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Amédée Dunois : Colossale erreur

Article d’Amédée Dunois signé Nicolas Moreau paru dans Socialisme et Liberté, n° 12, 1er novembre 1942


La chasse aux juifs se poursuit et s’aggrave, sous le béton du sieur Darquois de Pellepied. On a guère touché jusqu’ici qu’aux juifs réfugiés, mais le bruit court que les juifs français (ou plutôt les Français juifs) auront bientôt leur tour. Comme le disait l’autre jour un officier allemand à une dame de notre connaissance apparentée à la race maudite : « Il n’y a pas, madame, de juifs français, allemands, polonais, nous ne connaissons que des juifs tout court ». Au reste, si l’on n’en est pas encore à embarquer en masse les israélites de chez nous pour les camp de l’est européen, ils n’en subissent pas moins, sur place, toutes les vexations d’une inhumanité raffinée que le sadisme antisémitique se plait à mettre au jour.

Ce sera l’honneur des églises chrétiennes (catholique et protestante) d’avoir mêlé leur voix au concert de réprobation indignée qui s’élève de tous les coins du monde contre la barbarie anti-juive. Il nous est rarement arrivé en tant d’années de vie militante de nous trouver d’accord avec les représentants de Dieu sur la terre. Mais aujourd’hui le fait est là. Instruites par l’expérience italo-allemande de ce qu’elles ont à attendre de l’intoxication raciste, les Eglises ont pris décidément parti contre le dogme odieux de l’inégalité des races. Leur foi dans l’unité divine rejoint dans cette bataille notre religion de l’unité humaine. Si nous sommes tous enfants d’un même Père, c’est donc que nous sommes tous frères. Et ainsi l’Évangile et la déclaration des Droits de l’Homme se retrouvent et cela n’est contraire ni à la logique, ni à l’histoire. Ne descendent-ils par tous les deux de la même source, à savoir cette vieille conception stoïcienne du monde qui faisait de l’humanité tout entière, unie par les liens du droit, une seule famille et qui prêchait en langage profane la « charité du genre humain ».

La réplique des nazis français aux mandements épiscopaux n’a pas été longue à venir. Déat s’en est chargé ! Et nous avons appris de ce pet-de-loup hargneux que le catholicisme est « aussi pénétré, aussi contaminé d’idéologie libérale et démocratique que peut l’être notre monde laïque et profane ». Et aussi que « les Français auraient été moins facilement démocrates s’ils n’avaient pas été profondément christianisés ».

C’est possible. Le temps, la place nous manquent pour mettre la chose au clair. Ce qu’il faut retenir de l’article du nabot de l’Oeuvre, c’est cette déclaration de guerre au Christianisme coupable de faire la sourde oreille à « l’appel de la Race, du Sang et du Sol ». C’est une menace à l’Eglise d’avoir à subir quelque jour « la force conquérante et convertissante d’un nouvel Islam ». C’est une sommation d’avoir à se soumettre pour n’avoir pas à se démettre.

Deux observations rapides pour aujourd’hui :

La Révolution Française qui était tout autre chose, dans l’ordre de la grandeur, que l’hitlérisme, s’est pourtant achoppée à la puissance traditionnelle du catholicisme. Le national-socialisme espère-t-il avoir plus de succès dans la bagarre, que la Révolution Française, qui n’était pas, elle, ce qu’il est, lui : un monstrueux retour en arrière, une militarisation des esprits et des corps, une divinisation de l’inégalité et de la guerre.

Autre remarque : Il y a de ces conquêtes définitives sur lesquelles il est absurde et vain de chercher à revenir. La démocratie, ce fait le plus continu et le plus ancien de l’histoire au dire de Tocqueville, est une de ces conquêtes-là, comme le sont celles de la science et de la raison. Il y avait de la démocratie dans la primitive Eglise comme il y avait du communisme, et l’on peut suivre à la trace le lent cheminement de l’idée démocratique à travers les siècles jusqu’au grand épanouissement de la Révolution Française. Tenter de revenir là-dessus est la pire des aberrations.

Nous n’avons jamais, nous socialistes marxistes, conçu le socialisme que comme l’achèvement de toutes les révolutions émancipatrices du passé. La colossale erreur du national-socialisme — qui n’est d’ailleurs ni national, ni socialiste — est de croire à l’avènement de principes nouveaux et de valeurs nouvelles contredisant et démentant tous les principes, toutes les valeurs traditionnelles. Si une totale rupture avec le passé était possible, ce que nous nions, elle plongerait le monde dans un gouffre de barbarie, en un nouveau moyen-âge auprès duquel l’ancien moyen-âge, chevaleresque et chrétien, n’aurait été qu’une berquinade.

Cette rupture n’aura pas lieu, parce qu’elle serait la condamnation de l’histoire et que les nations unies — Amérique, Grande-Bretagne, Dominions et U.R.S.S., — s’apprêtent à y mettre ordre. Le socialisme qui viendra (ce qui est nécessaire finit toujours par venir) sera l’achèvement de tout l’effort du passé vers la délivrance humaine.

Toutes les aspirations de la philosophie antique et du christianisme naissant, celles de la réforme, de l’humanisme, celles du rationalisme et du libéralisme, de ces révolutions bourgeoises dont nous ne répudions rien, se fondront, s’harmoniseront et revivront dans le socialisme.

Et c’est pourquoi, riche de tous les apports du passé, il a pour lui l’avenir.

Nicolas MOREAU.

2 réponses sur « Amédée Dunois : Colossale erreur »

Tiens tiens ! On retrouve les termes « rupture avec le passé  » tant de fois entendus ces derniers temps…c’est à nouveau à la mode ?

Merci de ton retour. Je t’avoue ne pas avoir remarqué le phénomène que tu décris… Mais je vais tendre l’oreille !

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