les uns proposent d’utiliser la violence sous toutes ses formes. Ils préconisent « une djihad (guerre sainte) permanente contre tout ce qui est contraire à la seule Constitution : le Coran ».

D’autres pensent qu’il n’y a pas lieu de rechercher des épreuves de force qui affaibliraient le mouvement, et que la seule voie reste une propagande continue au sein des masses, tout en négociant avec le pouvoir. Ces deux attitudes, qui semblent s’exclure, convergent au niveau du programme :

—  Le refus de l’expression des autres courants, particulièrement les com­munistes ;
—  Le respect de la propriété privée ; l’abrogation du droit des femmes au travail ;
—  L’abrogation de la mixité dans toutes les institutions ;
—  La restriction de la liberté de la presse ;
—  La garantie de l’institution familiale.

Cette unité programmatique entre les courants de la mouvance intégriste s’est exprimée dans un organe clandestin, Etedkir, avant même qu’elle ne se soit exprimée lors du regroupement de masse à la faculté centrale d’Alger, le vendredi 12 novembre 1982, dans le fameux programme en 14 points.

La recomposition du pouvoir autour du président Chadli Benjedid, à partir du début 1979, se poursuit. Après une offensive (en 1980 et 1981) contre le mouvement berbère (Kabylie), lequel s’est tassé depuis, la caporalisation de l’UGTA, la répression du mouvement étudiant algérois, la normalisation de l’Union nationale des jeunesses algériennes (UNJA), le pouvoir veut en finir avec les intégristes, qui lui ont été utiles, mais dont il ne veut plus, à cause essentiellement de leur implantation en milieu populaire.
« ET TALIAA », numéro 8
Alger, novembre 1982.

L’EMERGENCE D’UN POLE INTEGRISTE

En Algérie, les courants intégristes se sont inspirés de l’islam populiste de Muammar al Kadhafi en Lybie (à partir de 1969), puis de la révolution iranienne. Ils se sont aussi nourris de l’enfermement des progressistes dans l’intelligentsia francophone. Depuis les notables réactionnaires, prêts à composer pour sauver leurs terres, issus de la tradition des oulémas, jusqu’aux activistes de ces dernières années, il y a une recomposition des courants.

Les intégristes sont de plus en plus un courant urbain, implanté d’abord et surtout dans les couches plébéiennes, les déclassés (chômeurs, délinquants), les commerçants, les enseignants, mais aussi parmi les travailleurs, employés et ouvriers.

Leur développement se nourrit, sur le terrain social, de l’impasse économique du pays. L’industrialisation inachevée a bouleversé les structures anciennes, accéléré l’exode rural et précipité en masse les paysans vers les villes. Cet exode rural (qui signifie à terme le changement des mœurs) n’a pu être absorbé : il a produit une « ruralisation » des villes.

Mais c’est au plan politique que se trouve la principale raison de l’essor intégriste. L’absence de direction ouvrière crédible du combat anti-impérialiste pour l’Indépendance nationale n’a pas empêché l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), après son Ve Congrès (1979), de se cristalliser dans une certaine mesure comme une alternative politique au pouvoir, représentative, jusqu’à un certain point, des aspirations des travailleurs, alors même que son programme de collaboration de classe n’est pas un programme révolutionnaire.

Aujourd’hui, cette alternative est absente. Le mouvement de masse (travailleurs, jeunes, femmes, masses berbérophones) est mis au pas, l’UGTA est normalisée et même partiellement démantelée.

Les masses populaires (ouvriers, employés, chômeurs, lumpen, petite bourgeoisie…), dont les conditions de vie se dégradent, ne croient plus au populisme radical. Elles ne disposent pas concrètement d’une alternative ouvrière. Les illusions actuelles, très répandues, sur l’« In­fitah » (libéralisation) témoignent de ce désarroi. (Voir lnprecor numéro 138 du 6 décembre 1982.)

Les intégristes captent une partie de cette révolte, eux qui, dans nombre de mosquées, tiennent des discours politiques publics. Alors que le pouvoir a réprimé toute section syndicale mal-pensante, tout affichage, toute réunion étudiante démocratique, la marge de manœuvre accordée aux intégristes, qui stockent leurs gourdins dans les mosquées inviolables et tiennent publiquement leurs réunions politiques, leur permet de devenir un pôle de référence.

Dès le vendredi suivant la mort de l’étudiant Kamel Amzel, début novembre 1982, une campagne de propagande mettant en doute le fait qu’il ait été assassiné, est engagée avec un certain succès, et pour cause : El Moudjahid, le quotidien du FLN, est connu pour ses mensonges, et le mouvement étudiant n’est pas autorisé à s’exprimer au-delà de cercles confidentiels.

La reconquête partielle de leur influence par les intégristes leur permit d’organiser avec succès la prière du vendredi 12 novembre. L’ampleur du rassemblement (8 000 à 10 000 personnes), son insolence à l’heure du pouvoir tort et de la répression, ont permis d’étendre l’influence intégriste.

Malgré les propositions réactionnaires de l’appel en 14 points, lancé le 12 novembre par les intégristes, en particulier sur les femmes, malgré l’absence de revendications sociales claires et d’un programme démocratique d’ensemble, cet appel a cristallisé, dans une certaine mesure, le mécontentement social et les aspirations démocratiques des masses.

— Parce qu’ils ont osé se rassembler, défiant les barrages, les intégristes rejoignent les aspirations démocratiques des masses, même si leurs revendications sur le terrain démocratique ne touchent que la lutte pour le maintien des khotbas (4) libres ;

— Alors que l’appel du vendredi 12 novembre était le fait de la tendance modérée des intégristes (Sahnoun, Abbas et Madani, Soltani), les masses ont surtout retenu l’insolence de l’acte politique ;

— Parce qu’ils ont avancé qu’il était nécessaire de résoudre le problème du lo­gement pour éviter la dissolution des mœurs ;

— Mais aussi parce que les khotbas se font l’écho du mécontentement des masses, le rassemblement a été vécu comme l’expression de ce mécontentement par de nombreux travailleurs et des éléments des couches plébéiennes.

L’audience des intégristes ne se construit pas strictement sur les 14 points de l’appel du 12 novembre, elle ne rejoint pas les propositions réactionnaires du bourgeois Soltani, renié même par les oulémas. Nous pouvons seulement dire que l’écho est plus fort que le bruit, mais qu’il est différent du bruit.

Cette audience s’est d’ailleurs partiellement détachée des intégristes lorsque les coups de feu sur les gendarmes, les discours virulents ici ou là, ont par trop aiguisé le conflit avec le pouvoir.

C’est le moment choisi par le pouvoir pour arrêter les signataires de l’appel et d’autres imams (5) activistes, le 24 no­vembre dernier.

CONTRE LA RÉACTION, POUR LES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES

Lorsqu’une centaine de nervis intégristes venus de tous les quartiers d’Alger, armés de haches et de couteaux, assassinent Amzel Kamel et massacrent un groupe d’étudiants qui comptaient afficher un appel à une assemblée générale au Centre universitaire Ben-Aknoun, nous devons exiger du pouvoir la condamnation des assassins, et combattre ces ennemis de l’expression démocratique des étudiants.

Mais le pouvoir veut profiter de la mort d’Amzel Kamel pour achever la mise en place de l’Etat fort. ll veut rétablir les imams officiels du ministère des Affaires religieuses et il arrête les chefs du courant intégriste coupables de diriger une organisation politique non reconnue.

Nous ne nous joindrons pas aux stali­niens qui se réclament hypocritement de « l’islam progressiste » pour demander la répression des intégristes. (…)

Quand l’islam est religion d’Etat, qu’y a-t-il de surprenant à ce que le ministère nomme et paie les imams ? Nous sommes prêts à combattre pour que dans chaque mosquée les fidèles choisissent leurs imams et organisent librement leur culte, mais cela suppose la séparation d’avec l’Etat. Cela suppose que les mosquées soient construites exclusivement avec des fonds privés, que l’enseignement public soit laïc, distinct de l’enseignement religieux que peut dispenser la mosquée, etc. Car les intégristes ne veulent pas que cesse le lien Etat-religion ; au contraire, ils veulent faire disparaître tout élément laïc de la vie publique, de l’enseignement, de la justice…

Nous sommes contre la répression et les arrestations arbitraires dans les milieux intégristes. Certes, nous combattons les propositions rétrogrades de ces courants. Nous sommes pour la mixité, pour le droit au travail des femmes, et nous sommes aussi pour le mariage sans tuteur et sans dot, pour le divorce libre, contre la polygamie, donc contre la proposition d’appliquer le droit musulman.

Nous sommes pour la laïcité et non pour l’islamisation de l’Etat. Sans parler des perspectives économiques des Solta­ni et consorts.

Mais le combat démocratique ne se découpe pas, il est un. Nous sommes contre toute arrestation pour délit d’opinion, même si nous combattons les opinions en question.

Nous sommes pour le droit de s’exprimer librement, de s’organiser librement en cercle, en parti, en syndicat.

Nos opinions, nos idées, notre programme progresseront en gagnant les masses par le débat démocratique.

Le pouvoir a toléré ces courants intégristes lorsque sa préoccupation était d’écraser le mouvement étudiant démocratique, les travailleurs, les femmes en lutte, et que cela l’arrangeait bien d’avoir un comité de cité croupion autour de la mosquée de Ben-Aknoun, une pression réactionnaire anticommuniste contre le syndicat, des vitrioleurs en ballade dans les rues d’Alger pour intimider les femmes.

Le pouvoir veut achever aujourd’hui son contrôle sur la société et il joue au progresssiste et au démocrate.

S’il voulait l’expression démocratique des masses, pourquoi la réprime-t-il ? S’il voulait lutter contre les propositions ré­trogrades des intégristes, pourquoi inter­dit-il aux courants progressistes de s’ex­primer ?

— Les assassins d’Amzel Kamel doivent être jugés et condamnés !

— Libérez tous ceux qui sont arrêtés pour délit d’opinion ou pour s’être organisés politiquement !

— Nous condamnons les propositions réactionnaires de l’appel des Soltani, Sah­noun et Abbes el Nladani !

— Pour la mixité, pour les droits élémentaires des femmes !

— Pour la laïcité de l’Etat !

« ET TALIAA », numéro 8
Alger, novembre 1982.


(1) Frères musulmans (Al-Ikhwân al-muslimûn, association créée en Egypte en 1928 par l’instituteur Hassan al-Bannâ, assassiné en 1949 à la suite de la dissolution de l’association, à laquelle les Frères musulmans avaient ré­pliqué par l’assassinat du Premier ministre Nahas Pacha du Parti Wafd (12 février 1949).

(2) Oulémas, docteurs de la loi musulmane, juristes et théologiens.

(3) Assimilationnisme, thèses favorables l’assimilation de l’Algérie à la puissance coloniale française.

(4) Khotbas, sermons prononcés lors de la prière du vendredi, et qui peuvent servir de tribune politique.

(5) Chez les musulmans sunnites, l’imam est la personne qui est chargée de conduire la prière, en général un laïc.


« Oui au berbère, oui à l’arabisation basée sur le dialectal ! »

La question linguistique constitue un enjeu important de la lutte politique en Algérie. En lançant la campagne d’arabisation, Houari Boumedienne avait choisi l’arabe classique contre l’arabe populaire couramment parlé par la majorité de la population.

Si le français perpétue le pouvoir culturel d’une couche particulière, l’arabisation classique tend à constituer une nouvelle caste de lettrés, et constitue un nouvel obstacle culturel pour la masse des travailleurs et des paysans.

D’autre part, les événements de 1980-1981 de Tizi-Ouzou, en Kaby­lie (voir Inprecor numéro 138 du 6 décembre 1982) ont vigoureusement posé la question du statut des minorités, en particulier celui des Berbères et de leur langue nationale. Dans Et Taliaa numéro 4, les marxistes révolutionnaires algériens avaient alors pris une claire position sur le fond de la question linguistique.

OUI AU BERBERE, OUI A L’ARABISATION BASÉE SUR LE DIALECTAL

A l’école primaire, l’enseignement de l’arabe classique et du français (avec, en plus, de mauvaises conditions matérielles et pédagogiques) donne des résultats catastrophiques, car dans l’environnement familial et social, on s’exprime en arabe populaire et en berbère.

Boumedienne disait un jour que le pouvoir s’était demandé quel choix faire, l’algérien ou l’arabe classique, et que le classique avait été choisi pour permettre de « communiquer avec nos frères du Moyen-Orient ». Ce n’est donc pas une quelconque faiblesse de l’arabe algérien, grammaticale ou autre, qui a guidé le choix, comme nous le répètent les tenants du classique. Il fut question aussi d’unifier et d’enseigner l’arabe maghrébin, projet retardé par la dislocation du comité consultatif maghrébin, suite aux luttes bourgeoises inter-maghrébines.

Le choix du classique, et la politique d’arabisation « accélérée », ont eu pour résultat de consolider la domination du français et de retarder l’arabisation profonde du pays. Si l’on excepte une mince couche d’intellectuels arabophones sacrifiés à la façade démagogique de la politique du pouvoir, la langue de l’impérialisme français règne en maîtresse, comme langue de puissance sociale, comme langue de pouvoir économique et politique. Voilà donc le bilan de l’arabisation par le classique. Les millions de travailleurs arabophones et berbérophones sont exclus de la vie culturelle, et le français domine.

Les communistes sont pour la reconnaissance du berbère, son enseignement, son utilisation. Ils sont aussi pour que l’arabisation soit basée sur l’arabe dialectal. Aux arguments faussement généreux du chauvinisme, qui refusent le berbère, nous répondons que nous sommes, nous communistes, pour la république universelle des conseils d’ouvriers, pour le socialisme à l’échelle de l’humanité, et que, pourtant, nous soutenons le droit des nations à disposer d’elles-mêmes.

Car, pour nous, tant que le peuple algérien ne gagne pas son indépendance totale à l’égard de l’impérialisme, tant que le peuple sahraoui ne sera pas libre de l’oppression marocaine et impérialiste et, de façon générale, tant que des peuples seront opprimés, colonisés, dominés, ils ne pourront pas rejoindre le combat pour l’unité du monde entier. De la même manière, nous sommes donc pour l’unité nationale algérienne contre l’impérialisme, mais dans le respect des spécificités culturelles. Écraser le berbère sous prétexte d’unité, nous ne le permettrons pas.

Nous sommes aussi pour l’arabe populaire, car pour communiquer avec les peuples du Moyen-Orient et du monde entier, il faut que les travailleurs d’Arzew et d’Annaba, les paysans de Mascara et de Sétif, accèdent à la culture et participent à l’échange.

La fin de la domination du français, langue de classe, langue de l’impérialisme, est une tâche révolutionnaire dans la mesure où elle signifie permettre aux millions de producteurs ouvriers et paysans de ce pays d’accéder au savoir et à la culture en usant d’une langue qui leur soit proche, et non pas du français ou de l’arabe classique, qui sont des langues étrangères et donc d’accès difficile pour les masses laborieuses. Nous souhaitons certes qu’il y ait rapprochement et communication avec l’arabe moyen-oriental, mais cela doit se faire avec les masses populaires et non en les excluant. C’est tout le peuple qui doit participer à l’échange, et non pas une mince couche de mandarins intellectuels.

L’arabisation devra être basée sur la langue populaire, mais être aussi progressive, générale et respecter le berbère.

— Progressive, car encore une fois, l’arabisation n’est pas un principe abstrait mais une revendication populaire, la revendication de ceux qui veulent comprendre la TV, lire le journal, assister aux conférences et débats, et qui veulent que cette vie culturelle exprime leur vie et soit la continuité de leurs discussions quotidiennes. Il faut donc permettre aux masses populaires de s’intégrer progressivement à cette vie culturelle.

— Générale, dans le sens de rejeter la politique des sections arabisées, dont les résultats sont catastrophiques. Cette politique a été jusqu’à présent un excellent camouflage pour perpétuer la domination du français, et il faut donc que tous soient arabisés en même temps. Cette arabisation est une lutte contre la domination du français et non pas une lutte pour écraser le berbère, qui est nôtre. En aucune façon, il ne faut accepter l’arabisation forcée des berbérophones, et le combat pour la reconnaissance du berbère comme deuxième langue officielle, pour son enseignement dans les régions berbérophones, et partout où un nombre suffisant de travailleurs le demandent, ce combat est inséparable, pour nous, de la lutte pour l’arabisation. Ces revendications doivent s’intégrer à la lutte du prolétariat pour détruire l’Etat bourgeois

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