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To be or not to be… beur

Entretien paru dans Lutter !, n° 7, mars-avril 1984, p. 18-19

HAMOU CHEHEB, jeune chanteur encore peu connu, a accepté de chanter au Gala de soutien à « LUTTER ! » le 8 mars.

A ce titre, nous lui laissons la parole, même si nous ne partageons pas toujours son point de vue, tant son histoire et sa personnalité sont originales.

Auteur-compositeur, Hamou Cheheb est né à Sidi Bel Abbès en 1950. C’est avec rage et tendresse qu’il chante son univers, l’Algérie de son enfance, la France, Paris, Barbès, au rythme des images-choc de sa sensibilité. Cette année, il va sortir son troisième disque, mais la carrière de chanteur n’est pas facile quand on veut sortir du répertoire classique de la variété française.


LUTTER ! : Tu es né en Algérie en 50, tu as donc connu la guerre d’Algérie, comment l’as-tu vécue ?

HAMOU : J’étais gamin. Je l’ai vécue jusqu’à l’âge de 12 ans, se sont des souvenirs d’enfance, et la découverte d’une violence que je ne comprenais pas. C’était aussi tout le côté rigolard de voir les adultes se faire matraquer. Je n’ai réalisé ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie qu’après, c’est à dire vers l’âge de 14-16 ans, par ce que disaient les gens qui me rapportaient des images que j’avais vécues et que je n’avais pas comprises à l’époque.

Et puis, en tant que gamin, on entendait dans la rue « pourvu que les Français partent » parce que, en fait, le rêve de tout le monde c’était de remplacer les Français. Nous, on habitait le « quartier des indigènes » qui est un quartier très populaire et, à la limite, on s’imaginait aller vivre dans les villas des Français une fois qu’ils seraient partis. Y’a eu plein de désillusions et puis, sur le plan culturel, si tu veux, on savait pas qu’on devrait parler l’arabe classique après la guerre. On pensait quand même qu’on resterait à parler le français, l’arabe populaire ou le kabyle. Mais l’Algérie a décidé de faire partie du monde arabe et donc de devenir complètement arabe, et on ne s’y est pas retrouvé.

Des gars de ma génération sont restés sur place et se sont intégrés, mais une très grande partie a émigré, pas pour bouffer mais parce que l’Algérie n’était pas leur milieu, ni culturel, ni social.

L. : Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps puisque tu n’as émigré qu’en 74 ?

H. : Y’a eu le service militaire. A l’époque, pour sortir d’Algérie, c’était vraiment toute une histoire ! Il fallait avoir du piston pour avoir une autorisation de sortie et fallait faire ton service militaire.

J’ai travaillé, j’ai enseigné et dès que j’ai eu du fric et que j’ai pu avoir une autorisation de sortie, je me suis barré.

L. : Et alors, qu’est-ce que tu as trouvé en France ?

H. : Ben rien. En tout cas, je ne suis pas arrivé en France en me disant que je sortirais avec la fille du patron ou que je deviendrais milliardaire du jour au lendemain. Ça c’était le mythe de la première génération de l’émigration et on lavait digéré, on avait pigé que c’était l’aventure, c’était un autre choix de vie. Moi, j’ai pas émigré pour bouffer et je n’avais pas dans la tête les clichés traditionnels de l’émigré qui revient riche et qui a tout. Je savais qu’il y avait du racisme, que les immigrés ne vivaient pas dans des châteaux, qu’il y avait des HLM. Je n’ai pas quitté l’Algérie pour travailler, c’était pour vivre autre chose.

L. : Tu te sentais mieux culturellement en France qu’en Algérie ?

H. : Tout à fait. Mieux culturellement, mieux dans la vie tout court. J’étais chanteur en Algérie pendant une époque, jusque dans les années 67-68 il y avait des groupes de rock. L’Algérie était la banlieue de la France, on écoutait la musique et on était complètement occidentaux.

Je ne me pose même pas la question de savoir si c’était une trace négative de la colonisation ou pas. Mais c’était ma culture. Il y a eu donc cette politique d’arabisation qui a fait que l’Algérie, c’était fini pour nous. Elle devenait un pays arabe, c’est à dire que tout ce que nous avions, nous, comme histoire culturelle par rapport à la colonisation et aux Français, devait disparaître. On ne s’y retrouvait pas et dès 15 ans, mon rêve c’était de partir, partir.

L. : Qu’est-ce que tu as fait dès que tu es rentré en France ?

H. : Le premier truc, c’était d’avoir des papiers. Il n’était pas question que je reste dans une situation instable. Je savais que la carte de séjour c’était rester le cul entre deux chaises. J’ai fait la première puis j’ai postulé à la nationalité française. Je l’ai eue un an et demi après. J’ai fait une demande de réintégration de ma nationalité d’origine. Je savais que j’allais vivre pas mal d’années en France. Je voulais tout régler pour ne pas risquer de me faire expulser un jour ou l’autre.

L. : Tu ne te considères pas comme un immigré, alors ?

H. : Non, je suis un étranger vivant en France.

L. : C’est quoi la différence ?

H. : Je suis étranger, mais c’est un choix que j’ai fait. C’est un choix si je vis en France. Je n’espère pas le retour au pays. Les discours sur l’immigration, l’insertion, l’intégration, moi, j’ai pas envie de me le vivre parce que je n’ai pas de problèmes d’intégration. A la limite, les seuls problèmes que je peux avoir sont des problèmes complètement individuels.

L. : Est-ce que tu te reconnais à travers le phénomène BEUR de la deuxième génération ?

H. : Ils pensent comme la première génération, de toutes façons ils sont pareils. Ils ont toujours le cul entre deux chaises. Moi, je n’ai pas ce problème. Je ne me pose pas la question de savoir si je suis Français ou Algérien, je suis les deux et c’est tout. Eux, ils subissent un « forcing familial » pour qu’ils ne trahissent pas leur nationalité d’origine. C’est à dire un conservatisme nationaliste.

L. : Comment tu te situes politiquement ?

H. : Je suis très proche des idées libertaires, je me sens anar, mais très individualiste. Moi, tout ce qui est organisationnel me fait chier, mais je me sens vraiment anar et ce n’est pas par démagogie que je te dis cela.

L. : Tu te sens touché par la vague de racisme en France actuellement ?

H. : Bien sûr, je me sens touché bien que ne la subisse pas du tout, il faut être honnête. Comme me touche tout ce qui se passe en Afrique du Sud, au Salvador ou dans le monde entier. Mais c’est vrai que je me sens un peu plus concerné parce que je suis sur le terrain, et que c’est une de mes origines qui est touchée. Mais de là à en faire un cheval de bataille ou que je devienne promoteur de l’anti-racisme, ce serait complètement démago de ma part. Rencontrer un mec raciste… j’en ai rien à foutre ! Je n’ai pas à justifier mes origines devant qui que ce soit. Qu’il soit raciste ou qu’il tienne un discours anti-raciste, comme la marche des beurs, pour laquelle je n’ai pas voulu chanter.

L. : Tu as refusé de chanter pour « la marche contre le racisme et pour l’égalité » ? Pourquoi ?

H. : D’abord, je n’ai pas à chanter pour les curés. Tout le monde s’est fait porte-parole de l’immigration, tant mieux pour eux. Mais ils n’ont qu’à tirer du fric, voter des lois, moi je suis pas législateur. Le système de fonctionnement politique français ne m’intéresse pas, raison de plus quand on fait une marche misérabiliste comme celle des beurs. Même si à l’origine elle était pure ou tout ce que tu veux, mais quand tu vois ça à Paris… faut pas déconner. Non, je ne rentre pas dans cette thématique, je ne me sens pas militant de l’anti-racisme. J’observe, je décris, je ne donne pas de solution, c’est mon boulot de chanteur et d’auteur, c’est tout. Il faut vachement détailler ce qui se passe dans le racisme et toutes les magouilles qu’il y a derrière. Les immigrés sont un enjeu politique entre la droite et la gauche françaises. A la limite, ce que je revendique, c’est une justice sociale, je ne suis pas le représentant de l’immigration de la première ni de la deuxième génération. J’écris quelque chose que j’ai vécu, mais pas quelque chose que je suis allé piquer quelque part pour me dire représentant de quelque chose. C’est pour cela que je ne passe ni dans les canaux immigrés ni dans les canaux français. Dans mes deux premiers disques, je pense que c’est complètement clair que je vends pas de l’immigré.

Je ne suis représentant de rien, je suis chanteur. Qu’on m’accepte en tant que chanteur. Si un jour je dois me prostituer avec une étiquette d’immigré pour vendre plus de disques, je ne le ferai pas. Je préfère m’arrêter. Si je n’ai pas de talent, je n’aurais pas de profession, c’est tout.

L. : Qu’est-ce que tu vas chanter maintenant, puisque tu as dit que tu allais changer de répertoire ?

H.: Pour le troisième disque, je pense à quelque chose de plus universel sur les thèmes de l’amour par exemple, ou de n’importe quoi d’autre. Parce que tu vois, on a complètement asexué l’immigration. L’immigration n’a pas de sexe, l’immigration n’a pas d’amour. A chaque fois qu’on parle d’immigré, c’est toujours un problème social de nourriture ou de chômage.

Le raisonnement général en France, c’est que l’immigré est un cas social. Alors on les fout dans un carcan, dans un entonnoir, tout le monde doit être pareil. Pour eux, l’immigration est une masse monolithique qui pense pareil, qui vit pareil, qui a le même passé, il n’y a plus d’individus. Personne ne va au fond des choses.

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