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Changement de pouvoir en Algérie

Dossier paru dans L’Internationale, n° 35, juillet-août 1965, p. 4-5


Un pouvoir personnel sans liens avec les masses

DU 19 juin, jour du coup d’Etat d’Alger, il a fallu attendre jusqu’au 5 juillet, soit plus de quinze jours, pour que le dirigeant du coup d’Etat, Boumedienne, par le truchement de Radio-Alger, fasse connaître et la composition du « Conseil national de la révolution » qui aurait pris l’initiative de l’opération et le programme qu’il entend suivre comme chef du gouvernement.

Quinze jours pour donner les noms ! La lecture de la liste montre qu’elle rassemble des militaires subordonnés à Boumedienne et des ministres et militaires qui faisaient partie du clan Boumedienne. Cela laisse à penser que le coup a été préparé uniquement par l’armée et que la tentative ultérieure de donner une certaine allure politique au « Conseil national de la révolution » n’a rien donné après deux semaines de pourparlers dans la coulisse.

On notera aussi que ce 5 juillet, troisième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le nouveau pouvoir qui prétend représenter la volonté des masses n’a pas osé appeler celles-ci à des manifestations de rue. Les nouveaux dirigeants ne sont même pas venus assister à une manifestation sportive organisée pour cet anniversaire.

Que dire de la proclamation du 19 juin ainsi que des propos tenus par ceux qui sont les porte-parole du régime nouveau ?

Selon eux, tout allait mal, et en premier lieu l’économie. La situation de l’Algérie, certes, est loin d’être brillante. Mais, loin de proposer une nouvelle politique, les auteurs du coup d’Etat prétendent qu’ils s’en tiennent à la politique suivie précédemment, à la Charte d’Alger, à l’autogestion, etc. Tout le mal viendrait de la personne de Ben Bella, de son pouvoir personnel. Les accusations personnelles sont complétées par des accusations « financières ».

Nous avons critiqué au cours des mois passés plusieurs aspects de la situation politique en Algérie, notamment le caractère bonapartiste du pouvoir de Ben Bella, le recours à des combinaisons au sommet que les masses ne pouvaient comprendre, des tergiversations. notamment pour la réalisation de la réforme agraire, l’absence d’un parti réel fonctionnant démocratiquement. Mais, il ne suffit pas que des critiques semblables ou une partie d’entre elles soient formulées aujourd’hui par Boumedienne pour qu’il lui soit fait la moindre confiance. Au contraire.

Au pouvoir personnel de Ben Bella, il ne substitue pas la démocratie mais un pouvoir personnel encore plus restreint, sans liens avec les masses, reposant uniquement sur l’armée ou sur une partie de celle-ci. Quelle démocratie que celle de ces hommes qui demeurent même après la révélation de leurs noms des anonymes politiques et n’osent pas affronter publiquement les masses ! Quant aux leçons de morale que prétendent donner ces mêmes hommes, on ne peut oublier que dans le « Conseil » on trouve un Mohammedi Said, un Slimane dont chacun sait à quoi s’en tenir.

Il est vrai qu’un objectera l’ascétisme de Boumedienne. Mais, des opérations comme celle du 19 juin ne s’opèrent ni dans le vide politique ni ne se prolongent selon les vues d’un individu. Ce qui s’est passé au lendemain du 19 juin, les prises de position, les affrontements, ont une signification considérable Les forces sociales, les groupements, les individus n’interprètent pas arbitrairement un tel événement. Sur ce plan, les choses sont on ne peut plus claires. Les premiers à soutenir le coup d’Etat, ce sont les oulémas et, avec eux, tous ceux qui sont orientés vers le passé. Ils ont été presque immédiatement suivis par une série d’ambassadeurs – dont certains au passé gauchiste rapidement oublié – qui tiennent à rassurer les pouvoirs établis à travers le monde. Et aussitôt après viennent les opportunistes, ceux qui avaient ciré les bottes de Ben Bella et qui sont prêts à en faire autant pour ses successeurs. Et viennent aussi, avec plus ou moins de prudence — mais pour des raisons toutes manœuvrières — ceux qui pensent que « l’Algérie » peut « avoir besoin d’eux », les Rabah Bitat, les Boussouf, les Khider, les Ferhat Abbas, qui espèrent que leur heure peut venir, mais qu’il ne faut pas le montrer trop tôt (1).

Le coup d’Etat dresse contre lui tout aussitôt la jeunesse, les étudiants. A Alger même, des manifestations se produisent les premiers jours. Ailleurs, à Oran, à Annaba, à Philippeville, à Tlemcen, les manifestations ont été bien plus puissantes et la répression a été très dure. Hors de l’Algérie, les étudiants algériens, l’Amicale des Algériens en France condamnent énergiquement le coup d’Etat.

Mais peut-être rien n’illustre-t-il mieux la situation de l’Algérie après le coup d’Etat que l’attitude des syndicats algériens. C’est seulement huit jours après le coup d’Etat que la direction de l’U.G.TA. adopte une résolution qui n’est d’ailleurs pas publiée en Algérie, dont seulement des extraits parviennent à l’extérieur. Cette résolution ne mentionne jamais le nom de Ben Bella. Elle note « l’extrême faiblesse du parti en tant qu’organisation structurée », « l’inapplication du centralisme démocratique et l’absence de collégialité », qui ont permis « le renforcement du pouvoir personnel, la pratique des méthodes antidémocratiques », mais elle observe aussi que « malgré les entraves constituées par les aspects négatifs de l’ancien pouvoir, les travailleurs ont enregistré des victoires. représentées particulièrement par les décrets sur l’autogestion, la Charte d’Alger et la charte syndicale » que « seuls les travailleurs et les masses déshéritées des villes et des campagnes ont supporté le poids de la prétendue politique d’austérité. »

Dans cette résolution, le coup d’Etat est évoqué en termes ambigus : « l’ouverture que constitue l’événement survenu le 19 juin demeure hypothéquée par la présence ou le retour sur la scène politique d’éléments arrivistes et opportunistes, qui sont également responsables du non respect de nos institutions… Pour que le 19 juin soit une ouverture véritable, il faut également permettre l’émergence de militants éprouvés, clairs dans leurs options, courageux dans l’expression de leurs opinions, et qui ont donné la preuve de leur attachement réel au socialisme. » Et la résolution, affirmant « l’attachement indéfectible des travailleurs aux acquis de leurs dix années de lutte, à savoir l’indépendance nationale, l’autogestion et la construction du socialisme démocratique dans le cadre de l’autogestion », exige que « le FLN, parti d’avant-garde, soit composé essentiellement d’ouvriers, de paysans pauvres et d’intellectuels révolutionnaires. Aujourd’hui, la démystification se fait. L’ère des individus est terminée, celle des principes doit commencer. »


Il est vrai que huit jours plus tard, le secrétariat national de l’U.G.T.A. publie un communiqué qui est en retrait sur la résolution ci-dessus qui avait été adoptée par la commission exécutive nationale. Ce communiqué approuve « l’analyse contenue dans la proclamation du 19 juin » du Conseil de la révolution et, tout en évoquant la résolution précédente, ne mentionne que la Charte d’Alger et la défense des acquis de la révolution, sans rappeler explicitement l’autogestion.

N’est-ce pas le témoignage que les responsables du mouvement syndical (rappelons qu’ils avaient été renouvelés au récent congrès de l’U.G.TA. sous la pression de la base contre la vieille direction qui avait été introduite par un coup de force) regardent d’un œil le pouvoir et la force dont il peut disposer, et de l’autre œil les réactions des masses ?

Ils déclarent qu’il y a des personnages qu’ils ne veulent pas revoir, et des conquêtes de la révolution auxquelles il ne ferait pas bon de toucher. La direction des syndicats manifeste une bonne dose d’opportunisme, mais il n’est pas besoin de savoir lire entre les lignes pour voir les limites dans lesquelles Boumedienne pouvait à présent évoluer et négocier. Les Khider, Boussouf, Ferhat Abbas ne pouvaient apparaître sur le devant de la scène. Boumedienne devait se prononcer également pour l’autogestion (pour laquelle il a une sainte horreur).

Apres les manifestations des premiers jours, la situation est devenue « calme ». Cela est dû en premier lieu à l’absence d’organisation d’une avant-garde. Dans le cas de l’Algérie, le parti unique signifiait au fond qu’il n’y avait aucun parti ; et la gauche était une aspiration chez de nombreux militants, mais pas une organisation luttant dans le F.L.N. et capable de s’adresser directement aux masses. Mais ce calme dans la rue ne veut pas dire apathie et indifférence. Boumedienne a tourné une page sur laquelle il sera difficile de revenir. Les tendances bourgeoises néocolonialistes et les tendances bureaucratiques vont attendre l’usure de Boumedienne, comme celui-ci attendit celle de Ben Bella, pour s’efforcer de faire reculer davantage la révolution dont les forces sont loin d’être épuisées.


Le coup d’Etat du 19 juin s’étant produit quelques mois avant la date prévue pour l’ouverture de la conférence afro-asiatique à Alger, diverses manifestations d’ordre diplomatique étaient inévitables qui ont révélé les motivations de nombreux gouvernements.

La plupart des pays néocolonialistes d’Afrique (ex-colonies françaises ou britanniques) ont montré des réserves à l’égard du régime Boumédienne, non pas par sympathie pour Ben Bella ou pour la révolution algérienne, mais parce que, comme cela fut déjà vérifié dans d’autres occasions, ces pouvoirs faibles et instables sont hostiles à tout ce qui, même indirectement, pourrait donner des encouragements au coup d’Etat chez eux.

Bourguiba a déclaré qu’il n’appréciait pas en général les coups d’Etat, mais dans ce cas particulier il y voyait plus d’avantages que d’inconvénients. Pour son propre régime néocolonialiste bien entendu.

Nasser s’est trouvé dans une situation embarrassée. A bien des égards Boumedienne a plus d’affinités avec son régime que Ben Bella pouvait en avoir. Mais Nasser ne manque pas de sens politique et il n’a pas été sans penser que Boumedienne jouait l’apprenti-sorcier. Aussi s’est-il efforcé de ménager Boumedienne, tout en manifestant un intérêt pour Ben Bella en vue de l’avenir.

Le monde capitaliste a regardé ce que faisait l’impérialisme français avant de prendre position, cet impérialisme étant le plus intéressé à ce qui se passe en Algérie. Le régime gaulliste affecte de ne pas vouloir se mêler des « affaires intérieures » de l’Algérie, mais on peut dire que, d’une façon générale, ce qui vient de s’y produire lui parait favorable à ses intérêts et à son jeu dans ce pays.

En ce qui concerne les Soviétiques et les Chinois, ils se sont tous deux placés non sur le plan de partis face aux développements temporairement défavorables d’une révolution, mais sur le plan d’Etats préoccupés surtout de la conférence prévue. Le gouvernement soviétique craignant que le nouveau pouvoir prenne une position hostile à la présence de l’URSS à cette conférence se tint sur la réserve, encourageant dans la coulisse ceux qui étaient pour Ben Bella. Par contre, le gouvernement chinois qui ne dispose à présent d’aucune tribune internationale pour s’exprimer, autre que la conférence afro-asiatique, a cru qu’en se précipitant il aurait le soutien de Boumedienne au cours de cette conférence, ne réussissant qu’à faire un pas stupide, qui révèle l’ignorance de la diplomatique chinoise sur un plan qui dépasse celui des pays riverains de la Chine.


La seule intervention qui ait eu un caractère révolutionnaire vint une fois encore de Fidel Castro. Il ne s’embarrassa pas de fiction diplomatique, il qualifia l’affaire de « pronunciamento militaire » et, rappelant que Cuba avait envoyé des armes à l’Algérie, il dit : « Nous déplorons que ces armes soient employées aujourd’hui dans un combat fratricide contre le peuple algérien. » Il exprima également sa confiance dans les masses algériennes. C’est une conclusion que nous pouvons reprendre. La révolution algérienne a, dans le passé, connu des heures très douloureuses, des situations extrêmement graves, et des sursauts puissants, des reprises vigoureuses se sont produits chaque fois. La révolution algérienne ne tardera pas, nous en sommes sûrs, à reprendre sa marche en avant.

Pierre FRANK.


(1) Il fallait un bouffon dans le drame. C’est Messali Hadj qui vint remplir le rôle : « Le PPA refuse de choisir… A l’époque où les Français se trouvaient en Algérie, il y avait une certaine liberté d’expression… »


La révolution algérienne reprendra le dessus

Notre camarade Pefitfrère, de passage à Paris, a bien voulu répondre à quelques questions sur les événements qui viennent de se dérouler en Algérie où il vit depuis près de deux ans.


— Comment le coup d’Etat est-il arrivé ?

— Techniquement, c’était bien monté. La plupart des gens ne se sont rendu compte qu’il se passait quelque chose qu’en n’entendant plus à la radio le programme habituel et en ne trouvant pas les journaux du matin dans les kiosques. Plusieurs personnes qui ont vu les chars se mettre en position m’ont dit avoir cru à une mise en scène dans le cadre de la préparation du film sur la « bataille d’Alger ».

Une dizaine de jours avant, j’avais entendu raconter par quelqu’un qui le tenait de personnes bien informées, qu’il avait failli y avoir un coup d’Etat. Le bruit courait avec insistance que Bouteflika, avait été « libéré de ses fonctions ». Bref, on s’attendait à un certain remue-ménage en haut lieu. Mais les gens avec qui j’ai parlé de cela s’attendaient plutôt à un coup porté par Ben Bella à Boumedienne qu’à l’élimination de celui-là.

— Pourtant tu avais laissé prévoir, il n’y a pas si longtemps, puisque c’était en conclusion d’un article sur le congrès constitutif de la F.N.T.T., qui a eu lieu début janvier, le possibilité de cette élimination. Tu disais :

« Se laisser couper de la base est la pire situation pour un révolutionnaire. Or, c’est ce qui risque d’arriver aux révolutionnaires algériens s’ils se satisfont de faire adopter d’excellentes résolutions dans les congrès en laissant aux bureaucrates le soin de les appliquer. Le jour viendra vite où les masses, lassées, se détourneront d’eux. Ce jour-là nous ne donnerons pas cher de leur peau et le développement de la révolution algérienne se trouvera compromis. »

— Oui, je laissais prévoir ce risque… et j’espérais ne pas être si prophétique. Je précise que je n’avais pas pour intention d’accorder un brevet de révolutionnaire à qui que ce soit. Ben Bella, cela parait évident, comptait porter au moins un coup aussi important à Boumedienne. Celui-ci a pris les devant. Mais tout cela se passait en dehors du peuple, derrière son dos en quelque sorte.

— Des manifestations ont eu lieu à Alger. Les manifestants criaient « Yaya Ben Bella » (vive Ben Bella) et « assassin Boumedienne ».

— Bien que Michel Legris ait dit dans « le Monde » du 9 juillet que Boumedienne ne paraissait pas « personnellement impopulaire », je crois qu’il est cordialement détesté par la majorité de la population. Je crois aussi comme me l’a dit un paysan qu’il y a encore beaucoup de familles qui « pleurent sur Bon Bella ». Mais il ne faut pas oublier que si Ben Bella est tombé et avec si peu de réactions immédiates, c’est qu’il avait lui-même mis ou laissé mettre le peuple en vacances, truffé ou laissé truffer les rouages essentiels de Etat et des organisations nationales de bureaucrates sans scrupules. Le congres de la F.N.T.T. a interdit le cumul des responsabilités syndicales et administratives mais Bouchebouba, le secrétaire général de la F.N.T.T. est toujours commissaire départemental de l’O.N.R.A. Ce n’est qu’un exemple, mais il est bien significatif.

— Peux-tu préciser les réactions des diverses couches sociales algériennes en face du coup d’Etat ?

— Je peux en donner une idée, évidemment, sans être assuré de ne pas commettre d’erreur et compte tenu que j’ai quitté Alger fin juin.

J’ai discuté avec des petits bureaucrates d’origine petite-bourgeoise. Ils redoutaient Boumedienne et auraient apparemment préféré sa liquidation à celle de Ben Bella, par peur de l’armée. Maintenant les uns accablent violemment Ben Bella, d’autres ne prennent pas position entre les hommes. Mais, dans l’ensemble, les uns et les autres sont en faveur d’une solution Ferhat Abbas.

Les paysans, généralement, se taisent. Ils détestent les bureaucrates et n’aiment pas beaucoup les militaires. Ils souhaitent l’extension de la réforme agraire et une gestion démocratique des exploitations comme des affaires de la commune. Ils voudraient aussi être intéressés à la commercialisation de leurs produits. Cependant il n’apparaît pas qu’ils puissent, dans l’immédiat, prendre des initiatives. Ils défendront sans doute l’acquis, essaieront d’exercer une pression pour obtenir de nouveaux avantages, mais je ne pense pas qu’ils puissent aller au-delà. D’ailleurs une action, un peu énergique, suppose qu’on ait des armes. Or, on en a ramassé pas mal depuis deux ans pour les remettre à « l’autorité » et les civils n’en ont plus guère.

L’armée est maintenant une armée de métier où il y a beaucoup plus de « 19 mars » (gens qui ont rejoint l’A.L.N. à la signature des accords d’Evian) que de militants. Etre soldat, en Algérie, c’est avoir une bonne situation. Et la crainte de se retrouver chômeur ne prédispose pas à la fronde. On ne peut ignorer pourtant que cette armée n’est pas homogène ni qu’elle n’est pas très importante (environ 70.000 hommes, je crois !), ni non plus qu’il serait difficile d’opérer dans l’hostilité générale.

Les ouvriers sont très hostiles à Boumedienne. C’est leur pression effective qui a porté Oumeziane au secrétariat général de l’U.G.T.A. ; ce qui traduisait un renforcement de la gauche au sein de la bureaucratie. La classe ouvrière est encore peu nombreuse mais elle est la couche sociale qui semble avoir le plus de cohésion. Au surplus, elle ne peut que se développer avec la nécessaire industrialisation du pays. C’est d’elle sans doute que peut naître une direction capable de réanimer la révolution. Les directions actuelles ont généralement été partagées entre l’opportunisme, la désorientation et la capitulation.

Si malgré cela la direction de la centrale syndicale manifeste une attitude assez réservée et même critique envers la nouvelle équipe, il faut y voir l’indice que la base exerce une forte pression. Laissés sans directives, les cadres moyens paraissent avoir réagi en reprenant les liaisons clandestines du temps de la guerre. Les femmes, qui aspirent à l’émancipation et qui savent ne pas devoir compter sur Boumedienne pour cela, peuvent avoir un certain poids.

Je ne peux parler de l’émigration. Je crois cependant qu’elle constitue un élément important et qu’il faut s’y intéresser.

Pour conclure sur la situation des force en présence, je crois qu’il est vain d’espérer une nouvelle marche en avant de la révolution à brève échéance mais qu’il serait aussi faux de penser que tout est « fichu » pour une longue période.

— Bon, mais alors, comment peser sur la situation pour qu’elle évolue vers la gauche plutôt que vers la droite ?

— Il faut que se sélectionne une direction révolutionnaire capable d’entraîner tous les éléments dont le socialisme est la seule chance d’obtenir une vie décente. Cela suppose des mots d’ordre appropriés.

Voici quelques-uns de ceux qui circulent déjà :

— application de la Charte d’Alger ;

— application de la charte syndicale ;

— application des résolutions des différents congrès des organisations nationales ;

— réorganisation du Parti sur la base de la primauté donnée aux cellules d’entreprise ou d’exploitations agricoles ;

— constitution dans toutes les usines, tous les quartiers, toutes les exploitations agricoles, tous les douars, d’assemblées qui donneront un contenu réel au pouvoir politique en préservant les acquis de la révolution : Charte d’Alger et autogestion en premier lieu, et en étendant ces conquêtes par la réalisation du contrôle ouvrier et par l’achèvement de la réforme agraire ;

— constitution dans toutes les agglomérations de conseils communaux par lesquels s’exprimera la volonté révolutionnaire des travailleurs et qui se fédéreront entre eux ;

— remplacement de l’armée de métier par une véritable milice populaire élisant ses officiers et contrôlant leur orientation politique par l’intermédiaire de comités de soldats.


Les « pieds rouges »

DANS le mouvement précipité de ralliement à Boumedienne de la presse de notre « gauche respectueuse », un argument revient fréquemment, sous la même forme stéréotypée :

« Les Algériens en ont assez des pieds rouges, trotskystes et ex-membres des réseaux, qui veulent transformer leur malheureux pays en champ d’expériences pour leurs théories. »

Cet argument, emprunté à la droite la plus réactionnaire, repris par les bureaucrates corrompus d’Alger et par les obscurantistes de l’Islam ; il n’est pas étonnant de le voir orchestré par l’opposition des minables qui condamnaient le Manifeste des 121 et les porteurs de valises, préconisaient au G.P.R.A. le compromis néo-colonialiste avec de Gaulle et s’élevèrent de toute leur vertueuse indignation contre la prise du pouvoir par le Bureau politique soutenu par le même Boumedienne en 1962. Tout cela est bien loin ! Mais quel sentiment de revanche doivent trouver aujourd’hui ces rats modérés toujours en train de changer de navire.

L’avenir montrera que, s’il est une « expérience » aventuriste et qui ne peut être que catastrophique, c’est bien celle du « socialisme arabe » que nos camarades « pieds rouges » dénonçaient justement dans notre dernier numéro, avant le coup d’Etat du 19 juin, après avoir longuement averti Ben Bella des dangers qu’il courait à ménager la chèvre et le chou.

L’application des principes de la révolution permanente, au contraire, ce n’est pas l’utopie de rêveurs expérimentateurs, c’est la seule voie du socialisme, vérifiée positivement comme négativement dans tous les pays qui ont commencé leur révolution, et surtout dans les moins développés.

A vrai dire, les coups de pied de l’âne des bavards de la « petite gauche », dont la recherche des voies du socialisme en France oscille entre Defferre et Mendès-France (si opportunément rallie à Ben Bella), ne nous inspirent que mépris. Nous préférons nous trouver sur la même longueur d’onde que Fidel Castro, autre « expérimentateur aventuriste » que les journalistes « réalistes » trouvent si peu sérieux et si méridional (mais dans le secret seulement de leurs salles de rédaction, car… il est au pouvoir).

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