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La rébellion berbère secoue le régime militaire de Bouteflika

Article paru dans Le Bolchévik, n° 157, automne 2001, p. 11-15


28 août – Cela fait maintenant plus de quatre mois que l’Algérie est secouée par une révolte populaire contre le régime répressif du président Abdelaziz Bouteflika. Cela a commencé au mois d’avril par des manifestations contre la terreur policière qui sévit en Kabylie (à l’est d’Alger) vis-à-vis de la minorité opprimée berbère, mais cela s’est rapidement étendu aux masses de jeunes chômeurs et déshérités arabes de villes et bourgades dans tout le pays. Loin de calmer la révolte, la réaction brutale du régime militaire, qui a fait une centaine de victimes et des milliers de blessés, n’a fait qu’intensifier la colère des masses, et en particulier de la jeunesse chez qui le taux de chômage s’élève à 80 %. « Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts ! » disait une des banderoles de la manifestation du 14 juin à Alger. Un million de personnes ont participé à cette manifestation, ce qui en fait la plus grande manifestation de toute l’histoire de l’Algérie. Le Quotidien d’Oran, un journal bourgeois, disait que le pays est « au bord de l’insurrection. » Le gouvernement n’a pu empêcher qu’une telle mobilisation de masse ne se reproduise à Alger le 5 juillet puis le 8 août, qu’en bouclant toute la Kabylie avec un énorme dispositif policier. Le 20 août, le gouvernement nationaliste bourgeois n’a pu tenir la commémoration traditionnelle du congrès de la Soummam de 1956 (en pleine guerre d’Algérie) en raison d’une manifestation de centaines de milliers de Kabyles, qui se revendiquent des traditions de ce congrès du FLN contre le régime décrépit actuel. A bas la répression du gouvernement algérien contre les Berbères ! Libération immédiate des jeunes emprisonnés !

Les jeunes qui sont descendus dans la rue autour du vingt-et-unième anniversaire de la révolte du Printemps berbère de 1980, exigent la reconnaissance de leur propre langue, le tamazight. Les Berbères peuplent l’Afrique du Nord depuis très longtemps. Après la conquête arabe, ils ont été pour la plupart repoussés dans les régions montagneuses ou isolées. Aujourd’hui en Algérie et au Maroc, où ils vivent pour la plupart, ils sont victimes d’une arabisation forcée, et d’une discrimination culturelle et linguistique.

Mais alors que le Printemps berbère s’était limité à la Kabylie, les manifestations se sont étendues aussi à la majorité arabe, qui est aussi en colère étant donné le chômage, le manque de logements et d’eau, la corruption et la répression gouvernementale. Les masses qui sont descendues dans la rue s’attaquent ouvertement au régime de Bouteflika aux cris de « Pouvoir assassin ! » et « yen a marre de ce pouvoir ! » Le Monde écrivait le 9 août : « Le pouvoir algérien a-t-il les moyens de cantonner l’agitation à la seule Kabylie? Ou est-ce, au contraire, le prélude à une protestation tourbillonnante capable de faire vaciller les fondations et les barons du régime ? »

Les répercussions potentielles de la révolte actuelle vont beaucoup plus loin que les frontières de l’Algérie, troisième producteur de gaz naturel dans le monde. Dans toute l’Afrique du Nord les masses travailleuses, la paysannerie pauvre et les opprimés souffrent sous le joug de l’exploitation des impérialistes et l’austérité qu’ils imposent par l’ intermédiaire des gouvernements nationalistes locaux. Dans la France impérialiste (et en Espagne dans une moindre mesure), il y a de grosses concentrations de travailleurs d’origine maghrébine et ceux-ci constituent une composante stratégique de la classe ouvrière industrielle. Dans toute la France, il y a des explosions de révolte dans les banlieues. Les jeunes des minorités ethniques parmi lesquels il y a énormément de chômage et qui sont victimes de discriminations racistes systématiques, expriment leur juste rage en s’en prenant aux flics, forces d’occupation, souvent en attaquant les commissariats.

Comme nous le disions dans un tract en date du 15 juin, ces ouvriers maghrébins doublement opprimés représentent un pont vivant entre le prolétariat multiethnique en France et les travailleurs des semi-colonies ; ils pourraient servir de catalyseur à la lutte révolutionnaire dans le ventre de la bête impérialiste. A Paris, des dizaines de milliers de personnes ont pris part à une manifestation de solidarité le 17 juin, la plus importante mobilisation algérienne en France depuis le 17 octobre 1961. Nous avons distribué des milliers de tracts et des centaines de journaux à cette manifestation et dans d’autres mobilisations et concerts de solidarité depuis le début de la rébellion, et nous avons eu de nombreuses discussions avec des manifestants sur le rôle de la classe ouvrière, sur l’Union soviétique et sur l’importance de la question femmes.

Après presque quarante ans de régime nationaliste bourgeois et une dizaine d’années de guerre civile meurtrière entre les tortionnaires de l’armée et les réactionnaires islamistes, ce qu’il faut aujourd’hui en Algérie c’est une polarisation de classe. La classe ouvrière est la seule force sociale qui ait la puissance nécessaire pour diriger les Berbères, les paysans pauvres, les jeunes chômeurs, les femmes et tous les opprimés dans un assaut révolutionnaire contre l’ordre capitaliste. Après la victoire contre le colonialisme français et l’indépendance en 1962, le pays a bâti un secteur industriel significatif, en utilisant les revenus pétroliers pour importer des usines entières. Ceci a créé un prolétariat industriel tant dans l’industrie lourde (comme par exemple le complexe sidérurgique d’El Hadjar ou la fabrique de camions de la SNVI à Rouiba) que dans l’industrie légère et dans les transports, un prolétariat qui – avec les ouvriers du pétrole et du gaz qui produisent à eux seuls 35 % du PIB – a une puissance sociale qui dépasse de loin son poids numérique.

Il est vrai que cette classe ouvrière a été affaiblie par la transformation de tout le Sud du pays (où se trouvent les puits de pétrole et de gaz naturel) en enclave impérialiste militarisée et coupée de la population algérienne ; elle est affaiblie aussi par les privatisations et fermetures d’usine sous les ordres du FMI et des impérialistes, qui ont jeté des dizaines de milliers d’ouvriers à la rue. Le gigantesque complexe sidérurgique d’El Hadjar à Annaba a réduit de moitié son personnel. Pourtant ces ouvriers ont donné une indication de leur puissance sociale lorsqu’ils se sont mis en grève contre les licenciements et un gel des salaires en mai 2000. Les gendarmes ont tiré des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc dans une manifestation de 9 000 grévistes. Le gouvernement a tellement peur de la classe ouvrière que, malgré des plans de privatisation depuis près de 20 ans, le secteur public représentait toujours plus de 80 % de la valeur ajoutée dans l’industrie en 1994.

Ce qui a mis fin à la grève c’est la direction de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) qui a des liens étroits avec le régime militaire. Il n’est pas surprenant qu’avec la politique de la direction de l’UGTA, la classe ouvrière ait été remarquablement absente des récentes manifestations, du moins en tant que force politique indépendante. Depuis 1962 la classe ouvrière en Algérie est assujettie à sa propre bourgeoisie par le biais du nationalisme bourgeois. La direction corporatiste de l’UGTA, la fédération syndicale algérienne, est directement liée au régime, et elle a fini par dénoncer son propre soutien initial à la manifestation pour la « défense des libertés démocratiques » à Alger le 7 juin.

Malgré des dizaines de tués et de nombreuses arrestations, les jeunes Berbères ont montré énormément de courage et de combativité. Mais ils sont en grande partie au chômage, et leur puissance sociale ne fait pas le poids par elle-même face à ce régime arrogant et brutal, qui est manifestement déterminé à se montrer intransigeant et à refuser toute concession. Le problème principal c’est que la classe ouvrière n’est pas mobilisée en tant que classe pour soi contre le régime. La Kabylie est l’une des régions les plus pauvres du pays ; il n’y a que quelques usines non stratégiques et la région est assez éloignée des centres du pouvoir, comme Alger et Annaba. Il est absolument nécessaire que le mouvement de protestation fasse la jonction avec la puissance des secteurs industriels de la classe ouvrière algérienne.

Les syndicats devraient être un instrument pour l’unité de la classe ouvrière, incluant tant les Berbères que les Arabes, dans la lutte contre le régime militaire. La tâche urgente à laquelle sont confrontés les ouvriers algériens, berbères et arabes, c’est de forger un parti d’avant-garde léniniste pour diriger le prolétariat à la tête de tous les opprimés, vers la prise du pouvoir d’Etat. Cela signifie avant tout un combat politique pour que le prolétariat prenne conscience de son rôle révolutionnaire, pour briser l’étau de la direction de l’UGTA, et extirper l’influence tant des intégristes islamiques que des nationalistes qui se font passer pour des oppositionnels au régime parmi les masses populaires.

Le gouvernement cherche aujourd’hui à diviser la classe ouvrière en exacerbant le nationalisme dominant, celui de la population arabophone, contre les Berbères. Les nationalistes algériens affirment qu’une nation homogène s’est forgée dans le creuset de la guerre d’indépendance. C’est un mensonge, comme le montre la révolte actuelle en Kabylie, ainsi que les discriminations et la répression dont sont constamment victimes les Kabyles. Partout en Afrique, tout ce que « construire la nation » veut dire c’est que le groupe dominant opprime les groupes nationaux ou ethniques qui sont minoritaires. Le fait que les antagonismes nationaux et ethniques n’ont pas disparu mais se sont aiguisés en quelque sorte sous le régime nationaliste bourgeois, souligne la nécessité de renverser le capitalisme ; c’est la condition préalable à l’égalité nationale et au développement économique.

Les trotskystes appellent à une égalité complète entre toutes les langues utilisées en Algérie – l’arabe, le berbère et le français. A bas l’arabisation forcée ! Les ouvriers au pouvoir accorderaient aux régions berbères le pouvoir politique d’administrer les questions d’ordre local ou régional, dans le cadre d’une politique décidée démocratiquement au niveau national. A ce stade les différentes régions berbérophones n’ont pas consolidé une nation, même si cela peut arriver si la répression s’intensifie encore de la part du régime militaire et/ou des intégristes dont le chauvinisme arabe est virulent.

Pour la libération des femmes par la révolution socialiste !

En Kabylie, beaucoup de femmes se sont jointes aux manifestations, quelque chose qu’on a rarement vu depuis la guerre d’indépendance de 1954-1962 contre la France. La dernière fois que des femmes algériennes étaient descendues dans la rue en masse, c’était au début des années 1990, en réponse aux assassins intégristes du Front islamique du salut (FIS) et son Armée islamique du salut (AIS), ainsi qu’au Groupe islamique armé (GIA) encore plus sanguinaire, qui s’attaquaient aux femmes non voilées, aux syndicalistes et aux intellectuels laïques et les assassinaient. Mais ces manifestations étaient subordonnées au régime militaire nationaliste, qui lui-même applique des lois réactionnaires anti-femmes. Le pays est saigné par une guerre civile qui a fait plus de 100 000 morts, tués par des groupés islamistes ou par l’armée et ses troupes spéciales. Cette guerre est la conséquence de la faillite des nationalistes bourgeois au pouvoir. C’est à cause de l’impasse manifeste du nationalisme bourgeois, notamment après le massacre des jeunes en 1988, et parce qu’il n’y avait pas en Algérie de force avançant une alternative communiste, que l’intégrisme réactionnaire s’est développé en tant que mouvement de masse. Nous avons constamment refusé de soutenir tant le régime militaire que les islamistes, que ce soit dans les élections de 1992 ou dans la guerre civile qui s’en est suivie.

Après son arrivée au pouvoir suite à la victoire contre le colonialisme français en 1962, le FLN a imposé l’« arabisation » aux Berbères et la loi islamique aux femmes : la chariah, codifiée dans le Code de la famille de 1984, interdit le mariage avec des hommes non, musulmans, autorise la polygamie, rend le divorce presque impossible pour les femmes (sans parler du droit à l’avortement), et les relègue à un statut de mineures éternelles qui doivent « obéissance » à leur mari. Un parti d’avant-garde ouvrier, agissant en tribun populaire, lutterait contre toutes les manifestations de chauvinisme arabe et de préjugés anti-femmes et anti-homosexuels. A bas le Code de la famille ! Pour la séparation de la religion et de l’Etat !

La gauche algérienne sacrifie la lutte pour les droits des femmes afin de se mettre à la remorque des nationalistes au pouvoir, ou des islamistes, ou des deux. Le Parti socialiste des travailleurs (PST), affilié au Secrétariat unifié dont fait partie la LCR française de Krivine, acceptait de laisser tomber la plate-forme de Béjaïa du 7 juin, réformiste mais opposée pour la forme au Code de la famille, afin de se ranger derrière la plate-forme officielle des notables des comités de village kabyles où les droits des femmes n’ont pas leur place (Chawki Salhi, le dirigeant du PST, appelait cela cyniquement une « reculade pour la bonne cause, pour ne pas se couper des structures que s’est donné le mouvement réel » ! Inprecor n° 459-460, juin-juillet). La soi-disant « extrême » gauche française, qui capitule devant les sociaux-démocrates qui gouvernent l’impérialisme français, fait preuve de la même indifférence révoltante. La lutte pour la libération des femmes, que ce soit l’opposition au voile ou la lutte pour le droit à l’avortement, est une question stratégique et explosive en Algérie. Lorsque la Ligue communiste internationale avait insisté là-dessus au moment où la guerre civile avec les intégristes éclatait, cela avait fait pousser les hauts cris à un certain Damien Elliott, alors porte-parole de l’aile gauche du Secrétariat unifié : Elliott déclarait en 1992, montrant le même mépris que la bourgeoisie française vis-à-vis de son ancienne colonie, que la lutte pour le droit à l’avortement, c’est bien à Paris mais qu’en Algérie, c’est une « imbécillité ultra-gauchiste ». De même le PST aujourd’hui refuse de revendiquer le droit à l’avortement en Algérie.

En 1979, le Secrétariat unifié comme les sociaux-démocrates groupés autour du Socialist Workers Party britannique de feu Tony Cliff (et toute une série de groupes centristes) s’enthousiasmaient pour la « révolution islamique » de Khomeiny en Iran, alors même que celui-ci emprisonnait et tuait des milliers de militants de gauche. Dans les années 1980 ces groupes s’étaient rangés derrière les impérialistes et s’opposaient à l’armée soviétique qui combattait les intégristes islamistes en Afghanistan. Au fond ce qui conduisait ces soi-disant organisations de gauche à se réjouir alors que la réaction islamiste férocement anti-femmes s’étendait dans la région, c’est leur antisoviétisme et leur capitulation devant leur propre bourgeoisie. Aujourd’hui, le Secrétariat désunifié et les cliffistes dont la pseudo-internationale vient d’éclater l’année dernière, ont une part de responsabilité dans le fait que l’Iran et l’Afghanistan sont aujourd’hui un enfer pour les femmes. Nous, la Ligue communiste internationale, disons : Non au voile ! Avortement libre et gratuit ! Pleins droits démocratiques pour les homosexuels !

Le PST a une bureaucrate haut placée dans l’UGTA, glorifie les comités de village en Kabylie ; ils parlent d’« embryons de double pouvoir »… dont les femmes sont exclues ! Les vrais « embryons de double pouvoir », c’est quand la classe ouvrière se dote de ses propres organes de pouvoir qui se préparent à renverser l’Etat bourgeois, comme les soviets l’ont fait dans la Révolution russe. Pour mener cette lutte à la victoire il a fallu à ces soviets la direction d’un parti bolchévique. Mais le PST représente un obstacle à la construction d’un tel parti en Algérie, allant jusqu’à travestir des organisations anti-femmes en organes révolutionnaires. Toute la perspective du PST est de ramener le soulèvement actuel au niveau d’une « lutte démocratique et sociale contre le régime des tyrans en Algérie », c’est-à-dire une lutte demeurant dans le cadre du capitalisme. Ce groupe s’est toujours présenté comme une opposition loyale, et a même soutenu ouvertement le régime nationaliste. Ces pablistes ont abjectement capitulé sur le Code de la famille pour maintenir l’unité avec les notables des comités de village, qui sont une composante de l’ordre nationaliste bourgeois. Cette politique d’« unité » avec les nationalistes bourgeois remonte à loin. Au début des années 60 leur dirigeant international, Michel Pablo, avait accepté un poste dans le régime de Ben Bella, et en 1963 il y était resté alors qu’en Kabylie l’armée noyait une révolte dans le sang. Le PST cherche sans arrêt à faire pression sur le régime militaire pour qu’il soit plus « démocratique » : « Puisque le pouvoir prétend reconnaître la légitimité de la révolte des jeunes, il doit satisfaire leurs revendications qui rejoignent celles des travailleurs en lutte et celles des masses populaires victimes de la hogra et de la misère » (déclaration du PST du Premier Mai). Le but d’un tel crétinisme c’est de ramener les luttes ouvrières sur le terrain d’une pression sur le régime. C’est une perspective vraiment suicidaire dans un pays comme l’Algérie ravagée par la guerre et sous la botte de l’impérialisme, où la démocratie bourgeoise relève des châteaux en Espagne.

Impérialisme français, bas les pattes devant l’Algérie !

Le Front des Forces socialistes (FFS), quoique discrédité à cause de son rôle d’avocat pour les intégristes islamiques (il est allé jusqu’à former une alliance avec le FIS à l’initiative des impérialistes en 1995), a joué un rôle proéminent dans ces manifestations. Même le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) qui a des liens étroits avec les durs de l’armée et qui est resté dans le gouvernement de Bouteflika jusqu’au Premier Mai dernier, a essayé récemment de se redonner de la crédibilité en tant que force d’opposition. Mais ces partis bourgeois n’ont pas d’autre alternative au régime militaire pro-FMI de Bouteflika, que de renforcer encore la mainmise impérialiste sur l’Algérie !

Ainsi la plate-forme du RCD pour une « refondation nationale » demande la supervision impérialiste de l’ONU. Le Monde (29-30 avril) annonçait l’appel du FFS à l’Union européenne, y compris à la France, « pour l’envoi d’une mission d’investigation sur le terrain ». Quant à l’organisation de jeunesse de la LCR française soi-disant d’« extrême gauche », elle a beau critiquer le FFS, elle n’en appelle pas moins de façon voilée l’impérialisme français à la rescousse. RED (juillet-août) réclamait ainsi implicitement des sanctions impérialistes : « A Paris, le gouvernement Jospin condamne la répression. Cela ne coûte pas cher. Mais aucune sanction n’est envisagée. »

Il est certain que le régime algérien a commis bien des crimes, mais de faire appel à l’impérialisme français c’est vraiment obscène, au moment même où les médias regorgent de « révélations » sur la torture systématique et les assassinats de masse commis par l’impérialisme français pendant la guerre d’Algérie (voir notre article paru dans le Bolchévik n° 156, printemps 2001). Ce que pense le gouvernement de front populaire de Jospin-Gayssot des jeunes Algériens, on peut le voir avec les déportations des sans-papiers qui essaient d’échapper à la misère et au désespoir en Algérie, avec les procès sans preuve et truqués contre de soi-disant « réseaux terroristes islamistes », avec le renforcement de la terreur policière pour réprimer les révoltes de jeunes issus de l’immigration dans les ghettos en France même, et avec l’exclusion raciste des lycées de jeunes femmes qui portent le foulard. Impérialisme français, bas les pattes devant l’Algérie ! Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui ont réussi à mettre les pieds en France !

En juin, au sommet de l’Union européenne à Göteborg en Suède, les chefs d’Etat réunis ont demandé au régime algérien de prendre « une initiative politique de grande ampleur pour surmonter cette crise ». Ils ont indiqué quel genre d’initiative ils avaient en tête quand ils ont donné leur approbation aux flics suédois qui ont tiré sur des manifestants « antimondialisation ».

Pour l’internationalisme léniniste !

L’Internationalist Group (IG) centriste a publié un article substantiel sur les événements actuels, sa première publication en français en trois ans (l’Internationaliste n° 1, juin 2001). De façon assez typique pour ce groupuscule composé de renégats du trotskysme de la LCI, l’IG remplit des pages de phraséologie apparemment orthodoxe contre le régime nationaliste et les intégristes islamiques, déclarant dans son titre : « Une seule solution : la révolution prolétarienne ! » Mais tout ceci n’est qu’un écran de fumée. L’IG camoufle ou nie de bout en bout qu’il y a des obstacles politiques qu’une avant-garde trotskyste doit combattre et vaincre pour gagner la classe ouvrière au programme de la révolution prolétarienne.

D’abord L’IG fait passer l’UGTA pour meilleure qu’elle n’est, et argumente que :

« A l’époque où l’appareil du gouvernement FLN contrôlait toutes les organisations sociales […] l’UGTA était un appareil corporatiste, une courroie de transmission du parti unique bourgeois. A la suite de la décomposition et défenestration du FLN, cette relation étroite s’est distendue […]. Aujourd’hui la direction de la centrale syndicale a tissé des liens avec plusieurs partis bourgeois, principalement le RND, le FLN et le RCD. »

Mais tous ces partis ont des liens avec le régime militaire et, comme l’admet l’IG, le plus important, le Rassemblement national démocratique (RND) a été mis en place comme instrument politique de l’armée par la bureaucratie de l’UGTA ! De toute façon la ligne de l’IG pue le cynisme : au Mexique l’IG considère que la CTM, qui est une fédération syndicale corporatiste, est une organisation de patrons, « un instrument direct de l’Etat bourgeois ». Et l’UGTA, est-elle ou a-t-elle été aussi un « instrument direct de l’Etat bourgeois » ?

L’IG prétend être pour « l’égalité de droits pour l’arabe, le tamazight et le français », mais en même temps se réjouit que la soi-disant « absence de slogans revendiquant la reconnaissance constitutionnelle du tamazight » dans certaines des manifestations berbères « pourrait être un point de départ pour poser la nécessité d’un programme internationaliste, capable de mobiliser les ouvriers arabophones dans une lutte de classe révolutionnaire ». C’est tout simplement une capitulation au nationalisme dominant en Algérie, celui de la majorité arabe. Le point de départ pour mobiliser les ouvriers arabes sur une base internationaliste c’est de les gagner à défendre activement les droits de la minorité berbère, pas de passer la question sous la table.

Le plus révélateur de la capitulation de l’IG au nationalisme algérien c’est le fait que dans un article de 15 pages on ne trouve que trois phrases éparses qui se réfèrent au prolétariat français. Dans un pays semi-colonial comme l’Algérie, la lutte pour la révolution socialiste dans le bastion impérialiste est cruciale pour une perspective révolutionnaire. Mais pour l’IG ce n’est qu’une petite remarque à mentionner au passage.

Pour essayer de nier l’existence des obstacles qui s’élèvent devant les masses, l’IG se décarcasse pour minimiser le danger que représentent les intégristes. Tout en dénonçant la réaction islamique, l’IG attaque cyniquement notre article « La guerre civile saigne l’Algérie » (cf. Le Bolchévik n° 145, printemps 1998) en prétendant qu’il serait « imprégné du sentiment que tout était perdu et que la victoire des islamistes était proche […] précisément au moment où les groupes islamistes armés étaient endigués par l’armée ». L’IG dément sa propre touchante confiance dans la capacité des nationalistes bourgeois de liquider les intégristes islamistes quand il admet que, malgré le cessez-le-feu de 1997, rien que l’année dernière, 9 000 personnes ont été massacrées. Depuis le début de la rébellion kabyle des centaines de personnes ont été tuées. Notre mise en garde de l’époque reste tout aussi juste aujourd’hui :

« L’armée, ou une partie de celle-ci, pourrait bien appliquer tout ou partie du programme réactionnaire du FIS. Les forces de répression pourraient ne pas se limiter à emprisonner les dirigeants et agitateurs du FIS et se retourner contre, en particulier, le mouvement ouvrier. »

L’IG est si pressée de prendre ses désirs pour des réalités et de dire que les intégristes n’ont plus d’influence qu’il va jusqu’à généraliser au-delà des frontières de l’Algérie, et qualifie de défaitiste notre affirmation que « la « Révolution iranienne » de 1979 a ouvert une période d’ascendance politique de l’islam dans le monde historiquement musulman» (« Déclaration de principes et quelques éléments de programme », Spartacist édition française n° 32, printemps 1998). L’Iran est toujours sous le joug de la théocratie islamiste qui est venue au pouvoir en 1979. Cette même année, les moudjahidines soutenus par la CIA ont commencé une guerre de dix ans contre les troupes soviétiques en Afghanistan, qui est aujourd’hui sous la coupe des talibans fanatiques. La guerre civile d’Algérie est d’ailleurs alimentée par l’islam politique montant, y compris les milices intégristes comme le GIA qui prend son origine dans la guerre d’Afghanistan, financée par les USA.

L’IG camoufle le danger de la réaction religieuse pour mieux capituler devant la direction actuelle du « mouvement de masse ». Ils ne veulent pas reconnaître l’impact énorme qu’a eu la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, qui a fait régresser le niveau de conscience politique du prolétariat au niveau mondial. L’IG au lieu de cela capitule devant cette régression et confond délibérément le désir de lutter des travailleurs avec la conscience révolutionnaire qu’il faut pour triompher sur la bourgeoisie. Dans la pratique cela les conduit à faire passer des forces qui sont hostiles à la classe ouvrière pour meilleures qu’elles ne sont et à se mettre à leur remorque. La tâche des marxistes ce n’est pas simplement de s’enthousiasmer sur la lutte des classes, mais de diriger cette lutte vers la victoire en établissant une dictature du prolétariat à l’échelle internationale.

La faillite complète des nationalistes bourgeois au pouvoir en Algérie confirme de façon frappante – par la négative la justesse de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky, qui a été prouvée par l’expérience de la Révolution bolchévique de 1917. Comme nous l’écrivions dans le Bolchévik n° 145, printemps 1998 :

« Trotsky a expliqué que dans les pays économiquement arriérés, la faible bourgeoisie nationale – reliée par un millier de ficelles à l’impérialisme et apeurée devant sa « propre » classe ouvrière – est incapable de réaliser les buts des révolutions bourgeoises classiques telles que la Révolution française de 1789. Il a écrit que « la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes » (la Révolution permanente [1930]). La libération véritable des pays coloniaux et semi-coloniaux ne peut être réalisée qu’à travers le renversement du capitalisme par la révolution socialiste. Pour éviter qu’elle soit étranglée par l’arriération, la pauvreté et l’intervention impérialiste, cette lutte doit nécessairement être reliée à la lutte pour la révolution prolétarienne au cœur des métropoles impérialistes. »

Pendant des années la classe ouvrière algérienne a été écrasée par une guerre civile sanglante. Celle-ci continue, mais aujourd’hui il y a la possibilité tangible d’une polarisation de la société sur une base de classe. Cela exige l’indépendance politique complète et inconditionnelle du prolétariat, incarnée par la direction d’un parti d’avant-garde léniniste. C’est la perspective de la révolution permanente de Trotsky. C’est pour cette perspective que combat la Ligue communiste internationale

Adapté de Workers Vanguard n° 761, 6 juillet

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