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Les événements

Article paru dans Informations Correspondance Ouvrières, n° 1, octobre 1961, p. 1 et 17.

Il est difficile de démêler dans l’écheveau des événements leur importance réelle, leur sens, et d’en tirer des perspectives, même relativement proches. Les manœuvres du gouvernement, sur tous les plans (Algérie, Intérieur, et international) le jeu correspondant des organisations (partis et syndicats) en France, celui du F.L.N. et de l’O.A.S. en Algérie et en France, les réactions latentes ou ouvertes des différentes couches sociales en France (paysans, travailleurs, étudiants) aux conséquences conjointes de l’évolution du capitalisme et de la poursuite de la guerre les positions politiques motivées ici même par les péripéties de la lutte entre les deux blocs, tout cela créé une situation bien confuse. La situation capitaliste en France subit en ce moment même des transformations profondes c’est le sens de ces transformations que nous devons essayer de dégager à travers les bouleversements qui atteignent tout depuis les structures de l’Etat, jusqu’au comportement des individus. Il faut essayer de dépasser les réactions « sentimentales » à l’aspect superficiel des faits, les jugements en fonction des idées personnelles pour tout replacer à sa juste valeur dans l’évolution de la société.

Sur les manifestations d’Algériens à PARIS, beaucoup a été dit, tant sur leur aspect politique que sur la condition présente de ces travailleurs en France. On ne répétera jamais assez autour de nous les exactions de toutes sortes de la police qu’ils subissent, leur vie misérable, combien le couvre-feu était une atteinte à leurs libertés les plus élémentaires, privant beaucoup en fait de leur travail.

Ce mouvement a secoué toutes les couches sociales en France, d’une manière profonde, même si aucune réaction apparente ne s’est produite. Pour les classes moyennes effarées, les Algériens ce n’était plus de l’autre côté de la mer une petite guerre que d’autres faisaient, ce n’était plus des travailleurs relégués dans des banlieues ou des quartiers fermés, voilà qu’ils descendaient dans la rue troubler ceux qui allaient en toute quiétude au cinéma, au théâtre, voilà qu’ils remplissaient les colonnes des journaux, et les interviews de la radio , avec les détails de leur vie, traquée et misérable : on ne pouvait plus les ignorer et cela troublait les »bonnes consciences ».

Mais d’autres observations s’imposent :

– la police a pu se livrer en quelques heures, pratiquement de tous, et sans aucune réaction des travailleurs à une opération de style « rafle » et déportation, et la maintenir pendant huit jours avant que la presse commence à faire des « révélations » et certains organismes ou personnalités à intervenir.

– quelle valeur donner à cette opération « politique » tant pour le FLN que pour le gouvernement ? Chacun peut faire des suppositions : ce qui est certain c’est que dans les jeux intercroisés des adversaires en guerre, au moment où ils parlent de négociations, la vie des hommes ne pèse pas grand’chose.

Curieusement, les partis et les syndicats semblent considérer la guerre d’Algérie comme terminée et n’agissent présentement qu’en fonction d’élections et d’un retour sur le scène politique. La nécessité de faire bloc contre l’UNR et De Gaulle, les amène à se regrouper en « opposition » (de sa majesté) et à exploiter (sinon à les attiser un peu) les réactions des différentes couches sociales sociales (paysans, travailleurs).

Aux tentatives de rapprochement des partis de « gauche » (PC, PSU, SFIO) fait écho les « actions commues » des syndicats et les comités locaux de toutes sortes nageant dans la confusion la plus complète en dépit des professions de foi relativement faciles étant donné l’incohérence et l’incapacité du régime actuel : comités ouvriers et paysans, comités de vigilance, comités anti-fascistes, etc… Toute une propagande pré-électorale tend à se développer et on peut se demander quel sens ont dans cette perspective et dans celle de la solution du conflit algérien, les grèves actuelles de la SNCF ou d’un conflit comme celui des dockers de Marseille. Dans la période qui s’ouvre nous pensons que tous les événements seront marqués par l’orientation que leur donneront le gouvernement et les partis manœuvrant autour du pouvoir politique, sans mettre en cause même, semble-t-il, la présence de De Gaulle.

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