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Maroc : Le régime néocolonial déclenche la répression

Déclaration parue dans Inprecor, n° 106, 20 juillet 1981, p. 31-32


Déclaration du Secrétariat unifié de la IVe Internationale sur les événements du 20 juin

A la suite d’une hausse spectaculaire des prix des denrées alimentaires — que le gouvernement avait décidée dans le cadre d’une orientation économique imposée par le Fonds monétaire international (FMI) —, des manifestations populaires ont éclaté à Casablanca, Rabat et dans d’autres villes du Maroc.

Une réduction partielle des hausses, annoncée immédiatement pour éviter l’élargissement des luttes, n’a donné aucun résultat. Le 20 juin, la Confédération démocratique du travail (CDT) a pris l’initiative de lancer une grève générale. La mobilisation des travailleurs a été massive. Les petits commerçants et les artisans se sont associés à la protestation et les mas-ses plébéiennes des quartiers populaires se sont mobilisées à leur tour. Casablanca a été le théâtre d’une véritable explosion, la plus importante depuis l’Indépendance en 1956.

La réaction du régime de Hassan II a été brutale. Après une première intervention de la police visant surtout à obliger les commerçants à reprendre immédiatement leur activité, l’armée elle-même est entrée en scène, tirant sur les manifestants à bout portant, quadrillant systématiquement les quartiers et opérant des arrestations massives. Le bilan n’est pas encore clairement établi : mais ce sont sans aucun doute plusieurs centaines de personnes qui ont été tuées et le nombre des arrestations, aussi bien à Casablanca que dans d’autres villes, est encore plus élevé. Les dirigeants de la CDT et des dirigeants de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) ont également été emprisonnés. Le régime a renouvelé ainsi ses traditions de répression féroce de mars 1965.

Les événements du 20 juin sont l’aboutissement d’une crise sociale et politique qui, amorcée depuis 1978, a amené à plusieurs grèves générales en 1979 et a été caractérisée par d’autres vagues de grèves dans toute une série de secteurs importants au cours des années suivantes. Cette crise exprime une tendance plus générale qui marque également les autres pays du Maghreb, comme l’ont démontré les événements de janvier 1978 et les luttes des dernières années en Tunisie, ainsi que les conflits qui ont éclaté à plusieurs reprises et à différents niveaux en Algérie. A partir de la deuxième moitié des années 1960 et dans la première moitié des années 1970, à la suite d’un développement économique et industriel relatif, la classe ouvrière a acquis un poids spécifique plus grand et est devenue de plus en plus consciente de son rôle social et de sa force. Le mouvement syndical s’est considérablement renforcé, soit par une revitalisation des organisations existantes, soit par la formation d’organisations nouvelles.

La crise économique internationale frappe de plein fouet les économies des pays du Maghreb aussi. Au Maroc, cela se traduit par une chute des exportations (textiles, phosphates, etc.) et par la faillite aussi bien du plan économique que du plan triennal de remplacement. L’endettement vis-à-vis des pays et des institutions internationales impérialistes est devenu de plus en plus écrasant. Le régime n’a eu qu’un choix pour chercher à se tirer d’affaire : imposer une politique d’austérité drastique. C’est justement la mise en oeuvre d’une telle politique qui a provoqué les vagues de grèves successives et finalement l’explosion du 20 juin.

La classe ouvrière ne s’est pas trouvée isolée dans son combat. Le mouvement étudiant a connu une remontée après des années de stagnation : la grève universitaire du mois de février dernier en a été la manifestation la plus spectaculaire. A l’occasion des événements de Casablanca, ont participé activement à la lutte les masses plébéiennes des quartiers populaires, constamment grossies par l’exode rural et composées dans leur écrasante majorité de jeunes qui se voient condamnés à une existence misérable et sans perspectives.

Cette situation sociale explosive a remis en discussion toute l’opération poli-tique de Hassan II visant à présenter son régime comme une démocratie fondée sur le consensus national. Cette opération avait connu un succès incontestable dans la première période de la guerre au Sahara, lorsque la « marche verte » avait scellé une « union sacrée » qui a été acceptée y compris par des formations d’extrême gauche. Mais, au fur et mesure que la guerre s’enlisait, la perspective d’écrasement du Front Polisario est apparue de moins en moins crédible, les dépenses militaires ont pesé de plus en plus lourdement sur le budget de l’Etat (en dépassant même 40 % du total) et les masses populaires ont été obligées de faire les frais de l’opération, l’euphorie patriotique a disparu et la guerre est devenue une source supplémentaire de tensions sociales et politiques.

C’est pourquoi Hassan II a esquissé un tournant sur cette question brûlante. Ce tournant s’est concrétisé à l’occasion du sommet de l’OUA à Nairobi, où la délégation marocaine a proposé une solution référendaire. Il a été facilité par l’attitude complaisante des autres Etats africains et maghrébins, en premier lieu l’Algérie, dont les dirigeants craignent les conséquences pour la région d’une prolongation indéfinie du conflit et n’envisagent pas de gaieté de cœur une crise majeure du régime marocain qui aurait inévitablement un écho considérable dans leur propre pays.

Le fait que — de même que les staliniens du Parti populaire socialiste (PPS) — la direction de l’USFP ait cautionné la manœuvre en faisant partie de la délégation officielle à Nairobi au lendemain de la tuerie de Casablanca et de la dure répression qu’elle a subie elle-même, est une indication supplémentaire de son orientation foncièrement opportuniste, qui vise toujours le compromis avec le régime. Pourtant, les événements du 20 juin ont démontré clairement que ce régime n’hésite pas à avoir recours aux méthodes les plus brutales pour obliger les masses à accepter une exploitation sans merci.

Il est du devoir des organisations qui se réclament du mouvement ouvrier et qui veulent défendre les intérêts des grandes masses exploitées d’opérer un tournant radical. Elles doivent rompre avec toute collaboration avec Hassan II et son régime. Elles doivent développer, organiser, coordonner les luttes des travailleurs pour assurer la défense de leur niveau de vie contre les mesures d’austérité exigées par le FMI et le gouvernement, pour imposer le respect des droits démocratiques les plus élémentaires, pour exiger la libération de tous les prisonniers politiques sans exception aucune, pour mettre un terme à la guerre du Sahara.

Dans la mesure où elles s’amplifieront, se généraliseront et obtiendront des succès, ces luttes créeront les conditions pour le renversement du régime. L’unité des organisations politiques et syndicales de la classe ouvrière et des masses exploitées est une condition nécessaire pour avancer effectivement dans cette voie.

Il est du devoir du mouvement ouvrier international d’exprimer sa solidarité concrète aux masses et aux organisations marocaines frappées par la répression. Notamment, les syndicats des pays impérialistes doivent participer à cette campagne de solidarité, en exigeant que leurs gouvernements suspendent toute aide économique et militaire au régime de Hassan II. Le passé colonial et les liens néocoloniaux qui subsistent entre la France et le Maroc rendent encore plus impérative une campagne de solidarité du PS, du PCF et de toutes les organisations syndicales françaises.

— Abrogation immédiate des hausses de prix !

— Libération immédiate de tous les syndicalistes et des militants arrêtés ! Personne ne doit rester en prison !

— Pour le retrait immédiat de l’armée et de la police des quartiers populaires !

— Liberté d’organisation sans restriction aucune pour tous les partis et tous les syndicats ! Droit de grève et de manifestation !

— Indépendance des organisations syndicales et des partis ouvriers par rapport au régime !

— Pas un sou, pas une arme pour la guerre au Sahara ! Droit à l’autodétermination pour le peuple sahraoui !

— Solidarité internationale des organisations syndicales et des partis ouvriers !

— Les syndicats et les partis ouvriers français doivent exiger que le gouvernement Mitterrand-Mauroy cesse immédiatement toute aide militaire au régime néocolonial marocain !

Secrétariat unifié (SU) de la IVe INTERNATIONALE, 30 juin 1981.

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