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La grève des enseignants

Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 26, février 1961, p. 11-12


« Actuellement la profession d’instituteur n’attire plus les jeunes : plus de cent classes n’ont pas de maîtres dans la Seine ; les maîtres malades ou appelés au Service Militaire ne souvent pas remplacés, les débutants ne peuvent recevoir aucune formation professionnelle sérieuse… C’est en fin de compte les enfants qui sont gravement lésés par la médiocrité des traitements des instituteurs et l’insuffisance du budget de l’EDUCATION NATIONALE ».

Voilà définie par nos dirigeants syndicaux eux-mêmes la situation de l’enseignement en France. Personne ne le conteste, la Radio, « Le Figaro » sont d’accord. C’est pourquoi las enseignants ont commencé leur mouvement de grève tournante, bien raisonnable et bien modéré déjà, étant donné la gravité de la situation. Mais quand on sait que la revendication mise en avant par nos dirigeants est le relèvement des indices terminaux, on se demande en quoi, ce relèvement correspond à une telle situation ? En effet le relèvement des indices terminaux signifie 18 000 AF par mois pour ceux qui sont en fin de carrière, et 2 000 AF pour les débutants. Il s’agit en réalité d’une rivalité entre fonctionnaires : « redonner à la fonction enseignante une position plus acceptable à l’échelle indiciaire des fonctionnaires » comme on dit dans le jargon syndical.

En quoi cette revendication, même au cas où elle serait acceptée par le Gouvernement, apporterait-elle une solution à la crise de recrutement ?

Voilà vraiment de quoi enthousiasmer les jeunes : vous aurez 18 000 AF de plus dans 16 ans et votre salaire sera le même que celui d’un officier de gendarmerie.

La grève a été largement suivie, car cette fois on ne pouvait pas l’accuser d’être une grève politique. Nos dirigeants syndicaux exultent ; une fois de plus ils se sont montrés bons stratèges, leurs troupes ont bien répondu à leurs ordres, mais les conquêtes, où sont-elles ?

Les jeunes continueront à bouder la profession d’enseignant, ceux qui y viendront tout de même enseigneront comme ils pourront, sans formation professionnelle, et au lieu de compléter leur formation, utiliseront leur temps libre à compléter leur maigre salaire par des heures supplémentaires : études, garderies, cantines, petits cours.

Les enfants continueront à prendre en dégoût une école qui leur apparaît de plus en plus comme l’antichambre de l’usine.

Si l’on veut lutter pour « une école qui puisse donner à l’enfant toutes ses chances dans la vie » comme le prétendent nos responsables syndicaux, il faut demander :

– une augmentation uniforme de 15 000 AF,
– des classes de 30 élèves maximum et de 25 dans un avenir proche,
– des professeurs spéciaux et des moniteurs qui permettraient aux enfants de recevoir une éducation complète, et aux instituteurs de préparer leurs leçons, de corriger les devoirs, et de compléter leur formation.

Ce n’est qu’avec un salaire convenable et des conditions de travail supportables, que les jeunes viendront et resteront dans l’enseignement.

Mais ce n’est pas par des grèves tournantes que nous y arriverons ; c’est par un mouvement généralisé unissant les enseignants et les parents des enfants, c’est à dire des travailleurs en majorité, qui soutiendront sans hésiter une lutte dans laquelle on aura rien à leur cacher, car ce sera vraiment l’intérêt de leurs enfants qui sera en jeu.


NOUVELLE « GYMNASTIQUE » A L’ECOLE PRIMAIRE

Pas de stades, pas de salles de gymnastique, des cours de récréation trop petites, des classes surpeuplées où on peut à peine bouger, pas assez de professeurs spéciaux. Qu’importe les écoliers français seront quand même des athlètes et feront honneur à la France aux prochains Jeux Olympiques ; car on a trouvé la moyen de leur faire faire de la gymnastique sans stade, sans terrain, sans aucune sorte de matériel et même sans bruit et sans professeur. Grâce à un simple manuel, les instituteurs deviendront professeurs de maintien. On se demande pourquoi on met quatre ans à former un professeur d’éducation physique, quel gaspillage !

Sans quitter la classe, à leur table, tous ensemble, au commandement, en silence et en cinq minutes, les élèves exécuteront chaque jour sous la direction du maître de la classe, les exercices de maintien qui feront d’eux des individus bien bâtis : plier en cadence leur colonne vertébrale front sur la table, la dérouler bras en l’air, contracter et relâcher leurs muscles abdominaux, gonfler et dégonfler leurs poumons en contrôlant les mouvements mains sur la poitrine etc… Quelques précautions sont à prendre : faire moucher les élèves, ouvrir les fenêtres, boucher les encriers avec un petit bouchon individuel. Et voilà, on peut maintenant sans scrupule supprimer encore des heures aux professeurs spéciaux, les enfants n’en ont plus besoin, s’ils sont mal bâtis ce sera la faute de l’instituteur qui aura négligé les exercices de maintien.

A ceux qui ne sont pas contents et qui disent que ce n’est pas leur travail, on rappelle que Paris a un régime de faveur, qu’il n’est pas prudent de « soulever ce lièvre » car vous risquez de rappeler que l’instituteur doit aussi assurer l’éducation physique… A force d’avoir peur de « soulever des lièvres », et de considérer comme des privilèges ce qui n’est même pas suffisant, nous finirons par assurer la garde des enfants le jeudi et pendant les grandes vacances. Pourquoi pas puisque nous sommes bons à tout ?

Pour les enfants cela se traduit tout simplement par la suppression des heures de gymnastique, car, bien entendu, nous ne faisons pas ces leçons de maintien, pas plus que les leçons de gymnastique destinées à compléter celles du professeur. Mais il ne suffit pas d’opposer à ces mesures ridicules une résistance passive, dont seuls les enfants font les frais. Il faut refuser nettement de faire ces leçons et exprimer publiquement ce refus, informer les parents que supprimer un professeur spécial c’est supprimer l’enseignement lui-même, exiger qu’on conserve et même qu’on augmente les heures de ces professeurs, exiger le matériel nécessaire. Il ne faut pas craindre de faire connaître les conditions lamentables dans lesquelles sont élevés les enfants. Il faut refuser d’en endosser la responsabilité car un individu seul ne peut assurer correctement l’instruction, le développement physique et les loisirs de 40 enfants.

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