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Cinéma : bien voter ou devenir gangster ?

Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 56, décembre 1963, p. 8-9

C’est une des deux solutions que nous proposent les films « Main basse sur la ville » (italien) et « Mélodie en sous-sol » (français).

Nous y voyons, en effet, les grands qui nous dirigent brasser les affaires et l’argent tandis que les autres, ceux qui travaillent pour eux, vivotent péniblement, humblement et tristement.

« L’argent ça travaille et ça se reproduit ou ça disparaît, on ne peut pas s’arrêter » dit l’entrepreneur crapuleux du film italien. Il spécule donc sur les terrains de la ville avec la complicité du Conseil Municipal, construit ses immeubles aux moindres frais, vite, toujours plus vite ; résultat : les vieilles maisons du quartier voisin s’écroulent, il y a des morts, on enquête.

Les victimes s’agitent, la police se charge de les calmer et finalement on expulse « les pauvres » de leur tanière en les accusant de tenir à leurs taudis et d’être contre le progrès.

La commission d’enquête se perd en discussions stériles et l’entrepreneur crapuleux sera élu adjoint au maire.

« Vous avez mal voté, vous utilisez mal vos droits civiques » dira le conseiller communiste aux « pauvres ». Argument bien peu convainquant pour le spectateur qui a vu la solidarité, la force, les méthodes brutales de ceux qui détiennent l’argent et le font fructifier : il ne suffira pas d’un bulletin de vote pour les déboulonner.

Ces « pauvres » nous les voyons plus longuement durant la présentation et pendant le début du film « Mélodie en sous-sol ». Sinistres ensembles de Sarcelles, train de banlieue, travailleurs qui viennent de rentrer de vacances et échangent leurs plats souvenirs ; foyer ouvrier étouffant, mesquin, mère usée et amère, fatigue, ennui, heures supplémentaires, fils qui reste trop longtemps à la charge de ses parents et ne se résigne pas à mener cette vie ; jeune garagiste résigné et sans espoir ; les travailleurs sont de pauvres types.

Le gangster, lui, ne veut pas rentrer dans le rang, il veut sa place au soleil. Il a déjà amassé une petite fortune qui lui a été conservée pendant ses 5 années de prison ; il pourrait devenir commerçant, s’installer sur la Côte. Non, ça non plus il n’en veut pas. Il a raison, ça ne vaut pas mieux. S’il arrive à mettre la main sur une somme d’argent suffisante, il aura franchi le pas, il ne sera plus ni un pauvre type ni un gangster pour chassé, mais un homme respecté et protégé. Il organise donc son dernier coup. Il s’agit de s’emparer de l’argent du Casino de Nice.

Voilà le jeune ouvrier dans le coup, avec son beau-frère garagiste. Ils vont mener tous deux la grande vie dans leur hôtels de Nice pendant une semaine. Comme ils s’y habituent vite… Le jeune avec voracité ; le beau-frère avec angoisse, car il a peur de ne plus pouvoir supporter la vie qu’il menait avant. C’est deux mondes différents, il n’aurait jamais cru que la différence soit si grande. Et comme le public comprend bien, suit avec passion le déroulement des opérations, jubile littéralement quand, le coup réussi, ils empilent les billets dans les sacs.

Mais ceux qui détiennent l’argent sont bien protégés, mieux même qu ‘ils ne le désirent car le propriétaire du Casino est assuré pour le double de ce qu’il a perdu ; les questions et l’ardeur du commissaire de police l’énervent quelque peu. La police aura le dessus. Même dans le coup le mieux organisé, il y a toujours un détail qui cloche.

C’est là seule morale qu’on peu tirer de cette histoire, bien peu convaincante également. Que répondre à un jeune, et ils étaient nombreux dans la salle, qui vous dira :  »Moi j’aime mieux risquer des années de taule plutôt que de mener cette vie de con » ? : car la vie de con de ceux qui ne font pas de coups, elle est là sans cesse au fond du film, encore plus terne et mesquine à côté de la vie dorée des palaces de Nice.

On peut lui répondre : « fais la révolution », mais ce film-là, qui montrerait que les travailleurs n’ont pas toujours ces visages atones et résignés, on ne le voit jamais sur les écrans.

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