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Algérie : le conflit d’options

Articles parus dans Sans Frontière, n° 15, 3 juin 1980, p. 11

Après les événements de Tizi Ouzou, qui ont largement secoué les assises du pouvoir, voilà que les positions se radicalisent et aboutissent à des situations conflictuelles, notamment au niveau des universités du grand Alger.

Doit-on interpréter cela comme la conséquence directe des événements de Tizi Ouzou, le réveil de conflits latents, ou bien l’amorce d’un mouvement d’émancipation auquel aspire l’écrasante majorité des algériens. Un jugement définitif quant à cette situation et son évolution future, ne peut être porté à l’heure actuelle, du fait de la nécessité de prendre du recul, en vue d’une approche objective. Néanmoins, il apparaît d’ores et déjà, certains faits marquants nouveaux, qui placent l’Algérie en situation de rupture par rapport à la période qu’elle a traversé de l’indépendance à ce jour. Cette tendance, déjà pressentie à la mort du président Boumedienne, a donc pris depuis quelques mois des aspects revendicatifs qui ont revêtu quelquefois, des formes violentes. Donc, la première conclusion à tirer, est que pour la première fois depuis le 19 juin 1965, date de la prise du pouvoir en Algérie par Boumedienne, l’élite intellectuelle algérienne a été en mesure de s’organiser et de passer à l’action.

Bien sûr, des questions restent posées quant à l’efficacité de cette action, mais elle a le mérite indéniable d’exister. Diffuse et spontanée, au départ, cette action est en passe de s’octroyer un contenu idéologique clair, du fait de la dynamique de réflexion et de remise en cause, qui s’est opérée au niveau de chaque algérien.

Si ceci est surtout matérialisé au niveau des universités, c’est que ces dernières sont encore en Algérie, les seuls endroits où la liberté d’expression, malgré les restrictions de toute nature, n’est pas totalement étouffée. Donc, isoler le problème à la sphère universitaire, comme veut le faire croire la presse gouvernementale, est une approche volontairement fausse. Cette presse, après s’être efforcée de traiter ce mouvement de berbériste, s’emploie à le circonscrire à l’université. En effet, la profondeur des luttes idéologiques qui secouent actuellement l’université algérienne, ne sont que le reflet du marasme économique algérien, et des conflits sociaux qui en découlent. Après ce bref rappel du contexte dans lequel s’inscrit cette situation, essayons d’entrer dans le détail, en définissant notamment les protagonistes et leur tendance politique. En première analyse, il ressort 4 principales tendances : les francisants, les arabisants, les frères musulmans, les berbéristes.

Nous rappelons qu’au-delà des appellations qui tendent à situer le conflit à un niveau linguistique, régionaliste, ou religieux, ce dernier est foncièrement idéologique donc politique.

D’ailleurs au cours de ces derniers jours, à cette subdivision de base, tend à se substituer de plus en plus, un clivage entre berbéristes et francisants réunis d’une part, et arabisants et frères musulmans d’autre part.

Ces deux tendances se prévalent d’être nationalistes, et se taxent mutuellement d’agents de l’étranger, respectivement de la Libye, et des pays du Moyen-Orient et de la France. Ceci pose, impérieusement la nécessité d’engager de la manière la plus large et la plus démocratique qui soit, un débat sur le contenu de la culture, de l’idéologie donc de l’âme algérienne. Bien sûr, ceci ne doit pas être perçu comme une fin en soi, mais comme un moyen d’émancipation des algériens, et de l’Algérie, sur tous les plans. Tout en rappelant que l’union des algériens doit être basée sur une communauté de destin, il importe de bien comprendre le passé et d’en tirer les enseignements, et ce, de manière objective, dépassionnée et résolument subordonnée à l’intérêt national. La référence à la guerre de libération nationale, à l’Islam, à la langue, ne peut suffire sur le plan idéologique, il y a donc lieu de tirer les leçons de l’histoire, s’ouvrir au progrès, et laisser la décision à la majorité des algériens.

Hacene BELKACEM


(Photo Sans Frontière)

Texte du dernier tract distribué à Alger

Il n’est jamais dans l’esprit de ce mouvement de diviser les Algériens ni de remettre en cause l’opinion socialiste des masses populaires algériennes.

La Communauté universitaire a aussi dénoncé toute tentative de manipulation ou de dénaturation du mouvement de la part de milieux connus pour isolement des masses et ce, bien avant que la presse nationale ne s’en préoccupe.

Notre programme de revendications vise à créer les meilleures conditions, permettant à la culture populaire algérienne de sortir du ghetto où certains veulent la maintenir à tout prix.

Notre programme de revendications est le suivant :

I) Reconnaissance des langues populaires algériennes : L’Arabe populaire et le berbère.

1 – Enseignement de la langue berbère et de l’arabe populaire à tous les niveaux et dans l’immédiat dans les universités.

2 – Création d’instituts de recherche sur les langues populaires algériennes. (Arabe populaire et berbère).

3 – Reconnaissance du droit à l’écriture et à la publication en ces langues.

4 – Augmentation du volume horaire pour la chaîne II (24H sur 24) ; son utilisation pour toute la communauté berbérophone ; révision des programmes et augmentation de la puissance d’émission.

5 – Pour la chaîne I émission en arabe populaire et révision des programmes.

6 – Pour la télévision : Emission en arabe populaire, création d’une deuxième chaîne en berbère, algérianisation des programmes.

7 – Développement du cinéma et du théâtre en berbère et en arabe populaire : la démocratisation de la production cinématographique.

8 – Ecriture objective de l’histoire de notre pays.

II) Respect des libertés démocratiques.

1 – Libérations immédiates et inconditionnelles des prisonniers pour délits d’opinions.

2 – Mettre fin aux arrestations arbitraires, au quadrillage policier des universités et à l’intimidation de la population.

3 – Respect des franchises universitaires.

4 – Organisation démocratique à l’université.

5 – Le respect des droits à la liberté d’expression et à une information objective.

6 – Ouverture d’un large débat démocratique sur la question culturelle en Algérie.

Nous sommes convaincus que les problèmes que nous soulevons sont importants, non pas marginaux comme le prétendent certains, qu’ils engagent l’avenir de notre pays et nécessitent un débat large et démocratique.

Convaincus de la légitimité de ces revendications, la Communauté universitaire de Tizi-Ouzou est décidée à lutter jusqu’à leur pleine satisfaction.

La communauté universitaire de Tizi-Ouzou.


MEDEA : Des procès comme les autres…

Les quelques 25 personnes qui auront les honneurs de la Cour de Sûreté de l’Etat algérien, à Médéa, en Algérie, (voir ci-contre « Algérie : comment ça marche. ») vont décidément être comblés.

Il se colporte que leur défenseur « choisi par des copains » sera Maître Djender, alors que les divers avocats régulièrement constitués par les familles sont récusés.

Maître Djender est bien connu en Algérie depuis qu’il a requis la peine capitale contre Aït-Ahmed en 1964, à Alger. Aux avocats normalement constitués par les familles des inculpés, on répond que ce sont « des copains » des détenus qui ont constitué Me Djender.

A côté de quoi, le droit de visite est acquis aux familles : il leur suffit, à chaque visite, d’aller jusqu’à Médéa demander une autorisation et de se rendre ensuite à… Berrouaghia pour entrevoir à travers gardiens, grillages et vitres leur enfant, frère ou mari.

Pour ceux qui n’auraient pas compris, qu’ils consultent une carte d’Algérie, et ils comprendront. Sans compter que le « parloir » est collectif : tous les visiteurs entrevoient tous les détenus visités en même temps. Les visites durent quelques minutes.

Des bonnes âmes se répandent un peu partout, expliquant que le « choix » de Me Djender est une bonne politique : ainsi, tout se passera « en famille », pour ainsi dire, il n’y aura pas de provocation (?), on ne remuera pas trop les choses (tiens donc !) et les inculpés bénéficieront de la clémence du tribunal.

Pour autant qu’on puisse encore savoir quelque chose concernant les prisonniers, ils n’ont pas été pris en un quelconque flagrant délit de détournement de fond, de trucage d’élection ou de tout autre crime pour lequel il arrive qu’on ait à demander grâce et dire merci.

Ils ont été inculpés pour avoir, de façon responsable, lutté pour des droits historiques et à ce jour aliénés du peuple algérien. C’est dire si leur procès n’est qu’une phase de leur lutte. Qui a peur de quoi, alors, quand on sait que les avocats normalement constitués par les familles sont tous soit algériens, soit des personnes ayant donné leurs preuves quant à leur sympathie pour la vraie révolution algérienne et même, pour certains, pour le vrai FLN.

R. SADI

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