Catégories
presse

Karim : Algérie. Répression et chaos

Article de Karim paru dans Courant alternatif, n° 29, mai 1993, p. 33-34


L’Algérie s’est enfoncée un peu plus encore dans la violence : celle des intégristes, celle des militaires et des policiers, mais aussi celle qui résulte de la misère économique et sociale.

Le 22 mars dernier, le peuple est sorti dans les rues pour exprimer son ras-le-bol vis à vis de toutes les formes de violence. Ce faisant, il a détourné une manifestation initialement conçue comme un soutien au pouvoir et à sa politique. Les organisations relais furent vite dépassées par l’ampleur du mouvement. Leurs mises en scène préparées à l’avance où de jeunes femmes embrassaient les forces de l’ordre furent ridicules et faisaient penser aux anciens régimes staliniens de l’Est.

Pour comprendre pourquoi autant d’Algériens sont sortis dans les rues, il faut mesurer le degré de violence que subit la population.


Il n’y a pas si longtemps, la presse algérienne faisait état chaque jour du nombre de tués et de blessés en Palestine occupée. Or, depuis peu, cette comptabilité macabre a cessé. En effet, le pouvoir ne veut pas d’une comparaison entre la situation algérienne et l’Intifada. Celle-ci apprendrait qu’on meurt plus facilement sous les balles de l’ALN (Armée de Libération Nationale) que sous les balles de TSAHAL (armée israélienne).

La violence, pain quotidien de la population

Coté militaires, policiers et civils, on compte environ 600 morts violentes (dont toutes ne sont pas imputables aux Barbus, ce qui pose des questions). Coté intégriste, depuis le 4 décembre 1992 (date d’application de la loi antiterroriste), il y aurait eu 255 morts selon la gendarmerie. De plus, 12 000 interpellations ont eu lieu dont 9 000 internements administratifs dans 7 centre du sud du pays. Cette dernière pratique fut fort utilisée par l’armée française !

Actuellement, il n’y aurait plus que 1 000 internés administrativement. Cependant, dans le cadre de la loi antiterroriste, 3 800 personnes ont été inculpées d’actes terroriste ou « subversifs ». 1 100 personnes seraient recherchées. Le pouvoir semble jouer la seule carte de la répression. Ce faisant, il renforce la position des intégristes. Pourquoi s’enferme-t-il dans cette fausse solution ? Afin de justifier la prolongation de l’Etat d’Urgence et la confiscation corrélative des libertés publiques, qui lui permettent de mettre en place une réforme de l’économie que la population récuse.

La récession économique

Le mois du Ramadan est terminé. Pendant ce mois, les prix ont comme à l’habitude flambé. Il fallait environ 30 000 dinars pour vivre, soit 8 fois le salaire moyen d’un Algérien. Parallèlement, le gouvernement poursuit sa politique dictée par le FMI, Le directeur de ce dernier a exprimé dernièrement le souhait que l’Algérie aille au plus vite vers l’économie de marché. Pour cela, le gouvernement a ad.opté une loi de finance, avec laquelle « il ne peut continuer à gérer les effets pervers de la récession » (Algérie Actualité n° 1434). On peut voir le caractère honteux de cette loi dont l’un des objectifs principaux est l’assainissement des entreprises ; en d’autres termes, la liquidation de toute une série d’entreprises et des licenciements en perspective. Les dispositions de la loi de finance devraient avoir pour effet une accentuation de l’inflation déjà proche de 30 %. De plus, « les dispositions fiscales inscrites dans la loi de finance, ne dérogent en rien aux travers de notre système fiscal : surimposition des salariés, recours abusif à l’impôt indirect (taxe et choix de timbre) » (AA n° 1424). Faire payer une population muselée par l’interdiction du droit de grève (préavis de 3 mois), c’est appliquer les plans du FMI. Mais celui-ci en veut toujours plus, d’où les tensions avec l’Etat algérien car la loi prévoit un déficit de 168 milliards de dinars, soit 50% des recettes.

Mais du fait du rapprochement algéro-américain et algéro-européen, les « aides » arrivent. Ainsi, le Portugal a accordé un crédit de 150 millions de dollars, le Parlement européen a encore une fois donné une preuve de son soutien en la personne de Claude Cheysson qui déclarait le 29 mars dernier que « l’Algérie a une dette de pays riche. Elle peut s’en sortir s’en avoir recours au rééchelonnement ». Pourquoi ? car « l’Algérie a des gages sérieux de solvabilité auprès des principaux partenaires créanciers » : ses ressources naturelles en hydrocarbures. La délégation du Parlement Européen s’est déclarée satisfaite du dialogue entre le HCE et les partis. Mais ce dialogue a un prix : l’intégration de ceux-ci aux rouages de l’Etat.

Prenons l’exemple du PAGS (Parti de l’Avant-Garde Socialiste). Lors de son dernier congrès en janvier 1993, sa résolution générale commençait par un salut aux militaires et policiers. Plus loin, on apprenait que l’économie de marché était la solution pour l’Algérie car elle est la voie de la modernité. On y trouvait aussi un soutien aux réformes économiques dictées parle FMI.

Au demeurant, le dirigeant de ce parti communiste devenu parti de progrès a été victime d’un attentat. Le pouvoir n’a pas condamné cet acte. Le gérant du journal de ce parti a d’ailleurs été arrêté le 7 avril dernier. Un peu plus à l’extrême gauche, un militant du Parti des Travailleurs a été abattu. La gendarmerie a refusé de venir accompagner l’ambulance pour constater le décès. Autre exemple, un journaliste du journal El Watan avait fait part de son étonnement qu’un intégriste ayant été arrêté après que sa bombe ait explosé soit acquitté. Le journaliste a été du coup inculpé d’outrage à magistrat (5 avril dernier).

Le PAGS (devenu Ettahadi [1]), le PT, le journal El Watan ne sont pas intégristes. Mais il est vrai que le Premier Ministre s’est interrogé sur la nécessité de l’existence des partis politiques. Une autre fois, il avait dénoncé les « Laïco-assimilationnistes qui voulaient casser à tout prix de l’intégriste » ; c’était là une référence aux communistes. Le ministre des affaires religieuses a été plus clair dans le journal du gouvernement (équivalent en France de la Lettre de Matignon) le 5 avril dernier. Il accuse les journaux d’organiser un complot contre l’Etat. Quant à la violence en Algérie, elle est le produit des communistes et laïcs algériens car « historiquement liée au communisme ». Apparemment, il n’a pas participé au congrès du PAGS. De plus la référence au communisme n’est pas innocente : Révolution Russe/Révolution Iranienne, Internationale Communiste dite Komintern par rapport à Internationale Islamiste dite Khomeintern.

La Khomeintern

Si effectivement il existe une Internationale intégriste, il nous faut dire quelques mots sur sa paternité. Depuis longtemps, l’intégrisme a été utilisé comme rempart contre le communisme. Giscard l’avait avoué en 1980 à la presse française. Sayed Kotb, un des dirigeants des Frères Musulmans en Egypte effectua un séjour aux Etats-Unis de 1949 à 1951. A cette époque, il fut utilisé pour déstabiliser l’Egypte de Nasser. A la veille de la guerre de 1967 contre Israël, Sayed Kotb fut arrêté et fusillé pour « complot et intelligence avec les services secrets américains ». Dans les années 60, l’Algérie recevra de nombreux coopérants égyptiens, notamment dans les écoles. Dès 1980, un intégriste égyptien sera prédicateur officiel de l’Etat Algérien : Cheikh El Ghazali. Il était même le seul avec le président de la République à envoyer des messages télévisés à la Nation. Après son départ et les reproches sur ses positions pro-américaines durant la guerre du Golfe, un autre égyptien le remplace.

Pourtant, il y a un autre pays qui joue un rôle clé dans le développement du FIS : l’Arabie Saoudite et sa fameuse Ligue Islamique Mondiale. La LIM a une « darwa » [2] en Algérie dirigée par le Cheikh Abou Bakar Djaber El Djazairi. Ali Benhadj, dirigeant du FIS fut un de ses élèves et disciples. Abassi Madani adhéra à cette darwa en octobre 1988. Abou Bakar fut consulté sur la création du FIS, et c’est grâce à lui que le FIS obtint le soutien de l’Arabie Saoudite. Ainsi le FIS utilisa lors de ses rassemblement un laser pour inscrire le nom de Dieu et du Prophète dans le ciel. Or, ce laser fin introduit par des diplomates saoudiens par valise diplomatique. Après la guerre du Golfe qui consomma la rupture entre le FIS et l’Arabie Saoudite, le ministre de la défense saoudien déclara au journal Asharq al-Awsat que son pays avait « généreusement aidé des ingrats ».

Dernier élément sur cette complicité, on a appris dernièrement que c’est par le biais du croissant rouge saoudien que les intégristes algériens avaient pu gagner l’Afghanistan pour se battre contre les soviétiques.

Coupé de sa vache à lait, le mouvement intégriste s’est tourné vers l’Iran, accusée de tous les maux par l’Egypte et l’Algérie. Cette dernière est désormais soutenue par le Royaume Saoudien (voyage du général Nezzar, l’homme fort du gouvernement algérien à Ryad en janvier dernier).

L’Iran s’est fait accuser par le gouvernement américain d’avoir importé du pétrole irakien, et donc d’avoir violé l’embargo de l’ONU. Elle est sur la liste noire. Quant à l’Algérie, elle a rompu ses relations avec l’Iran. Certains ont proposé une action commune et concertée contre l’Iran en prenant comme exemple l’Europe : « les pays européens, lorsqu’il ont eu à connaître le même phénomène, ont concrétisé leur action à travers le groupe de Schengen » (El Moudjahid, 29 mars 1993).

L’Iran et le terrorisme en Algérie ou en Egypte sont donc le prétexte pour mettre en place un véritable système de répression. Au demeurant, l’Algérie a rompu ses relations avec l’Iran avec comme motif l’ingérence de cette dernière dans les affaires algériennes.

Malheureusement, le régime algérien n’est pas aussi prompt à combattre le FMI que le régime réactionnaire des Mollahs iraniens. L’atteinte à la souveraineté algérienne par le FMI est bien plus grave. Le HCE, le gouvernement algérien ne trouve rien à redire à Cheysson quand il propose « d’essayer d’adapter à l’Algérie ce qui a été fait par les Etats-Unis, essentiellement au Mexique. C’est à dire la reconversion de la dette par des prises d’actifs dans les entreprises » (El Moudjahid, 30 mars 1993).

On comprend donc que Cheysson puisse repartir content.

Karim, Reims


[1] Abréviation de plusieurs mots en arabe signifiant grosso modo parti, Etat, Progrès et Modernité.

[2] Signifie section, composante d’une internationale.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *