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A la défense de la révolution algérienne !

Déclaration parue dans Quatrième internationale, n° 25, juillet 1965, p. 8-9


Le coup d’Etat militaire d’Alger du 19 juin met fin à l’alliance entre l’aile du FLN dirigée par Ben Bella, orientée vers le socialisme et liée aux masses au moyen de l’autogestion, et « l’armée des frontières » dirigée par Houari Boumedienne favorable à un « socialisme arabe » islamique. C’est cette alliance qui avait permis à la combinaison Ben Bella-Boumedienne d’écarter l’ancienne équipe du GPRA dans l’été 1962. Le coup d’Etat constitue une grave atteinte à l’aile gauche de la révolution algérienne et met en danger l’acquis principal de cette révolution, l’autogestion ouvrière des entreprises nationalisées.

L’appui immédiatement accordé au nouveau régime par les Oulémas, l’absence de tout appui au coup d’Etat de la part des syndicats et des jeunesses du FLN, les arrestations massives de militants de gauche, les premières manifestations populaires contre le coup d’Etat et en faveur de Ben Bella, tout cela confirme cette analyse du sens fondamental de ce grave développement.

D’autre part, il serait erroné de voir dans la dictature militaire de Boumedienne l’instrument direct d’une contre-révolution sociale, de forces bourgeoises ou néo-colonialistes. Subjectivement, Boumedienne et les cadres de l’armée sont favorables au maintien, peut-être même à l’expansion — dans un sens nassérien — du secteur nationalisé de l’économie. Objectivement, le nouveau régime est un régime bonapartiste qui, dans le rapport des forces donné entre les classes, ne pourrait, pendant toute une période, réintroduire le capitalisme dans les secteurs nationalisés. Il n’est pas exclu que, pour consolider son pouvoir, Boumedienne fasse des pas en direction de la deuxième réforme agraire promise par Ben Bella, bien que celle-ci irait à l’encontre des désirs des gros propriétaires algériens qui se profilent derrière la fraction cléricale musulmane dont Boumedienne s’est fait le porte-parole. Notamment du fait de son isolement des masses, Boumedienne sera, plus encore que Ben Bella, obligé de se concilier les bonnes grâces de l’impérialisme français.

La manière facile dont Ben Bella a pu être éliminé du pouvoir, alors que son prestige semblait être au plus haut point et qu’il paraissait avoir dans ses mains tous les rouages gouvernementaux, démontre la justesse des critiques que les marxistes révolutionnaires n’avaient cessé de joindre à l’appui qu’ils avaient accordé à Ben Bella contre les forces de droite qui cherchaient à bloquer, à ralentir et à dévoyer la révolution algérienne.

Les causes de la victoire aisée du coup d’Etat sont très claires. II n’y avait pas un véritable parti d’avant-garde de masse capable de mobiliser sur tout le territoire national le secteur le plus politisé de la population laborieuse des villes et des campagnes. La deuxième réforme agraire était indéfiniment retardée, décevant ainsi les masses les plus déshéritées des campagnes, auxquelles la révolution n’a pas encore apporté un changement fondamental à leur misère matérielle ni aucune perspective d’amélioration dans un avenir immédiat. Aucune solution n’avait été apportée au pénible problème du chômage, ce qui a contribué gravement à l’apathie et à la démobilisation progressive des masses qui, en mars et en mai 1963, avaient manifesté par centaines de milliers leur appui à une orientation socialiste révolutionnaire. La décision du Congrès du FLN de construire une véritable milice populaire, armant les ouvriers et les paysans pauvres, ne fut jamais réalisée. Bref, le coup d’Etat militaire, mis en route en plein nuit, l’emporta en quelques heures parce que la révolution n’avait pas été poussée jusqu’au bout, jusqu’à l’instauration d’un Etat ouvrier basé sur des comités d’ouvriers et de paysans pauvres exerçant le véritable pouvoir.

L’élimination de Ben Bella par l’aile droite, c’est le prix amer que paye la gauche pour une politique de compromis constants au sommet qui fut substituée depuis plus d’un an à la mobilisation des masses et à l’approfondissement de la révolution. L’absence de mobilisation des masses, d’organisation d’un parti d’avant-garde, d’extension de la révolution, laissa le pays démuni d’un contrepoids puissant à l’armée qui devenait de plus en plus une armée de métier dotée de privilèges par rapport au reste de la population. Ceci ouvrit la voie au coup d’Etat de Boumedienne.

Le bonapartisme personnel croissant que Ben Bella substitua à une politique socialiste révolutionnaire fut un facteur qui contribua considérablement à sa chute. Ben Bella frappait sur les forces de droite, mais il contrebalançait ce fait par des coups sur la gauche. La concentration démesurée du pouvoir personnel reflétait la base étroite de son régime et, par conséquent, sa vulnérabilité. Il le masquait par des discours et sa capacité de manœuvrer entre les dirigeants des cliques et fractions rivales.

Les révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays doivent tirer les leçons qui s’imposent. Une fois de plus, la théorie de la révolution permanente vient de recevoir une confirmation éclatante, hélas, cette fois-ci contrairement au cas de Cuba, dans un sens négatif. Aucun acquis d’une révolution coloniale ne peut être consolidé avant qu’ait été créé un Etat ouvrier, qu’ait été bâti un parti socialiste révolutionnaire, que le pouvoir se trouve dans les mains des ouvriers et des paysans pauvres au moyen d’institutions propres de démocratie prolétarienne.

La révolution algérienne vient de perdre une bataille, mais elle est loin d’être liquidée. Ses racines dans un peuple de douze millions d’hommes et de femmes sont trop profondes, les militants qu’elle a éveillés à la conscience politique au cours de onze années de luttes tumultueuses trop nombreux, les espoirs qu’elle a soulevés dans les masses trop brûlants, pour que le peuple algérien accepte passivement l’instauration d’une dictature militaire qui commencerait par liquider au moins une partie des conquêtes de la révolution.

Même dans la meilleure des hypothèses, le régime de Boumedienne substituerait un programme d’« austérité » et de commandement militaire à l’autogestion, abolirait toute tendance à une extension des institutions populaires du pouvoir, liquiderait ce qui subsiste comme éléments de démocratie ouvrière (Ben Bella lui-même avait contribué en partie à les mettre en question) et étoufferait l’action spontanée des masses, ce qui ne pourrait que renforcer à plus long terme les éléments droitiers au sein de l’appareil d’Etat et de l’économie. Déjà les porte-parole politiques des cercles liés à l’impérialisme et aux milieux d’affaires, qui avaient été chassés par Ben Bella, réapparaissent sur la scène. Le bonapartisme militaire de Boumedienne dresse le spectre d’une Algérie devenant une autre Syrie ou un autre Congo.

La résistance aux fauteurs du coup d’Etat commence à prendre forme. Elle doit s’organiser et s’étendre à tous les domaines, de l’action ouvrière pour la défense de l’autogestion à celui de la lutte politique et de la lutte année. Il faut sauver la vie des leaders de la gauche et les libérer de prison. Il faut organiser des réseaux clandestins qui feront redémarrer la lutte de masse au premier moment favorable. Il ne faut pas permettre à la dictature militaire de se consolider.

La IVe Internationale qui fut la première organisation à venir à l’aide du FLN dans les plus dures journées de lutte pour la libération, appelle les ouvriers et les paysans pauvres de l’Algérie, du Maghreb, de l’Afrique et de tous les pays du monde à défendre la révolution algérienne contre le nouveau danger. Un recul durable de la révolution algérienne porterait un coup très dur à toute la révolution arabe et africaine.

Dans cette défense de la révolution algérienne menacée, les ouvriers et les paysans pauvres tireront les conclusions de l’expérience récente. La leçon principale est absolument claire. Il faut forger un parti révolutionnaire qui appliquera sans défaillance la Charte d’Alger, qui dirigera la révolution socialiste jusqu’à la victoire par la création d’un gouvernement stable des ouvriers et des paysans pauvres d’Algérie.

Le 23 juin 1965.

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