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Karim Thaghest : Les lassitudes du peuple algérien piégé !

Article de Karim Thaghest paru dans Courant alternatif, n° 54, décembre 1995, p. 26-27


Après plusieurs semaines de campagnes électorales, les algériens se sont donc rendus massivement aux urnes. Ils avaient le choix entre quatre candidats provenant de différents horizons, mais rassemblés dans une même mascarade par une même forfaiture ou collusion avec le pouvoir militaro-mafieux qui préside à la destinée de l’Algérie depuis 1954.

Chacun d’entre eux était censé représenter l’un des multiples pôles idéologiques, sociaux, religieux algériens.

DES CANDIDATURES PLURALISTES !?

Boukrouh : fonctionnaire prônant la privatisation du secteur public algérien est un disciple de Khomeini qu’il a rencontré en 1970 mais est un adepte d’un islam modernisé à l’opposé d’un Etat islamique. Il est pour le maintien du code sexiste de la famille. Son score aux législatives de 91 : moins de 1 % du corps électoral !

Nahnah : islamiste modéré, emprisonné dans les années 70 par Boumédienne, il estime que la démocratie en Algérie permet à tout un chacun d’exprimer ses positions, et considère qu’il faut laisser la justice faire son travail contre les prisonniers politiques en Algérie aujourd’hui. Son parti avait obtenu à peine 2 % du corps électoral. Il déclare ouvertement que sa « candidature a été choisie pour représenter les différentes couches de la société et pas seulement les islamistes modérés ». Mais par qui a t-il été choisi comme candidat ? Par le pouvoir bien sûr !

Saadi : le docteur Saadi républicain, moderniste, berberiste, soutenu par le PC algérien fut emprisonné à plusieurs reprises. La dernière fois, sa peine fut abrégée (quelle clémence). Il fut utilisé dès 1988 par le pouvoir. Lors des émeutes il est reçu par le secrétaire général de la présidence le général Larbi Belkheir. Il est utilisé pour divisé le Front des Forces Socialistes d’Ait Ahmed. Saadi créé ainsi le Rassemblement Culture démocratie véritable clone du FFS. Mais c’est l’échec avec moins de 2 % du corps électoral en 91. Saadi est même battu dans sa propre ville malgré les moyens mis à sa disposition par l’Armée. Pour Khalifa Said, le RCD « rejoint les ultras qui en refusant toute solution négociée de la crise risquent d’ouvrir la voie du pouvoir aux intégristes. Tout ce contre quoi le leader du RCD affirme lutter ».

A coté de ces trois protagonistes un peu faibles moins de 5 % du corps électoral en 1991, il y un général qui entend se succéder à lui même. Militaire originaire de l’est du pays il réunit les deux caractéristique des saigneurs de l’Algérie depuis 1954. Issu d’un coup d’état, il mène à travers à la manière d’un De Gaulle en 1958 une tentative de légitimation par plébiscite.

VOTE TOUJOURS, LA GUERRE CONTINUE…

Nous avons présenté les acteurs, dressons maintenant le décor.

45 000 morts depuis janvier 1992. L’Algérie connaît une guerre terrible entre groupes islamistes armés complètement incontrôlables et barbares et l’Armée algérienne tout aussi criminelle et totalitaire. Assassinats, explosions, bombardements au napalm, viols, tel est le lot quotidien du peuple. Pour l’occasion, c’est à dire les élections 300 000 hommes armés par l’Etat sont dans les rues qu’ils soient militaires de carrières ou appelés (75 %), gendarmes, policiers, miliciens, membres du groupe d’intervention spéciale (guépéou ou gestapo algérienne).

En d’autres termes, il y a un homme armé par l’Etat pour 100 algériens ou pour 50 électeurs.

Le décor, c’est aussi la violence économique dans un pays en pré-famine ou 1 une paire de chaussure coûte 4 500 dinars et un salaire en rapporte seulement 4 000.

Le décor, c’est également la radio, la télé qui jouent leur rôle de chien de garde du pouvoir, renouvelant les formes de propagande déjà utilisées avec succès et malheureusement par Hitler ou Staline. Pendant ce temps, le meetings des candidats officiels sont mêmes parfois empêchés. Les Romistes (FFS, FIS, FLN) sont pour leur part interdit de toute forme d’expression. Des militants du Parti des Travailleurs ont également été arrêtés. Des journaux indépendants sont suspendus. L’appel au boycott pouvait-il passer à travers les mailles de ce filet.

Dans ce contexte, la population est lasse de toutes ces violences. Ce besoin de paix et de sécurité est tombé dans le piège que lui tendait Liamine Zéroual et derrière lui l’Armée. Faute de réel concurrent (qui ont été écartés comme Redha Malek, le Conseil Constitutionnel a déclaré qu’il n’avait pas assez de signatures pour se présenter, Taleb Brahimi, la loi interdit à un algérien marié à une étrangère d’être candidat, sa femme est italienne) Zeroual est apparu à beaucoup comme le seul capable de sortir l’Algérie de sa situation.

Les algériens de France ont pour leur part voté pour dire qu’ils ne sont pas des banlieusards terroristes comme les médias tentent de les présenter. Les images de masses devant les consulats ont certainement provoqué un réflexe en Algérie.

DEVANT LA GUERRE ICI AUSSI !

Mais pour en revenir au vote des algériens de France, celui-ci doit être restitué dans son contexte, de Kelkal à Vigipirate.

Ce contexte est constitué par la vague d’attentats attribués aux islamistes : assassinats, explosions de bombes. La deuxième guerre d’Algérie s’exporte en France comme l’avait fait la première. A cette époque le FLN éliminait ses opposants de l’intérieur ou de l’extérieur.

Aujourd’hui les raisons sont autres. Chirac est arrivé au pouvoir et la politique algérienne de la France a changé. Pasqua n’est plus lui qui ménageait la chèvre et le choux, qui emprisonnait des intégristes mais donnait des cartes de séjours à leurs dirigeants, recevait Saadi ou les militaires algériens, et envoyait des ambassadeurs à Rabah Kébir représentant du FIS en Allemagne, signait des accords avec le chef islamiste soudanais en échange de la tranquillité de la France. Cela rappelle que la question algérienne n’est pas uniquement algéro-algérienne mais intéresse aussi la France les Etats-Unis, la Grande-Bretagne dont la politique a consisté à soutenir l’islamisme saoudien contre l’ennemi communiste. Et puis l’Algérie a du pétrole et du gaz et les affaires continuent rondement depuis 1992. La France est l’un des principaux soutien du régime avec 5 milliards d’aide par an, la formation de policiers et militaires algériens, la vente de matériel anti-guérilla.

Une autre raison des attentas réside dans le fait que les algériens de France sont un enjeu de la campagne et de la guerre. Cette communauté est donc au centre de l’activité des deux bords puisqu’elle constitue une zone de combat et de lutte d’influence. La rencontre avec Zeroual s’analyse comme un élément de vaste puzzle. Zeroual avait besoin de monter qu’il est reconnu au plan international et Chirac devait prouver qu’il agit pour stopper les attentats.

Et il a agit avec Vigipirate et ses 16 000 expulsions. Il a agit en faisant des maghrébin des terroristes en puissance. Kelkal a tué l’imam Sahraoui. Pourtant ses assassins parlaient l’arabe dialectal. Son fusil a servi à tuer l’imam. Pourtant avec un fusil à pompe on ne peut pas le savoir ! Envoyer 700 paras contre un gamin c’est aussi ranimer les images de la guerre d’Algérie. C’était bien sûr volontaire. Le cadavre de ce gamin que l’on assassine pour qu’il ne parle pas a été jeté en pâture aux téléspectateurs français, complice d’un crime d’état d’une injustice de plus contre cette jeunesse maghrébine de France que les flics et maintenant l’armé répriment ! Et puis le mensonge a dominé toute cette affaire et le domine encore. Le journal El Ansar est publié à Stockholm : Faux, c’est à Varsovie !

A partir de là, les médias ont relayé les voix qui demandaient d’avantage de répression. Après Vigie Pirate, Vigie Banlieue.

C’est le cas de Jean Emile Vié ancien directeur des RG de 1955 à 1961 en pleine guerre d’Algérie qui dénonce le vivier maghrébin exige des lois d’exceptions, réduisant les libertés individuelle, la lutte contre la double nationalité par une refonte du code de la nationalité, la création d’un service spécialisé contre le terrorisme.

C’est le cas de Paul Lambert qui dans plusieurs journaux nationaux a venté la brochure « l’immigration : une chance pour personne, un malheur pour tout le monde » édité par son association Renaissance 95.

C’est le cas de Toubon qui a présenté un projet de loi rattachant à des procédures d’exception des infractions de droit commun comme l’aide à l’entrée au séjour d’étrangers en France considérée désormais comme un acte de terrorisme.

L’amalgame entre immigration et terrorisme s’est donc renforcé justifiant par conséquent aux yeux d’une opinion publique française manipulée, de véritables logiques de rafles comme seules l’époque vychissoise ou celle de la guerre d’Algérie en avait connue.

Que se soit donc en France ou Algérie, le piège se referme sur le peuple algérien toujours victime de la même violence. Mais il est vrai que cette histoire a commencé en 1830…

K. Thaghest
25/11/95

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