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Saïd Akli : Algérie. Soulèvement populaire et démocratie

Article de Saïd Akli paru dans Inprecor, n° 275, 31 octobre 1988, p. 23-26


QUELQUES JOURS seulement nous séparent de la fin du soulèvement national de la jeunesse populaire. Alors que les 500 nouveaux Chouhadas (martyrs, en arabe) n’étaient pas encore tous enterrés, que des milliers de manifestants soignaient leurs blessures ou croupissaient entassés dans les prisons, le pouvoir des assassins annonçait un référendum national pour le 3 novembre 1988. Le peuple algérien est appelé à approuver immédiatement une première réorganisation du pouvoir exécutif, au terme de laquelle le Premier ministre, choisi par le Président, formerait un gouvernement « sans exclusive aucune » qui serait responsable devant l’Assemblée nationale.

CETTE REFORME sans conséquences concrètes immédiates paraît bien ridicule au regard du lourd tribut de sang payé par la jeunesse populaire, pour exprimer sa soif de démocratie, de dignité et de justice sociale.

Mais le communiqué de la présidence en date du 12 octobre 1988 laisse entendre que ce ne serait là qu’un hors-d’oeuvre de restaurateur bousculé, en attendant le plat de résistance des réformes politiques que Chadli doit préalablement soumettre au Congrès du FLN à la mi-décembre.

L’annonce de ce référendum symbolique s’accompagne du traditionnel effort d’approvisionnement du marché qui, après chaque manifestation réprimée, constitue la carotte d’apaisement. Elle s’accompagne également de la libération des démocrates et militants arbitrairement arrêtés et de la remise en liberté de tous les mineurs appréhendés, en signe d’apaisement politique.

Par cette combinaison de mesures, le régime Chadli cherche à se refaire une virginité aux yeux d’un peuple dont il vient de massacrer des centaines d’enfants. La population n’en est pas dupe ; mais, en cette veille du 34e anniversaire du 1er novembre 1954 (début de la guerre d’indépendance de l’Algérie), elle sent qu’une page d’histoire vient d’être tournée. Malgré le bilan tragique du soulèvement, les masses populaires ne vivent pas un sentiment de défaite. Bien au contraire, l’espoir est grand que le lourd tribut de sang versé va provoquer de profonds changements politiques dans la société algérienne.

En mars 1976, alors que Boumédienne venait d’engager le processus d’institutionnalisation du pouvoir issu du coup d’Etat militaire du 19 juin 1965, quatre personnalités politiques de l’opposition bourgeoise lançaient à Alger un appel pour la démocratie. Cette initiative des courants bourgeois exclus du pouvoir après l’indépendance, convergeait avec la contestation politique qui se développait au sein même du régime, contre le pouvoir sans partage du Bonaparte. La convergence politique se réalisait autour de la même aspiration à une redistribution du pouvoir entre les différentes fractions de la bourgeoisie algérienne qui estimaient avoir atteint un degré de maturité suffisant pour s’émanciper de la tutelle étouffante du bonapartisme.

L’aspiration à la démocratie

Assuré du soutien populaire contre ses détracteurs bourgeois, Boumédienne réa­git en autorisant le premier débat public depuis 1965, en faisant plébisciter la Charte nationale définissant son projet de société ainsi que sa Constitution sur mesure, et en se faisant élire triomphalement. Le débat inter-bourgeois va Etre cependant saisi par les masses populaires qui le transformeront en tribune d’expression de leurs propres aspirations démocratiques et sociales. Cette appropriation populaire d’une liberté d’expression inhabituelle dégèlera un climat politique paralysé pendant des années par la hantise de la sécurité militaire (SM) et inaugura une nouvelle période politique en Algérie. Les luttes étudiantes refleurirent et une importante vague de grèves ouvrières (1977) contraignit le régime à concéder des augmentations de salaires et une ouverture sur le terrain syndical. En avril 1978, le 5e Congrès de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) confirmait et relançait ce renouveau du mouvement syndical, marqué par les aspirations démocratiques des travailleurs.

La mort de Boumédienne en décembre 1978 favorisera l’épanouissement de ce nouveau climat démocratique par le biais des luttes autour de sa succession. Après s’être rassemblées derrière les deux candidatures rivales de Yahyaoui le boumédié­niste et Bouteflika le libéral, les différentes fractions bourgeoises conclurent un compromis sous l’autorité de l’armée, instaurant un pouvoir collégial pour colmater des brèches dangereuses pour la stabilité du régime. L’ombre de l’infitah (ouverture, en arabe – nom donné à la politique de libéralisation économique) planera dès lors sur toute la période de transition.

Les limites de la bourgeoisie

Le relâchement du contrôle étatique sur la société favorisera le développement des luttes populaires. En dépit de toutes ses limites, l’UGTA apparaîtra de plus en plus comme la première force politique du pays. La jeunesse scolarisée s’initiera à la démocratie et, bientôt, le soulèvement populaire de Kabylie mettra en relief la faiblesse politique du pouvoir.

Affolées, les différentes fractions bourgeoises abandonnèrent leurs prétentions démocratiques : les représentants de l’armée au sein du Comité central du FLN leur imposèrent l’octroi des pleins pouvoirs à Chadli en mai 1980. Le contrôle politique de la société sera raffermi avec déploiement des moyens de répression et renforcement du rôle para-policier du FLN. Une offensive multiforme lancée en 1981 instaurera le monopole politique total du FLN sur toute activité politique ou culturelle au sein des entreprises, des quartiers, lycées et universités. Mais le mécontentement populaire va s’exprimer de façon encore plus explosive dans la rue, sous la forme de manifestations populaires pour des besoins sociaux élémentaires (logement, eau, etc.), qui se solderont souvent par des affrontements violents avec les forces de l’ordre.

En 1985, la revendication démocratique refit son apparition sous une nouvelle forme : la constitution d’une ligue des droits de l’Homme, dont une partie des fondateurs sera aussitôt emprisonnée. La campagne de solidarité nationale et internationale suscitée par cette affaire gênera considérablement le régime, soucieux de préserver son image de marque. Le débat organisé timidement au sein des structures du FLN autour du projet de révision de la Charte nationale, débordera politiquement malgré toutes les précautions prises.

Les divergences internes au régime seront, pour la première fois, au centre d’une polémique publique entre l’organe central du FLN et Algérie-Actualités, un hebdomadaire exprimant les positions des libéraux en guerre contre « la langue de bois ».

Cette volonté des partisans de l’in­fitah de se donner une crédibilité démocratique va favoriser une meilleure information politique, malgré les attaques régulières contre l’opposition. Mais la répression brutale des manifestations de jeunes à Constantine et Sétif, en novembre 1986, se chargera de rappeler la nature réelle du pouvoir. Des centaines de jeunes manifestants seront condamnés de façon expéditive à de lourdes peines de prison, tandis que des opposants d’horizons divers seront arrêtés arbitrairement et déportés dans le grand Sud sans aucune forme de procès. Une campagne de solidarité anti-répression se développera, impliquant de larges secteurs de l’intelligentsia. Le mouvement démocratique s’étendra à la mouvance du PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste, le PC algérien) acquérant ainsi une nouvelle dimension politique.

Le Président Chadli Bendjedid

La contradiction des libéraux

Les libéraux réagirent par la création d’une nouvelle ligue des droits de l’Hom­me, qui sera reconnue par Chadli proclamant sa volonté d’instaurer un Etat de droit. Pour donner du crédit à cette initiative, les assignés à résidence furent libérés et une partie des jeunes manifestants emprisonnés fut graciée. Dans la foulée, le droit d’association fit l’objet d’une proposition de loi qui se heurtera à la résistance de l’appareil du FLN soucieux d’éviter toute brèche dans son monopole politique sur la société. Chadli arrivera cependant à faire approuver le projet, après avoir concédé aux députés les garanties nécessaires.

Le développement important des luttes étudiantes en 1987-88, donnera naissance à de multiples formes d’auto-organisation, couronnées par une coordination nationale tolérée par le pouvoir, malgré son objectif déclaré de construction d’un syndicat étudiant indépendant et démocratique. Quant à la classe ouvrière, elle sera maintenue à l’écart de ces velléités démocratiques par les bureaucrates du FLN qui, malgré leur peur déclarée de l’infitah, continuèrent à étouffer ses aspirations à la démocratie exprimées clairement lors des élections syndicales de 1987.

Ce rapide survol de la progression de la revendication démocratique montre comment se sont combinées, au cours des dernières années, d’une part les conflits inter-bourgeois exprimant la crise de croissance politique d’une nouvelle classe dominante, d’autre pan l’aspiration croissante des masses populaires à une démocratie dont elles sont exclues par tous les projets bourgeois.

Après avoir assimilé leur besoin de redistribution du pouvoir à un projet de démoralisation du régime, les partisans de l’infitah se sont embourbés dans la contradiction entre leur credo de liberté d’entreprise et le mythe d’unité de pensée décrété par le FLN à partir de 1980-81. De façon paradoxale, c’est avec Chadli et son ouverture économique que le monopole politique du FLN sur la société a acquis le plus de puissance para-policière institu­tionalisée. La bourgeoisie avait besoin d’instaurer la liberté d’entreprise et de se donner une image libérale aux yeux de ses maîtres à penser impérialistes. Mais sa peur de classe possédante face à des mobilisations populaires de plus en plus puissantes et violentes, faisait systématiquement craquer son masque libéral et renforçait le poids de sa médiocratie d’ap­paratchiks hostiles à toute velléité de liberté de pensée.

De ce fait, ce sont les mobilisations populaires qui ont, à chaque fois, bousculé tous les projets bourgeois de démocratie réservée aux possédants. Le droit de cité acquis aujourd’hui par la revendication démocratique a été imposé par les masses populaires contre un régime dont les prétentions libérales n’ont pas empêché la répression policière de prendre un caractère de masse sans précédent depuis l’indépendance.

Le soulèvement populaire relance la démocratie

Le comble de cette contradiction vient d’être atteint avec les promesses de démocratisation politique, s’efforçant de faire oublier une répression militaire sauvage, bien plus meurtrière que celles de certaines dictatures traditionnellement dénoncées par la presse officielle.

D’ailleurs, les promesses de démocratisation n’ont pas pour autant mâté la répression de masse. Le pouvoir lui-même reconnaît avoir soumis près de 4 000 jeunes à des parodies de procès qui distribuent à la chaîne des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. Les mineurs récemment libérés racontent la torture qu’ils ont subie durant leur détention et de nombreux témoignages de médecins confirment leurs dires.

Plus encore qu’après les manifestations de Constantine et de Sétif, l’indignation contre cette nouvelle répression massive mobilise de larges secteurs d’intellectuels. Une assemblée générale de médecins à Alger a voté une motion de soutien aux parents des victimes et s’est dotée d’un bureau provisoire. Les enseignants des universités d’Alger, de Blida et de Tizi-Ouzou se sont réunis à Bab Ezzouar pour dénoncer la répression et les torturées. Les journalistes, qui étaient mobilisés depuis plusieurs mois pour leurs revendications spécifiques, ont réagi au rôle qu’on leur a fait jouer durant les événements en annonçant, le 20 octobre, la constitution d’une organisation autonome en dehors de la tutelle du FLN.

Le 19 octobre, une réunion des bâtonniers de l’ordre des avocats d’Algérie a dénoncé les parodies de procès et demandé un pouvoir judiciaire indépendant, tandis que, le 20 octobre, la ligue officielle des droits de l’Homme constituait une commission d’enquête sur les atteintes aux droits de l’Homme et de la défense, après que Chadli ait promis de sanctionner toute entorse à la loi.

Un référendum déphasé

Le référendum annoncé pour le 3 novembre est un produit direct du soulèvement populaire. Mais, au-delà de sa valeur symbolique quant à la démonstration de l’aptitude du pouvoir à répondre rapidement aux aspirations populaires, son contenu politique est bien en deçà de ces prétentions. La révision constitutionnelle proposée concerne exclusivement la fonction exécutive. La Constitution qui était venue légaliser le pouvoir absolu de Bou­médienne en 1976 avait déjà subi des amendements du temps de la collégialité en 1979. Ceux-ci offraient au chef de l’Etat la possibilité de nommer plus d’un vice-président, et rendaient obligatoire la désignation d’un Premier ministre, chargé d’assister le Président dans sa tâche de coordination de l’action gouvernementale.

Le projet de révision du 3 novembre 1988 n’évoque même pas la possibilité de désignation de vice-présidents, qui n’a jamais été mise en pratique. Par contre, le pouvoir du Premier ministre est renforcé : jusqu’à présent tous les ministres étaient désignés par le Président et lui rendaient compte directement. Le nouveau texte prévoit que le Premier ministre érigé en chef du gouvernement « procède à de larges consultations et présente les membres du gouvernement qu’il a choisis au président de la République qui les nomme ».

Le gouvernement ainsi constitué serait tenu de présenter son programme à l’As­semblée nationale pour approbation. En cas de rejet de son programme par les députés, le gouvernement serait obligé de démissionner. Mais, pour rappeler à l’As­semblée nationale qu’elle ne doit pas abuser de son nouveau pouvoir, l’article 114-4 prévoit sa dissolution de plein-droit si elle refuse deux fois de suite le programme d’un gouvernement.

Ainsi, le Premier ministre et l’Assemblée nationale se voient dotés de pouvoirs plus importants : c’est entre eux que se déciderait le contenu de l’action gouvernementale et des lois dont l’initiative n’appartient plus au seul président de la République.

De ce fait, le Président ne serait plus directement responsable de la gestion quotidienne de l’Etat et se placerait au-dessus de la mêlée, de façon à pouvoir donner le gouvernement en pâture au mécontentement populaire. Ce rôle d’arbitre est d’autant plus renforcé que le projet précise que le Président « peut directement recourir à la volonté du peuple » par voie de référendum.

Le projet de révision constitutionnelle comporte d’autres aspects moins popularisés par la presse, qui pourraient pourtant avoir une signification importante pour l’avenir. Le Président incarnerait l’unité de la Nation et non plus l’unité de direction politique du Parti et de l’Etat. De même, sa prérogative de présidence des réunions conjointes des organes du Parti et de l’Etat n’est plus mentionnée dans le nouveau texte.

Ces amendements à la Constitution forment ensemble un réaménagement du pouvoir qui aurait eu une certaine importance politique à froid. Mais au lendemain du soulèvement national et de son bilan tragique, il apparaît complètement ridicule et déphasé politiquement. Il ne répond en rien aux aspirations démocratiques exprimées par toutes les couches de la population.

Pour une Assemblée constituante souveraine !

La véritable ouverture démocratique provoquée par le soulèvement populaire n’est pas cette réforme sans conséquence concrète dans l’immédiat. Elle prend plutôt forme dans les différentes assemblées générales qui se tiennent actuellement dans tous les secteurs sociaux.

Sa consécration ne peut être que la reconnaissance du droit de grève et de manifestation, des libertés d’expression et d’organisation, ainsi que du droit de constituer des syndicats indépendants.

I.e seul projet de révision constitutionnelle réellement significatif impliquerait l’abolition du système de parti unique, la dissolution de l’Assemblée nationale croupion et l’élection libre d’une Assemblée constituante souveraine, au sein de laquelle les représentants du peuple démocratiquement élus, et non pas un Congrès du FLN illégitime, définiraient les nouvelles formes d’organisation sociale et politique du pays.

Encore une fois, ce sont les mobilisations populaires qui donnent une impulsion vigoureuse à la revendication démocratique en Algérie. Mais la bourgeoisie essaye toujours de récupérer ces aspirations populaires à la démocratie, en les canalisant dans les méandres du processus de réorganisation de son pouvoir.

En effet, l’essentiel des réformes politiques promises par Chadli le 10 octobre seraient présentées au Congrès du FLN à la mi-décembre, avant d’être soumises à un nouveau référendum. Dès lors, le projet de réforme politique, produit direct du soulèvement populaire, s’inscrit dans les conflits inter-bourgeois que doit régler le Congrès du FLN.

Jusqu’au 16 janvier 1986, date d’adoption de la Charte nationale « enrichie », les conflits internes au pouvoir ont toujours été réglés par des compromis. La fragmentation politique de la bourgeoisie algérienne en une multitude de clans et fractions aux contours et alliances mouvantes, fondés très souvent sur des bases non politiques (régionalisme, clientélisme, etc.), a toujours rendu l’analyse de ces conflits difficile. Et ce d’autant plus que, malgré les rumeurs savamment distillées, la classe dirigeante s’efforce de présenter en permanence une façade unanime et resserre immédiatement les rangs face aux mobilisations populaires. Cependant, depuis le milieu des années 70 déjà, la question de l’infitah constitue la ligne de partage essentielle par rapport à laquelle se déterminent les différentes fractions. C’était particulièrement clair à la mort de Boumédienne, avec les deux candidatures rivales qui se sont neutralisées.

Depuis 1980, les partisans de l’infitah n’ont cessé de prendre du poids en engageant un processus mesuré de libéralisation économique, modulé en fonction de la conjoncture économique et des rapports de forces socio-politiques. Malgré son ralentissement temporaire dû aux émeutes de la jeunesse de Constantine et de Sétif en novembre 1986, ce processus a connu, depuis, son accélération la plus importante en rapport avec l’effondrement du marché international des hydrocarbures. La réduction très importante des recettes d’exportation et l’augmentation du service de la dette extérieure ont permis au pouvoir de justifier une privatisation à peine déguisée des terres agricoles et un projet d’autonomisation des entreprises étatiques sous forme de sociétés par actions susceptible de mise en faillite.

L’infitah renforcé

Dès septembre 1987, avant même l’adoption des projets de lois par l’Assemblée nationale, la nouvelle organisation de l’agriculture était mise en pratique et les entreprises étatiques conviées à se préparer à l’autonomie. Cette impulsion vigoureuse au processus d’infitah provenait directement de la présidence de la République, rompant avec la démarche du consensus en passant par-dessus la tête des ministères, de l’Assemblée nationale et du Parti. Une partie des députés a protesté contre ces pratiques cavalières de la présidence et l’Assemblée nationale s’est publiquement partagée entre les partisans d’une accélération des réformes, ceux qui se contentent de les soutenir et ceux qui voudraient les freiner.

Cependant, après quelques pressions sur les députés les plus récalcitrants, les textes de lois des réformes économiques ont été adoptés avec des amendements mineurs.

Depuis cette accélération du processus d’infitah, la base populiste du FLN est complètement désorientée politiquement et la direction stalinienne du PAGS s’est efforcée de trouver de nouveaux alliés au sein du pouvoir pour constituer un front de résistance.

Mais Messaadia qui, à la tête de l’appareil du FLN depuis l’élimination de Yahyaoui, était censé représenter la tendance boumédiéniste, a choisi le meeting syndical du 1er mai 1988 pour déclarer devant sa base politique potentielle que les réformes économiques sont le produit des décisions unanimes des Congrès et instances du FLN, et non pas l’initiative d’un groupe isolé.

Néanmoins, la mise en oeuvre des réformes économiques piétine sur le terrain et Chadli, dans son discours du 19 septembre 1988, s’en est pris violemment aux responsables de ce freinage en déclarant l’irréversibilité du processus engagé. Le Congrès du FLN programmé pour le 10 décembre, apparaissait alors comme le cadre de légitimation définitive de la libéralisation économique et son nouveau point de relance.

De façon paradoxale, le récent soulèvement populaire qui est le produit direct d’une politique d’austérité et d’infitah que le FMI lui-même reconnaît comme plus rigoureuse que ses propres programmes d’assainissement, vient renforcer Chadli à la veille du Congrès du FLN. Les réformes politiques qu’il envisageait mais n’osait pas encore avancer, comme par exemple la possibilité de lever l’exigence de la carte du FLN pour les candidats aux élections communales, ont toutes les chances d’apparaître au Congrès comme un mal inévitable.

Car, après le soulèvement populaire qui a définitivement sonné le glas de la légitimité du Parti et de l’armée, le relâchement du monopole politique du FLN sur la société est certainement le moins qu’il soit possible de concéder aux aspirations populaires à la démocratie.

Chadli vient de déclarer à une délégation de la ligue officielle des droits de l’Homme sa volonté de « promouvoir le cadre légal permettant à toutes les sensibilités de s’exprimer en toute démocratie ».

Un tel projet ne peut que renforcer les partisans de l’infitah qui pourront se prévaloir d’une ouverture politique venant appuyer leurs réformes économiques.

Pour une alternative socialiste

Après avoir assuré Chadli de sa solidarité durant la répression, l’impérialisme a clairement choisi son camp en réaffirmant que seul le libéralisme économique et politique peut sauver l’Algérie de la tourmente sociale qui menacerait ses intérêts stratégiques au Maghreb.

Mais, tout en arrachant le maximum de droits démocratiques, les masses ouvrières et populaires doivent réaliser qu’après l’échec patent du populisme et de son projet capitaliste d’Etat, la révolte violente de la jeunesse qui vient d’être réprimée dans le sang, est le produit direct de l’infitah de Chadli et de son exacerbation des contradictions sociales.

Les deux projets bourgeois ont montré leur incapacité à résoudre les problèmes sociaux les plus élémentaires. Et au-delà de la phase d’apaisement, le régime Chadli n’a pas les moyens de résoudre les problèmes de fond de la crise socio-économique dans laquelle il a plongé le pays.

La poursuite de son processus d’infitah ne peut que rendre les conflits sociaux de plus en plus explosifs. La cristallisation d’une alternative socialiste crédible, fondée sur l’indépendance de classe du prolétariat et l’auto-organisation des masses populaires, est de ce fait la seule perspective « réaliste » que les révolutionnaires doivent se fixer, s’ils veulent empêcher la bourgeoisie, dans l’impasse, d’utiliser les intégristes musulmans pour récupérer la révolte spontanée de la jeunesse.

Le 22 octobre 1988

Saïd Akli

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