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S. : L’Algérie, son dieu et ses maîtres !

Article signé S. paru dans Courant alternatif, n° 40, juin 1994, p. 15-18


La société algérienne connaît depuis l’interdiction du FIS en 1992 une flambée de violence liée à la radicalisation des groupes islamistes armés. Il y a eu des analyses et des réflexions de toute sorte sur les causes et les raisons multiples de cette violence: la misère, l’autoritarisme du FLN pendant 30 ans de parti unique, on a même évoqué la démographie et le fait que les jeunes soient trop nombreux, la dette extérieure de l’Etat algérien, les accords avec le FMI et la dépendance économique de l’Algérie vis-à-vis de l’Occident…

Pour la montée des islamistes, on a évoqué la CIA en Afghanistan, le chômage et la misère, les islamistes orientaux qui ont réalisé l’arabisation sous Boumédienne, les pétrodollars de l’Arabie Saoudite et d’autres raisons encore plus obscures et moins connues.

Le problème reste intact, il y a les islamistes, surtout les plus violents du FIS (le mouvement islamique armé – MIA – et le groupe islamique armé – GIA-) qui assassinent et commettent des attentats en tout genre, et déclarent une guerre totale contre l’Etat et ses complices. De l’autre côté, l’armée se livre à des bombardements, des arrestations, des assassinats et des disparitions sans aucune garantie juridique, aucune loi, ni avocats, ni juges et la population au milieu de tout cela en prend plein la gueule. Les intellectuels et les journalistes sont visés, eux qui étaient depuis 30 ans les complices du pouvoir du FLN essayent de nous faire croire qu’ils paient aujourd’hui un prix un peu plus élevé que les autres. Que faire à part dénoncer les exactions du FIS et de l’armée, cela ne peut pas arrêter les massacres et le processus de transformer l’Algérie en un Liban gigantesque. Mais avant de dénoncer, il vaut mieux essayer de comprendre, car notre vision en France souvent très rationnelle et calculatrice nous empêche de dénoncer ce qu’il faut dénoncer.

Il est évident que nous ne pouvons pas comprendre la crise qui secoue l’Algérie depuis quelques années sans essayer de creuser dans le passé des structures politiques qui gèrent l’Algérie depuis 1962 jusqu’à nos jours. Dans cet article il s’agit de trouver quelques éléments indiquant des origines possibles à la crise actuelle, des origines politiques car la crise économique a déjà été maintes fois mentionnée et analysée à tort et à travers, elle ne sera pas évoquée ici.

La radicalisation des groupes islamistes en Algérie aujourd’hui est la suite logique de la défaite des courants révolutionnaires au sein du mouvement de libération nationale algérien et les conséquences de leur compromis faits avec les courants réformistes et réactionnaires avant la libération de l’Algérie.

Ces courants « révolutionnaires » ont été d’abord des nationalistes algériens (en majorité berbères) radicaux qui avaient opté pour l’indépendance à une époque où le courant arabo-musulman était encore loin d’avoir, dans toutes ses composantes, remis en cause la souveraineté politique de la France ! Contrairement aux données globales du reste de l’Algérie les membres de ce courant sont d’origine rurale modeste, souvent même très pauvre. Ils conservent leurs attaches dans le monde rural kabyle et l’immigration ouvrière en France. Ils divergent en cela profondément des élites instruites arabophones qui étaient alors, majoritairement, issues des féodalités anciennes et nouvelles (liées à la colonisation) et de la bourgeoisie de tradition urbaine.

Le contexte de l’époque était trop dur pour ce courant pour qu’il s’affirme ouvertement. Il était composé, de fait, essentiellement de berbères et politiquement classés comme matérialiste (marxiste) même si aucun des membres ne faisait parti du Parti Communisme Algérien (PCA) qui, à l’époque, était contre l’indépendance…

C’est très difficile de cerner le contour du problème algérien aujourd’hui d’autant plus difficile de savoir de quelle Algérie s’agit-il ? L’Algérie des paysans pauvres et dépossédés ? L’Algérie des citadins bourgeois, l’Algérie des Hitistes, l’Algérie des fonctionnaires du FLN, l’Algérie des militaires ou l’Algérie du FIS ? surtout quand ils se réclament tous de l’islam comme base de leurs vies et de leurs revendications mêmes ?

La classe politique dans toutes ces composantes se réclame de l’islam, au moins sur le papier, dans la constitution et devant les caméras de télévision.

Les intellectuels se réclament de l’islam comme composante essentielle de la culture algérienne , sauf peut-être Kateb Yacine, mort il y a quelques années. Il était déjà, dans les années 80, victime des intégristes qui ont interdit la présentation de sa pièce « Mohamed prends ta valise » et ont fait la prière sur scène. Kateb Yacine qui dénoncait en 1966 dans Le polygone étoilé, l’Algérie du FLN :

« L’Algérie arabo-musulmane allait prendre la relève de l’Algérie française pour pacifier la Berbérie. »

De quel islam parlons-nous ici en France ? De l’islam populaire « l’islam le plus sommaire, l’islam des marabouts, l’islam de la superstition » ? De l’islam officiel du FLN, islam artificiel qui conforte le pouvoir de l’état et emprisonne les populations ? De l’islam intellectuel qui n’est rien d’autre qu’une échappatoire et un prétexte pour ne pas poser les vraies questions concernant l’identité de l’Algérie du XXe siècle ? De l’islam du FIS qui est un islam de retour aux sources et qui met les intellectuels et le pouvoir de l’état face au mur : on est musulman ou on ne l’est pas, mais il n’y a pas entre les deux de choix possible ? De l’islam ibadite des Aït Mzab qui se sont exilés dans le désert pour fonder leurs villes sont gérées par des mosquées ?

Toute l’histoire du mouvement de libération était basée sur un postulat « l’Algérie arabo-musulmane », défendre cette identité-là était soi-disant le ciment du peuple algérien face au colonisateur européen et chrétien.

La religion et le nationalisme ont permis au FLN de « gagner la guerre » contre la France et de mettre Ben Bella à la tête de l’état FLN à l’aide du père fondateur du nationalisme arabe : Nasser.

La rencontre de l’Algérie avec l’islam a été très sanglante. L’islam a été introduit en Afrique du Nord par un processus de colonisation où les soldats arabes massacrent et pillent tous les villages et les villes qui ne se rendaient pas. Ils ont eu raison de la dernière résistance à l’islamisation incarnée par la Kahina qui se rend pour sauver ce qu’il reste de la population et se suicide en se jetant dans un puits pour ne pas devenir esclave. Depuis ce temps-là l’islam n’a jamais quitté le pays; depuis ce temps-là, il y eu des centaines de révoltes berbères contre le pouvoir central mais ils ont fini par collaborer eux-mêmes au pouvoir et par accepter l’islam et la langue arabe.

Depuis, le débat n’a jamais été posé collectivement, qui sommes-nous ?

Pendant la période de préparation de la guerre d’indépendance, le mouvement nationaliste PPA-MTLD n’a jamais posé la question, c’était un fait: l’Algérie est arabe et musulmane. Fin 1948, à Paris, Ali Yehya (un jeune kabyle) pose la question et prend l’initiative de faire voter le comité fédéral sur une motion défendant la thèse de l’Algérie algérienne en dénonçant le mythe d’une Algérie arabo-musulmane. Elle est acceptée à une majorité écrasante par 28 voix sur 32. Au sein de la fédération de France du PPA-MTLD, il déclenche une campagne contre l’orientation arabo-islamique du parti.La direction réagit promptement : elle lance des commandos pour récupérer les locaux du PPA-MTLD de Paris et de province. Excommunications, bagarres, attaques au couteau et tentative d’attentats envers plusieurs militants kabyles, remplacement d’Aït Ahmed qui, alors, n’était pas d’accord avec Ali Yehya, par Ben Bella à la tête de l’organisation spéciale (O.S.)

Après l’indépendance, l’Etat algérien n’osa pas fermer la station kabyle de la radio nationale qui fonctionnait depuis 1948, mais il supprima sans état d’âme la chaire de berbère de l’Université d’Alger. Du cri d’Ahmed Ben Bella, à Tunis en avril 1962 : « Nous sommes des arabes, des arabes, des arabes !  » à l’interdiction préfectorale en 1980 de la conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri à l’université de Tizi Ouzou, le règne du FLN fût ponctué d’humiliations pour tous les berbères de l’Algérie (kabyles, chaouïas, mozabites et touaregs).

Une deuxième chance a été donnée au pouvoir central de réfléchir à la question, le 20 avril 1980 premier véritable soulèvement populaire en Kabylie contre l’oppression que subissent la langue et la culture berbère mais l’armée du FLN était là : plus de 700 blessés et plus de 500 arrestations.

Pendant ce temps-là, le FLN construit des mosquées et arabise, les islamistes ont déjà commencé le travail dans les écoles et les mosquées et dans les facs.

Le printemps de Tizi Ouzou était le véritable déclenchement dans la tête des gens d’une possibilité de changement dans ce pays qui a tourné vite au « pluralisme politique », apparemment il n’y a pas plus efficace pour arrêter un processus démocratique que les urnes.

Seulement le FIS était déjà prêt, le FLN aussi alors que les autres partis n’avaient ni locaux, ni adhérents; la suite du scénario est connue…

Pour comprendre le phénomène islamiste en Algérie il est très important de savoir que l’islam est la seconde face de la médaille du nationalisme arabe car l’islam est un produit de la culture arabe, la langue arabe est langue sacrée car c’est la langue du Coran ; pour sortir de ce désastre il faut s’attaquer au sacré et au nationalisme en même temps.

Nous ne sommes pas en mesure de donner ni des solutions ni des conseils, mais nous savons qu’il n’y a rien de positif dans une religion, nous savons que l’islam est une religion intolérante, une religion d’interdiction, de répression contre les jeunes, les femmes, contre la liberté d’expression…

L’islam n’est religion de tolérance que si on est homme musulman, un point c’est tout.

Un autre problème qui se pose c’est la relation entre l’islam, l’état et la société. La société algérienne est une société musulmane donc certaines répressions contre les jeunes et les femmes viennent essentiellement de la société et non pas de l’Etat. Celui-ci peut encourager ou réprimer certaines pratiques (code de la famille). Ainsi, les islamistes qui attaquent des femmes non voilées ou portant des vêtements « indécents » sont dans leur droit de musulmans pratiquants et surtout dans un Etat qui se réclame de l’islam.

L’islam est une religion basée sur le retour à la tradition. Quand Mohammed a commencé son message aux arabes, celui-ci consistait déjà à purifier la religion des arabes de l’époque des pratiques non conformes à la religion d’Abraham.

Les arabes l’ont accepté à la Mecque jusqu’au moment où il a commencé à attaquer leurs idoles et à les détruire, c’est à ce moment là qu’ils l’ont obligé à s’exiler vers Médine où il a construit un Etat, une armée puis il est revenu à la Mecque et a détruit toutes les idoles des arabes. L’islam est une religion monothéiste et totalitaire qui n’accepte aucune idée en dehors du fait que Dieu est le créateur de l’humanité et qu’on doit gérer la société selon ses ordres qui eux, sont inscrits dans un livre : le Coran. La première sourate du Coran que Mohammed a reçu est : « Lis au nom de ton seigneur…  » Lis et non pas écris, lis ce qui se rapporte au passé, à savoir l’écriture du passé et le sens du mot Coran : lecture ou récitation.

L’idée générale du Coran est que les pratiques du judaïsme (des juifs et des arabes) et le christianisme ont perverti la religion monothéiste pure prêchée par Abraham, qu’ils l’ont bafouée, tué les envoyés de Dieu et que Mohammed est le dernier envoyé.dont la mission est de faire renaître, parmi les hommes monothéistes pervertis et les polythéistes, la religion perdue. Donc l’idée de retour aux sources est bien à la base de l’islam. Les islamistes n’ont aucun projet politique, économique ou social à proposer aux Algériens, à part le retour au modèle de la société arabe-musulmane d’il y a quatorze siècles qui est un projet identitaire bien précis qui consiste à revenir à une structure sociale basée sur l’identité musulmane avec ses deux composantes essentielles : la religion et le nationalisme. Ce projet ne date pas d’hier et traîne dans la pensée et la pratique de l’Etat algérien depuis le début (1962) et même avant cela dans le mouvement de libération nationale.

Au fond l’islam a toujours été un outil de propagande pour faire avaler aux gens la pire des catastrophes économiques et sociales. La religion a été utilisée pendant toute la période du FLN comme prétexte à la répression des forces sociales qui osent parler et dénoncer la misère, le chômage et la mort au quotidien du peuple ainsi que la corruption des fonctionnaires du pouvoir.

Les événements de 1980-81 à Tizi Ouzou puis à Alger sont les vrais déclenchements du processus qui a suivi.

Les islamistes ont réagi dès qu’ils ont compris que l’Algérie risquait de basculer vers une démocratie et que l’identité arabo-musulmane pouvait être remise en cause. Car en 1980 des milliers de gens étaient dans la rue pour réclamer le droit à la langue berbère et à l’arabe dialectal en opposition à l’arabe classique imposé mais aussi pour réclamer des droits égaux pour les femmes et les hommes. Le pouvoir de l’époque a répondu par la répression. Aujourd’hui le pouvoir en place n’a plus de pouvoirs et la pression de la rue risque d’exploser à tout moment alors les islamistes ont pris le devant des événements. C’est une tactique très habile et intelligente car, même s’ils n’arrivent pas au pouvoir, ils sont sûrs que le débat sur l’islam et l’arabité saura retarder de quelques dizaines d’années au moins le processus de révolte radicale. Qui oserait aujourd’hui dire que l’Algérie n’est ni arabe ni musulmane sans être accusé de jouer le jeu des islamistes ? et on peut le constater parmi les intellectuels qui s’expriment en affirmant au préalable leur islamité.

La crise de l’Algérie est liée au débat intellectuel qui traverse la pensée arabe depuis presqu’un siècle : tradition ou modernité, un débat qui n’est pas prêt d’être résolu.

L’Etat algérien a opté pour la « modernité », donc pour le développement industriel sur le plan économique qui a engendré une situation de misère plus une dépendance de l’économie quasi complète envers la Banque mondiale et le FMI, et sur le plan idéologique a opté pour une position bâtarde, une sorte de sélection dans la tradition en même temps affiché une position traditionnaliste « l’Algérie arabo-musulmane » (l’Islam est religion d’état).

Le système éducatif pendant 20 ans a travaillé pour former des citoyens arabo-musulmans qui sont aujourd’hui dans la rue, démunis de tous droits élémentaires.

Les islamistes n’ont aucun programme économique et ils ne mettent pas en cause la technologie, ni le choix économique de l’Etat, mais leur combat est un combat idéologique et ils mettent en cause la position sélective de l’Etat par rapport à la tradition.

Il faut savoir que la position de l’Etat algérien était en réalité la position de la totalité des intellectuels algériens et même des politiciens comme Aït Ahmed :

« Je suis musulman mais je n’ai rien à faire avec l’intégrisme. L’islam est une affaire trop sérieuse pour la confier aux islamistes » (1985).

Les intégristes disent la même chose : l’islam est une affaire trop sérieuse pour la confier à l’Etat qui, à leurs yeux, n’est pas musulman.

Si on considère l’Algérie comme un pays arabe-musulman, on aura du mal à trouver des arguments pour démolir la pensée islamiste. C’est pourquoi on voit pratiquement tout le monde en Algérie maintenant se jeter sur le « sujet femme » pour combattre l’islamisme intégriste, car il n’y a pas d’autre faille, c’est la position sélective par excellence.

Dans ce débat « tradition-modernité », toutes les solutions proposées prennent invariablement comme base « l’identié arabo-musulmane », comme toile de fond. Même les marxistes ont réussi à trouver dans l’histoire musulmane des figures historico-mythiques pour annoncer que le marxisme ou le socialisme font partie de cette tradition, d’autres plus libéraux prônent le retour à la mosquée comme le parlement arabe par exemple :

« on va à la mosquée comme on ouvre une fenêtre pour ne pas étouffer. La mosquée tient lieu de parlement, de salle de réunion, de maison de la culture… c’est le lieu géométrique de toutes les frustrations chauffées à blanc et des énergies exprimées » Aït Ahmed (1985).

Certains idéologues vont plus loin et critiquent la transformation de la « ]ami, » qui était un lieu de gestion de la cité par tous les citoyens (en oubliant les femmes) en une mosquée pour la prière et pensent que la modernisation des structures arabes passe par la réhabilitation de l’idée de « ]ami » (rassembleur).

D’autres plus nationalistes voient l’islam comme une réalisation de la culture arabe qu’on peut développer et modifier pour qu’il s’adapte aux temps modernes. L’islam de ce temps-là, celui des origines, représente, pour eux, l’arabité même et leur image culturelle la plus idéale et la plus accomplie.

Les islamistes algériens s’inscrivent au centre de ce débat, ils sont plus radicaux et plus solides et les moins hypocrites car la plupart des solutions ne sont que du rafistolage intellectuel. L’islam est une religion et son emprise sur les gens tient du sacré et non pas de l’idéologie ou du politique.

Les théologiens musulmans ont instauré cinq principes fondamentaux de l’Islam (les cinq piliers de l’Islam) : la Chahada (reconnaissance de dieu et son prophète), faire les cinq prières une fois par jour, le mois de ramadan, le pèlerinage à la Mecque, et le zakat (une charité réglementée et obligatoire pour les riches). Ces cinq principes sont des pratiques individuelles, donc on peut être un bon musulman pratiquant sans avoir à intervenir dans la gestion de la société ni politiquement ni socialement. En revanche, les islamistes réhabilitent un sixième pilier de l’Islam qu’ils appellent « Al farida al-ghaïba », le devoir enfoui, qui est le Jihad. Le Jihad est une obligation pour chaque musulman d’intervenir à chaque injustice sociale soit par la parole, soit par les armes, pour instaurer la justice de dieu. Le devoir d’un musulman est de prendre les armes face à un dirigeant corrompu ou qui n’applique pas la justice. C’est une des règles fondamentales de l’islam, le Jihad n’est pas qu’un mot mais un comportement de croyance ce qui peut mener, évidemment à des catastrophes temporelles. Mais l’histoire de l’islam est l’histoire de catastrophes de tout façon surtout en Afrique du Nord.

Les islamistes assassinent des journalistes, des intellectuels et des femmes, ensuite on apprend que certains journalistes eux-mêmes sont membres du FIS, que des femmes tuées sont les mères, les épouses ou de la famille des militaires, policiers… et on apprend aussi que des dizaines d’islamistes modérés sont assassinés dans des mosquées ou à leur domicile.

« De faux barrages, installés par des islamistes ont coûté la vie à plusieurs militaires et policiers. Croyant avoir affaire à des collègues, ils avaient exhibé leurs cartes professionnelles, ils seront décapités, leurs têtes sont parfois placées dans un sac en plastique qu’on enflamme » Le Monde Diplomatique (mai 1994).

« Dès le début du couvre-feu à 20h30, des militaires se sont présentés à la porte de domiciles situés dans des fiefs islamistes. Se présentant comme des moudjahidins, ils ont demandé l’asile. Nombreux des blidéens (Blida) qui ont répondu positivement ont perdu la vie « 

Les islamistes ont interdit aux jeunes de faire leur service militaire.

La situation en Algérie est une situation de guerre entre l’Etat et la nébuleuse islamiste, ce qui a engendré une situation beaucoup plus confuse à l’heure actuelle, où l’on ne sait plus qui tue qui ? ni pourquoi ?

La guerre a été déclenchée avec l’annulation des élections que les islamistes (FIS) ont largement gagnées.

La peur est un instrument du pouvoir très important pour instaurer ensuite un régime autoritaire.

Les cibles des islamistes :

– l’Etat et les symboles de l’Etat.

– Les intellectuels, les artistes, les journalistes qui, à leurs yeux, sont responsables de la propagation des idées « importées de l’occident » et qui pourrissent la société algérienne.

– Les femmes qui refusent de porter le voile ou qui mènent un combat pour les droits des femmes.

– Certaines représentations de l’islam officiel et conformiste qui collabore avec le pouvoir.

– L’islam populaire et ses représentations dans la société.

C’est une guerre totale qui consiste à nettoyer le terrain de tout ce qui contredit les préceptes de l’islam coranique.

En fait il n’y a aucun moyen de négocier avec des gens qui, du fait qu’un livre écrit il y a quatorze siècles doit gérer non seulement leurs vies mais aussi la vie de tout le monde.

Nous savons pourquoi les intellectuels arabes ne veulent pas lâcher le morceau, ne veulent pas critiquer l’islam, car c’est leur identité ; ils n’en ont pas trouvé d’autre et aussi parce que l’islam est « la plus belle réalisation de la culture et civilisation arabe » donc ils critiquent les islamistes mais jamais l’islam.

Mustapha Cherif, un intellectuel éclairé qui pense que Marx n’est pas mort et le prophète non plus, raconte dans un journal de réflexion et d’analyse marxiste :

« Il faut tenir compte des principes ; des valeurs et des repères de la société musulmane dans le projet de société globale ». « La modernité, ce n’est pas la forme de l’Etat mais le type d’hommes et de femmes que nous voulons dans une société. A partir de cette société peut émerger la nature de la République ou de l’Etat de droit. Etat laïque ou Etat islamiste est un faux problème… »

C’est un exemple pris au hasard car il y en a beaucoup d’autres, même des intellectuels intègres comme Rachid Mimouni s’est montré à la télévision française apprenant le Coran à son fils, malheureusement le FIS n’est que le fils du FLN et pratiquement de tous les intellectuels algériens et maghrébins en général. Les intellectuels qui ont marché dans le discours nationaliste dont l’islam fait partie avec cette fierté d’être arabe ou algérien ou musulman… Maintenant ils ont la trouille et se cassent d’Algérie ou font appel à l’Armée pour les sauver des islamistes. Certaines organisations de femmes dans une lettre au président de l’Etat algérien proclament :

« les casernes, symbole de l’autorité de l’Etat algérien, de l’inviolabilité du territoire national, de notre dignité d’algériens ; même les casernes, dernier rempart de la nation, sont prises d’assaut. »

Quelles alternatives restent-ils aux Algériens aujourd’hui ? L’identité arabo-musulmane ou l’algérianisme ou le berbérisme ? Y a-t-il d’autres choix ? C’est toute la question du nationalisme qui se pose dans le monde entier, identité individuelle ou collective ? Identité réelle de l’individu dans sa vie au quotidien ou identité abstraite et mythique pour intégrer tout le monde dans un même moule ?

Les islamistes, eux, proposent une identité religieuse et suppriment les données ethniques. Cependant, même s’ils gardent la suprématie de la langue arabe comme langue sacrée sur les langues populaires (arabe dialectal et berbère), ils vont plus loin et Abassi Madani, chef du FIS, a déclaré en 1991 sur Radio Alger : « Le Tamazight (berbère) est pour moi une langue nationale. » En période électorale, El Mounkid – journal arabophone du FIS – publia des pages en berbère (Le Monde, 19/05/94).

La question culturelle reste une des clés essentielles à la crise sociale et politique de l’Algérie d’aujourd’hui, ni l’identité berbère, arabe, musulmane ou algérienne n’arrivera à résoudre les problèmes politiques et sociaux de la population asservie par des siècles de mensonge et de répression.

Des concepts comme l’autogestion, le fédéralisme des régions, peuvent être des alternatives au centralisme de l’Etat et des structures associatives et autonomes peuvent aussi être des alternatives aux partis politiques, comme le MCB (Mouvement Culturel Berbère) ou bien les associations de femmes qui ont existé en dehors et contre la reconnaissance de l’Etat. Il ne faut pas compter sur un Etat quelconque pour combattre ou sauver la population du danger immédiat des groupes islamistes, seule l’organisation des gens eux-mêmes peut faire barrage à l’instauration d’un régime totalitaire en Algérie.

S., Toulouse

2 réponses sur « S. : L’Algérie, son dieu et ses maîtres ! »

Merci Nedjib d’avoir mis en ligne ce beau texte. Les mosquées ont poussé comme des champignons en Afrique du Nord durant les années 70. On en trouvait certes des anciennes dans les grandes villes mais les campagnes étaient épargnées. La pratique de la religion musulmane n’était pas généralisée auprès d’une population d’artisans et d’agriculteurs souvent analphabètes attachés à des traditions autour des marabouts ou carrément de religion juive ou chrétienne, et cela, on l’oublie souvent !

Merci Zohra de ton retour ! En effet, on a tendance à oublier toutes ces choses. C’est pourquoi j’essaie de publier aussi régulièrement que possible des témoignages ou analyses provenant de courants révolutionnaires (même si je peux parfois avoir des désaccords avec tel ou tel aspect de leur orientation).

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