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Roger Worms : Mise au point sur une mise au pas

Article de Roger Worms alias Roger Stéphane paru dans Combat, 25 juillet 1947, p. 2

NOUS n’avons malheureusement pas eu l’occasion de lire une réfutation de Nietzsche par M. Clément Vautel. La critique du colonel Lawrence par M. Edgar Morin, dans « Les Lettres Françaises » du 18 juillet 1947, vient toutefois de nous en donner un avant-goût.

Visiblement, M. Edgar Morin n’a pas lu « Les Sept Piliers de la Sagesse » ; il s’est contenté du livre de Mme Victoria Ocampo sur Lawrence. Il pourrait généraliser cette méthode : « Le Balzac » de Claude Mauriac pourrait le dispenser de lire la « Comédie Humaine », et la préface de Claudel l’oeuvre de Rimbaud. C’est peut-être, d’ailleurs, ce qui s’est passé dans ce dernier cas. Dès le début de son article, notre éminent confrère compare Lawrence à Rimbaud, à un Rimbaud « non encore délivré de l’enfer ». Je voudrais bien que M. Morin m’indiquât où, hors de l’imagerie claudelienne, il a vu un Rimbaud délivré de son enfer.

Mais venons-en à Lawrence d’Arabie. Comme dit le pasteur, M. Edgar Morin est contre essentiellement, parce que T.E. Lawrence a conquis l’Arabie pour l’Angleterre. Je pense que M. Morin est contre Roosevelt qui a gagné la guerre pour le président Truman.

Il parait que Lawrence recherchait « à travers sa grande parade solitaire dans le désert » un rapport primitif et vrai avec le monde. Si M. Morin avait lu Les Sept Piliers de la Sagesse, il saurait que Lawrence ne cherchait rien du tout, que l’aventure s’est offerte à lui et qu’il s’y est jeté sans la moindre arrière-pensée. « La lutte sans doute est bonne, mais toute fin est stupide », écrivait Lawrence, qui ajoutait : « La guerre avait été une de mes lubies ». Il est vrai que ces phrases ne sont pas citées par Mme Ocampo.

Je passe sur les enfantillages, résidus d’un matérialisme mal digéré : « La pureté de Lawrence ne s’est en fin de compte dépensée que pour les compagnies pétrolières »), pour en venir à la question de la solitude. Il n’y a pas de problème pour M. Morin : si Lawrence se sentait seul, c’est parce qu’il était homosexuel. Où diable M. Morin fait-il cette découverte ? Il est quelques critiques qui s’appliquent depuis des années déchiffrer le cas de Lawrence et ils sont unanimes à affirmer que rien ne permet de penser que Lawrence était homosexuel. En réalité, il s’agit pour lui de prouver que tout homme inquiet est psychiquement anormal.

Pour être dans la ligne de son parti, aujourd’hui M. Morin termine sur une note optimiste. La solitude est guérissable. Elle peut se guérir « dans et par la société ». Je pense à François Vernet qui disait jadis : « Tout homme qui pense est seul ». M. Morin lui aurait répondu sans aucun doute qu’il n’avait, pour guérir la solitude qu’à aller dans un meeting. Dans un de ces meetings à l’intention desquels M. Morin a écrit ce qui n’est pas digne de s’appeler un article.

Roger STEPHANE.

2 réponses sur « Roger Worms : Mise au point sur une mise au pas »

Les annexes, par leur selection apportent un coup de projecteur supplémentaire. La mention du livre de Lottman sur Camus et les extraits sont particulièrement motivantes pour une relecture. Un grand merci.

Merci à vous ! J’espère que les publications de ce site donneront envie de lire et de relire des textes méconnus, oubliés ou qui n’ont pas si mal vieilli…

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