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Algérie : les femmes en première ligne

Dossier paru dans les Cahiers du féminisme, n° 53, été 1990, p. 13-26


L’avenir n’est pas joué

En Algérie les élections municipales vont avoir lieu le 12 juin. A coup sûr, elles constitueront un test décisif. Pour le FLN au pouvoir, d’abord, qui depuis la répression sanglante des émeutes d’octobre 1988 est à jamais discrédité auprès de la population, sans même parler des scandales dans lesquels les dignitaires du régime sont impliqués : début avril, un ancien Premier ministre a accusé certains dirigeants d’avoir profité de pots de vin d’un montant de vingt-six milliards de dollars, c’est-à-dire plus que la dette totale de l’Algérie, tandis que, dans le même temps, la population doit faire face aux pénuries et à la spéculation sur les produits de première nécessité ! Mais ce sera également un test pour le Front islamique de salut (FIS), principale organisation islamiste qui, le 20 avril dernier, a fait descendre cent mille hommes dans la rue après avoir fait plier le gouvernement qui, lui, renonça à organiser des contre-manifestations.

Faut-il en conclure, comme le fait l’hebdomadaire le Point du 30 avril 1990, que « la guerre sainte est à nos portes », titre choc et alarmiste s’il en fut, ou se rassurer comme A. Fontaine, dans le Monde du 5 avril 1990, qui de manière flegmatique considère que « le pire n’est jamais sûr » ?

En tant que féministes, nous avons certainement toutes les raisons d’être inquiètes de cette montée des islamistes au sein de la société algérienne. Les agressions contre les femmes se sont multipliées depuis plus d’un an. Certaines ont failli mourir, d’autres ont perdu un enfant dans ces expéditions « punitives ». Si les islamistes prenaient le pouvoir, cela en serait fini des quelques libertés démocratiques conquises de haute lutte depuis 1988. L’application de la chari’a (loi coranique) signifierait entre autres l’exclusion systématique des femmes de la vie sociale, le renforcement du Code de la famille, l’interdiction de tous les partis et mouvements autres que religieux, etc.

Heureusement, aujourd’hui et à la grande surprise des médias occidentaux, les islamistes ne sont pas la seule force d’opposition avec laquelle il faut compter. La grande manifestation unitaire du 10 mai dernier à Alger (plus de cent mille personnes, semble-t-il) organisée en riposte aux exactions des islamistes et en défense des droits démocratiques l’a prouvé de manière spectaculaire. Les femmes et leurs associations y étaient particulièrement nombreuses.

Mais, avant cette mobilisation, d’autres initiatives avaient été organisées par certains des partis politiques et associations officialisés depuis la loi de juillet 1989 (en particulier les associations de femmes et les associations de lutte berbères), qui réclament eux aussi la laïcité et des droits égaux pour les femmes, comme le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), en même temps qu’ils luttent pour les droits culturels démocratiques des Berbères, écrasés systématiquement depuis 1979. Ainsi, en janvier 1990, une très grande manifestation silencieuse du mouvement culturel berbère s’est déjà tenue à Alger et à Tizi Ouzou (capitale de la Kabylie), une marche a rassemblé quarante mille travailleurs. Enfin, le 8 Mars et le 1er Mai, des milliers de femmes sont aussi descendues dans la rue. Nos camarades du PST, une petite organisation trotskyste, sont partie prenante de toutes ces mobilisations.

Comment va évoluer la situation maintenant ? Il est bien difficile de le dire, tant les facteurs d’instabilité sont nombreux. Il est en revanche plus facile d’expliquer comment on en est arrivé là.

L’Algérie en chiffres
* Population : 23.84 millions d’habitants (13,75 millions en 1970).
* Taux de croissance annuelle de la population : 3.2 %.
* 75 de la population a moins de trente ans.
* La population active agricole représente 25,8% de la population active.
* Taux de chômage : 25 % de la population active.
* Taux d’analphabétisme 46 % en 1988 (56.65 % pour les femmes).
* Prix du baril de pétrole 40 dollars en 1979 ; 12 dollars en 1988.
* 365 000 femmes ont un emploi.
* Dette de l’Algérie : 24 milliards de dollars.
* L’alimentation est assurée à 80 % par les importations.

Certains (voir le Monde diplomatique d’octobre 1988) voudraient voir dans les émeutes d’octobre 1988 la sanction de l’échec du « modèle d’économie socialiste planifiée ». Certes, même après le coup d’État qui a renversé Ben Bella en 1965, ses successeurs, désignés par les militaires, ont toujours prétendu agir au nom et dans l’intérêt du peuple. Et, jusqu’en 1988, la Constitution parlait effectivement du socialisme, pendant que Boumediene s’appliquait à réaliser l’industrialisation « socialiste » de l’Algérie. Par ailleurs, comme en URSS et dans les pays de l’Est, il n’y a jamais eu qu’un parti au pouvoir et autorisé jusqu’en 1989, le FLN, appuyé sur une police secrète redoutable qui n’a pas hésité à torturer a plusieurs reprises. Enfin, le gouvernement algérien a toujours bénéficié de l’appui de l’URSS et du soutien plus ou moins critique du PC algérien, clandestin ou pas. Si l’on ajoute à ces caractéristiques la bureaucratie envahissante, la corruption à tous les niveaux, la pénurie et le marché noir, les queues pour le ravitaillement et le système D généralisé, alors, sans doute, l’Algérie a un air de ressemblance avec les pays du bloc dit socialiste… Mais on est bien loin du socialisme, du moins tel que nous l’avons toujours conçu !

Pour M. Harbi, « la détention des moyens de production par la classe ouvrière » n’a été qu’ « une fiction, un article de discours officiel », même s’il y a eu « ici et là des comités de gestion dans les fermes et les entreprises » en 1962 ; au bout du compte, c’est à un véritable « détournement de la révolution algérienne » (1) que l’on a assisté. S. Naïr, quant à lui, parle d’une « invocation rituelle du socialisme » de la part du FLN, en insistant sur le fait que, dès 1965, « le pouvoir issu du putsch » contre Ben Bella « favorisa le secteur capitaliste privé ». Ainsi, en septembre 1966, le Code des investissements encourageait l’ « association tacite entre le secteur public et privé » et, en quinze ans, la « bureaucratie politico-militaire » au pouvoir va se transformer « par vagues successives en une nouvelle bourgeoisie d’arrivistes et de parvenus ». (2)

C’est dans ce cadre qu’a été réalisée la folle industrialisation des années Boumediene (1965-1978). En exploitant à fond la formidable rente pétrolière de ces années fastes, on misa tout sur l’industrie lourde (pétrole, gaz, cimenteries, constructions mécaniques) et, pour cela, on n’hésita pas à acheter à l’étranger et à s’endetter sans compter. L’agriculture fut sacrifiée mais la population masculine agricole était embauchée dans les grands chantiers de travaux publics.

Reste que la gabegie est caractéristique des grandes sociétés nationales et que la population en a marre de devoir se serrer la ceinture au nom de la priorité à l’industrialisation. Dès 1977, des luttes sociales vont commencer à se développer.

Du coup, lorsque Chadli prendra la suite de Boumediene, en 1979, avec comme slogan « Pour une vie meilleure ! », il bénéficiera d’une période d’état de grâce facilitée par la spectaculaire augmentation du cours du pétrole en décembre 1979. Mais, dès son arrivée au pouvoir, il mettra l’accent sur la nécessité de restructurer les entreprises et, en 1982, une nouvelle loi sur les investissements sera promulguée, plus favorable encore au secteur privé. Le libéralisme économique était à l’ordre du jour.

Points de repère
1962 : indépendance.
Été 1962 : décrets sur l’autogestion.
1965 : coup d’État de l’armée contre Ben Bella ; Boumediene est désigné à la tête du pouvoir.
1979 : le colonel Chadli est nommé par l’armée à la tête de la présidence, après la mon de Boumediene.
1980 : de mars à mai, grève, manifestations, occupation de l’université de Tizi Ouzou ; le 20 avril, l’université est prise d’assaut par les gendarmes mobiles et les CRS après douze jours d’occupation de nombreux blessés, des centaines d’arrestations.
1984 : adoption du Code de la famille.
Novembre 1986 : révolte des étudiants et des lycéens à Sétif et Constantine.
Septembre 1988 : grève à Rouïba, a trente kilomètres d’Alger, contre le blocage des salaires : d’autres usines à Arzew, Annaba et El Hadjar rentrent dans le mouvement, ainsi que les employés des postes et les cheminots.
Octobre 1988 : six jours d’émeutes entre le 5 et le 12 à Alger ; extension à Oran, Blida, Annaba, Sétif, Mostaganem ; état de siège ; répression sauvage de l’armée ; bilan : cinq cents morts ; arrestations, torture ; 12 octobre : levée de l’état de siège.
Décembre 1988 : Chadli, candidat unique, est réélu président de la République (il est toujours président du FLN).
Février 1989 : une nouvelle Constitution est promulguée.
5 juillet 1989 : nouvelle loi sur les associations ; une vingtaine d’associations politiques (dont le FIS) sont officialisées ; le multipartisme, de fait, est reconnu.
Décembre 1989 : manifestation du FIS à Alger ; cortège de plusieurs milliers de « sœurs musulmanes » ; des femmes prennent la parole.
8 mars 1990 : plus de dix mille femmes dans la rue.
1er mai : grande manifestation à Alger à laquelle participent des milliers de femmes.
10 mai 1990 : manifestation contre le fascisme et pour la démocratie ; plus de cent mille personnes ; des milliers de femmes présentes.

Le véritable retournement de la situation interviendra en 1986. Le cours du pétrole va subir une chute vertigineuse, pour tomber en dessous de quinze dollars le baril. Dans l’affolement, le gouvernement réduisit de 20 % le programme d’importations. Il faut dire que la baisse simultanée du cours du dollar privait brutalement le pays de 40 % de ses recettes d’exportations !

Pour un pays qui doit tout importer (les pièces détachées pour l’industrie, mais aussi les trois quarts de ses produits alimentaires), on peut imaginer les conséquences désastreuses pour l’économie et la vie quotidienne. Les licenciements furent massifs, les salaires bloqués, les subventions aux produits de première nécessité réduites ou supprimées. La cure d’austérité fut d’autant plus brutale que Chadli prétendait « réformer » profondément les entreprises nationales et le secteur agricole.

En décembre 1987, les entreprises étatiques furent transformées en sociétés par actions et durent appliquer les mêmes règles de gestion que
le secteur privé. Dans le secteur agricole, certains domaines d’État furent dissous et les terres morcelées. L’État reste toujours officiellement propriétaire, mais un « droit de jouissance perpétuelle, cessible et transmissible », est accordé à ceux qui vont les récupérer… On s’oriente donc bien progressivement vers la privatisation des entreprises d’État. Ce qui rendra la situation explosive en 1988, ce sont donc à la fois les conséquences de la dépendance de l’Algérie vis-à-vis du marché mondial et des banquiers occidentaux et les conséquences sociales d’un processus de privatisation que certains s’obstinent à appeler « liberté économique ». Par ailleurs, la jeunesse algérienne supporte de moins en moins ce régime corrompu et autoritaire, qui impose les sacrifices aux uns tandis qu’une minorité de privilégiés étale un luxe d’autant plus indécent que la misère frappe le reste de la population.

La faillite du régime est totale, et ce ne sont pas les replâtrages gouvernementaux qui le sauveront. Les références rituelles au « socialisme » algérien ne peuvent plus faire illusion à l’heure où l’effondrement des sociétés de l’Est est retransmis en direct à la télévision et où les Algériens les plus démunis sont tentés par l’aventure islamiste : « Ni Ouest, ni Est. Islam is the best ! » proclame un slogan du FIS. Pourtant, le FIS, qui dénonce ceux qui se sont enrichis sur le dos du peuple, n’a d’autre programme économique que celui de Chadli, le libéralisme économique radical. Mais eux, toutefois, n’ont pas été compromis dans la pourriture du pouvoir. C’est là leur force. Reste à espérer que, l’expérience aidant, les « excès » des islamistes apparaîtront pour ce qu’ils sont, et que l’action conjuguée des forces politiques qui s’inscrivent dans une perspective laïque et démocratique saura écarter la menace d’une solution que certains n’hésitent pas à comparer au fascisme. En ce sens, notre soutien aux femmes algériennes en lutte et à tous ceux qui se battent à leurs côtés relève de l’urgence.

Le 14 mai 1990.

Claire Bataille


1. Voir les Temps modernes, juillet-août 1982.

2. Ibidem.


Les islamistes ne sont pas sortis du néant

Monique Gadant est anthropologue, chercheuse et spécialiste de longue date de l’Algérie. Elle fait partie du comité de direction de la revue trimestrielle Peuples méditerranéens. Dans le dernier numéro (1), elle signe entre autres un article sur « Les communistes algériens et l’émancipation des femmes », qui complète parfaitement l’entretien qu’elle nous a accordé au retour de son dernier voyage en Algérie, qui a pris fin juste avant le 8 Mars.


• Peux-tu nous décrire la manière dont se traduit la crise en ce moment en Algérie et ses répercussions pour les femmes ?

Monique Gadant — Il y a d’abord une crise du logement qui, outre les grandes villes comme Oran, Alger ou Constantine, touche toutes les villes moyennes et même les gros bourgs où il y a des constructions sauvages. Les constructions de logements par l’État ont toujours été très inférieures aux besoins… Dans les quartiers populaires, il peut y avoir jusqu’à dix personnes qui dorment dans la même pièce. Cela tient en partie à l’afflux des ruraux vers les villes depuis l’indépendance. Il faut dire que, dans les années soixante, le départ des Européens avait laissé beaucoup de logements vides en ville et des petits emplois administratifs peu rémunérés. Mais l’insécurité des campagnes liée à la guerre avait déjà poussé les gens vers les villes. Dans les années soixante-dix, ensuite, Boumediene a redistribué une grande partie de la rente pétrolière en créant des emplois improductifs qui ont attiré de nouveaux flux de ruraux.

Mais, maintenant, l’heure de vérité est venue. Le cours du pétrole a chuté depuis longtemps et la restructuration des grandes entreprises nationales, l’ouverture au privé et la rationalisation de l’économie entraînent une croissance du chômage : celui des jeunes qui arrivent sur le marché du travail, celui des femmes, bien sûr, et celui provoqué par les licenciements, bien que le gouvernement hésite toujours en la matière par peur des réactions.

Mais il y a aussi les problèmes démographiques. Le taux de croissance annuel de la population algérienne est un des plus forts du monde : 3,2 % environ. De fait, le nombre moyen d’enfants vivants à la naissance est encore de huit par femme!

• Et la contraception ?

Monique Gadant — La règle officielle veut que les femmes mariées aient légalement accès à la contraception à partir de quatre enfants. Elles ont alors le droit d’aller dans un centre ou l’on est censé leur expliquer comment ne plus en faire. Mais l’existence de ces centres, le lieu où ils sont installés, dans certains hôpitaux, sont mal connus. Ces centres d’ « espacement » des naissances, comme on dit, sont par ailleurs très insuffisants et submergés par la demande, comme tous les autres services hospitaliers. Et c’est absolument épouvantable. Des dizaines et des dizaines de femmes doivent attendre en se bousculant, puis elles sont obligées de répondre en public à des questions qui touchent à leur intimité, parce qu’il n’y a pas de lieu pour s’isoler ! De plus, par insuffisance de devises, par exemple, les pilules manquent parfois, ou sont importées des pays de l’Est, et très mal dosées. Les stérilets sont encore plus rares. Du coup, comme j’ai pu le voir, on se les partage entre femmes de ministre ou personnes qui peuvent avoir du piston…

Par ailleurs, par manque d’informations, les fantasmes sur les méfaits des pilules et des stérilets enflent sans limites. Si on ajoute à cela un taux d’analphabétisme bien supérieur à 45 % pour les femmes, le fait qu’elles ne connaissent absolument pas leur corps et qu’elles ne comprennent pas à quoi correspond une prise régulière de pilule, on peut imaginer pourquoi il y a échec.

D’autant que le rôle de l’État a été pratiquement inexistant. Il y a bien eu dans les années soixante, de la part du ministère du Plan, une demande d’enquête pour tester la perméabilité des gens à une campagne sur la contraception ; mais les résultats n’ont jamais été publiés et il n’y a pas eu de suite. Le prétexte : il ne fallait pas heurter les mentalités religieuses… Pourtant, le Conseil supérieur islamique avait émis en 1968 un avis favorable à une éventuelle campagne sur la contraception. Mais on sait bien que, même si l’islam n’a pas comme la religion catholique une batterie d’arguments contre la contraception qui pourrait semer l’épouvante, il suffit de dire que « c’est péché » pour mobiliser l’opinion contre la contraception, les idées socialistes, ou le reste…

Or, il y a toujours eu des hommes politiques pour manipuler l’opinion religieuse. C’est ce qu’a toujours craint Boumediene, et c’est une des raisons de son renoncement. Mais il pensait aussi sans doute qu’il y avait des problèmes plus urgents et, surtout, qu’avec le pétrole il pourrait créer des emplois. Boumediene était officiellement nataliste et contre la contraception. Ce n’est qu’au tournant des années soixante-dix et quatre-vingt, avec la chute du cours du pétrole et l’échec de l’industrialisation, qu’on s’est aperçu que la démographie était d’autant plus inquiétante qu’on n’avait pas d’emplois pour les jeunes et qu’il fallait leur construire des logements. Expliquer aux femmes comment faire moins d’enfants n’était peut-être plus superflu.

Mais, même encore aujourd’hui, si on parle d’« espacement » des naissances et non de « contrôle », c’est bien pour des raisons religieuses. Parler de contrôle, en effet, c’est comme si les hommes prétendaient prendre la place de Dieu dans la marche du monde. Or, l’idée de vouloir maîtriser totalement la nature est très occidentale. Dans l’islam, au contraire, on insiste toujours sur le fait qu’il y a des limites à ne pas dépasser. Manipuler le corps selon sa volonté, s’en servir comme d’un instrument, n’est donc vraiment pas orthodoxe…

Malgré tout, on a ouvert un premier centre d’espacement des naissances en 1967, à l’hôpital Mustapha, à Alger, et, en 1969, à Oran et Constantine ; mais encore une fois dans des conditions très difficiles. On a aussi fait quelques tentatives de propagande contraceptive par voie d’affiches et à la télévision. Mais cela a duré très peu de temps, et ce fut un fiasco. Cette propagande était incompréhensible, même pour ceux qui avaient le baccalauréat, et, de plus, elle heurtait la conception des femmes sur la santé, à savoir que, plus on a d’enfants, en meilleure santé on est. On leur disait le contraire.

Depuis, les pouvoirs publics ont pratiquement renoncé à toute information sur la contraception. Aujourd’hui, on peut dans les villes se procurer des pilules sans ordonnance, et les pharmaciens sont souvent prêts à en délivrer facilement. Pourtant, combien de jeunes femmes qui travaillent et qui ont des relations sexuelles sans être mariées n’osent pas en demander et préfèrent envoyer une copine mariée, car il y a toujours une très grande honte vis-à-vis de la sexualité.

Et la crise, aujourd’hui ?

Monique Gadant — Tout est lié. Il y a d’abord l’échec de l’industrialisation prévue par Boumediene, qui s’est accentué du fait de la chute des cours du pétrole. Évidemment, la démographie aggrave ces problèmes. L’Algérie se trouve maintenant dans une situation très difficile, avec une dette très importante payée par la plus grande partie des revenus pétroliers. A cela s’ajoute une dépendance alimentaire de près de 70 %. Comme la nourriture est payée en devises, il n’y a pas de miracle… On importe le moins possible, mais le plus possible quand même dans la limite des devises disponibles, pour ne pas avoir de troubles sociaux. Les pénuries ne datent pas d’aujourd’hui. Cela fait déjà au moins une bonne dizaine d’années qu’il y en a. Elles sont d’ailleurs organisées en haut lieu pour limiter la consommation et, évidemment, elles favorisent la spéculation. Elles portent sur des produits de consommation courante, l’huile, les lessives. Le café, par exemple, en ce moment, est un « luxe » si on veut, mais les gens en boivent beaucoup…

L’Algérie essaye d’exporter le plus possible, vers la Libye en particulier, et aussi vers d’autres pays arabes et africains, les produits qu’elle fabrique, des réfrigérateurs, des congélateurs, etc. Du coup, ceux qui restent pour la consommation intérieure sont à des prix absolument prohibitifs, ce qui alimente le mécontentement de la population. Ainsi, on sait que, avant même les émeutes d’octobre 1988, certains camions qui emportaient des produits vers l’étranger avaient été attaqués. Pour équilibrer le budget national, c’est donc la quadrature du cercle. Comme partout dans des situations semblables, il y a des gens qui spéculent, des gens qui ont tout parce qu’ils ont les moyens d’aller faire leurs courses en France. Alger n’est jamais qu’à deux heures d’avion de Paris !

Ce qu’il y a de plus terrible maintenant, c’est que les gens ne songent plus à changer la société, mais que chacun se demande comment il va pouvoir trafiquer (très rares sont les exceptions). C’est le cas par exemple des jeunes qui n’ont pas de travail, et qui trouvent des combines invraisemblables pour trafiquer sur tout, y compris sur les graines d’oiseaux qui coûtent, paraît-il, des prix astronomiques, et qui sont très recherchées par cette nouvelle bourgeoisie pour qui les oiseaux, comme d’autres animaux domestiques, sont devenus un signe de distinction sociale. Mais on trafique également sur les jeans, les tee shirt (tous les articles de Prisunic), et tout se vend à dix fois son prix, depuis les Mercedes importées jusqu’aux savonnettes Fa ! C’est un moyen de survivre pour les gens, et c’est pour cela que les jeunes ne protestent pas trop contre le chômage. Mais cela entraine une terrible dépolitisation, comme une perte de boussole !

Ce phénomène s’est même accentué depuis 1988, car les problèmes économiques n’ont pas du tout été résolus et la pseudo-démocratie qui existe maintenant n’offre pas vraiment de perspectives. Les gens ne croient plus à l’État et à ce qu’il raconte sur la démocratie. Il y a maintenant environ vingt-deux partis déclarés, et ce n’est pas ce qui suffira à redonner confiance. D’une façon générale, ils sont dégoûtés de la politique et les discours ne les intéressent plus. Donc, chacun se débrouille.

Cette absence de l’État et son discrédit se traduisent entre autres par la multiplication des grèves sauvages, dans tous les secteurs depuis 1987-1988, à tel point que la presse ne les rapporte même plus, à moins qu’elles ne prennent des proportions exceptionnelles.

• Dans ce contexte, quelle est la situation des femmes ?

Monique Gadant — Le premier problème qui touche presque toutes les femmes, c’est un problème quotidien : celui de l’eau. Il y a bien certains quartiers épargnés à Alger mais, comme par hasard, il s’agit de quartiers aisés. Mais le problème est tel en général que tout le monde parle de l’eau comme d’une personne : « elle est venue », « elle n’est pas venue », « on ne l’a pas vue depuis deux jours ». Son absence occupe constamment l’esprit. Ce problème se pose à certains privilégiés, à cette différence près qu’ils ont les moyens de se payer un réservoir et que cela change tout… Les autres passent leur temps à attendre l’eau et ne dorment plus parce qu’elle arrive généralement la nuit. Il faut guetter le glou-glou dans les tuyaux qui annonce son arrivée et, alors, il faut remplir les bassines, les traîner, laver les mômes, faire la lessive à n’importe quelle heure, conserver l’eau sale pour les toilettes. etc. De quoi devenir dingue, vraiment ! Combien de copines qui travaillent sont condamnées à mettre les seaux dans la baignoire, en laissant les robinets ouverts pour ne pas manquer l’arrivée de l’eau, au risque d’inonder les voisins… C’est l’horreur !

Un autre problème qui se pose à celles qui ont une situation aisée, c’est d’aller chercher les gosses à l’école. En effet, faute de place, tous les enfants n’ont pas le même horaire : certains vont à l’école le matin, d’autres l’après-midi. Et on passe beaucoup de temps à faire les courses. On passe son temps dans les transports pour profiter d’un arrivage, et on s’absente de son travail pour aller faire la queue…

Si tu es dans la situation la plus défavorable qui soit pour une femme en Algérie, si tu es veuve ou divorcée dans un petit logement insalubre dans un quartier populaire et que tu es femme de ménage, tu es obligée d’enfermer tes gosses à la maison si tu n’as personne pour les faire garder. Ce qui est souvent le cas aujourd’hui, parce que les femmes vivent souvent loin de leur mère. Sinon, tu peux les laisser dans la rue avec tous les risques, y compris les problèmes sexuels qui, dans les milieux défavorisés, deviennent catastrophiques : grossesses hors mariage avec abandons d’enfant, par exemple. C’est une plaie sociale terrible, parce que l’islam (et le Code de famille) ne reconnaît pas l’enfant naturel et interdit l’adoption. Non seulement il y a la honte, mais il y a aussi l’absence de reconnaissance juridique, et donc l’absence d’intégration sociale. Les abandons d’enfant et les infanticides se sont donc multipliés.

On touche ici à la difficile relation entre les hommes et les femmes, à la dévalorisation sociale des femmes, à leurs peu de droits, peu de moyens de les faire respecter.

• Et la prostitution ?

Monique Gadant — Celle qui est perceptible, et il ne faut pas généraliser, c’est une certaine forme de prostitution, celle de certaines veuves ou divorcées, qui sont femmes de ménage dans des administrations et qui gagnent très peu — autour de mille dinars (2) par mois — et qui ont une famille nombreuse à nourrir. Ces femmes seules des quartiers populaires sont en fait à la merci du premier baratineur venu…

Il s’agit là d’une prostitution qu’on pourrait appeler « occasionnelle », qui existe apparemment dans les bureaux ou les femmes gagnent très peu. Cadeaux et voyages de la part des chefs de service et de directeurs payent ce genre de services. Ce n’est pas négligeable, quand on sait que sortir d’Algérie est un véritable privilège, puisqu’il faut des devises…

• Comment s’explique le développement des intégristes musulmans ?

Monique Gadant — Il faut d’abord dire que les islamistes ne sont pas sortis du néant. Les propos qu’ils tiennent aujourd’hui en tant qu’organisation, je les ai déjà entendus au lendemain de l’indépendance. Mais c’était des propos tenus par des individus. En 1964, dans la période de préparation de la Charte d’Alger, au moment du 1er Congres du FLN, une mouvance de droite, religieuse, a commencé à s’organiser et a sorti un manifeste d’une dizaine de points. Ils ont également publié une revue en arabe et en français intitulée les Valeurs, qu’on pourrait caractériser comme intégriste. Les thèmes de prédilection des gens de ce courant étaient le sexe et l’alcool. Ben Bella a fait fermer des cafés. Ils souhaitaient par exemple que l’on puisse rentrer chez les gens pour vérifier qu’ils ne buvaient pas d’alcool ou voir s’ils vivaient avec une femme. Il ne faut pas oublier que l’Algérie a toujours été un pays extrêmement puritain et que le sexe et l’alcool y sont à la fois très tabous et très prisés, comme tout ce qui est interdit ! Ce qui ne veut pas dire non plus qu’on cautionne des mesures de contrôle violentes et autoritaires. Je me souviens personnellement que, lorsque Aït Ahmed (3) a été arrêté, des gens du FLN l’ont accusé à la radio d’avoir des caisses de bière dans sa cachette. Et cela avait valeur d’argument politique !

Quant au discours des islamistes aujourd’hui, ce qui me frappe, c’est qu’il n’est pas en rupture totale avec l’opinion. Au contraire, ils la flattent dans le sens du poil, et cela passe d’autant plus facilement qu’on est en période de crise, qu’il n’y a pas de travail pour tout le monde et qu’il est facile de raconter aux gens que, si les femmes ne travaillaient pas, il n’y aurait pas de chômage. Il y a par ailleurs un échec patent du système d’enseignement mis en place. Dans leurs discours, les islamistes disent que c’est la faute des femmes, qu’elles ne travaillent pas bien, qu’elles ne sont pas à la hauteur des hommes parce qu’elles manquent tout le temps. Donc, chassons les femmes de l’enseignement et des lieux de travail, et cela marchera mieux !

Il faut comprendre que la religion a été constamment manipulée par le discours politique, instrumentalisée par tous les courants politiques. L’islam est religion d’État et l’État a pense (c’était déjà vrai pendant la guerre) pouvoir détenir le monopole du discours politico-religieux progressiste et endiguer ainsi les courants d’opposition islamistes qui, eux aussi, s’expriment en référence à la religion. Tout le monde argumente au nom de l’islam en prétendant évidemment avoir la seule bonne interprétation !

Jusqu’à une période récente, personne n’a pu, n’a osé parler politique sans parler en même temps de religion. Même le Parti communiste d’Algérie, qui s’est reconstitué à l’indépendance et qui si se dit marxiste-léniniste, fait essentiellement référence à l’islam moderniste des oulémas des années trente et au personnage devenu mythique de Ben Badis, auquel tous les modernistes renvoient, sans jamais citer ses textes d’ailleurs. Ce n’est que depuis 1988 que des milieux politiques demandent la laïcité ; en particulier, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un parti qui a une large audience en Kabylie, l’a inscrite dans son programme. Depuis que Aït Ahmed est rentré en Algérie, il ne prononce pas explicitement le mot. A la radio, il a dit que l’islam est la religion de tous les Algériens et que cela ne pose aucun problème, mais qu’il ne faut pas mélanger politique et religion ; mais il n’a pas prononcé le mot de laïcité.

Pour éclairer la question, je dirai que, de son côté, la Ligue des droits de l’homme de Tunisie, lors d’un colloque qui s’est tenu à Paris en 1989, a argumenté de la manière suivante :

« On préfère ne pas parler de laïcité, parce que ce mot n’existe pas en arabe et que « laiqia », mot utilisé pour le traduire, signifie plutôt athéisme, lutte contre la religion. On lui préfère en arabe, donc, les termes de « modernisme », « rationalité ». »

Ce à quoi d’autres (M. Harbi et S. Nair) avaient en gros répondu :

« Il faut avoir le courage d’appeler un chat un chat, ou sinon on n’en sortira jamais. »

Aux partis de jouer le rôle pédagogique que leur assignait récemment Aït Ahmed !

♦ Mais, aujourd’hui, qu’est-ce qui explique l’audience nouvelle des intégristes ?

Monique Gadant — La crise économique, les difficultés matérielles, le chômage des jeunes (à Alger, on dit qu’ils « tiennent le mur ») y sont pour beaucoup. La tentative de modernisation a tourné court et les gens ne savent plus où ils vont. L’Occident leur semble de plus en plus riche, cet Occident qui les fascine et qu’ils haïssent tout à la fois. Il y a un effondrement des valeurs. Les gens du FIS (4) répondent à leur manière à un besoin, à une attente, à une angoisse face à l’avenir, face à la vie. Ils les sécurisent. Peu importe finalement que le leader du FIS soit nul… Par exemple, à la télévision, en mars dernier, il a confondu les dollars et les dinars quand il a parlé de la dette. Mais une telle bourde, qui saute aux yeux de certains et paraît grave, ne l’empêche nullement d’avoir une audience énorme auprès de la population chaque fois qu’il parle !

Les inégalités sociales sont présentées comme le fait de l’oubli de l’islam, et donc comme devant disparaître si on remoralise la société. Ce discours est plus écouté que des explications marxisantes.

Manifestation du FIS à Alger, le 20 avril

♦ Et les femmes, dans cette histoire ?

Monique Gadant — Il est clair que le discours du FIS est très misogyne sur le fond ; mais, lorsqu’il déclare que les femmes doivent rester à la maison pour faire ce qu’il y a de plus précieux dans l’islam, de bons musulmans, cela peut être perçu comme valorisant par certaines femmes. Le programme du FIS dit d’ailleurs clairement que les femmes doivent être rétribuées pour cela, selon leur compétence. Quel sera le critère de la compétence ? La fidélité à l’islam, certainement. Le travail des femmes au foyer doit être, selon leurs termes, « rétribué comme le travail d’un ouvrier d’usine ». Une formule qui peut en séduire plus d’une qui se bat avec la vie chère !

Par ailleurs, dans les villes, les femmes se sentent constamment menacées par les dragueurs. Dans un village ou un bourg où tout le monde se connait, il y a une « sécurité » maximale pour les filles, dans la mesure où on est toujours la fille ou la femme d’Untel, et où il ne viendrait à l’esprit d’aucun homme d’agresser la fille ou la femme d’Untel, parce qu’il y a des règles d’« honneur » entre hommes. En ville, une femme n’est rien. Personne ne la connaît et le dragueur n’est connu de personne…

Cette insécurité sexuelle pour les femmes favorise le port du costume islamique, même s’il y a différentes manières de le faire. Avec le hidjab, la femme se présente comme une « sœur ». Certaines vivent le port du costume islamique comme un véritable engagement. Elles vont à la mosquée et se sentent respectées parce qu’il y a une nouvelle fraternité. D’autres le portent de manière instrumentale en se disant « Ainsi, les types me foutent la paix ! » Et il y a aussi maintenant un phénomène de mode. Pas mal de filles mettent une certaine coquetterie à porter le hidjab, en se l’attachant avec des perles, par exemple. On peut se rendre compte de l’audience des islamistes en assistant aux sorties de mosquées, surtout à la prière du vendredi. Il y a énormément de femmes jeunes, voilées, certaines en tchador noir à l’iranienne, entre vingt et trente ans. Récemment, à la sortie de la mosquée de la Sunnah, à Alger, fief du célèbre imam Belhadj, il y avait pratiquement la moitié de femmes.

La doctrine pour les femmes du Front islamique de salut

Le lieu des femmes : l’intérieur : « Le lieu naturel de la femme est le foyer. (…) Si nous sommes dans une société islamique véritable, la femme n’est pas destinée à travailler. Ainsi elle ne quitte pas son foyer afin de se consacrer à la grandiose mission de l’éducation des hommes. (…) La femme est une productrice d’hommes, elle ne produit pas de biens matériels, mais cette chose essentielle qu’est le musulman. Scientifiquement, il est admis qu’il est impossible à une femme de concilier son travail et ses obligations. »

Une rémunération pour les mères de famille : « Prendre soin de la mère qui élève les enfants. Il faut qu’elle soit soutenue — en cas de nécessité — par une aide adéquate, et qu’on lui donne une pension de maternité, car son travail à la maison doit être légitimement considéré comme une fonction sociale et éducative lui donnant droit à une pension au même titre que l’ouvrier qui perçoit un salaire pour son travail à l’usine ou dans les champs. »

Contre la mixité : « Dans nos institutions scolaires et universitaires, est-il admissible d’autoriser la mixité ? C’est contraire à la morale islamique. Il faut séparer les filles des garçons (…) et consacrer des établissements à chaque sexe. Par ailleurs, laisser un homme et une femme travailler dans un même bureau est en contradiction avec notre morale. »
Ces citations sont tirées de l’article de R. Abdelkrim-Chikh, « Les enjeux politiques et symboliques de la lutte des femmes pour l’égalité entre les sexes en Algérie » in Peuples méditerranéens n° 48-49, juillet-décembre 1989.

Les gens du FIS prétendent remoraliser la société et, dans cette entreprise qui répond à un besoin, ils apprennent aux gens à vivre dans la ville comme des individus. Ce n’est plus la morale du bled. Si tu es respectée, ce n’est pas parce que tu es la fille d’Untel, mais parce que tu es croyante. Jusqu’à maintenant, aucun parti politique n’avait réussi à valoriser l’individu comme ils le font. La plupart des gens de gauche considèrent le FIS comme un mouvement complètement archaïque, moyenâgeux. Mais, dans un sens, c’est un mouvement « actuel », même s’il fait appel à la tradition. Les islamistes vont jusqu’à bafouer l’autorité des parents sur les enfants en organisant des mariages entre gens du FIS, au grand dam des parents qui voudraient continuer à marier de force leurs enfants. Là encore, ils bousculent la morale de clocher, la morale familiale, au nom d’un idéal plus universaliste, en tout cas au niveau de la communauté islamique. Entre musulmans, on se respecte et on peut même sortir en couple islamiste dans la rue, dans la mesure où le vêtement islamique, en quelque sorte, te « purifie » aux yeux des autres, tandis qu’un couple habillé à l’occidentale évoque tout de suite la sexualité…

En fait, ce qui n’a jamais bien « pris » en Algérie, c’est une morale moderne venant de gens dits « occidentalisés ». Ce qui fait que tant d’intellectuels progressistes, femmes comprises, se sentent coupés de leur société. La morale « moderne » des islamistes montre la faillite de tout ce qui pouvait être appelé, à tort ou à raison, « occidentalisation »… C’est un mot qui est manipulé, bien au-delà des milieux islamistes, comme un mythe identitaire a contrario. A charge aux femmes d’incarner l’identité nationale.

Mais il y a aussi le revers de leur politique. En 1989, une responsable d’association de femmes qui n’a pas peur des mots a osé déclarer dans une réunion publique que « si les hommes ont droit à quatre femmes, pourquoi les femmes n ‘auraient-elles pas droit à quatre hommes » ? Dès le lendemain, il était écrit dans un quotidien en arabe : « Les femmes demandent quatre hommes. » Et, depuis, les islamistes font courir le bruit que les femmes qui descendent dans la rue sont des femmes qui veulent quatre hommes. Et certains les croient ! On entretient ainsi le fantasme que les femmes voudraient revenir à la période d’avant l’islam, à l’anarchie au sens plein du terme (la djahiliyya) !

Cela n’empêche pas le porte-parole du FIS, lorsqu’il est invité a la télé, face à des représentantes du mouvement des femmes, de prendre un ton gentil et conciliant. Il y a donc bien deux langages : celui qu’on tient entre soi (« on va tuer tous les communistes », le mot « communiste » désignant tout et n’importe quoi ; ainsi, dans certains prêches, on dit que « la démocratie, c’est le communisme », que « la démocratie, c’est péché » !) ; et puis il y a ce que Abassi Madani dit publiquement, et qui semble conciliant.

♦ Quelle est leur intervention dans les quartiers ?

Monique Gadant — Il y a une véritable prise en charge des quartiers populaires ou des cités universitaires par les islamistes. Ils se sont substitués à l’État en comblant certaines carences pour y faire régner l’ordre, en faisant la police là où ils sont bien implantés. Pour cela, il suffit d’avoir des militants qui vont passer la nuit à monter la garde et prévenir d’éventuelles agressions dans le quartier, qui vont surveiller les débits de boissons pour contrôler qu’on n’y boit pas d’alcool, éventuellement faire fermer les établissements en « infraction », surveiller également la circulation de la drogue, contrôler la non-mixité en cité universitaire. Cela ne coûte rien, si tant est que cela soit réellement fait sans rétribution. Or, il semblerait, d’après ce qu’on m’a dit, qu’ils donnent un petit pécule aux jeunes qui acceptent de faire ce genre de boulot. Étant donné les difficultés économiques, ce n’est pas rien, et alors il faut bien se demander où ils prennent l’argent.

Ce qui est sûr, c’est que la mosquée de Kouba, qu’on a montrée ici à la télévision, est pleine de ravitaillement. Ils ont les moyens de distribuer gratuitement l’huile, le savon, la semoule, les couvertures. etc., aux nécessiteux, pratiquement une fois par semaine ! Et il n’y a certainement pas que la mosquée de Kouba qui procède ainsi. Ils font, paraît-il, aussi des distributions de dons à Bab el Oued, où ils sont très implantés. Et, dans la région de Tipaza, à cent kilomètres d’Alger, au moment du tremblement de terre, fin octobre 1989, ils se sont rendus immédiatement sur les lieux avec des moyens considérables en grues, tracteurs, etc., tout ce qu’il fallait pour déblayer les décombres, sans compter le pain qu’ils ont apporté par camions entiers.

Depuis un an, au moins, ils passent aussi dans les cités HLM pour proposer très gentiment des vêtements islamiques, qu’ils distribuent gratuitement. Il faut avoir le culot de ne pas les porter, ensuite ! Cela aussi coûte de l’argent. En Algérie, beaucoup de gens suggèrent qu’ils sont financés par l’Arabie saoudite. C’est très possible.

• Peux-tu nous parler du mouvement des femmes ?

Monique Gadant — La plupart des femmes qui sont les leaders de ce mouvement ont entre trente et quarante ans et sont souvent issues de milieux aisés. Elles ont fait des études secondaires et des études supérieures après l’indépendance, dans les années soixante, donc avant le déploiement de l’arabisation. Beaucoup ont connu le marxisme et, en tout cas, vécu l’ère des années soixante-dix qui a connu les espoirs du tiers monde anti-impérialiste et… même de loin, même s’il est mal connu, le féminisme. Ces femmes sont donc extrêmement sensibles à la question de l’égalité juridique et professionnelle.

Mais la société a changé, et il y a comme une coupure entre générations, avec les filles qui ont quinze ou vingt ans de moins qu’elles, qui sont passées par l’arabisation au cours de leurs études. Il n’est pas impossible que ces dernières constituent la base d’un futur mouvement de femmes islamistes. En tout cas, les gens du FIS s’activent dans ce sens.

Je pense à la manifestation de décembre dernier, à Alger, où ils ont fait prendre la parole à trois femmes, malgré les sifflets des hommes présents. L’une a parlé en arabe, l’autre en français, la troisième en kabyle. Ils veulent, comme les autres partis politiques, avoir plus ou moins
« leur » association de femmes. Ils sont en train de fonder des instituts islamiques pour les femmes et, à mon avis, d’ici quelques années, il y aura des femmes islamistes (comme en Égypte ou en Turquie) qui vont prendre elles-mêmes la parole et tiendront une place dans le mouvement islamiste.

• Comment caractériser le mouvement des femmes en Algérie ?

Monique Gadant — Il y a d’abord un problème d’étiquette. Dans les différentes associations, il y a de très nombreuses femmes qui déclarent d’emblée qu’elles ne sont pas féministes. A mon avis, la question est posée de savoir si on a vraiment affaire, comme on semble le croire ici, à un mouvement féministe. Est-ce qu’il ne s’inscrit pas plutôt dans une volonté de modernisation et de démocratisation de la société, au point que certains hommes peuvent se reconnaître un certain nombre de devoirs (ou de droits !) vis-à-vis de ce mouvement. Certains, très rares, vont même jusqu’à manifester avec les femmes dans la rue, au risque de se faire insulter. Mais ils sont plus nombreux à se contenter de faire de la propagande pour ce mouvement tout en déclarant qu’ils ont horreur des féministes (censées avoir les hommes pour ennemis ; il ne s’agit donc pas des femmes des associations).

On peut se demander si un mouvement qui se contente de réclamer l’égalité des droits est en effet féministe. Au sein de ce mouvement, aucune analyse ne vient remettre en cause la relation de sexe comme rapport social, ou alors ce n’est le fait que de quelques femmes isolées. Il n’y émerge aucune critique du privé.

Ce n’est qu’après octobre 1988 que les trois principales associations ont pu se constituer officiellement sur Alger, même si l’une d’entre elles revendique son existence depuis 1985 (elle avait demandé son habilitation sans être agréée). Elles sont divisées par rapport au Code de la famille, qui est leur principal sujet de revendication. L’une, liée au PAGS (PC algérien), est pour une politique d’amendements du Code ; les deux autres, liées à différents mouvements trotskystes, sont pour sa suppression. Le problème, à mon avis, c’est que toutes demeurent l’enjeu des partis politiques. Seule l’Association pour l’indépendance et le triomphe des droits des femmes, qui vient de naître d’une scission, revendique son autonomie vis-à-vis d’« un » parti, sans le nommer.

Mais, dans le contexte actuel de l’Algérie, toutes ces associations drainent bien au-delà de l’étiquette politique qu’on pourrait leur attribuer, et de très nombreuses femmes les rejoignent parce que l’objectif leur convient, un point c’est tout. Elles se fichent complètement de savoir quels sont leurs rapports avec les organisations politiques.

Mais revenons au rôle des moudjahidates (5). Quand on parle des mobilisations de femmes en Algérie, on évoque toujours leur rôle, comme si elles constituaient un groupe homogène en faveur des droits des femmes et de leur émancipation. C’est faux, et cela ne rime à rien de dire que « les moudjahidates ont fait ceci, cela ». Chacun, partis ou associations, les utilise comme caution. Mais on retrouve parmi les moudjahidates toutes les tendances politiques actuelles…

• D’après toi, quelles pourraient être les références d’un mouvement féministe en Algérie ?

Monique Gadant — C’est très difficile à dire quand on n’est pas sur place et qu’on n’est pas soi-même immédiatement impliquée. Demander l’égalité des droits, c’est-à-dire l’égalité formelle avec les hommes, dans une société sans état de droit, n’est évidemment pas dérisoire. C’est exiger la citoyenneté. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, qu’on puisse aller plus loin aujourd’hui en Algérie. Mais, même en se limitant à la lutte pour l’égalité des droits, je crois vraiment qu’il serait de l’intérêt des femmes qu’elles se débarrassent de la tutelle des partis et qu’elles travaillent à donner un contenu à cette revendication, sans subir les tabous et les interdits des partis qui intègrent la question des femmes à leur propre stratégie politique, sans qu’elles aient elle-mêmes la maîtrise de cette stratégie. Et je ne crois pas me tromper en disant que c’est la censure des partis qui les paralyse. N’est-il pas étonnant, par exemple, que, alors que cette demande d’égalité existe depuis dix ans maintenant, les critiques au Code de la famille n’aient débouché sur aucun contre-projet ? On ne peut se retrouver simplement dans la situation d’avant 1984.

Cette démarche d’égalité pose en fait la question du rôle et de la place de la religion dans la vie politique et sociale. Le mouvement des femmes pourrait aboutir à une réflexion intéressante sur la culture, la religion et, même, la place de l’un et l’autre sexes dans la société. Au lieu de cela, on en reste à un mot d’ordre vide de contenu.

Cela affaiblit terriblement le mouvement des femmes, parce qu’on peut dès lors les attaquer en disant qu’elles sont « occidentalisées », qu’elles sont « contre la religion ». Les partis politiques en tant que tels ou en tant qu’hommes ont tout intérêt à enfoncer dans le crâne des femmes que, si c’est ainsi en Algérie, c’est parce que c’est une société archaïque qu’il faut moderniser. Cela fait cinquante ans qu’ils racontent cela. On compare l’Algérie à la France et à l’Europe, et ils se disent qu’ils sont vraiment des « gens en retard ». La solution serait selon eux de « moderniser » la société, et tout le monde y gagnerait, les hommes comme les femmes. Mais il ne faudrait surtout pas aller plus loin.

Le mouvement des femmes doit approfondir sa réflexion et expliquer que les problèmes des femmes ne résultent pas d’un archaïsme de la société, mais d’un rapport social de sexe.

♦ Et quel est le climat politique aujourd’hui ?

Monique Gadant — J’ai reçu des lettres de femmes paniquées dont une disait :

« Pour moi, c’est fini mais ma fille, qu’est-ce qu’elle va devenir ? Je suis en train de réaliser que je ne pourrai jamais plus mettre de robe de couleur à ma fille. »

J’espère qu’elles ont tort d’être pessimistes, malgré tout.

Propos recueillis par Claire Bataille


1. Peuples méditerranéens n° 48-49, « Femmes et pouvoir », Actes du colloque « Les femmes et le politique » (février 1989), clôturant un programme de recherche de trois ans à l’Institut de recherche et d’étude sur le monde arabo-musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence, sur le thème « Femmes, temps et argent dans le monde arabo-musulman » (FTAMA), dont M. Gadant était responsable. Une table ronde tenue dans le cadre de ce programme en novembre 1986 est en cours d’impression et sortira sous peu : « Femmes maghrébines au présent (la dot, le travail, l’identité) », CNRS-Marseille.

2. Un dinar algérien vaut 0,70 F.

3. Aït Ahmed : leader historique du FLN. A été réprimé et condamné à l’exil jusqu’à la fin de 1989. Il est maintenant de retour et est à la tête du Front des forces socialistes (FFS), qui a pris position en faveur des droits égaux pour les femmes.

4. Front islamique de salut (FIS) : principale organisation islamiste, dirigée par Abbassi Madani.

5. Moudjahidates : femmes combattantes pendant la guerre de libération nationale.


Retours en arrière

A la suite de l’interview d’une féministe algérienne, Nawal, que nous avions publiée dans notre n° 50 (automne 1989), Monique Gadant nous a envoyé le rectificatif suivant :

« Les propos d’une militante algérienne recueillis par Natacha Brink, « Les premiers pas du mouvement des femmes », m’ont intéressée. Ils m’amènent cependant à faire quelques remarques. Prenant prétexte d’un consensus de façade, depuis l’indépendance (1962), l’État algérien et son parti unique, le FIN, ont totalement occulté l’histoire de la guerre de libération d’abord, puis de la vie politique et sociale depuis 1962. Les noms des présidents de la République, Ben Bella (1962-1965). Boumediene (1965-1978), commencent seulement à émerger de l’obscurité. Chacune, chacun voit sa connaissance du passe réduite à la mémoire individuelle, ce qui est court dans un pays ou plus de 60 % de la population a moins de vingt ans. Que dire alors de l’histoire des femmes ?… Contrairement à ce que dit Nawal, je ne pense pas que le fait que les femmes algériennes aient été partie prenante de la lutte pour l’indépendance a eu pour conséquence qu’elles soient « sorties » de la sphère domestique et qu’il ait fallu, en 1962, les « forcer » à y rentrer. Il me semble que c’est à ce moment-là qu’on ne leur a pas donné les moyens, la paix venue, d’en sortir — avec ou sans voile. Très peu, en effet, en étaient « sorties », même pour les besoins de la lutte.* Mais, comme le dit Nawal, on peut en discuter…

« En revanche, elle se trompe sans aucun doute lorsqu’elle dit :

« Elles ont continué à sortir [i. e. après 1962] dans la rue pour participer à des manifestations. Le pouvoir a alors tenté de les contraindre à retourner au foyer : elles ont refusé, en organisant une manifestation massive en 1963 contre le port du voile obligatoire. »

Une telle manifestation n’a jamais eu lieu.

« La seule manifestation massive de femmes qui ait eu lieu est celle du 8 mars 1965. Répondant aux mots d’ordre de l’Union nationale des femmes algériennes (UNFA, dépendant du FLN) mais les débordant largement, plusieurs milliers de femmes voilées, majoritairement de condition modeste, ont parcouru Alger pour finir au cinéma le Majestic, à l’entrée de Bab el Oued, où elles ne purent toutes entrer. Ben Bella leur fit une belle allocution sur la nécessité de prendre leur sort en main, disant que le FLN les aiderait…

« Cette importante manifestation succédait immédiatement à une campagne de presse qui avait été impulsée, si on peut dire, par des tentatives de suicide de jeunes filles pour cause de mariage forcé, rendues publiques par l’émission « Voix des jeunes », de Fadela M’Rabet et Maurice T. Maschino. Les photos de cette manifestation sont dans la presse de l’époque : les femmes sans voile sont exceptionnelles. Le mouvement venait des milieux populaires, et la question « voile ou non » ne se posait pas à la masse des femmes, du moins liée à leurs aspirations à une vie meilleure. De plus, toutes les femmes, voilées ou non, avaient alors en mémoire les « dévoilements » organisés par le général Massu pendant les mascarades de « fraternisation » de 1958.

« Si le voile a pu être, pendant la guerre, un signe d’appartenance nationale, un symbole patriotique, le FLN ne l’a jamais rendu obligatoire, ni avant 1962, ni après. Ben Bella avait même dit dans son discours du 1er mai 1963, s’adressant aux hommes :

« Ce n’est pas le voile qui gardera vos femmes mais la révolution. »

Belles paroles dont on peut aussi discuter…

« Enfin, je voudrais dire que les jeunes associations dont parle Nawal, nées depuis octobre 1988, ne sont pas les « premiers pas du mouvement des femmes » . (« Depuis octobre 1988 et l’apparition de ces associations, on parle de la question femmes en Algérie. ») Or, il y a eu depuis la fin des années soixante-dix, et surtout de 1981 à 1983, une mobilisation des femmes contre le projet de Code de la famille qui a suscité plusieurs manifestations à Alger ; des « Journées d’études sur les femmes algériennes » ont été organisées en 1981 à Oran (les actes en ont été publiés par le CDSH d’Oran). Les traces de tout cela sont-elles déjà effacées ?

Monique Gadant


* Voir l’interview de Mohammed Harbi (ancien dirigeant du FLN) par Christiane Dufrancatel, dans les Révoltes logiques, n° 11, 1980 : « Les femmes dans la révolution algérienne ».


Le défi des féministes algériennes

Le 8 Mars dernier, plus de dix mille femmes manifestaient à Alger, brandissant des dizaines de pancartes et de banderoles. Quelques semaines plus tard, elles étaient à nouveau très nombreuses dans la manifestation du 1er Mai, dynamisant le cortège par leurs slogans et leurs chants. Et, le 10 mai, elles constituaient un tiers de l’immense manifestation de cent mille personnes qui envahit les rues d’Alger pour défendre la démocratie et dénoncer le péril intégriste. Depuis les événements d’octobre 1988, les femmes algériennes et les associations de femmes sont présentes dans toutes les luttes. Elles ont même été parmi les premières à mettre directement en cause les mouvements islamistes.

Premières cibles des intégristes, les femmes sont en effet condamnées à réagir, sous peine de voir se multiplier les agressions violentes qui ont déjà frappé plusieurs d’entre elles (voir encadré) et d’être condamnées à une réclusion totale dans la famille. Ces violences ne sont pas seulement le fait des « barbus », les militants islamistes du FIS.

Elles sont aussi, souvent, le fait de jeunes, chômeurs désœuvrés, de plus en plus sensibles aux sirènes intégristes :

« Ces jeunes en mal de vivre et qui ne s’acceptent pas eux-mêmes sont influencés par les discours misogynes entendus à la télé, à la radio, dans les mosquées, explique Farida, membre d’une association de femmes de Constantine. Les agressions sont multiples : il n’est pas rare qu’une femme s’entende dire par un jeune, dans la rue ou dans le bus : « Rentre chez toi ! » Pas étonnant, quand partout on présente celles qui travaillent comme des « voleuses d’emploi »… Les gifles, les tentatives de viol, ces violences autrefois cachées se font maintenant en plein jour : c’est nouveau et cela témoigne de la crise, de l’état de décomposition de la société algérienne et de l’incurie du gouvernement qui laisse faire, ne réagit pas. C’est sur ce terreau que les intégristes du FIS se construisent. »

Mais les mobilisations des Algériennes ne se réduisent pas à des luttes défensives. Elles luttent de façon tout aussi résolue contre le gouvernement, pour imposer des droits « élémentaires » dont elles restent à ce jour privées : le droit d’être des « citoyennes à part entière » — puisque le Code de la famille adopté en 1984 fait d’elles d’éternelles mineures (voir encadré) —, le droit à l’instruction, le droit au travail.

Halte aux violences !
La recrudescence de la violence contre les femmes n’est pas fortuite, mais traduit au contraire l’emprise grandissante des organisations intégristes sur la société algérienne et l’exaspération de leurs militants face au développement des luttes de femmes ces deux dernières années. Des faits resteront dans les mémoires :

* Juin 1989, à Ouargla : la maison d’une femme vivant seule avec ses enfants est incendiée pendant la nuit ; son fils meurt.
* Été 1989, à Blida des militants intégristes empêchent par la force des étudiantes de la cité universitaire de sortir le soir.
* Début novembre 1989, à Mascara une jeune infirmière est grièvement blessée par son frère parce qu’elle voulait continuer à exercer son métier malgré l’opposition de celui-ci.
* Le 21 novembre, à Annaba : le domicile d’une enseignante, militante de l’Association pour l’émancipation de la femme, est incendie par des intégristes ; l’attaque est claire, puisqu’on peut lire sur les murs de sa maison : « Espèces de salopes, vous voulez le pouvoir. »
* Début avril 1990, à Blida une étudiante membre du Parti communiste, mais qui portait la tenue islamique, a été fouettée au ceinturon par un commando d’intégristes alors qu’elle se rendait à une réunion de son parti.
* Le 8 avril dernier, à Bou-Saada : un groupe de fanatiques islamistes a brûlé et saccagé les maisons de cinq femmes veuves ou divorcées.
Solidarité avec les femmes algériennes !

Ces luttes ne sont d’ailleurs pas nouvelles : le mouvement des femmes algériennes a déjà toute une histoire derrière lui. Une histoire plus ou moins souterraine — en l’absence de possibilité d’expression légale, les femmes des milieux intellectuels avaient pris l’habitude, dans les années quatre-vingt, de se regrouper autour d’activités culturelles de type ciné-clubs —, mais marquée par de brusques jaillissements. Ainsi, lorsqu’en 1981 une circulaire gouvernementale prétendit imposer aux femmes, pour toute sortie du territoire, une autorisation de leur père ou de leur mari, le gouvernement dut rapidement faire machine arrière devant la mobilisation suscitée par ce texte.

A la fin de la même année, la discussion à l’Assemblée nationale du projet de Code famille (en gestation depuis de nombreuses années) suscita à nouveau l’opposition de nombreuses femmes. Une pétition signée par dix mille personnes fut déposée à l’Assemblée et, le 23 décembre 1981, près de trois cents femmes manifestèrent à Alger contre ce projet qui légalisait leur mise sous tutelle. Leur détermination faisait dire à certains des hommes présents ce jour-là : « Regardez, les femmes osent et nous nous n’osons pas ! » (1)

Ce n’est qu’en 1984, dans une période de reflux général de la mobilisation, que ce Code sera adopté.

Autour de l’avant-projet du Code de la famille
Déclaration de Mohammed Harbi

« La question la plus refoulée depuis vingt ans d’indépendance de l’Algérie, la place de la femme dans la société, est à l’ordre du jour. Après une dizaine d’années de tergiversations, de zigzags et de rumeurs répandues et désavouées, le Conseil des ministres vient enfin d’adopter un avant-projet de statut personnel (dit Code de la famille) dont le but est publiquement et officiellement annoncé : faire de la femme un être inférieur. Cette décision totalitaire est une honte pour l’Algérie et une insulte à la mémoire de toutes les femmes tombées les armes à la main dans la lutte contre le colonialisme. Comme dans le cas d’autres problèmes de société, par exemple la question culturelle, ce sont les principales intéressées, les femmes, qui ont les premières réagi à l’initiative gouvernementale.

« L’Union de la gauche socialiste salue l’entrée en scène du mouvement des femmes. Quelles que soient ses limites présentes, ses difficultés, les tentatives d’en brider le dynamisme au nom de prétendues priorités, ce mouvement est promis à un avenir certain. La solidarité à son égard est un critère déterminant dans la démarcation entre les forces de la démocratie et celles de l’obscurantisme. Il est donc du devoir de tous les socialistes de l’appuyer et de l’aider.

« Par définition, le mouvement féministe est de composition interclassiste. Son objectif est la lutte contre la subordination des femmes à l’égard des hommes dans la vie politique, dans le travail, le mariage, le couple et la sexualité. Chacun sait que la femme en Algérie n’est ni en droit ni en faits l’égale de l’homme. Chacun sait que la société masculine dans son écrasante majorité, y compris à gauche, ne la considère que comme un bien et un objet sexuel. Chacun sait enfin que les droits économiques qui sont reconnus à la femme par les textes sont contournés et rarement respectés.

« En définitive, la religion n’est invoquée que pour maintenir la domination des hommes sur les femmes. Ce scandale doit cesser. Mais pour écourter le chemin qui mène au succès, il est indispensable que les socialistes algériens admettent sans réserve l’autonomie et la spécificité du mouvement féministe. Si sa jonction avec les forces démocratiques et socialistes est nécessaire pour son progrès et son aboutissement, il n’est possible d’y parvenir qu’en respectant le principe de l’autogestion des luttes. Il est donc erroné de demander aux femmes d’identifier leur démarche à celle des groupes oppositionnels ou de subordonner leurs buts à ceux du mouvement ouvrier. Le mouvement féministe ne peut être qu’un allié à part entiers au sein d’un rassemblement politico-social de type démocratique.

« L’UGS condamne fermement toute tentative de hiérarchisation des luttes comme un frein au regroupement des femmes, à l’élargissement et à la cohésion de leur mouvement. Elle appelle tous les démocrates et socialistes à lutter non pour l’aménagement « démocratique » de ce code de la honte, ce qui serait le témoignage d’une hypocrisie inavouée, mais bien pour son retrait pur et simple. L’UGS s’engage à populariser les revendications des femmes, à soutenir leur droit à la libération sociale et individuelle telle qu’elles-mêmes la définissent et veulent la réaliser. La lutte pour l’émancipation sociale en Algérie passe par le combat pour l’auto-émancipation des femmes. »
Le 13 décembre 1981,
Union de la gauche socialiste
(déclaration communiquée par Mohammed Harbi)

Les femmes s’organisent…

L’activité des associations de femmes, aujourd’hui, s’inscrit dans le climat d’effervescence sociale, politique, culturelle que connaît l’Algérie depuis le soulèvement d’octobre 1988. L’introduction du multipartisme, en 1989, a permis la légalisation de ces associations (2). En l’espace de quelques mois, de nombreuses organisations ont ainsi vu le jour, tant à Alger que dans les autres grandes villes. Fin mars, on en comptait quatorze, sans parler des nombreux collectif, formés ici ou là.

Cette multiplicité d’associations montre la diversité de ce mouvement et sa richesse. Mais elle constitue en même temps un facteur de vulnérabilité, par la difficulté à organiser des ripostes concertées et par l’image de division qu’offrent souvent ces associations à l’extérieur :

« La plupart des femmes qui sont à l’origine de ces associations, explique Farida, ont un passé de militantisme, dans la mouvance féministe, dans les syndicats étudiants ou dans des partis. Le degré de politisation est d’autant plus important que plusieurs de ces associations ont été créées par des militantes d’organisations politiques de gauche ou d’extrême-gauche [voir encadré]. Cette division se double de divergences d’analyse : les unes mettent essentiellement l’accent sur la bataille juridique, le changement des lois ; d’autres insistent davantage sur la dégradation de la situation concrète des femmes — au travail, dans la famille, dans la rue — et sur les « lois non écrites » qui régissent les rapports sociaux. Tout cela freine le rapprochement entre les associations et suscite la défiance de nombreuses femmes qui craignent l’hégémonie d’un courant politique et la subordination du mouvement des femmes aux partis politiques. »

Défiance très compréhensible, surtout dans un pays où les organisations de masse, telle l’Union nationale des femmes algériennes (UNFA), n’ont jamais eu aucune autonomie par rapport au au FLN, parti unique jusqu’en 1989…

Mais les divergences d’analyse et les différences d’origine peuvent-elles justifier le maintien de l’éclatement actuel ? D’autant qu’il est facile d’imaginer la difficulté, pour une grande majorité des femmes, à se situer par rapport aux positions des différentes associations, à choisir entre le programme des unes et des autres… Cela ne peut que retarder le développement d’un large mouvement et l’organisation d’une réponse nationale à la menace intégriste.

Code de la famille algérien (extraits)
Article 8 — II est permis de contracter mariage avec plus d’une épouse si le motif est justifié, les conditions et l’intention d’équité réunies (…).
Article 11 — La conclusion du mariage pour la femme incombe à son tuteur matrimonial qui est soit son père, soit l’un de ses proches parents.
Article 31 — La musulmane ne peut épouser un non-musulman.
Article 37 — Le mari est tenu de subvenir à l’entretien de l’épouse (…) ; d’agir en toute équité envers ses épouses s’il en a plus d’une.
Article 39 — L’épouse est tenue d’obéir à son mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille.
Article 46 — L’adoption est interdite par la chari’a et la loi.
Article 48 — Le divorce est la dissolution du mariage. Il intervient par la volonté de l’époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l’épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54.
Article 53 — Il est permis à l’épouse de demander le divorce pour les causes ci-après (…) pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage ; pour refus de l’époux de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois ; pour condamnation du mari à une peine infamante privative de liberté pour une période dépassant une année.
Article 75 — Le père est tenu de subvenir à l’entretien de son enfant ; pour les enfants mâles, l’entretien est dû jusqu’à leur majorité, pour les filles jusqu’à la consommation du mariage.
Article 87 — Le père est tuteur de ses enfants mineurs. A son décès, l’exercice de la tutelle revient à la mère de plein droit.

Fort heureusement, devant la multiplication des agressions, un rapprochement a commencé à s’opérer. A la suite du rassemblement du 2 juillet 1989, appelé par plusieurs associations pour protester contre l’incendie criminel de Ouargla, plusieurs réunions eurent lieu durant l’été, au local de la Ligue des droits de l’homme, réunissant toutes les associations ainsi que des femmes non organisées. L’idée d’une coordination fut alors avancée. Cela déboucha sur l’organisation de journées d’étude, le 30 novembre et le 1er décembre derniers :

« Nous étions environ un millier, étonnées et heureuses de nous retrouver aussi nombreuses, raconte Farida. Malheureusement, il y avait peu de jeunes ; l’âge moyen était de trente-cinq ans. Celte rencontre a permis des débats intéressants sur le Code de la famille et sur toutes les lois non écrites. Elle s’est terminée par l’adoption d’une plate forme commune. Mais les perspectives sur l’avenir de la coordination sont restées floues, pour ne pas dire inexistantes. Or, la nécessité de dépasser la cartellisation pour construire un mouvement de femmes unitaire, avec toutes les garanties démocratiques en son sein, auquel n’importe quelle femme puisse adhérer sans avoir à choisir entre des problématiques différentes, est un enjeu de taille face aux attaques qui menacent les femmes algériennes. »

8 mars 1990, à Alger

L’offensive intégriste dans l’enseignement

Dans le contexte de crise économique qui frappe l’Algérie, la situation des femmes au travail ne cesse de se dégrader licenciements, discriminations à l’embauche. Avec l’extension de la paupérisation, les femmes sont confrontées à des problèmes quotidiens insurmontables tels que le manque d’eau, de nourriture, et doivent gérer au plus près le maigre budget familial.

Dans l’enseignement, également, la situation se dégrade. Les intégristes, qui sont déjà bien implantés dans les établissements scolaires, en ont fait un enjeu important et sont à l’offensive sur la question de la mixité. Ils se sont ainsi engouffrés dans le débat lancé l’année dernière par le gouvernement sur la réforme de l’enseignement, en mettant sur pied une « commission de suivi » et en rédigeant une plate-forme revendicative dans laquelle, à côté de revendications socio-professionnelles sur les salaires et la titularisation, ils ont mis en avant leurs propres solutions à la crise de l’enseignement : suppression de la mixité (dans les classes, les cantines, les transports publics), abandon du bilinguisme, rapports privilégiés avec l’Orient (notamment en n’octroyant les bourses à l’étranger que pour les pays orientaux). Ils demandent enfin la retraite anticipée pour les enseignantes, responsables à leurs yeux, par leur « absentéisme », des mauvais résultats scolaires…

Dans certaines villes, les intégristes ont déjà commencé à mettre en pratique la suppression de la mixité. A Médéa par exemple, ils ont maintenu les garçons dans le collège proche des lieux d’habitation et exigé que les filles se rendent dans un autre, distant de trois kilomètres. On imagine bien ce que cela signifie dans un pays où les familles craignent pour la sécurité de leurs filles : les parents étaient prêts à leur faire cesser leur scolarité.

Depuis, les islamistes ont nuancé leur discours et acceptent l’école mixte, mais à condition que les classes ne le soient pas ou que, dans une même classe, les filles et les garçons ne soient pas assis côte à côte…

Face à cela, les réactions restent bien timides. Aussi, lorsque les intégristes lancèrent un appel à la gréve, en octobre, les enseignants, bien que n’ayant pas été consultés sur le contenu des revendications, suivirent cet appel, avant tout pour protester contre leurs conditions de travail désastreuses. Seules quelques enseignantes ont contesté le caractère antidémocratique de la grève et, surtout, les conclusions du rapport final sur la reforme scolaire qui désignaient le bilinguisme, la mixité et l’absentéisme des enseignantes comme responsables de la crise du système éducatif.

Il y a aussi des femmes islamistes…

Face au mouvement de femmes naissant, les intégristes ont commencé à organiser les femmes islamistes. Le 21 décembre 1989, ils ont tenu une manifestation de plusieurs milliers de femmes musulmanes, encadrée par un service d’ordre de « barbus », avec des slogans contre la mixité et contre les agressions culturelles ainsi résumées : « Not East, Not West ! Islam is the best ! » En effet, ils ont très vite compris que les associations féministes étaient une force objectivement laïque : c’est ce qui explique leur agressivité.

Mais le discours des femmes intégristes, tout au moins quand elles sont confrontées à d’autres femmes qui les contestent, s’est affiné :

« De la négation des problèmes spécifiques des femmes, note Farida, elles sont passées à la défense de quelques revendications concernant les femmes, tout en expliquant que, si le féminisme peut se justifier en Occident face au carcan de la culture judéo-chrétienne ou parce que les femmes y sont réduites à des objets sexuels, l’islam, lui, a réponse à tout, en particulier au sujet du statut des femmes. »

Les femmes islamistes défendent ainsi le droit à l’instruction et le droit au travail (mais en le réduisant aux professions paramédicales et d’enseignement). Elles reconnaissent aux femmes le droit de divorcer (car l’islam, disent-elles, reconnaît ce droit) et insistent sur la possibilité pour les femmes divorcées de garder leur logement (car, légalement, les femmes sont obligées de quitter le domicile conjugal en cas de divorce). Mais elles ne remettent pas en cause l’obligation du tuteur et de l’obéissance au mari, ni les principes de la dot et de l’héritage inégal, et dénoncent les associations féministes favorables à l’abrogation du Code de la famille comme des adversaires de la chari’a, donc de l’islam, donc de Dieu.

Les maisons de tolérance sont aussi leur cible, et elles mènent une campagne pour leur fermeture. Elles ne prennent pas en compte cependant la prostitution « sauvage » qui est en pleine extension.

« Les associations féministes n’ont pas de leur côté apporté de réponse à ce problème de la prostitution, souligne Farida. La nécessité de répondre point par point aux initiatives et discours intégristes, ajoute-t-elle, est une urgence pour les féministes algériennes ; mais la marge de manœuvre est étroite, dans la mesure où toute remise en cause de la chari’a peut être perçue comme un discours antimusulman et, dans un pays où 90 % des gens sont musulmans, ce n’est pas chose facile. Le combat pour la laïcité est encore minoritaire ; cependant, à mon avis, on ne peut le contourner, quelles que soient les difficultés à mener cette bataille. »

Dessin de Plantu paru dans Le Monde du 21 avril 1990

Relever le défi

Les associations féministes ont fait irruption sur la scène politique, et ont marqué des points.

« Aux moments forts de nos mobilisations, déclare Farida, on a pu constater une certaine désaffection des mosquées : les pratiquants musulmans refusaient de venir prier tant que les discours restaient intégristes. De plus en plus de femmes réagissent et soutiennent le combat des associations, même si elles ne franchissent pas encore le pas pour militer activement. »

La question qui, pour l’instant, mobilise le plus est celle des violences comme le déclarait, le 8 Mars, la présidente de l’Association pour l’émancipation de la femme, « le Code de la famille enferme les femmes, la réalité les brûle ».

Les enseignantes (qui forment 60 % des effectifs du corps enseignant), très sensibilisées aux discours contre le travail des femmes, prennent des initiatives. Daouia, enseignante dans la banlieue d’Alger, raconte son expérience :

« Dans mon lycée s’est créé un collectif de femmes travailleuses qui regroupe des enseignantes du lycée et des profs de l’école de formation. Il y a également des « sœurs musulmanes », des intégristes, qui ne veulent pas non plus lâcher leur travail, d’autant que le niveau de vie ne permet pas de vivre avec une seule paye. Au début, elles se méfiaient de moi car je représentais à leurs yeux celle qui veut avoir quatre maris et qui passe ses nuits dehors (c’est ce qui se raconte dans les mosquées !). Maintenant, elles discutent avec moi. Dans ce collectif, nous traitons des questions d’éducation, de logement, des problèmes avec la hiérarchie. En février 1990, il y a eu une grève de vingt et un jours sur les salaires, et on s’est organisées de façon indépendante de l’UGTA, le syndicat officiel. Dans les assemblées générales, les femmes étaient très présentes. Elles voulaient éviter à tout prix que le FIS profite de cette grève pour faire passer sa propre réforme sur la non-mixité, etc. La réaction des femmes au travail et contre les violences est extraordinaire. Cela me rend optimiste. Je trouve d’ailleurs que les médias, en Algérie comme à l’étranger, ne mettent l’accent que sur les intégristes et pas assez sur ce que font les femmes. »

« Si nous ne voulons pas laisser le terrain au FIS, qui a déjà commencé à s’implanter dans les quartiers, il faut que les associations féministes interviennent autant sur les problèmes de vie quotidienne que sur les grandes questions sociales », conclut de son côté Farida.

C’est une véritable course de vitesse qui s’est engagée. Les forces politiques de gauche ont aussi d’énormes responsabilités, et elles doivent les prendre aux côtés des associations féministes. La grande manifestation du 10 mai est un exemple encourageant.

Catherine Rosehill, avec la collaboration de Daouia, de l’Association pour l’émancipation de la femme, d’Alger, et de Farida, de l’association lsrar, de Constantine.


1. Voir Monique Gadant. « Nationalité et citoyenneté, les femmes algériennes et leurs droits », in Peuples méditerranéens n° 44-45.

2. Voir l’interview de Nawal, in Cahiers du féminisme n° 50.


Les associations et collectifs de femmes

Fin mars, on comptait quatorze associations agréées (d’autres se sont créées depuis) et des collectifs de femmes, notamment dans le milieu étudiant. Dans les cités universitaires, les collectifs se sont créés en réaction aux campagnes du FIS contre la mixité. Les principales associations sont :

* L’Association pour l’égalité devant la loi entre les femmes et les hommes, créée en 1985 par les militantes de l’OST (organisation trotskyste du courant lambertiste) et légalisée en 1988. Elle est pour l’abrogation du Code de la famille et pour des lois civiles inspirées du droit positif, ce qui signifie la séparation de l’État et de la religion.

* L’Association indépendante pour le triomphe des droits des femmes, créée récemment à la suite d’une scission de la précédente. Ses fondatrices déclarent qu’elles voulaient échapper à la tutelle des partis.

* L’Association pour l’émancipation de le femme (AEF), à Alger, ou se trouvent entre autres des militantes du PST (organisation trotskyste). Elle insiste particulièrement sur la nécessité de combattre les lois non écrites ancestrales, qui façonnent les mentalités, et les rapports sociaux qui les perpétuent.

* L’Association pour la défense et la promotion des droits des femmes, à Alger et Mostaganem, liée au PAGS (parti stalinien). Contrairement aux autres associations, elle défend le principe des amendements au code, notamment pour les articles qui sont « préjudiciables » à l’équilibre familial, à l’intérêt de la femme et des enfants (divorce, polygamie, exercice de la tutelle sur les enfants…).

D’autres associations existent un peu partout dans le pays : Israr, à Constantine ; Aide et assistance des mères et enfants en détresse, à Annaba ; Droits de la femme, à Bejaia ; Association féminine pour l’épanouissement de la personne et l’exercice de la citoyenneté, à Oran ; Cri de femme, à Tizi-Ouzou…

8 mars 1990, à Alger

Plate-forme issue de la rencontre nationale des femmes du 30 novembre et 1er décembre 1989

I. Pour le droit au travail :

* Campagnes de propagande sur le droit assimilable des femmes au travail.

* Créer des commissions de femmes travailleuses sur les lieux de travail.

* Demander la création d’emplois, notamment par la mise en place de coopératives artisanales, pour lutter contre le travail au noir des femmes et des jeunes enfants et un budget pour la résolution du chômage féminin.

* Recenser et diffuser tous les cas d’atteintes au droit au travail.

* Appeler à une rencontre nationale des femmes travailleuses.

2. Pour une école moderne et scientifique :

* Constituer des fronts de lutte pour la mixité.

* Lutter contre la discrimination sexiste en matière de passage aux classes supérieures, d’orientation scolaire et professionnelle, et de pratique sportive.

* Exiger la refonte des manuels scolaires pour revaloriser l’image de la femme.

3. Pour l’exercice des droits politiques :

* S’assurer de l’exercice effectif du droit de vote des femmes.

* Inciter les femmes à une participation effective dans les institutions associatives, syndicales et politiques.

4. Pour notre défense :

* Mettre en place un réseau pour recenser systématiquement tous les cas d’atteintes aux droits et d’agressions à l’encontre des femmes, les répercuter, les dénoncer et se porter partie civile.

* Constituer un comité permanent contre toute forme d’arbitraire.

* Exiger un temps d’écoute et d’antenne dans les médias audiovisuels et autres…

* Élargir la coordination aux femmes émigrées pour la sauvegarde de leur identité et leurs droits en tant que femmes.

* Établir une concertation, un lien avec les femmes à l’échelle du Maghreb, du monde arabe et internationale.

* Créer un bulletin de coordination.

5. Dans le domaine juridique :

* Campagnes d’information, de sensibilisation et de dénonciation autour de tous les textes rétrogrades, notamment le Code de la famille.

* Lutte de toutes les associations et de toutes les femmes pour que soit abolie toute forme de discrimination et que soit garantie une citoyenneté à part entière pour les femmes.

* Appeler à la saisine du Conseil constitutionnel pour le constat de l’anticonstitutionnalité du Code de la famille.

* Appeler les différents partis, associations, ligues et forces sociales de notre pays à se prononcer sur la question des droits des femmes, qui sont partie intégrante des droits de l’homme, et à œuvrer pour leur respect.

* Leur rappeler que l’épanouissement de la famille et de notre société passe par la reconnaissance des droits des femmes.

* Exiger la concordance entre la législation nationale et les pactes internationaux ratifies par notre pays.

* Exiger la ratification de la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant.

* Exiger la ratification de la convention de Copenhague contre toute forme de discrimination.

* Élaborer une charte ou manifeste des droits des femmes.

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