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Nordine : Algérie. La peste ou le choléra

Article de Nordine paru dans Le Monde libertaire, n° 833, 20 au 26 juin 1991


L’Algérie connaît à nouveau de sombres événements : l’était d’urgence décrété pour quatre mois met en évidence les difficultés éprouvées par le régime FLN pour sortir le pays du marasme et endiguer l’avancée politique du FIS.

Triste alternative pour le peuple, qui compte les points, partagé entre la peste et le choléra.

D’APRÈS les estimations des islamistes, les manifestations à Alger auraient fait une dizaine de morts et près de quarante blessés. Cette émeute devait, selon les « barbus » se solder par la démission du Président Chadli. La réponse du FLN ne s’est pas faite attendre. L’état de siège est décrété pour quatre mois. Les militaires vont remplacer les policiers dans la rue. Le FLN règne sans partage sur l’Algérie depuis 1962. Cela crée des envieux.

Ces émeutes ont eu lieu après l’instauration d’une grève de plusieurs jours par le FIS. Grève générale qui a d’ailleurs été un bide, vu l’impact qu’elle a eu sur la population algérienne. C’en était trop pour le FIS. Il est vrai que depuis son écrasante victoire lors des dernières élections municipales, le FIS va d’échec en échec. Passer des journées à supplier le Divin et gérer une ville sont deux choses différentes. Les islamistes s’en sont rendu compte à leurs dépens. Il ne faut pas non plus oublier leur soutien a Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe, ce qui leurs valu une fermeture des robinets. Chacun sait que les intégristes musulmans, à travers le monde, sont soutenus financièrement par l’Arabie Séoudite et le Koweït…Voyant petit à petit leur impact diminuer, les islamistes ont joué le tout pour le tout. Ils ont évidemment opté pour la force et la violence. Méchante, mais pas stupides. En provoquant le FLN, le FIS est arrivé à ses fins. D’abord, il a réussi repousser les élections législatives, qui ne lui étaient pas favorables. Puis, suite à la répression, il a créé, pour ainsi dire, ses premiers martyrs. Des appels à la vengeance s’élèvent déjà des minarets.

Le FIS est affaibli, mais il est loin d’être mort. Sa popularité reste encore très importante parmi les déshérités et les jeunes. Les islamistes, aussi paradoxal que cela puisse paraître, attirent une part non négligeable de femmes. A croire que certaines confondent militantisme et masochisme.

On peut essayer d’expliquer le succès du FIS, ce dernières années, par ces quelques éléments. On pourrait croire que les Algériens, fatigués du règne de vingt neuf ans du FLN, se laissent aller à espérer la démocratie. Cet argument ne tient pas. Les militants du FIS, à leur arrivée au pouvoir, instaureront une dictature islamique. Ils ne s’en cachent d’ailleurs pas. La Déclaration des droits de l’homme ne tient pas la route face au Coran… Cela ne semble pas déranger ceux qui soutiennent le FIS. Alors pourquoi tant d’engouement ? On peut trouver les mêmes réponses qu’à l’émergence du Front national ici. Le FIS se nourrit de la misère. Doté d’énormes moyens financiers, il se donne des airs humanistes. Il a compris que pour être populaire et faire passer ses messages, il devait se trouver au cœur des préoccupations de la population. Il a réinvestit le terrain social, abandonné tant par le FLN que par les démocrates de tout poil. Quelques exemples : lors du tremblement de terre d’El Asnam, il y a quelques années, les premiers secours ont été apportés par les islamistes. Les ambulances du FLN sont arrivées alors que l’on n’avait pratiquement plus besoin d’elles ! Lorsqu’un jeune étudiant, issu d’un milieu défavorisé (ce n’est pas ce qui manque), n’a pas les moyens de payer ses études, les islamistes, eux, se cotisent et se chargent de financer son éducation. Un moyen comme un autre de recruter.

Alors, après cela, lorsque vous demandez au « prolo » algérien ce qu’il pense du FIS, du danger dictatorial que les islamistes représentent, il vous rira au nez, à défaut de vous taper dessus. Est-il à plaindre ou à blâmer ? Le FIS ne s’est pas loué les services d’un Séguéla, mais a très bien compris ce qu’il fallait faire pour plaire au peuple. Les petits cadeaux entretiennent l’amitié, à ce que l’on dit.

Aux dernières nouvelles, les Algériens iront aux urnes d’ici la fin de l’année, suite à un accord entre le nouveau gouvernement et le FIS. Étant donné la tournure que prennent les événements, les Algériens risquent de sombrer soit dans une dictature militaire, soit dans une république islamiste. Autant choisir entre la peste et le choléra. A moins que, d’ici là, des voix ne s’élèvent pour crier « Ni dieu ni maître ! ». On peut toujours rêver, non ?

Nordine

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