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H. M. : Algérie. La mobilisation des femmes contre le projet de code de la famille

Article signé H. M. paru dans les Cahiers du féminisme, n° 25, juin-juillet 1983, p. 30-31

Les manifestations de femmes devant l’Assemblée nationale en novembre et décembre 1981 furent l’expression d’un moment fort dans la coordination et la centralisation de la mobilisation des femmes contre le projet de code de la famille que tentait d’imposer le régime algérien aux millions de femmes algériennes. Déjà en 1966 et en 1973, le pouvoir avait tenté de promulguer un code de la famille ; mais la mobilisation des femmes à l’époque avait incité le régime Boumedienne à reculer et à le retirer.

En 1981, Chadli, dans la foulée de son offensive contre le mouvement ouvrier, tenta de faire passer son projet ; l’extrême droite intégriste (les Frères musulmans) exerçait des pressions de plus en plus fortes.

A l’évidence, les dispositions du projet de code sont réactionnaires : la polygamie et la répudiation sont maintenues de même que les discriminations au profit du mari en matière de filiation et d’héritage ; enfin, les droits élémentaires arrachés en 1962, au lendemain de l’indépendance, sont remis en cause ; le droit au travail, au savoir, le port du voile et l’enfermement des femmes sont soumis à la libre appréciation du mari ou du tuteur.

C’est le collectif autonome des femmes de l’université d’Alger qui a pris l’initiative d’appeler à la première manifestation devant l’Assemblée nationale pour protester contre ces dispositions rétrogrades. Le mouvement s’est vite élargi à d’autre secteurs. Aux premières assemblées générales organisées à l’université ont succédé d’autres réunions comme celles du centre hospitalier Mustapha d’Alger ou les travailleuses sont venues de plus en plus nombreuses (des syndicalistes, des étudiantes, des lycéennes et d’autres femmes…).

L’écho rencontré par la première manifestation dans la presse et dans l’opinion, les commentaires qu’elle a provoqués, ont encouragé d’autres femmes à rejoindre le mouvement.

A défaut de propositions concrètes et de perspectives de mobilisations propres à leur parti, des militantes du PAGS et de l’organisation officielle des femmes (UNFA) ont rejoint ces initiatives.

Le compte rendu des débat, à l’Assemblée nationale (8 femmes environ sur 260 députés) laissait apparaître des tendances fascisantes : certains faisaient même des propositions sur la « longueur » et le « poids » des bâtons avec lesquels les maris devaient battre leurs femmes (cf. le compte rendu des débats publié par le quotidien national El Moudjahid).

Ces scandaleuses positions pousserait d’autres secteurs de femmes à se radicaliser et à prendre leurs distances avec le pouvoir. Les anciennes maquisardes de la région d’Alger, après s’être réunies entre elles, décidèrent de se joindre aux manifestantes, avec à leur tête la propre femme du président de l’Assemblée nationale.

En mettant ainsi leur prestige et leur passé historique au service de ce combat, elles apportaient en même temps un démenti cuisant à la propagande officielle. Celle-ci présentait les femmes en lutte comme étant « des dégénérées occidentalisées et des féministes manipulées par le MLF ».

Dans une seconde étape, la mobilisation devait s’élargir à d’autres villes du pays : Sétif, Constantine, Oran. Le secteur de l’enseignement, les femmes de la santé publique, etc., furent à leur tour concernées.

Une pétition nationale dénonçant le projet de code de la famille circulait. A Alger, sous l’impulsion des syndicalistes et des femmes de l’UNJA et de l’UNFA, un collectif de coordination intersecteurs se constitua. Il regroupait le comité auto-nome des femmes de l’université, les anciennes maquisardes, les syndicalistes, les étudiantes, enfin l’UNJA et des militantes de I’UNFA. Il est clair, cependant, que les maquisardes pesaient de tout leur poids dans cette coordination.

Au congrès des Anciens Moudjahidines, Chadli devait adresser des « remontrances » à ces « sœurs maquisardes qui sont descendues poser les problèmes dans la rue » au lieu de les débattre à l’intérieur des structures légales, le FLN.

Mais le gouvernement ne voulait un affrontement direct. Il préféra retirer son projet, semblant par là même sensible aux protestations des femmes et freinant du même coup l’excès de zèle des intégristes musulmans sur sa droite.

La nomination, pour la première fois depuis l’indépendance, d’une femme à un poste de secrétaire d’Etat fut une autre forme de réponse du pouvoir aux mobilisations des femmes. Utilisant ainsi une démagogie à toute épreuve, la nomination d’une secrétaire d’Etat alimentait la propagande officielle sur l’ « émancipation de la femme » et la « volonté du gouvernement de promouvoir une réelle libération des Algériennes » (sic !). Alors que dans le même temps la répression se durcissait : des militantes du collectif autonome d’Alger étaient interpellées par la police, des militantes de l’UNJA et de l’UNFA exclues des organisations officielles, enfin les commissions de femmes travailleuses au sein des syndicats de l’UGTA étaient tout simplement interdites.

Après avoir éliminé les fractions rivales et d’être recomposé, le régime Chadli s’est attaqué tout azimuts aux mouvements de masse à partir de 1981 : contre les étudiants, contre les masses berbères, contre les travailleurs de l’UGTA, contre les jeunes lycéens.

La répression et le recul du mouvement de masse

Cette vaste offensive répressive s’inscrit dans le cadre des plans d’austérité élaborés par la bourgeoisie pour faire face à la crise mondiale. Pour mener à bien cette politique, le pouvoir doit faire taire toute forme de contestation, tant dans les structures du FLN, ses organisations officielles, qu’en dehors de celui-ci.

A l’image de ce qui s’était déjà passé dans les syndicats et dans la jeunesse, le quatrième congrès de l’UNFA fut celui de la reprise en main et de l’épuration.

Les quelques comités UNFA animés par des militantes du PAGS furent démantelés : Tiaret, Alger, Oran, Constantine. Certaines militantes très connues furent exclues sous les accusations de « communistes, féministes… ».

Les questions du code de la famille, pourtant d’actualité, ne furent abordées que le dernier jour. Aucune proposition, aucune critique, le secrétariat national demanda seulement le report du débat à l’Assemblée nationale.

C’est ensuite que le FLN prononça l’interdiction des commissions syndicales de femmes travailleuses, et la dissolution de plusieurs sections UNFA de base (Boufarik, Zémani, Thénia, El-Harrach, Bordj-El-Kiffan, Aïn-Bénian, Alger-centre, Tiaret, Constantine, Oran, etc.).

Dans ce contexte, les collectifs autonomes avaient peu de possibilités. Celui d’Alger se retrouvait doublement paralysé, à cause de la répression et du recul du mouvement de masse, mais aussi par l’exacerbation de contradictions et de conflits internes (scission des militantes de l’OST — organisation proche du PCI).

A Oran, le collectif s’est replié, sur une démarche très universitaire, autour du groupe et de l’atelier de recherche sur les femmes du Centre de documentation des sciences humaines de l’université d’Oran.

Pour les militantes syndicalistes, la répression qui s’est abattue sur l’UGTA, la dissolution des fédérations nationales, le principal moteur de la mobilisation féminine dans le monde du travail, fut un coup décisif.

Cette répression et le recul du mouvement qui s’ensuivit eurent pour effet de laisser le terrain libre aux intégristes musulmans aux déclarations tonitruantes de plusieurs de leurs dirigeants succédèrent les manifestations de novembre dernier.

Le gouvernement Chadli, après avoir réprimé et bâillonné la mobilisation des femmes, apparut à peu de frais comme s’opposant aux Frères musulmans, et se fit passer pour « le champion de l’émancipation des femmes ».

Quelles perspectives ?

La désarticulation du collectif d’Alger, le recul du mouvement étudiant et du mouvement de masse d’une manière générale, la répression et les intimidations policières, tout cela est un terrain favorable pour que le gouvernement relance son projet tel qu’il est.

Cependant, la montée de l’intégrisme musulman, le bâillonnement des collectifs et l’étouffement des sections UNFA les plus combatives ne signifient pas pour autant un recul définitif du mouvement.

Le 8 Mars 1983, à l’initiative de quelques militantes féministes, une rencontre-débat eut lieu à la cinémathèque d’Alger. L’essentiel des discussions porta sur les objectifs, les bilans et les perspectives du mouvement de mobilisation des femmes contre le projet de code de la famille.

Cette relance des activités du collectif autonome d’Alger montre que la combativité des femmes n’est pas entamée. Le gouvernement Chadli sera obligé d’en tenir compte lors du prochain débat à l’Assemblée sur le code de la famille.

Gageons, que, fortes de leurs premières expériences de lutte, les femmes algériennes n’hésiteront pas à s’opposer à tout nouveau projet réactionnaire.

H. M., militant algérien


PAGS : Parti de l’avant-garde socialiste, parti communiste pro-soviétique.

UNFA : Union nationale des femmes algériennes, organisation gouvernementale.

UNJA : Union nationale de la jeunesse algérienne, organisation de masse du F.L.N.

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