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Religion et marxisme sont inconciliables

Article paru dans Le Prolétaire, n° 126, du 1er mai au 14 mai 1972, p. 2


Le marxisme, c’est bien connu, n’est pas l’élaboration d’a priori philosophiques, de concepts purs, ni de constructions rationnelles ; il tire de faits réels, expérimentaux, de rapports matériels, économiques et sociaux entre les classes et entre les hommes, des confirmations et des déductions corroborant sa doctrine du cours historique de l’espèce humaine, depuis l’organisation ancestrale du communisme « primitif » – à travers les diverses formes et modes de production successifs dans lesquels ces rapports ont eu des valeurs différentes – jusqu’à cette vision sûre et lumineuse du communisme scientifique qui supplantera à l’infâme société actuelle.

Or, un des faits que les pseudo-communistes d’aujourd’hui prétendent avoir découvert dans la complexité de l’actuel moment historique, serait qu’« aujourd’hui, un chrétien peut être marxiste en ce qui concerne la conception de l’histoire et la science de la révolution prolétarienne » (« Rinascita », n° 48, 1971, sous la plume d’un certain Lombardo Radice).

Quelle conclusion logique en tire un « chrétien évangélique communiste ? » La voici :

« A mon avis, il serait utile et fructueux, pour la classe ouvrière internationale et pour la détente dans une grande partie du monde, que les partis communistes, à commencer par le P. C. italien, reconnaissent l’existence spirituelle de Dieu, l’existence de Jésus-Christ et l’autorité religieuse de la Bible en opposition aux missels et aux catéchismes de toute espèce » (« Rinascita », n° 52, 1971).

Mais cela ne suffit pas. Après cet acte de reconnaissance de la valeur suprême du christianisme comme vraie religion par opposition à toutes les autres fausses religions, voilà indiqué par l’« évangélique communiste » le deuxième but et le plus important d’une action théorique et propagandiste digne du P. C. italien :

« Dans le but d’obtenir l’appui politique et syndical d’un plus grand nombre de croyants, la presse communiste ferait une excellente chose si elle critiquait l’athéisme théorique qui subsiste dans l’idéologie marxiste, en confirmant le marxisme sous tous ses autres aspects ».

Comme on voit, les staliniens d’au-delà des Alpes sont allés encore plus loin dans la voie du dialogue avec l’Eglise que nos Marchais et nos Garaudy. Elections en pays très chrétien obligent…

Nous reconnaissons pleinement au P. C. italien et à tous ses pareils le droit d’« élaboration théorique » et d’« aggiornamento » de leur « idéologie », et nous reconnaissons également au grand parti stalinien sa capacité (?) de critiquer l’un ou l’autre aspect fondamental du marxisme – de la méthode du déterminisme économique à la dictature du prolétariat, en passant par le rôle du parti avant, pendant et après la révolution – en croyant confirmer le marxisme « sous tous ses autres aspects ». Quant à nous, nous savons bien que la doctrine marxiste s’accepte ou se refuse en bloc. Celui qui s’imagine pouvoir en « critiquer » un aspect en laissant debout tout le reste, ruine complètement tout l’édifice ou, pour mieux dire, est complètement étranger à la doctrine marxiste. C’est là une thèse classique de notre courant et de lui seul.

Théorie économique et sociale, tactique et stratégie politiques, négation de la validité de la religion en tant que porteuse d’une vision de l’histoire, sont autant d’aspects qui sont partie intégrante d’un programme unitaire qu’on accepte ou refuse en bloc.

« Toute religion n’est rien d’autre que le reflet fantastique, dans le cerveau des hommes, des puissances extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel les puissances terrestres prennent la forme de puissances supra-terrestres » (Engels, « Anti-Dühring », p. 355, Ed. Soc.).

A l’aube de l’Histoire, les premiers groupes humains, encore grossiers et impuissants devant les forces de la nature et ignorant leurs propres forces, à peine plus « productifs » que les animaux, sont naturellement d’un niveau technologique très bas. Les rapports entre les hommes sont fondés presque exclusivement sur les rapports de consanguinité. L’organisation sociale est basée sur le besoin de sauvegarder certains intérêts communs. A ce niveau d’organisation économique et sociale, les « puissances terrestres » qui « prennent la forme de puissances supra-terrestres » sont surtout les puissances de la nature. Dans la suite du développement, ces forces et ces formes passent chez les différents peuples par les personnifications les plus diverses et les plus bigarrées.

Avec le développement des forces productives qui permit de produire non seulement le strict nécessaire à la vie du travailleur, mais encore un surplus assez important pour que puisse apparaître la division du travail entre couches productives et improductives, et avec l’augmentation de la population qui découla de ce développement, les anciennes communautés naturelles se transformèrent en sociétés basées sur l’esclavage. La propriété privée naît alors, en étroite liaison avec ce développement des forces productives.

Au fur et à mesure que l’échange détruit l’ancienne division naturelle du travail, les fortunes individuelles deviennent toujours plus inégales, la société se divise en classes : les rapports des hommes entre eux et avec la nature sont réglés par les rapports de classes. En conséquence, à côté des puissances naturelles, des forces sociales entrent aussi en action et se dressent face aux hommes, tout aussi étrangères et au début, tout aussi inexplicables, et elles les dominent avec la même apparence de nécessité naturelle que les forces de la nature.

« Les personnages fantastiques dans lesquels ne se reflétaient au début que les forces mystérieuses de la nature, reçoivent par là des attributs sociaux, deviennent les représentants de puissances historiques » (Engels, ibidem).

Les forces productives continuent à se développer. A un certain moment apparaît la forme de production féodale. L’histoire économique, sociale, politique et culturelle du Moyen-Age a son épicentre à la campagne. Après le démembrement de la propriété commune du sol par la propriété privée, celle-ci est « confiée » à un seigneur féodal qui occupe la terre communale et représente l’autorité supérieure (théoriquement l’Empire universel). Le travailleur est séparé de la propriété du sol, mais il n’est pas « libre » : il est serf de la glèbe, il travaille la terre qu’il ne possède pas et fournit des prestations personnelles au seigneur. Les rapports sociaux se cristallisent dans une opposition entre la classe directement productive des paysans asservis et celle, fortement hiérarchisée, des seigneurs féodaux.

Ce nouveau stade de développement des forces productives et des rapports sociaux se reflète dans la sphère religieuse : l’ensemble des attributs naturels et sociaux de tous les dieux est reporté sur un seul dieu tout-puissant, qui n’est lui-même à son tour que le reflet de l’homme abstrait. C’est ainsi que s’est renforcé le monothéisme qui prédomine depuis cette époque, alors qu’il fut dans l’histoire le dernier produit de la philosophie grecque (Hymne à Zeus, de Cléante) et qu’il trouva son incarnation toute prête dans le Dieu national des Hébreux, Jahvé. Depuis lors la religion resta monothéiste, car cette forme était plus propre que toute autre à refléter les contenus successifs de l’aliénation économique et sociale d’une classe.

« Sous cette figure commode, maniable et susceptible de s’adapter à tout, la religion peut subsister comme forme immédiate, c’est-à-dire sentimentale, de l’attitude des hommes par rapport aux puissances étrangères, naturelles et sociales, qui les dominent, tant que les hommes sont sous la domination de telles puissances » (Engels, « Anti-Dühring », p. 356, Ed. Soc.).

Le développement des forces de production capitalistes et la consolidation du nouveau type de rapports sociaux qu’elles instaurent n’ont rien changé à l’aliénation du travail ni à la séparation entre le produit social et les travailleurs, au contraire il les a aggravées.

Le puissant développement des forces productives implique la transformation des moyens de production individuels, en moyens de production sociaux, qui ne peuvent être utilisés que par un ensemble d’hommes ; mais en même temps la production sociale s’oppose de plus en plus clairement à l’appropriation capitaliste. Les producteurs ont de ce fait perdu tout contrôle sur leurs propres rapports sociaux. Il est clair que l’exigence de produire toujours plus et à meilleur marché, typique de la société capitaliste (et donc claironnée par tous les pays, y compris par ceux de l’Est qui se prétendent hypocritement « socialistes » !), implique le fait que

« plus l’ouvrier travaille, plus puissant devient le monde extérieur, étranger et objectif qu’il crée en face de lui, et plus pauvre il devient, lui, moins il possède. Comme dans la religion » (Marx, « Manuscrits économico-philosophiques « , 1844).

Dans la société bourgeoise, les hommes sont dominés par les rapports économiques qu’ils ont eux-mêmes créés, par les moyens de production qu’ils ont eux-mêmes produits, comme par une force étrangère. De ce fait, dans cette société plus encore que dans celles qui l’ont précédée, subsiste la base effective et matérielle de la religion, et avec elle le reflet religieux lui-même.

La religion est donc inséparable de la société divisée en classes et elle en constitue une super-structure culturelle et idéologique typique. Le marxisme, reflet dans le domaine théorique des contradictions inhérentes au mode d’organisation sociale du monde capitaliste, est en même temps la seule « science » de l’histoire et il exclut toutes les autres interprétations ; c’est une méthode d’investigation des sociétés tant passées que présentes, qui met en lumière leurs contradictions irréductibles, mais qui trace aussi avec certitude les caractéristiques de la société future. C’est pourquoi il est inconciliable avec tout autre type d’interprétation de l’histoire. Soutenir que marxisme et religion sont compatibles, n’a pas plus de sens que de soutenir qu’on peut concilier marxisme et théorie aristotélicienne, ou marxisme et théorie bergsonnienne. Il est vrai que l’économie bourgeoise et, dons une certaine mesure, même la « science » bourgeoise, au moins dans ses origines, donnent accès à une certaine connaissance de l’enchaînement causal de ce monde de rapports économiques et sociaux qui est, pour la classe des producteurs, une domination tout à fait étrangère à sa conscience et à son activité, mais cela ne change rien de fondamental.

De même que l’économie bourgeoise ne peut éviter les crises, ni garantir le capitaliste individuel contre les pertes et les faillites, elle ne peut pas, à plus forte raison, éviter à l’ouvrier le chômage et la misère. Cette incapacité des hommes à contrôler les rapports économiques et les moyens de production qu.’ils produisent eux-mêmes, est bien traduite dans la conscience religieuse par le dicton populaire :

« l’homme propose et Dieu dispose ».

Dieu, c’est-à-dire la domination étrangère du mode de production capitaliste. Laissons parler encore une fois Engels, toujours si clair :

« La simple connaissance, quand même elle irait plus loin et plus profond que celle de l’économie bourgeoise, ne suffit pas pour soumettre des puissances sociales à la domination de la société. Il y faut avant tout un acte social. Et lorsque cet acte sera accompli, lorsque la société, par la prise de possession et le maniement planifié de l’ensemble des moyens de production, se sera délivrée et aura délivré tous ses membres de la servitude où les tiennent présentement ces moyens de production produits par eux-mêmes, mais se dressant en face d’eux comme une puissance étrangère accablante ; lorsque donc l’homme cessera de simplement proposer, mais aussi disposera, – c’est alors seulement que disparaîtra la dernière puissance étrangère qui se reflète encore dans la religion, et que par là disparaîtra le reflet religieux lui-même, pour la bonne raison qu’il n’y aura plus rien à refléter » (Engels, « Anti-Dühring »).

Le fait historique des religions, les diverses théories religieuses et leurs représentations successives sont donc pour le marxisme des effets, des superstructures idéologiques du degré de développement auquel arrivent les forces productives et elles reflètent donc indirectement et de façon renversée les différentes formes de production qui se sont succédé dans l’Histoire. Elles ne disparaîtront que lorsque la société ne sera plus divisée en classes et que l’idéologie d’une époque ne sera plus celle de la classe dominante, mais que l’espèce humaine constituera un tout unitaire qui aura enfin acquis pour lui-même la capacité d’agir, de vouloir et de décider librement, car alors les forces économiques et les rapports sociaux ne se dresseront plus comme des puissances étrangères en face d’elle, mais seront dominées et réglées par elle, et cela ne se réalisera qu’avec le communisme.

Dans l’époque infâme que nous vivons, les doctrines autrefois farouchement opposées l’une à l’autre se fondent et se confondent toujours plus les unes avec les autres, se reniant elles-mêmes ; tous modernisent leurs propres dogmes, dans leur quête de fronts uniques toujours plus larges, et donc hybrides ; l’Eglise catholique elle-même, adhérant à la formule de la « coexistence pacifique entre pays à régime capitaliste et à régime socialiste » (quel socialisme !) se fait promotrice du front unique de toutes les églises pour mieux raffermir le compromis avec les puissances du capitalisme.

Aujourd’hui plus que jamais, le programme communiste né au milieu du 19e siècle et restauré par la gauche communiste à travers un siècle de refus de l’immonde culture bourgeoise, dissipe les ombres du passé et annonce la mort aux ignobles mythes de l’église, de la nation, de la démocratie et de la paix. Aujourd’hui plus que jamais, à la face de tous les renégats, nous lançons ces vérités proclamées par Marx, Engels, Lénine :

« La guerre de classe et l’extermination de l’oppresseur, la dictature du parti des opprimés, l’arc magnifique qui va de la foi (étape qui eut son utilité il y a 2000 ans) à la Raison (étape qui eut la sienne il y a deux siècles) à la force de classe qui triomphe du savoir de la classe des tyrans modernes, des vampires d’aujourd’hui, les bourgeois mercantilistes ».

Aujourd’hui comme il y a dix ans, nous ne pouvons que crier au prolétariat prisonnier des mythes de la religion ou de la science :

« Non à la foi chrétienne ! Non à la science bourgeoise ! Oui à la dictature de la force vivace du prolétariat qui libérera un jour l’homme de la dictature de toutes les ténèbres ».

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