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Devant les événements d’Algérie, l’exigence de l’unité prolétarienne

Articles parus dans Le Prolétaire, n° 429, novembre-décembre 1994-janvier 1995, p. 1-6 et 7


« La guerre civile algérienne est transportée en France » : voilà quelle a été la réaction consternée de nombreux organes de presse et de commentateurs « avertis » lors de l’affaire du piratage de l’Airbus d’Air France. Cette réaction est elle-même très significative de l’état d’esprit des cercles dirigeants de la bourgeoisie française. Même si les médias français font le silence sur la situation en Algérie, au moins tant que des ressortissants français ne sont pas victimes d’un attentat, respectant ainsi la censure du gouvernement algérien, les autorités françaises, elles, sont parfaitement au courant de la situation réelle. Et pour cause ! La collaboration directe entre l’Etat français et l’Etat algérien sur le plan de la répression ne faiblit pas, ce qui ne veut pas dire que cette collaboration est sans nuages. Si l’on en croit un article du spécialiste de l’armée au quotidien « Le Monde », bien connu comme porte-parole officieux des milieux militaires et des services secrets, les militaires algériens ont obtenu la promesse d’un soutien sans réserve et carte blanche pour liquider en 5 mois les groupes armés islamistes (1). Des indiscrétions ont permis de savoir par ailleurs que le gouvernement français avait livré à l’Algérie du matériel de combat anti-guérilla (depuis des hélicoptères jusqu’à des systèmes de visée infra-rouge pour le combat de nuit). Le soutien au gouvernement algérien se manifeste aussi à un autre niveau, en définitive plus important, le niveau financier. La France a pu obtenir de ses partenaires européens le déblocage de crédits à destination de l’Algérie et elle fait le forcing auprès du FMI pour que celui-ci fasse de même ; il y aurait des contacts quotidiens entre les dirigeants français et la direction du FMI – dont le président est un français – à propos de la situation algérienne. Cet activisme français suscite d’ailleurs la grogne des américains (et, de façon plus discrète, des allemands et des anglais) qui contestent que le plan d’« ajustement économique » suivi par l’Algérie (et élaboré par les services du FMI) mérite autant de soutien que ne le disent les français et le président du FMI, et qui ne montrent aucun enthousiasme à soutenir le régime d’Alger.

En avril 1994, à la suite de l’accord sur les mesures économiques à suivre par le gouvernement (la plus spectaculaire avait été la dévaluation du dinar de 40%), le FMI avait accordé un prêt d’un milliard de dollars ; en mars de cette année un nouveau prêt d’un milliard est prévu, sous réserve d’un examen par le FMI du bilan économique du pays depuis un an. La France elle-même a accordé des prêts de 6 milliards de francs (environ 1 milliard de dollars) pour financer les achats algériens de produits français (achats qui se sont élevés à 10,6 milliards de francs pour les dix premiers mois de 1994 : la France n’est pas perdante dans l’affaire). Le FMI et la France soutiennent le « rééchelonnement » (c’est-à-dire le renvoi à plus tard du paiement) de 5 milliards de dettes venues à échéance en 1994 et d’un milliard supplémentaire venant à échéance en 1995. Sous la pression française la Communauté Européenne a accordé à l’Etat algérien des prêts d’un montant de 400 millions d’écus (2,5 milliards de francs environ). Un contentieux sur les impayés de factures françaises a été partiellement résolu après l’octroi par Paris d’un prêt (sur 7 ans) pour payer la plus grande partie de ces factures.

La principale difficulté dans la question de la dette algérienne, dont le total est estimé à 25 milliards de dollars (150 milliards de francs), est constituée par la dette bancaire non garantie par des organismes d’Etat : environ 25 milliards de francs. Les, 2/3 de cette dette sont dues à des banques japonaises (essentiellement pour le financement d’installations gazières). Mais reconnaissant que l’Algérie se trouve « dans la zone d’influence française » (!), elles ont laissée un banque française, la Société Générale, diriger les négociations du consortium des banques créditrices avec le Gouvernement algérien (2). Selon la presse financière, ces négociations ont pris la tournure d’un « véritable bras de fer » et se sont soldées, fin décembre, par un échec, les banques doutant de la crédibilité des chiffres et des prévisions économiques présentées par les algériens.

L’empressement du gouvernement français à venir au secours du régime algérien n’est pas motivé, on s’en doute, par un souci de compassion envers le peuple de ce pays comme l’assure le ministre des Affaires Etrangères, mais par le désir de protéger ses intérêts en Algérie. Premier partenaire commercial du pays qui est son plus important client en Afrique, premier créancier, sans doute aussi premier investisseur (les investissements étrangers en Algérie sont estimés à 15 milliards de dollars et sont concentrés dans le pétrole et le gaz), l’impérialisme français a tout à craindre d’un changement de régime. L’opposition islamiste a en effet traditionnellement fait de la dénonciation et de la lutte contre le « parti français » l’un de ses thèmes de prédilection.

Mais l’impérialisme américain, lui, estime depuis longtemps qu’un régime islamiste serait le meilleur garant de la stabilité capitaliste en Algérie et il s’efforce de maintenir le contact avec les islamistes et de se démarquer de l’attitude française, imité en cela par les impérialismes allemands et britanniques. Paris qui a des raisons de soupçonner que cette attitude est surtout motivée par le désir de prendre sa place dans un pays qui est sur le point d’ouvrir largement ses ressources pétrolières aux investissements étrangers, s’efforce de convaincre les autres grands impérialismes de cesser toute «complaisance» envers le FIS et les islamistes.

Ce serait pourtant une profonde erreur de croire que les bourgeois français misent tout sur la survie de l’actuel régime, avec qui d’ailleurs les frictions prennent parfois un tour aigu : après l’affaire de l’Airbus, la presse algérienne pro-gouvernementale est ainsi pleine de rancœur envers le gouvernement français et la presse algérienne est parsemée de « confidences » ou de « fuites » d’origine officielle mettant en cause les autorités algériennes.

Il est tout-à-fait certain que le gouvernement français essaye d’établir un contact avec les islamistes ; et de leur côté le FIS multiplie les gages de bonne volonté : condamnation de la prise d’otages de l’Airbus et de l’assassinat d’étrangers, affirmation du refus de porter la guerre en France, opposition au port du voile par des lycéennes en France, etc. Le gouvernement français a salué la réunion de Rome entre le FIS, le FLN et le FFS, qui était une tentative de réintégrer les islamistes dans le système politique algérien et qui préconisait leur association au pouvoir.

SOLIDARITE AVEC LES PROLETAIRES ALGERIENS

Nous avons commencé par décrire l’attitude de l’impérialisme en Algérie parce qu’il en découle des conclusions sans équivoques pour le prolétariat français. « Notre » impérialisme est bel et bien partie prenante dans la guerre civile algérienne et à un degré encore plus élevé, dans l’exploitation du prolétariat algérien. C’est bien la raison pour laquelle nos bourgeois s’efforcent de dresser les barrières les plus infranchissables pour prévenir les contre-coups de la situation en Algérie ; et ces contre-coups qu’ils redoutent ce ne sont pas seulement ni essentiellement des attentats, ou un afflux de réfugiés qui poserait des problèmes d’hébergement et de cohabitation, comme le disent les autorités responsables. Les contre-coups qu’ils veulent éviter à tout prix ce sont ceux qu’auraient sur la paix sociale et le consensus entre les classes, la mobilisation et la mise en mouvement en réaction aux événements d’Algérie d’une partie du prolétariat de France, la partie la moins intégrée aux mécanismes de collaboration des classes, la partie la plus opprimée, la plus écrasée et donc celle qui est potentiellement la plus menaçante pour eux, les prolétaires d’origine algérienne et maghrébine. La domination du prolétariat passe en France par le contrôle de l’immigration et par l’oppression et la répression de la fraction immigrée du prolétariat.

Les barrières dressées par l’Etat bourgeois, ce sont d’abord les obstacles à la circulation des personnes entre les deux pays. Pour les membres de la Nomenklatura et de la bourgeoisie algériennes désireux de venir dans leurs appartements des beaux quartiers parisiens, il n’y aura pas de problèmes. Mais pour les autres, qu’ils soient des réfugiés politiques ou de simples parents désireux de visiter leur famille résidant en France, sans parlers des « touristes », la venue en France devient pratiquement impossible. Un nouvel accord en ce sens a été encore passé entre les deux gouvernements en novembre; il est accompagné d’un « protocole confidentiel » par lequel l’Algérie s’engage en plus à accepter de recevoir des expulsés, même si la preuve de leur nationalité algérienne n’est pas établie : autrement dit elle s’engage à recevoir des «beurs» expulsés même s’ils ont en fait la nationalité française… Démonstration par a + b que la fameuse « intégration » que l’on fait miroiter aux yeux des immigrés et de leurs enfants n’est qu’un leurre et les fameuses garanties juridiques un chiffon de papier ! Sur le même registre il faut citer la nouvelle loi qui punit de prison celui qui aide un étranger en situation irrégulière à pénétrer ou à rester en France. L’une des premières inculpées a été une française accusée d’aider… son mari en situation irrégulière ! La presse a cité plusieurs cas de femmes refoulées parce que leur bébé n’avait pas la nationalité française… Ces cas grotesques ne relèvent pas d’aberrations bureaucratiques, mais ils participent à la création d’un climat d’intimidation qui doit dissuader «spontanément» à venir en aide à ses proches : l’immigration « clandestine » emprunte très souvent des canaux familiaux.

Les barrières ce sont ensuite toutes les campagnes gouvernementales contre les étrangers, y compris la campagne contre le port du voile islamique, dont le but réel et conscient est l’aggravation de la coupure entre français et immigrés, la généralisation du racisme ou en tout cas de l’hostilité envers ces derniers et le renforcement de l’union entre tous les français, quelle que soit leur classe sociale, face à cette communauté étrangère désignée comme suspecte dans son ensemble. C’est aussi le renforcement de l’état d’exception de fait auxquels sont soumis les travailleurs et la population étrangère, le renforcement des tracasseries policières et administratives, le flicage des quartiers, etc.

Toutes ces barrières ne sont pas seulement une arme défensive de la
bourgeoisie contre des troubles venus d’Algérie. Elles représentent aussi une arme offensive contre tout le prolétariat en France. Car en divisant le prolétariat entre français et algériens (et plus généralement entre français et étrangers), elles le paralysent encore davantage et accentuent sa faiblesse face au capitalisme. Comment les travailleurs pourraient-ils trouver le force de lutter contre les patrons et contre l’Etat, s’ils sont irrémédiablement divisés entre eux ?

L’union entre les prolétaires par delà les nationalités ou les races est une nécessité vitale même pour la lutte quotidienne de résistance à l’exploitation capitaliste. La solidarité des travailleurs français envers leurs camarades immigrés est donc un besoin objectif élémentaire pour la défense de leurs propres intérêts immédiats.

Cette solidarité ne peut s’arrêter aux frontières de l’hexagone. Elle doit s’étendre à la solidarité de classe envers les prolétaires qui sont en particulier soumis au joug de l’impérialisme français, car c’est le même
ennemi qu’ils ont à combattre, en plus de leur bourgeoisie.

C’est à travers cette solidarité sans failles que pourront se constituer les meilleures conditions de la lutte prolétarienne et renaître demain les réseaux organisationnels du futur parti international et se transmettre les influx des luttes prolétariennes d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre.

Voilà ce que redoute la bourgeoisie et ce qu’elle entend à l’avance empêcher. Voilà donc ce à quoi il faut viser et ce pour quoi il faut travailler !

NON AUX DIVISIONS ENTRE PROLÉTAIRES!
– NON AUX LOIS PASQUA ET A TOUTE LA LÉGISLATION ANTI-IMMIGRES !
– NON AU CONTRÔLE DE L’IMMIGRATION, OUVERTURE DES FRONTIÈRES !
– SOLIDARITÉ DE CLASSE AVEC LES PROLÉTAIRES ALGÉRIENS !


(1) cf « Le Monde » 10/1/95

(2) cf « Financial Times », 13/9/94, qui ajoute que les banques japonaises ont voulu adopter un profil bas en raison des « incertitudes politiques en Algérie » : politique de protéger ses investissements en évitant autant que possible de se mouiller politiquement qui est celle adoptée en général par l’impérialisme japonais. Les chiffres que nous citons sont tirés de la presse internationale des derniers mois.

(3) Les porte-paroles islamistes résident aux Etats-Unis, en Allemagne et
en Grande-Bretagne. Selon certains journalistes allemands, l’Allemagne aurait probablement conclu une sorte d’accord avec le FIS pour éviter d’être pris pour cible par le terrorisme. Une chaîne de télé allemande a révélé que les autorités laissaient agir un réseau de contrebande d’armes à destination des groupes islamistes algériens, bien qu’elles soient parfaitement au courant. D’autres informations ont fait état de contacts supposés entre les américains et ceux parmi les militaires qui sont prêts à s’allier avec le FIS. C’est pourquoi un communiqué attribué au GIA (la fraction la plus extrême des groupes armés islamistes) menaçant de s’attaquer aux intérêts américains, anglais et allemands si ces pays ne ferment pas leur ambassade en Algérie, apparaît particulièrement suspect car il fournit au bon moment une « preuve » à l’appui des thèses françaises : il a tout du « vrai-faux » communiqué à la Pasqua !


Algérie : Les accords de Rome ne sont pas une solution pour les prolétaires

Au début du mois de janvier à Rome une partie de l’« opposition », après une assez longue négociation, s’est mise d’accord sur une « plate-forme pour une solution politique et pacifique de la crise algérienne ». Le terme « opposition » n’est pas vraiment exact, puisque l’un des participants était l’ancien parti gouvernemental unique, le FLN. Même si le FLN, en pleine déliquescence, est délaissé par les autorités de l’état d’urgence, il fait néanmoins toujours partie de la famille politique dirigeante de l’Algérie. Les autres partis présents étaient le FFS d’Ait Ahmed, le MDA de Ben Bella, la Ligue des Droits de l’Homme d’Ali Yahia (à ne pas confondre avec sa concurrente pro-gouvernementale), le parti islamiste modéré Ennahda, le parti trotskyste « lambertiste » PT (1) et le FIS.

Les accords de Rome sont un véritable événement politique, car ils
consacrent pour la première fois depuis le coup d’Etat qui l’a empêché d’accéder au pouvoir, l’association du parti islamique dissous, le FIS, à un regroupement des partis les plus représentatifs sur le plan électoral pour une alternative politique globale. Même le G.I.A. (le Groupe Islamique Armé, l’organisation militairement la plus active, responsable de l’appel au boycott de l’Ecole ; qui a revendiqué l’assassinat des étrangers, la prise d’otages de l’avion d’Air France, etc.), a affirmé son soutien à ces accords, en demandant seulement l’interdiction des partis communistes et athées et le jugement des chefs militaires responsables de crimes, et en se déclarant prêt à arrêter la lutte armée si ces accords étaient respectés (le représentant du FIS présent à Rome en l’absence de Kébir, le porte-parole habituel qui n’avait pu faire le déplacement depuis l’Allemagne, est d’ailleurs parfois présenté comme membre du GIA) : cela représente un recul indéniable par rapport à son objectif affiché auparavant de lutte armée jusqu’au renversement de l’Etat actuel et l’instauration d’un Etat islamique.

Les accords de Rome appellent à la constitution d’une « Conférence Nationale » sur le style de celles mises sur pied par l’impérialisme français dans ses anciennes colonies. Cette Conférence, « dotée de pouvoirs réels », devrait définir le cadre d’une période transitoire qui déboucherait sur des élections et elle serait « composée du Pouvoir effectif (sic !) et des forces politiques représentatives ». Les accords affirment que la négociation doit se baser sur les principes de la « restauration de l’Etat algérien souverain démocratique et social dans le cadre des principes de l’Islam » le « respect de la Constitution de 1989 », la « reconnaissance de l’Islam, de l’arabité et de l’amazighité » (berbérité) comme les « éléments constitutifs de la personnalité algérienne », « la non-implication de l’Armée dans les affaires politiques, le retour à ses attributions constitutionnelles de sauvegarde de l’unité et de l’indivisibilité du territoire national », ainsi que le respect de la démocratie, la liberté de la presse, l’arrêt de la répression, la libération des islamistes, l’arrêt des attentats, etc.

En somme la situation actuelle en Algérie ne serait qu’un malentendu qui pourrait se dissiper avec de la bonne volonté : les participants aux négociations de Rome réclament en fait le retour à la situation d’avant le coup d’Etat comme si rien ne s’était passé…

Cette plate-forme est en elle-même une victoire politique pour les autorités (et celles-ci, tout en condamnant avec virulence les négociations de Rome, les avaient rendu possibles en fournissant aux chefs du FIS assignés à résidence une liaison téléphonique permanente avec les négociateurs). Ses « opposant », y compris les plus « extrémistes », reconnaissent de fait la légitimité du « Pouvoir effectif » et appellent à une réconciliation nationale sur les bases politiques qui sont celles de l’Etat algérien, avec en plus la reconnaissance du fait berbère, mais sévèrement tempéré par le rappel du rôle de l’Armée dans le maintien de l’« unité » nationale (avertissement à ceux qui songent à un fédéralisme). En bonne logique le pouvoir dispose donc de toutes les cartes pour persévérer dans son attentisme politique en attendant de nouvelles concessions, ou pour s’engager dans un processus de négociation au cas où la situation militaire se détériorerait.

L’irréalisme fondamental de la plate-forme de Rome se constate au fait que les seuls moyens d’action qu’elle cite sont une « campagne d’information auprès de la communauté internationale » et le lancement d’une « pétition internationale pour appuyer l’exigence d’une solution politique et pacifique » (contribution typiquement lambertiste aux accords). Cet irréalisme tient à ce que les négociateurs, politiciens bourgeois responsables jusqu’au bout des ongles, redoutent que la situation en Algérie débouche sur une explosion sociale. Ils savent qu’ils ont besoin de l’armée dans cette hypothèse pour eux cauchemardesque : c’est pourquoi ils essayent de la convaincre qu’elle se trompe de méthode et que l’état de siège est inutile, et qu’elle risque de mettre en péril tout le système bourgeois.

Le prolétariat algérien ne peut rien attendre de bon des politiciens de Rome. Il souffre aujourd’hui de ce que lui impose le capitalisme à l’aide de la répression bestiale et terroriste des forces armées: un chômage qui atteint officiellement 27% de la population active (58% chez les moins de 30 ans) et beaucoup plus en réalité, et qui va encore augmenter : des centaines de milliers de suppression d’emplois sont prévues dans le cadre de la restructuration des entreprises d’Etat déficitaires, alors que le nombre d’emplois que crée l’économie est inférieur au nombre de jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail (en 1994 l’économie qui devait connaître, selon les prévisions des « experts », une expansion de 3% en conséquence des orientations libérales mises au point par le FMI, a en réalité stagné). Des salaires réels en baisse constante (augmentation des salaires nominaux de 20% en fm d’année, alors que l’inflation est proche de 30% par mois) quand ils sont payés (les 86 employés de la MUNATEC de Tipaza n’ont pas été payés depuis 6 mois et ils sont menacés de licenciement chaque fois qu’ils demandent leur paiement (exemple qui n’est pas unique). Des denrées de première nécessité introuvables ou hors de prix. Des services sociaux et de santé en pleine déliquescence, des logements dégradés, exigus et en nombre insuffisants, etc., etc.

Et par dessus tout ça un climat d’insécurité provoqué avant tout par le
terrorisme d’Etat, avec le couvre-feu, les barrages policiers, les exécutions collectives de présumés islamiste ou d’amis d’amis de présumés islamistes, les expéditions punitives dans les quartiers populaires, les cadavres des victimes, souvent la tête coupée ou affreusement torturées, laissées bien en évidence : des dizaines de milliers de victimes depuis deux ans, des dizaines par jour qui sont loin d’être toutes des islamistes (2).

En réaction, la sympathie de beaucoup, surtout chez les jeunes et les chômeurs, va vers les islamistes qui offrent une perspective de lutte directe et de changement radical devant cette situation invivable.

Mais cette solution est précisément réactionnaire sans perspective réelle. En effet si les attentats islamistes constituent indéniablement un facteur de crise, l’islamisme en tant que tel rend service au capitalisme, en détournant les énergies et la colère dans des impasses sanglantes et mortelles qui confinent parfois au simple banditisme. En l’absence de l’islamisme, les formidables tensions sociales provoquées par la crise du capitalisme algérien auraient pu s’exprimer sur le terrain de la lutte ouverte des opprimés contre le capitalisme, sur le terrain de l’affrontement collectif avec l’Etat bourgeois. L’affrontement islamistes-forces de répression est, à l’heure actuelle, et dans la mesure où il n’atteint pas une intensité trop élevée, le seul mécanisme qui permet au capitalisme algérien de gérer l’offensive générale qu’il mène contre la classe ouvrière et tous les exploités afin de restaurer sa santé défaillante.

Les rêves typiquement petit bourgeois d’établissement d’une démocratie libérale et de la pacification du pays par la réconciliation générale sont aujourd’hui et pour l’avenir prévisible rien d’autre qu’une chimère.

La seule issue à la situation qui existe actuellement, ou à une éventuelle association de secteurs islamistes au pouvoir qui ne ferait qu’accentuer encore la pression sur la classe ouvrière, réside dans le déclenchement de la lutte prolétarienne sur le terrain de classe, d’abord pour la défense des conditions de vie et de travail des masses. Cette possibilité est beaucoup moins utopique que la perspective bourgeoise dessinée à Rome ; des conflits éclatent tous les jours (dernier exemple en date : la grève illimitée des 105 travailleurs de l’EMIRA à Bouira déclenchée le 2 janvier). Mais la voie suivie par les bonzes syndicaux de l’UGTA, qui viennent de tenir leur Congrès, vise à empêcher l’entrée en lutte massive et générale des prolétaires, même et surtout quand elle joue la comédie de l’intransigeance face au gouvernement et au patronat.

Il faudra donc que la classe ouvrière en Algérie aussi reconstitue ses organisations économiques classistes pour que sa lutte ne soit pas trahie par l’opportunisme syndical ; tout ceci ne se fera pas en un jour, et implique que les militants d’avant-garde y travaillent sérieusement sans tomber dans l’erreur de trouver des raccourcis commodes du côté des illusionnistes bourgeois. Il n’y a pas d’autre voie !


(1) Il s’agit du « Parti des Travailleurs » dirigé par Louisa Hannoun, liée au PT français. Sa présence dans ce rassemblement n’a rien d’étonnant pour ce parti qui a déjà fait la preuve de sa nature petite-bourgeoise.

(2) Les chiffres avancées le plus souvent font état de 20.000 morts en 2 ans, et de 500 à 800 par semaine.

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