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Algérie : La femme dans la lutte de libération nationale

Article signé F. L. paru dans Sans Frontière, n° 15, du 14 au 20 mars 1981, p. 11


C’est dans le cadre du centre de documentation de l’Université d’Oran et à l’initiative du « groupe d’étude et de recherche sur les femmes algériennes » que se sont tenues en mai 1980 les « journées de la femme algérienne ». Devant le succès de ce colloque, le groupe organisateur a décidé de poursuivre ses activités et de s’élargir à d’autres participation ; il s’est donné dans ce but diverses orientations de recherches pour l’année 1981, notamment l’étude du statut juridique des femmes, le travail féminin et l’ « analyse du discours sur les femmes algériennes ». Pour une meilleure information sur le résultat de ses réflexions et de ses travaux, le G.E.R.F.A. a enfin l’intention d’organiser la diffusion la plus large possible de ses publications. De nombreux thèmes relatifs à la condition de la femme qui furent développés lors de ces journées, nous avons retenu l’étude de Djamila Amrane sur le « rôle de la femme algérienne dans la guerre de libération nationale ».


Pour cette étude qu’elle qualifie elle-même d’« approche statistique », Djamila Amarane s’est essentiellement appuyée sur les archives du ministère des Anciens Moudjahidines. Son travail est donc fondé sur des données précises, mais dont l’exhaustivité ne peut ce-pendant être assurée en raison de l’impossibilité, vu l’état actuel des recherches, de restituer la réalité exacte et complète de la participation des femmes à la guerre de libération. Elle n’en reste pas moins hautement significative du degré d’engagement des Algériennes dans une guerre longue et meurtrière ; les quelques chiffres délivrés par le fichier du ministère des Anciens Moudjahidines en témoignent, et l’on ne peut regretter aujourd’hui que les acquis de leur lutte aux côtés des hommes aient été effacés dès les lendemains de l’Indépendance par le fait qu’on les a maintenues dans les rôles définies par la tradition.

LA PRESENCE DES FEMMES DANS LE FICHIERS DES ANCIENS MOUDJAHIDINES

Le fichier central du ministère des A.M. comporte des fiches d’attestation de militantisme pour l’ensemble de l’Algérie. Ce fichier ne regroupe bien entendu pas la totalité des militants. Quoiqu’il en soit, le pourcentage de femmes est de 3,65 % par rapport au chiffre global des militants. Cet élément peut paraître négligeable. Mais si l’on sait quel était en 1954 la situation des femmes en Algérie, que la majorité d’entre elles vivaient cloîtrées ne sortant qu’occasionnellement, et le plus souvent voilées, on comprend l’importance de ce pourcentage.

LES FEMMES DANS LES ORGANISATIONS

Djamila Amrane opère une distinction préalable entre, d’une part, les femmes qui appartenaient à l’O.C.F.L.N. (81 %) et d’autre part, celles qui étaient intégrées à l’A.L.N. (19 %). Pour ces dernières, quel était leur rôle au maquis ? C’est en tous cas parmi elles que le nombre de morts est plus élevé : 17,5 % parmi les militantes de l’A.L.N. contre 6,8 % chez les militantes de l’O.C.F.L.N.

Nous avons également le pourcentage de 78 % de militantes dans les milieux ruraux (sont comprises dans ce pourcentage celles qui étaient au maquis et celles qui servaient de support logistique aux maquisards). Le fort pourcentage de femmes dans les milieux ruraux n’est en fait que le reflet de la répartition de la population algérienne de l’époque et de son faible taux d’urbanisation.

L’ÂGE DES MILITANTES

Chez les « civiles », on constate une proportion élevée des moins de vingt ans : mais la majorité des militantes a, et cela doit être souligné, de vingt à cinquante ans. Il s’agit donc essentiellement de femmes adultes, mariées, et qui ont charge de famille. Par contre, chez les militantes de l’A.L.N., le pourcentage des moins de trente ans est plus élevé : 80 %. Cela implique une transformation des rapports dans la famille traditionnelle et du statut des jeunes filles, dont les parents durent alors accepter l’indépendance.

LES FEMMES ET LA REPRESSION

La répression a durement touché les femmes. Bien qu’il soit impossible d’évaluer les violences subies lors des opérations de ratissage dans les campagnes et dans les villes, nombreuses sont les femmes qui ont été abattues, violentées et torturées. Le nombre des détenues et des chahidates (martyres) est, sur 10 949 militantes recensées, de 1 343 pour les emprisonnées, et de 949 pour les tuées. Soit une militante sur cinq ayant été détenue ou tuée lors de la guerre de libération. Le nombre des jeunes est plus élevé chez les chahidates. 54,5 % d’entre elles ont moins de 20 ans. La détention quant à elle a touché toutes les tranches d’âge sans distinction. Aussi bien les moins de quinze ans que les plus de 60 ans.

FORMES D’ACTIVITE DES FEMMES DANS LES ORGANISATIONS

Les rôles confiés aux femmes tant dans les organisations civiles que militaires, sont caractéristiques de la perpétuation d’un certain traditionalisme dans les relations entre entre hommes et femmes. Quels étaient les rôles des militantes dans l’O.C.F.L.N. ? Elles étaient principalement responsables de refuges ou responsables sanitaires (64 %). Or, seule la responsable civile a droit à l’attestation de militantisme, alors que celle-ci travaillait toujours avec un groupe de femmes de ses proches ou voisines. En fait, on peut dire qu’un nombre plus élevé de femmes se sont engagées dans cette activité précise qui consistait à assurer l’infrastructure nécessaire : hébergement des combattants recherchés par la police, nourriture, etc. La deuxième fonction dominante après celle-ci est la fonction de liaison ou de guide. On comprend par là les liaisons effectuées dans le maquis par des femmes qui faisaient parfois vingt à trente kilomètres pour porter des messages ou faire des courses au bourg le plus proche. En ville, cette fonction est assurée par de jeunes Algériennes qui ont un « type européen » et qui, grâce à cela, ou plutôt grâce au racisme des Français, persuadés de pouvoir reconnaître les « arabes » d’entre les autres, ont été des agents de liaison précieux. Parmi les autres rôles confiés aux femmes : collecte des médicaments, de fonds, et de munitions. Quant aux terroristes, Djamila Amrane en dit qu’elles sont plus un mythe qu’une réalité : elles ne forment en effet que 2 % de la militance féminine, mais ce sont elles qui firent le plus de bruit notamment à l’occasion du procès spectaculaires. C’est également parmi elles qu’il y eut proportionnellement le plus de victimes. Sur les 65 militantes recensées, 33 ont été arrêtées et détenues, 40 ont été tuées.

LES MILITANTES INTEGREES A L’ARMEE

Celles-ci ne forment que 19 % seulement des militantes. Il s’agit de femmes ayant quitté (par la force des choses) le foyer familial pour rejoindre le maquis. Une chose les caractérise : leur jeune âge (51 % d’entre elles ont moins de 20 ans, et 85 % moins de 30 ans). Quant aux tâches qui leur étaient dévolues, elles le maintiennent encore et toujours dans les limites des structures traditionnelles de la société algérienne : les soins et la cuisine. Les infirmières, malgré leur petit nombre sont celles qui marquèrent le plus les consciences, lorsqu’elles élargirent leur champ d’action à toute la population civile.

Il reste à dire que les femmes combattantes comme les femmes responsables politique restent l’exception, ce qui explique peut-être qu’au lendemain de l’Indépendance, les choses aient été maintenues telles qu’elles étaient avant, et que rien n’ait été en définitive retenu de l’expérience que vécurent ensemble hommes et femmes, luttant côte à côte pendant huit ans.

Si on peut admettre que le but principal d’une guerre de libération nationale n’est pas de révolutionariser les rapports entre hommes et femmes, mais bien plutôt de libérer un territoire et un peuple d’une oppression étrangère, l’on ne peut que regretter que celles qui, parmi les femmes, firent l’expérimentation de relations nouvelles, à une période déterminée, n’aient pu conserver aucun acquis après que la lutte de libération ait abouti.

A Sans Frontière, nous aimerions recueillir les témoignages de ces jeunes combattantes ou militantes dont la présence en Algérie même est plus qu’effacée aujourd’hui, pour essayer de comprendre les mécanismes qui firent qu’à l’époque, on ait pu les persuader que leur mission était terminée et qu’il leur fallait réintégrer les rôles définis par la tradition et ce qu’on leur avait depuis toujours assigné comme domaine : la maison.

F. L.

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