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Algérie : Contre les bandes des Frères musulmans et les Baathistes !

Article paru dans Le Prolétaire, n° 368, 11 décembre 1982 au 20 janvier 1983, p. 4


Avec le « mouvement du printemps » 80, le mouvement de masse étudiant redémarra avec un souffle nouveau, comme l’atteste la mise sur pied d’une coordination universitaire à Alger qui englobait non seulement des étudiants de plusieurs filières (Sciences éco, Droit, Médecine) mais qui surtout travaillait en liaison avec la coordination de Tizi-Ouzou.

Cela est d’autant plus important qu’il faut se rappeler que le cloisonnement des luttes et l’isolement des grèves des étudiants arabophones en 77-78 ont considérablement facilité les sales besognes de manipulation et de récupération du mouvement par les nationalistes pan-arabistes du Baâth, dans le but de l’utiliser comme foyer de recrutement d’une police parallèle qu’on a vue à l’œuvre durant « le mouvement du printemps ».

Mais, malgré la montée des courants Baâthistes et Frères Musulmans à l’Université, il reste un fait éminemment positif : c’est dans la lutte pour leurs revendications pédagogiques et sociales urgentes que les étudiants se sont rendus compte de la nécessité de s’organiser indépendamment de la CNE-UNJA (1).

Depuis mai 81 et ces derniers mois, on a vu se multiplier dans plusieurs villes d’Algérie les agressions des Frères Musulmans contre les jeunes qui ne sont guère enthousiasmés par l’idéologie obscurantiste de ces tenants de l’ordre islamique.

Cette vague de répression para-légale qu’ont vécue les jeunes et les étudiants dans l’année 81, ne fait en réalité que compléter les mesures prises par l’Etat bourgeois lui-même : présence systématique et accrue des flics dans les rues, contrôles d’identité très fréquents, décision gouvernementale limitant la sortie des jeunes filles du territoire national. Tout cela au moment où le régime de Chadli vient de lever démocratiquement le contrôle que faisait l’Etat sur le Hadith prêché dans les mosquées, et où l’impunité totale accordée aux « FM » les encourage de fait à sévir et à intimider le mouvement de masse.

MAI 1981 : à Boumerdès, Kouba, el-Harrach, Ben Aknoun, etc., dans la région algéroise, plusieurs étudiants ont été agressés, que ce soit à l’occasion de la projection de film jugé « immoral », ou à l’occasion d’une quelconque activité culturelle.

A ORAN : ces sinistres défenseurs de l’Islam ont jeté sur des filles de l’esprit de sel.

JUIN 1981 à ANNABA : des groupes de « FM » armés et aidés par des éléments venus de Batna, Tebessa, etc., ont provoqué de violents affrontements dans l’enceinte universitaire. La police arrête ceux qui ont eu le courage de répondre coup pour coup à l’agression !

JUIN 81 à CONSTANTINE : l’Université a été occupée par des groupes de « FM » armés et aidés par des éléments extérieurs à l’Université qui contrôlaient l’accès de l’Université , fouillaient les étudiants et les enseignants, agressant un grand nombre d’entre eux. Les étudiants qui ont constitué une délégation pour protester pacifiquement auprès des autorités ont été violemment dispersés par les services d’ordre.

JUIN 81 à ALGER : à la Faculté d’Alger, les Baâthistes attaquent à coups de couteaux des étudiants du Collectif Culturel. La police arrête plusieurs militants du Collectif.

SETIF, JUILLET 81 : à la suite d’une soirée culturelle, des jeunes sont agressés par un groupe de « FM » qui fait plusieurs blessés, et ceci avec la bénédiction du Parti et des flics ; mais le lendemain le Comité Culturel a organisé une riposte qui a fait plusieurs blessés chez les « FM ».

OUARGLA, SEPTEMBRE 81 : un groupe de « FM » s’est heurté à la police militaire qui cherchait un déserteur et a tué un officier. Cela a obligé Chadli et les responsables religieux à faire.une déclaration; puis l’affaire fut rapidement étouffée comme si rien ne s’était passé.

ALGER, OCTOBRE 82 à BEN AKNOUN : à la suite d’une préparation d’une grève sur des revendications pédagogiques et sociales, les étudiants de plusieurs filières qui ne croient plus à l’UNJE-CNE se sont affrontés à des troupes de Frères Musulmans et de militants du FLN. Cet affrontement aurait fait deux morts et plusieurs blessés. La brigade anti-émeute est intervenue tout de suite ; on parle de plusieurs arrestations du côté des étudiants.

La violence de ces affrontements a été à la mesure du ras-le-bol que ressentent les étudiants depuis plusieurs mois ; ils sont constamment épiés, fouillés à l’entrée de l’Université ; ils doivent travailler dans des conditions inadmissibles, endurer les provocations des flics et des militants du Parti et des « FM ».

L’oppression et la répression multiformes que nous venons de décrire sont orchestrées par la bourgeoisie et principalement organisées et appliquées par l’organe de défense de cette classe, l’Etat bourgeois.

BOURZAM, inspirateur du groupe Baâthiste « Saout-E-TAARIB » et connu pour ses rapports privilégiés avec le Baâth Irakien, était rien moins que secrétaire général de l’UNJA, et par la suite, Commissaire National du FLN à la Wilaya de TIZI OUZOU lors des événements du printemps 80 ! BOUALEM BENHAMOUDA, connu pour ses « liens intimes » avec le mouvement islamique intégriste, est membre du Bureau Politique du FLN et Ministre de l’Intérieur.

Donc il ne faut pas s’y tromper, les faits montrent que les Frères Musulmans et les Baâthistes ne sont que les alliés naturels de la bourgeoisie, et la violence para-légale de ces sectes n’est qu’un épisode de la violence bourgeoise qui s’abat sur les masses populaires en Algérie.

L’Etat montre qu’il ne tolère pas d’organisation autonome de quelque envergure que ce soit (et surtout à Alger) ; lorsqu’il y est contraint pour quelque temps, il ne se gêne pas pour frapper dès que l’occasion se présente.

Depuis septembre 82 le pouvoir bourgeois et son Parti, le FLN, veut se donner une force pour faire face aux luttes sociales qui se développent ; depuis le début du mois d’octobre on peut signaler la SONACOME de ROUIBA, la SONITEX, SONATRACH département chimie, etc. Cela a amené Chadli à signer une circulaire destinée aux « militants » du FLN. Cette circulaire n° 30 exprime une double volonté de la part de la bourgeoisie : d’une part, se doter d’un véritable parti politique qui puisse contrôler les masses et donc, d’autre part, un parti dont les militants devront, surtout dans les usines, être à l’écoute de ce qui se passe pour mieux surveiller et manipuler les ouvriers.

L’exemple de la Pologne est à cet égard fort instructif. Lorsque l’Etat bourgeois contrôle directement les syndicats officiels, les organisations de femmes et de jeunes, la classe ouvrière et les masses exploitées ne trouvent pas immédiatement les canaux organisatifs et les méthodes de lutte qui lui permettent de satisfaire leurs besoins politiques, sociaux, matériels. C’est ce qui explique que dans un premier temps que l’on a affaire à des mouvements spontanés, isolés les uns des autres et qui débouchent parfois sur des émeutes. Puis découlant des premières expériences, le besoin de l’organisation se faisant ressentir apparaissent des comités autonomes et de coordination. Mais l’effort d’organisation, avec tous les risques qu’il comporte, vu la répression systématique apparaît tellement disproportionné par rapport aux objectifs immédiats mis en avant dans ces conditions, que seuls des militants ayant un projet poli tique et social à long terme ont la force de s’y consacrer au début. Nous devons en tirer toutes les conclusions pour l’Algérie. Le mécontentement et la combativité des masses travailleuses et de la jeunesse n’ont pas été entamés par la répression bourgeoise, et noue avons le devoir de prendre appui sur cette énergie pour susciter le besoin de l’organisation, car on se tromperait lourdement si l’on croyait un seul instant que l’organisation naîtra spontanément du mécontentement et de la combativité des masses.

Face à l’Etat qui mobilise des forces énormes pour contrôler les travailleurs les jeunes, les femmes et pour mettre fin au mouvement, il faut des militants convaincue que si on lâchait prise dans la lutte présente pour des revendications partielles, on se priverait du même coup de la possibilité d’engager demain la lutte révolutionnaire finale. C’est dire la nécessité primordiale du PARTI D’AVANT-GARDE REVOLUTIONNAIRE qui seul peut relier la lutte particulière actuelle aux luttes générales de demain en donnant à la classe ouvrière en mouvement l’unité de but, de volonté et d’action.

La bourgeoisie cherche à renforcer son parti dans la perspective des futurs affrontements ; il revient aux révolutionnaires de travailler pour doter la classe ouvrière de son parti. C’est là la priorité des priorités.


Notes :

CNE : Conseil National des Etudiants ;

UNJA : Union Nationale de la Jeunesse Algérienne.

3 réponses sur « Algérie : Contre les bandes des Frères musulmans et les Baathistes ! »

C’est un document historique très intéressant et éclairant. La conclusion « avant-gardiste » paraît périmée aujourd’hui, mais, d’un autre côté, l’alternative collective à l’avant-gardisme n’est pas très visible de nos jours…

En effet, le texte rapporte des faits et une analyse complètement refoulés de nos jours. Quant à la conclusion, je te rejoins bien sûr. C’est d’ailleurs la problématique majeure de notre époque.

Oui. Ce témoignage montrent bien la nature fasciste, et donc anti-prolétarienne et anti-gauche, des mouvements islamistes et baathistes, qui ont d’ailleurs fusionné par la suite au sein de Daesh.
Sur la question de l’avant-gardisme, j’en profite pour réagir à un autre article que tu as publié ces jours derniers. Je crois que c’était également tiré du Prolétaire. La conclusion disait en substance que la révolution devait être l’oeuvre du prolétariat lui-même. Mais tout le reste de l’article parlait de la nécessité d’une avant-garde éclairée pour conduire comme il se doit le prolétariat sur le chemin de son émancipation « par lui-même ». L’auteur de l’article n’avait pas l’air de percevoir la contradiction! La réaction à l’avant-gardisme a donné lieu vers les années 90 à une autre dérive : celle de la gauche-mégaphone, bien représentée par le logo et la politique du NPA, mais aussi à sa façon par le PCF du temps de Robert Hue. L’organisation de gauche n’était plus alors perçue que comme une chambre d’enregistrement et de relai des « mouvements sociaux », quels qu’ils soient et quoiqu’ils disent. Le point commun avec l’avant-gardisme, c’est que l’organisation de gauche se perçoit toujours comme extérieure au mouvement populaire : dans le premier cas en le dirigeant, dans le second en étant dirigée (ou en feignant de l’être, car je pense qu’au fond le NPA n’a jamais renoncé à son avant-gardisme) par lui. Plus récemment, la FI a donné l’exemple d’une étonnante fusion de ces deux dérives en associant une bureaucratie avant-gardiste digne des sectes gauchistes les plus illuminées et une démagogie pouvant faire cohabiter un souverainisme à la limite du nationalisme et de la xénophobie avec l’antiracisme politique.
De mon point de vue, la solution à ce dilemme n’est pourtant pas bien compliquée : il est légitime que des personnes qui partagent des principes forts se regroupent pour réfléchir, agir et s’exprimer ensemble. Ni avant-garde, ni mégaphone, ils font partie du mouvement populaire, auquel ils apportent leur contribution. Mais s’organiser aujourd’hui soulève bien d’autres difficultés. On dirait que plus la gauche s’effondre, plus les personnes encore prêtes à s’y engager sont à fleur de peau. Il y a la crainte de tomber dans telle dérive en régissant à telle autre. Il y a aussi les égos et les susceptibilités qui s’aiguisent, un phénomène aggravé par internet. Le moindre regroupement donne lieu à des enjeux de pouvoir, le plus souvent purement symboliques. Sur le fond, cela est aussi dû au fait qu’il n’y a plus de base idéologique assez forte pour permettre un regroupement : après les dérives stalinienne, social-libérales, racialiste et parfois social-chauvine (en réaction au racialisme), tout est remis en question. On dirait qu’une bombe atomique a explosé sur un gigantesque théâtre. Les acteurs survivants du cataclysme errent dans un monde à la mad max, leur costume en lambeaux, du cambouis sur le visage… Bon, je pourrais partir encore plus loin, mais je vais m’arrêter là 🙂 ! Bonne année quand-même!

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