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Karim : Algérie. Les enjeux de la crise

Article de Karim paru dans Courant alternatif, n° 43, novembre 1994, p. 11-15


1994 est l’année du 40e anniversaire du déclenchement de la guerre d’Algérie (le 1er novembre 1954).
Dans une conjoncture catastrophique, le gouvernement entend donner à cet événement une dimension importante.
Ainsi, 800 millions de Dinars seront destinés aux célébrations et commémorations qui rappelleront la période de la lutte pour l’indépendance.
Mais quarante années plus tard, quel bilan peut-on dresser ? Une question demeure, l’Algérie est-elle, depuis 1962, réellement un pays souverain, indépendant ? La nation algérienne tout entière n’est-elle pas engagée dans un processus qui la conduit à une domination et à une soumission par et pour les pays « riches » et leurs institutions internationales ?

En matière de politique, les autorités algériennes ont, depuis le début, manié la carotte et le bâton. En effet, elles ont œuvré pour la mise en place de ce que l’on a dénommé « le tout sécuritaire ». 28 000 morts et 70 milliards de dinars de dégâts plus tard, il est évident que cette orientation a échoué. L’Algérie est ainsi devenu un pays où près de 400 personnes par semaine trouvent la mort pour des raisons politiques.

Conscients de la possibilité d’un échec du volet répressif de leur politique, les dirigeants algériens ont toujours préconisé parallèlement « un dialogue national ». Mais ce processus est sous-tendu par de curieuses conceptions. Le premier ministre algérien Mokdad Sifi a notamment appelé au rétablissement de la concorde nationale dans son discours du 7 août 1994. Mais il a, dans le même temps, lancé des attaques contre les partis politiques :

« Qu’est-ce qui est important ? Votre pays ou votre parti ? Votre idéologie ou votre peuple ? Votre discours ou la vie de ces jeunes fauchés par la mort violente et aveugle ? Vous demandez le dialogue : venez dialoguer ! Vous exigez des élections : venez nous aider à les organiser ! Vous voulez le pouvoir : venez le demander démocratiquement au peuple à travers les urnes, dans la paix et la stabilité ».

Sifi ne manque pas de culot en culpabilisant tous les opposants. En effet, ce ne sont pas les partis d’opposition qui ont arrêté le processus électoral et entrepris un coup d’Etat en janvier 1992 ! On comprend donc que le processus de dialogue soit à son tour un échec. Les seuls partis qui y participent appartiennent au courant conservateur : l’inamovible FLN, le mouvement En Nahda (intégristes modérés), le mouvement Hamas (intégristes modérés), le mouvement pour la démocratie en Algérie (Ben Bella), le parti pour le renouveau algérien.

Concrètement, le conseil national de transition où se retrouvent toutes ces organisations débute ses séances par la lecture du Coran, puis seulement l’hymne national. Même les intégristes les plus durs n’auraient imaginé aller aussi loin !

A côté de ces appareils à la solde du pouvoir on trouve un triptyque qui refuse le cadre proposé par l’Etat. Il s’agit du Front des forces socialistes (FFS) de Aït Ahmed, du rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) du docteur Said Sadi, d’Ettahadi (ex communistes). Le RCD rejette le processus de dialogue pour les raisons suivantes : « le dialogue en cours est une perte de temps » et il se refuse « à tout compromis avec l’intégrisme ». Fort justement son leader déclare qu’ « il y a un dialogue a un double niveau. On appelle les partis démocratiques devant les sunlight pour servir d’alibi alors que le reste des engagements, les problèmes du pays sont traités en coulisse, dans les parloirs d’une prison ou ailleurs ». Comme à son habitude Ettahadi est à contre-courant. En effet il s’en remet encore à l’armée pour sauver la situation puisqu’il revient à l’Etat « de répondre à la guerre totale de l’intégrisme par une guerre totale contre l’intégrisme terroriste ». Le FFS dénonce pour sa part « le cadre et les règles (qui) sont fixées unilatéralement par le pouvoir, ce qui rend difficile tout rapprochement entre les points de vue et les approches des différentes parties ».

SOUS LA PRESSION AMERICAINE, L’ETAT ALGERIEN TENTE DE NEGOCIER AVEC LE FIS…

Compte-tenu de l’absence des principaux acteurs et des pressions internationales, il fallait donc frapper un grand coup. Ce fut fait le 13 septembre 1994 par la libération de 5 dirigeants du mouvement islamiste dont Abassi Madani et Ali Belhadj. Ils avaient tous les deux été arrêtés le 30 juin 1991 pour complot contre la sûreté de l’Etat. Les mois de mai et juin 1991 avaient été marqués par un conflit ouvert entre le pouvoir et les intégristes : grève générale, accrochages armés faisant plusieurs morts, proclamation de l’état de siège (5 juin 1991).

L’objectif de ce geste était officiellement de mettre fin à la violence. Le porte-parole de la présidence a donc déclaré que « la présidence de l’Etat a réuni toutes les conditions nécessaires à même de permettre à la direction du FIS dissous d’entreprendre les contacts qu’elle juge nécessaire et d’exprimer clairement sa position à propos de la crise que traverse le pays ». Au demeurant, l’élimination par les services spéciaux, fin septembre, du chef du GIA Chérif Gousmi, tomba curieusement à pic pour permettre une OPA sur ce mouvement. Certains voyaient déjà Mohamed Said (ancien haut dirigeant du FIS) à la tête du GIA, favorisant ainsi l’opération. Cependant c’est Mafoud Tadjine alias Abou Khalil Mahfoud (âgé de 36. ans) et opposé au dialogue avec le FIS qui a remplacé Chérif Gousmi. Cet. épisode démontre avant tout que les 5 intégristes libérés début septembre 1994 sont coupés de la réalité depuis leur emprisonnement en 1991. Leur prise sur la nébuleuse intégriste armée est donc plus que douteuse.

Quoi qu’il en soit, le pouvoir acculé comme il est, a cru bon de passer un accord secret avec Madani et Belhadj. C’est certainement ce message qu’a porté le ministre de l’Intérieur algérien Meziane Chérif à Rabah Kébir lors de leur rencontre de début septembre en Allemagne. Cette visite fut d’ailleurs précédée par celles d’émissaires américains et français. Les généraux Betchine et Denadji ont réalisé une mission identique en se rendant à la même époque en Suisse. Et des craintes ont surgi à ce sujet de toutes parts :

– Déclaration du secrétaire général de l’UGTA (syndicat principal) : le dialogue est « une expérience dont la finalité est la mort (…) c’est pour cela que lui refuse le suicide »

– Démission de Leila Aslaoui, porte parole du gouvernement, qui avait en charge le dossier des victimes du terrorisme.

– Intervention de l’ancien premier ministre Rédha Malek, dénonçant la libération d’Abassi Madani comme « une concession unilatérale de taille » d’autant plus grave que « les dirigeants élargis n’ont pas condamné le terrorisme mais le revendiquent en l’assimilant au djihad ».

Rédha Malek propose même la création d’un nouveau parti avec Leila Aslaoui, mais aussi le colonel Salim Saadi qui a également démissionné du gouvernement en guise de protestation contre l’élargissement des leaders intégristes.

… TOUT EN RASSURANT L’ARMEE

C’est donc contraint et forcé que Liamine Zeroual (chef de l’Etat algérien) a dû réunir le 3 octobre les dirigeants de l’armée afin de s’expliquer sur les libérations d’Abassi Madani et Belhadj. Affirmant qu’ « il n’y aurait jamais de discussion avec les groupes terroristes », il a également déclaré aux officiers présents que « nous remplissons toutes les conditions économiques pour obtenir ce que nous voulons, mais c’est la situation politique qui a été mise en cause par les négociateurs américains, et c’est eux qu’il fallait apaiser ». Début octobre, le général Khaled Nezzar, un des responsables de la répression des émeutes de 88, s’est rendu à Washington au Département d’Etat puis au QG de la CIA.

Ces libérations apparaissent donc comme le résultat des pressions internationales. A l’issue du sommet du G7 Mitterrand lui-même avait appelé à la poursuite du « dialogue ». Juppé, devant l’Assemblée nationale a réitéré cet appel le jour même où le CNPF organisait une « journée Algérie » en présence du ministre algérien de l’économie M. Benbitour (13 octobre 1994). Ainsi « nous avons défini une politique cohérente que nous mettons en oeuvre en étroite collaboration avec nos partenaires européens et occidentaux ». Quelle est cette politique ? Elle se résume par un mot : le dialogue car « ce chemin est le seul qui puisse mener quelque part. La France continuera donc à prôner le dialogue ». « Les élections doivent être l’aboutissement du dialogue politique ». Le premier ministre algérien en accord avec Juppé a précisé le 26 septembre 1994 que « l’objectif de ce dialogue est clair comme de l’eau de roche : arriver à un consensus entre tous les partis pour reprendre le processus électoral ».

VERS UNE INGERENCE INTERNATIONALE DIRECTE…

Or, un retour au processus électoral ne serait ni plus ni moins que l’aveu de l’inutilité du coup d’Etat de janvier 1992. Il signifierait encore un retour à la case départ ! Et, depuis que le premier ministre a proposé dans son discours de présentation du·programme de gouvernement « vous voulez des élections, venez nous aider à les organiser ! Vous voulez le pouvoir, venez le demander démocratiquement au peuple à travers les urnes », on ne cesse de parler d’élections. Des rumeurs nous apprennent qu’une nouvelle loi électorale serait en préparation avec pour règles le scrutin uninominal proportionnel à un tour, l’obligation pour tout candidat à la présidence de la République, de recueillir au minimum 10 000 signatures réparties dans 24 régions.

Mais au-delà de ces bruits de couloir, les appétits s’aiguisent, notamment ceux d’Ait Ahmed. En effet, ce dernier a demandé fin septembre « des garanties internationales pour redonner espoir et sécuriser la population ». Ce projet prendrait la forme d’une conférence internationale pour instaurer la démocratie et rétablir la paix en Algérie. Aït Ahmed a certainement un exemple en tête. En effet, lors d’une discussion avec le chef de l’Etat algérien le 9 octobre 1994, le secrétaire par intérim du FFS, Said Khelil, a précisé ses vues en indiquant que son organisation souhaitait que « la communauté internationale engage son poids en faveur d’une Algérie démocratique comme elle l’a fait en Afrique du Sud ». Aït Ahmed se prendrait-il pour un nouveau Mandela ? En Afrique du Sud un gouvernement d’union nationale présidé par Mandela a mis en oeuvre un programme de reconstruction et de développement (RDP) digne des programmes d’ajustement structurels définis par le FMI. Les institutions sud africaines confèrent un droit de veto permanent aux représentations politiques de l’ancien régime d’apartheid. Certaines organisations d’extrême gauche comme I’AZAPO qualifient le RDP de trahison néocolonialiste. Et pour cause, le RDP sera soumis du 26 au 28 octobre à la banque mondiale et au FMI qui réalisera une mission en novembre en Afrique du Sud. Mais ces institutions internationales ne trouveront rien à redire. Le RDP prévoit une réduction de 3 % par des dépenses publiques, la diminution des effectifs de l’administration, l’ouverture aux investisseurs étrangers.

SUR FOND DE BRAS DE FER FRANCO-AMERICAIN…

Est-ce cela que propose Ait Ahmed en faisant appel à la communauté internationale qui, entre autre, étouffe le peuple irakien par un embargo ignoble ? Les portions alimentaires ne représentent plus que la moitié des besoins en protéine et calories de la population irakienne. Aït Ahmed n’est pas fou, il a bien conscience qu’en Algérie (comme au Rwanda) se joue une partie de bras de fer entre la France et les Etats-Unis. Ces derniers sont d’ailleurs en train de prendre le pas. Un traitement international de la question algérienne signifierait leur victoire. L’acteur hégémonique des relations internationales ce sont bien les Etats-Unis. C’est également le pays qui pousse le pouvoir à une cohabitation avec le FIS. Pour le New York Times :

« Dans la crise algérienne la diplomatie américaine aura décidément joué un rôle exemplaire. Elle a notamment eu le mérite de prendre ses distances avec la position dure, intransigeante de l’ancienne puissance coloniale, la France (…) incapable d’envisager d’autres solutions qu’un soutien inconditionnel à l’actuel gouvernement ».

SOUS L’EGIDE DU FMI ET DE LA BANQUE MONDIALE

Enfin, l’appel à une intervention extérieure pour solutionner la crise politique n’est que l’aboutissement de la ligne du FFS. Cette solution fait fort justement le lien entre politique et économique. Le FFS ne rejette pas l’accord avec le FMI. Certes, la dégradation de la situation économique du pays est le résultat de cet accord. Mais « celui-ci a été mal négocié » tout simplement (déclaration d’Aït Ahmed au journal El Pais). La politique du FMI n’est donc aucunement remise en cause. D’ailleurs, le conseil national du FFS du 22 septembre 1994 se contente de noter « une forte réduction de la marge d’autonomie de l’Algérie, tant vis-à-vis des institutions internationales que de ses créanciers ».

A travers la crise politique nous sommes donc arrivés au deuxième volet du communiqué du G7 : les réformes économiques. Le FIS fait peser des menaces non voilées sur celles-ci. Pour Rabah Kébir (représentant officiel du FIS exilé en Allemagne), « tous les accords conclus durant la période d’illégitimité seront révisés lors de l’avènement d’un gouvernement légitime…. Un gouvernement légitime se trouverait les mains liées sous prétexte qu’il existe des accords… Ce gouvernement n’est pas tenu par ces accords… Les hausses vertigineuses des prix montrent que l’Algérie est gérée par les injonctions du FMI ». Mais d’un autre côté il laisse la porte ouverte : « L’Algérie ne doit pas être gérée avec l’héritage d’un gouvernement illégitime ». En effet « une mesure d’une telle importance doit être prise par un gouvernement légitime ». Le FIS vise par ces déclarations deux objectifs : 1) se positionner comme le seul interlocuteur légitime capable de négocier avec les institutions internationales, le pouvoir doit, de toutes les façons, lui échoir. 2) Marquer des points auprès de la population qui subit quotidiennement le plan d’ajustement structurel.

LA SITUATION ALGERIENNE N’INQUIETE PAS LES CAPITALISTES…

C’est pourquoi les partenaires économiques de l’Algérie ne sont pas effrayés. Bien au contraire, un des directeurs de la commission européenne, Ebeard Rhein estime que « les choses vont mieux que vous en le pensez en Algérie, et les perspectives d’une relance des relations euro-algériennes sont sur la bonne voie… Jamais depuis une vingtaine d’années les perspectives économiques et politiques n’ont été aussi prometteuses et favorables en Algérie ».

Il est vrai que l’année 1994 a connu une accélération des réformes. La plateforme de consensus national de janvier a donné à l’Etat comme but la poursuite et l’approfondissement des « réformes structurelles de l’économie en concertation avec les partenaires sociaux en vue de l’adapter aux grandes mutations internationales et d’accéder à l’économie de marché ».

Le changement de personne à la tête du régime (Liamine Zeroual a succédé à Ali Kafi) a également influencé le cours des choses. Dans un de ses premiers discours Zeroual a affirmé que « l’endettement extérieur dont le poids constitue une lourde charge pour le pays, trouvera ses solutions adéquates dans le cadre des négociations avec les institutions internationales ». Suivant cette logique, dès le 9 avril 1994, le gouvernement algérien adressait une lettre d’intention au FMI. En conséquence un nouveau premier ministre était nommé le 11 avril. Dans sa première déclaration à la presse Sifi Mokdad annonçait que « le nouveau gouvernement s’inscrira dans le respect de tous les engagements pris par l’Etat aux niveaux international et national ». Tout au long de l’année 94, le pouvoir algérien va multiplier les signes d’allégeance au FMI, à la banque mondiale et au G7.

ASSAINIR L’ECONOMIE C’EST APPAUVRIR LE PEUPLE

Le G7 exige de nouvelles réformes en juillet. Un mois plus tard, le gouvernement algérien présente son programme de gouvernement qui comprend un plan d’assainissement de l’économie :

« L’assainissement de l’économie passe par :
1) Une politique de rigueur fondée sur la recherche graduelle de l’équilibre entre les recettes et les dépenses de l’Etat,
2) une politique monétaire et financière plus rigoureuse,
3) une libéralisation du commerce extérieur (…)
4) La réforme de la politique des changes (…)
5) La réforme du système des prix : le gouvernement a décidé d’une accélération de la libéralisation des prix intérieurs et d’un réajustement à la hausse des prix des produits subventionnés. Il continuera à subventionner la semoule, le lait et la farine, mais l’objectif est d’arriver à moyen terme à l’élimination de toute subvention globale ».

La loi de finances pour 1995 propose, dans ce cadre, d’affecter 148 milliards de dinars à la restructuration (destruction) des entreprises concernant 232 000 personnes. D’ores et déjà 88 entreprises seront dissoutes. Le FMI ne peut que se réjouir de cette situation. Le 3 octobre, Camdessus, directeur général du FMI apportait son soutien à Sifi :

« Les services du fonds viennent de procéder à une revue du programme. A cet égard j’ai le plaisir de vous annoncer que tous les critères de réalisation arrêtés dans l’accord de confirmation pour la fin juin ont bien été respectés. De plus, les indications dont nous disposons pour l’instant laissent à penser qu’il devrait en être de même pour les critères fixés pour la fin septembre. Par ailleurs toutes les mesures structurelles prévues sous cet accord ont été appliquées conformément au programme. (…) En somme, les autorités algériennes continuent à faire preuve d’un courage exemplaire en appliquant un programme économique et financier ambitieux dans des conditions sociales particulièrement difficiles. Cette politique courageuse a déjà produit des résultats tout à fait encourageants et mérite le soutien ».

Des résultats encourageants, jugeons par nous-mêmes. 130 000 salariés des BTP n’ont pas été payés depuis 17 mois. Dans d’autres secteurs, il en va de même. Ainsi les 3 000 salariés non voyant de l’entreprise EPIH ne sont plus payés depuis 8 mois. Le pouvoir d’achat se réduit comme une peau de chagrin. Deux kilos de pomme de terre ou de tomates représentent une journée de salaire, un kilo de café 1/8 du salaire. Encore faut-il en trouver. D’ailleurs les cafetiers revendent les marcs de café. Parfois cette denrée est mélangée à de la farine de pois chiche. Un kilo de bœuf vaut 370 dinars, un œuf 6 dinars. L’Algérie est un pays producteur d’hydrocarbures, pourtant l’essence y est un luxe : 9,50 dinars. Or ce n’est pas tout. Selon le secrétaire de l’UGTA « la cause du mécontentement des travailleurs ne se limite pas à la revendication salariale, mais à leur résistance et refus de privatisation de leur entreprise et son bradage ». A Oran, l’eau coule un jour sur quatre ! Au demeurant, le filet social destiné en principe a atténuer les effets de l’accord avec le FMI prévoit la création de « poste de travail d’intérêt communautaire » (version algérienne du TUC ou du CES) en contrepartie d’un salaire de 1 800 dinars (le kilo de café atteint le prix de 500 dinars !).

El Moudjahid donne le ton :

« Dans les faits cela s’est traduit, pour reprendre une expression du FMI, par une meilleure gestion des ressources financières du pays. Naturellement le passage à l’économie de marché suppose des contraintes sociales et du sacrifice. (…) Les citoyens ont bien entendu toutes les raisons d’être inquiets pour leurs maigres ressources, mais c’est un passage obligé ».

L’aspect civil ne masque pas la réalité du pouvoir qui est militaire, tout comme Liamine Zeroual face à son propre reflet !

LA DOMINATION SUBIE PAR L’ALGERIE EST AUSSI CULTURELLE

A la question que nous posions au début: l’Algérie est-elle aujourd’hui indépendante ? Nous pouvons donc répondre que non. Ce pays est de plus en plus dépendant économiquement et politiquement. Mais il y a un autre domaine où l’Algérie n’est pas maîtresse d’elle-même. Il s’agit de la sphère culturelle ou identitaire. Les intégristes, comme le pouvoir, réduisent l’Algérie au contenu de l’idéologie arabo-musulmane. Depuis 1962, ils ont imposé à l’Algérie un modèle culturel emprunté aux pays du Moyen-Orient et par conséquent aux antipodes de l’ « algériannité ». « Nous sommes arabes et musulmans » nous ont-ils dit. La question tamazight a le mérite de rappeler que cette affirmation est fausse.

Les derniers événements de Kabylie prouvent que certains (militaires opposés au compromis avec les groupes islamistes, intégristes opposés à un accord avec le pouvoir) veulent accentuer la crise en embrasant la Kabylie. Ils ont faillis réussir. Pour l’instant ils ont échoué. Mais ils savent que la réintroduction totale du tamazight dans la définition de l’identité algérienne, associée à la notion de laïcité est un des éléments de réponse à la crise actuelle de l’Algérie. En effet, elles permettront de remettre les choses (religion, langues, pouvoir politique) à leur place.

Peut être qu’un jour les poètes algériens ne pourront-ils plus dire que « l’école algérienne a produit des monstres qui éteignent les étoiles » (Matoub Lounès). Mais nous n’en sommes pas encore là. C’est pourquoi le mouvement culturel berbère a appelé au boycott des écoles. Une grève générale a même eu lieu les 5 et 6 octobre. L’école du pouvoir est donc rejetée par tous les camps. Les universités sont devenues des citadelles assiégées par les groupes intégristes. Des bombes y explosent. 1 200 enseignants, par peur d’être assassinés comme l’ont été certains de leurs collègues, ont quitté l’Algérie, principalement à destination de la France.

Or, le gouvernement français utilise les événements algériens à des fins de politique intérieure. Il avance ses pions dans cette élection présidentielle en jouant sur la peur. L’épisode Folembray s’inscrit dans cette logique. Tout maghrébin est devenu un terroriste en puissance. La chasse aux immigrés est organisée et légitimée aux yeux de l’opinion publique.

Les 7, 8 et 9 novembre 1994 constitueront un autre temps fort dans la gestion de la crise algérienne par le gouvernement Mitterrand/Balladur/Pasqua. En effet, se tiendra à cette date et à Biarritz, un sommet franco-africain. Pour la première fois depuis 1962, l’Algérie y participera. Zeroual aux côtés de Mandela (on le retrouve à nouveau) seront les invités de marque de ce sommet franco colonial. 1 100 gardes du corps, 4 000 policiers supplémentaires, des bâtiments de guerre, des forces anti-émeutes, des tireurs d’élite protégeront tout ce beau monde. Rassurons-les, les principales forces démocratiques du pays des Droits de l’Homme : parti socialiste, parti communiste, Ligue « communiste révolutionnaire », n’appellent pas à manifester sous les fenêtres de Biarritz. La solidarité avec le tiers-monde et la lutte contre le néocolonialisme sont peut-être un des thèmes de leurs discours, en tous cas ils ne sont pas une de leur pratique!

Karim – Reims

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