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Marco Sazzetti : Attentats. La logique de guerre est en marche

Article de Marco Candore alias Marco Sazzetti, paru dans Alternative libertaire, n° 36, octobre 1995, p. 9-10


La vague terroriste ouvre une situation lourde de dangers. Urgence absolue : être, plus que jamais, aux côtés des immigrés et du combat pour la démocratie en Algérie.

Quatre attentats et deux tentatives. Des actes de barbarie totalement condamnables, quels que soient leurs auteurs, leurs commanditaires et leurs motivations. Des morts, des blessés graves, et une situation qui ne l’est pas moins : la vague terroriste nous plonge déjà dans une atmosphère pourrie de psychose et de suspicion dont les immigrés, et la communauté algérienne en premier, vont payer le prix fort. Tout laisse à penser que nous n’en sommes malheureusement qu’au début et il ne faut pas s’y tromper : ces agissements meurtriers, suivis des mesures policières puis de l’installation du dispositif « Vigipirate » de sinistre mémoire, donnent clairement le signal, de part et d’autre – côté terroriste, côté État – d’une entrée possiblement durable dans une logique de guerre, c’est-à-dire de ce qui pourrait arriver de pire à une société française déjà bien mal en point.

Qui ?

Jusqu’ici, la question reste posée. Car, même s’il est fortement probable qu’un « nouveau front » du terrorisme islamiste algérien vient de s’ouvrir en France, la police elle-même demeure prudente sur ses hypothèses, et notamment parce qu’il est de plus en plus évident qu’il n’y a pas eu un mais plusieurs commandos qui ont opéré. En tout état de cause, et puisque dans toute intrigue policière, il faut pour commencer, se poser la question essentielle : à qui profite le crime, la réponse politique vient d’elle-même : à l’extrême droite et aux réseaux islamistes.

Sous prétexte « d’auto-défense », les uns et les autres vont tâcher de tirer profit d’une situation pouvant aboutir à la radicalisation de leurs franges respectives. Car cette vague d’attentats ne manquera pas de renforcer le racisme, faisant de chaque immigré(e) un représentant potentiel d’une « cinquième colonne » terroriste. A son tour, ce racisme accentué, que ce soit sous une forme policière ou de ratonnades « spontanées », pourrait facilement pousser dans les bras du fanatisme islamiste des jeunes déjà largement exposés au désespoir social. Tous les ingrédients de la spirale infernale de la guerre sont ainsi en place.

Logique de régression

Logique de guerre civile d’abord, puisqu’il s’agit, pour les terroristes, de frapper la population indistinctement, aveuglément, sans doute parce qu’elle est considérée a priori comme « impie », « étrangère » et en fait surtout cosmopolite… Il y a, encore une fois, dans l’ expression de cette haine quelque chose de profondément fasciste, qui n’est pas sans rappeler la vague brune des années 70 en Italie. Comme au temps de l’OAS, il s’agit de démontrer qu’il est possible de tuer où et quand on veut : c’est la mise en place d’une stratégie de la terreur et de la tension, d’une logique de la haine à laquelle même le symbole de l’antisémitisme ne manque pas. De telles convergences d’intérêt et d’expression entre extrême droite et islamisme n’ont rien de surprenant : elles s’inscrivent depuis toujours, et d’emblée, dans leur projet politique totalitaire.

Il serait cependant simpliste – et finalement naïf – d’accréditer essentiellement la thèse d’une manipulation fasciste. En France comme ailleurs, l’islamisme (ainsi que les autres intégrismes et le phénomène sectaire) n’a cessé de se développer au cours de ces dernières années. Tous les militant(e)s antiracistes ont pu noter sa progression, même si celle-ci n’a certes pas été aussi spectaculaire que le laisse trop souvent entendre la presse aux ordres, et même si elle reste relativement faible, isolée et contenue, le constat est là. Il faut sans doute en chercher les causes dans le cumul de l’échec à mettre sur pied un antiracisme de masse durable et implanté, l’inexistence d’une perspective politique égalitaire et l’aggravation de la crise. Bien sûr, en aucune manière l’islamisme ne répond à ces exigences, mais il offre, encore une fois comme le fascisme, l’illusion de « réponses » basées sur un repli identitaire sécurisant. Ainsi, les banlieues françaises n’ont aucune raison d’échapper à la tendance lourde de la fin du siècle : la régression.

Une guerre des « pauvres » ?

Au Sud, la fin des « modèles » bureaucratiques et populistes issus des fronts de libération nationale, la dette et les coups de boutoir du FMI et du libéralisme ont laissé vacant l’espace d’un imaginaire politique fort pouvant reconstituer un tissu social déchiré. La nature ayant horreur du vide, c’est dans cette brèche que l’islamisme s’est engouffré. A Alger comme à Lyon ou Paris, le terrorisme « artisanal » – mais pas moins atroce ni moins meurtrier dans son principe que les interventions militaires « humanitaires » des États impérialistes américain ou français – donne potentiellement et politiquement la possibilité à chaque môme en perdition de jouer au Robin des Bois d’une Intifada de banlieue.

Mais le parallèle avec une « guerre des pauvres » s’arrête là. Car qui finance l’islamisme ? Des États tout d’abord. Des États fondamentalement totalitaires et inégalitaires, comme, entre autres, l’Arabie Saoudite – bon élève de l’Oncle Sam – et le Soudan – « ami » de la France ; des États et des forces politiques mêlés aux cliques maffieuses, à l’argent de la drogue et aux trusts, et dont le désordre mondial libéral a besoin parce qu’ils sont un gage, précisément, de sa stabilité. Ainsi, assimiler le terrorisme islamique à un combat des « pauvres » contre les « puissants » est une pure vision de l’esprit, une production manichéenne et idéologique profondément réactionnaire visant à masquer une réalité autrement plus complexe.

Les enjeux

« L’Algérie, c’est la France » disait le très colonial et très flicard Mitterrand lors de la guerre d’indépendance. La France serait-elle soudain devenue l’Algérie ? Certes non ! On peut difficilement – mais la mauvaise foi n’a pas de limite – comparer la réalité d’une puissance impérialiste à celle d’un pays à l’économie exsangue. Si la situation ouverte avec les attentats n’est pas assimilable à une simple extension de la situation de guerre civile qui a cours de l’autre côté de la Méditerranée, il serait cependant dangereux de ne pas voir que les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets, et notamment le consensus autour de l’État apparaissant comme l’unique rempart contre la barbarie. En France, tout est déjà prêt : la classe politique a donné un blanc-seing à Chirac ; l’armée, la police et la vidéosurveillance, avec les lois Pasqua et la délation-suspicion élevées au rang de civisme feront le reste.

Oui, il faut lutter contre l’intégrisme et le terrorisme. Mais certainement pas au prix d’un consensus autour de la banalisation d’un État policier, de la militarisation de la société, au prix du silence sur la politique suivie par la France, d’une aide jamais démentie aux cliques bureaucratiques et militaires de l’État algérien. Oui, il faut lutter contre la barbarie, et avant tout ce combat est politique : il passe d’abord par une solidarité renforcée avec les démocrates algérien(ne)s, pour le droit d’asile, contre le racisme et pour une citoyenneté ouverte, enfin par l’affirmation d’un combat laïque renouvelé, contre tous les intégrismes. Ce combat est le leur, là-bas. Il doit être le nôtre, ici.

Marco SAZZETTI


Pourquoi, et pourquoi maintenant ?

C’est sans doute la question la plus importante. Il serait bien entendu tout à fait présomptueux d’y répondre, mais on peut au moins formuler les questions. De tels attentats ne se font évidemment pas sans raison, ni même – tout du moins au départ – « spontanément » et sans une organisation concertée. Il est clair qu’un message, ou du moins un signal politique, a été émis en direction, tant de la société française et de l’État chiraquien, que de la communauté algérienne et bien sûr de l’Algérie.

C’est aussi probablement, un vieux rêve des islamistes que de porter la « guerre sainte » sur le territoire français : les intégristes jouent beaucoup sur les symboles et dans leur préoccupation constante à se faire les légitimes continuateurs de la guerre d’indépendance, il y a là une bataille politique de première importance. De plus, « ouvrir un deuxième front » de la guerre civile ici, ce serait clairement signifier aux démocrates réfugiés en France qu’ils n’auront de paix nulle part. Ce serait également « faire payer » aux immigrés algériens leur situation métisse de facto ; les islamistes n’ont rien tant en horreur que le mélange des cultures.

Il y a également l’évolution de la situation politique en Algérie même, l’annonce de prochaines élections par le pouvoir – dénoncées par le FIS, le FFS et le FLN ; l’état du rapport de force dans la confrontation de guerre civile, dans une phase où la violence s’intensifie ; enfin, last but not least, il convient de s’interroger sur le rôle et la place de la diplomatie secrète menée par l’État français depuis l’arrivée de Chirac à l’Élysée, voire même des engagements qui auraient pu être passes très discrètement pendant une campagne où l’on nous gavât de pommes…

2 réponses sur « Marco Sazzetti : Attentats. La logique de guerre est en marche »

Deux dessins de Charb dans un article aussi juste d’AL (sauf le tout dernier paragraphe, que je trouve un peu obscur : quel est le positionnement de l’auteur sur le rapprochement FLN-FFS-FIS?). C’était avant… Mais ce sera peut-être aussi après demain!

Honnêtement, je ne peux pas répondre à ta question car je ne possède pas d’autres articles de l’auteur. Je publierai prochainement d’autres textes, sur la même thématique, mais parus dans un autre journal libertaire.

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