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G. Vataud : Algérie indépendante

Article de G. Vataud paru dans La Vérité des travailleurs, n° 124, mars 1962, p. 6-7

Avec l’indépendance conquise sur l’impérialisme français après sept années de guerre terribles une victoire des plus rudes vient d’être obtenue par le peuple algérien.

L’objectif que le F.L.N. plaçait au centre de son combat ; l’indépendance politique de l’Algérie, peut être considéré comme d’ores et déjà atteint.

Cependant, la lutte de l’impérialisme contre la révolution algérienne est loin d’être achevée et les masses ne se trouvent pas à l’entrée d’une « voie royale », d’autres épreuves les attendent et c’est dans cette perspective qu’elles doivent s’instruire. Si les accords conclus par De Gaulle reconnaissent l’essentiel, ils sont néanmoins envisagés par ce dernier comme un moyen d’orienter la révolution vers la coopération avec l’impérialisme et de la conduire au « bourguibisme ». Pour De Gaulle, il faut empêcher que les masses algériennes ne mettent fin au travers d’une lutte permanente à la propriété capitaliste, qu’engagées dans le processus de la révolution ininterrompue, elles s’attaquent aux intérêts fondamentaux de l’impérialisme. C’est sur ce terrain qu’ayant constaté l’impossibilité de vaincre l’A.L.N. et de perpétuer sa domination directe, l’impérialisme va concentrer ses forces.

Dans les discussions il a ainsi bataillé ferme sur trois points révélateurs : la composition de l’exécutif provisoire. le statut de la minorité européenne, la disposition de la « force locale » et la liberté de manœuvre de l’armée française.

En exigeant satisfaction sur ces points De Gaulle a en vue l’objectif suivant : faire en sorte que durant la période transitoire de trois ans envisagée 1) le FLN ne se lance pas dans une application immédiate de son programme ; 2) que se développe en Algérie une bourgeoisie autochtone tant soit peu structurée qui par son rôle social se trouve automatiquement aux côtés de l’impérialisme face à une montée révolutionnaire prolétarienne.

Ce but sera-t-il atteint ? C’est la question de l’avenir de la Révolution Algérienne. Or cette dernière évolue dans une situation objective dont les éléments déterminants favorisent au maximum son développement vers une issue socialiste. De Gaulle n’a pas d’autre alternative que de tenter de pourrir la révolution, ses possibilités de réussite sont particulièrement minces.

L’ABSENCE DE BOURGEOISIE ALGERIENNE

La particularité essentielle de la domination française dans ce pays est d’avoir concentré toutes les richesses dans les mains de la colonie européenne, d’avoir exproprié la presque totalité des féodaux indigènes, de n’avoir ménagé dans l’exploitation des richesses algériennes aucune place à une quelconque bourgeoisie autochtone.

Ainsi la direction de la révolution assurée par le F.L.N. qui n’est pas marxiste-révolutionnaire n’est pas non plus bourgeoise. Elle représente une combinaison complexe entre les différentes classes sociales algériennes dont la paysannerie pauvre est la partie dominante associée à la petite bourgeoisie intellectuelle et commerçante, aux noyaux prolétariens des grandes villes et à l’émigration prolétarienne en France.

C’est cette direction qui va se trouver demain confrontée avec les tâches de la construction de l’État algérien.

LA REFORME AGRAIRE

De tous les problèmes que cette direction va avoir à affronter, le plus aigu sera celui de la réforme agraire inscrite en capitales dans le programme de la révolution.

A ce sujet il ne peut y avoir de doute que dès le début le colonat français recevra les coups les plus rudes. La masse des paysans pauvres armée, organisée dans l’ALN, exigera sa terre. Elle récupérera vigoureusement toutes les terres volées par les riches colons et les entreprises impérialistes. L’exemple de la réforme agraire cubaine inspirera largement les millions de paysans algériens qui ont soutenu pour la plus grande part les sacrifices des sept années de guerre pour cet objectif numéro un. Et voici ce qu’en disent les textes de la Révolution :

« Les paysans algériens luttent et souffrent, non parce qu’ils n’ont rien à perdre, par désespoir, mais parce qu’ils ont « tout à gagner ». La Révolution Algérienne, c’est pour eux la liberté et la dignité retrouvées, c’est aussi l’assurance que la terre algérienne leur reviendra, que naîtront de nouveaux villages sans colons et sans féodaux algériens ou autres mais avec des moniteurs agricoles et des instituteurs, des villages sans exploités et sans exploiteurs où seront possibles la coopération et le progrès technique » (1).

« Nos paysans sont vigilants : ils sont là, ils exigent. La réforme agraire de demain sera obligatoirement, inéluctablement, une REVOLUTION AGRAIRE ou elle ne sera pas… Une Algérie nouvelle est née dans la guerre. Le bouleversement social apparu dans nos campagnes n’a pas fini de développer toutes ses conséquences. » (1).

Remarquons en passant l’accent mis sur la future coopération paysanne. Cette révolution agraire serait sans avenir si elle ne trouvait son support dans le développement économique du reste du pays, dans l’industrialisation.

L’INDUSTRIALISATION

Contrairement à la notion d’Algérie pauvre que des dizaines d’années de gestion de l’impérialisme français avaient pu rendre réelle, l’Algérie est riche et pourra trouver les ressources nécessaires à l’industrialisation.

Mais quelle industrialisation ?

Celle du plan de Constantine a montré toute son impuissance et cette démonstration ne vient que s’ajouter à celle déjà accomplie dans de multiples pays coloniaux. L’initiative privée est incapable d’élever rapidement le niveau d’industrialisation et l’intervention de l’État est absolument nécessaire pour y remédier.

Aussi l’État Algérien s’il veut impulser, développer son économie devra concentrer entre ses mains les forces déterminantes de l’orientation et du pouvoir économique. La nationalisation des banques, des entreprises industrielles et commerciales clés, le monopole du commerce extérieur seront les premières mesures vitales à prendre par la Révolution.

Les masses algériennes qui ont engagé la lutte pour la terre et l’indépendance devront ainsi, pour assurer le plein développement de leur pays, s’engager sur la voie des mesures socialistes. Sur ce chemin elles rencontreront l’impérialisme qui s’y opposera. Mais l’impérialisme recevra-t-il l’aide d’une fraction du FLN dans cette besogne ? C’est une éventualité à ne pas négliger, et disons que cela est possible. Mais la perspective la plus probable c’est de voir la majorité du FLN s’engager sans restriction sur la voie socialiste. Aujourd’hui où les masses révolutionnaires du monde entier marquent dans leur lutte contre le capitalisme dans les étapes qui le séparaient du pouvoir ouvrier, où la révolution chinoise démontre, par rapport à l’Inde, toute la supériorité de la voie socialiste, les militants révolutionnaires algériens ne trahiront pas leur programme, ils assumeront leur rôle historique jusqu’à la victoire complète de leur révolution « par le peuple et pour le peuple ». De multiples échos en sont la garantie.

L’OUVRIER ALGERIEN

Dans « l’Ouvrier Algérien », organe de l’Union Générale des Travailleurs Algériens de décembre 1961 on peut lire une longue étude mettant en garde les masses sur les dangers du « néo-colonialisme » qui « s’efforce de garder la possession des secteurs clés de l’économie », — « son emprise sur les esprits auxquels sont inculqués des schémas de raisonnement « bien pensants » et son aide conditionnée aux seuls pays dont l’idéal et le système économique et poli-tique adhèrent à la bonne orthodoxie occidentale.

On peut encore lire dans le numéro de février 62 du même journal cet engagement pour le sixième anniversaire de l’UGTA

« Une fois l’indépendance acquise, l’UGTA, aussi soucieuse de transformer les structures fondamentales de la société algérienne que de reconquérir la souveraineté nationale, luttera avec acharnement contre les séquelles du colonialisme.

« La Révolution est inséparable de l’indépendance, la Révolution importe plus que l’indépendance et l’une étant acquise dans une proche perspective, une claire vision du bien présent et futur du pays commande de rendre plus nets et plus précis les objectifs de la Révolution. Cela implique nécessairement la socialisation des structures économiques et sociales, la nationalisation des richesses nationales et des grands moyens de production, une profonde réforme agraire, la limitation de la propriété, une répartition équitable des ressources nationales, la gestion économique et sociale du pays par les masses laborieuses. »

Cela c’est le secteur ouvrier de la révolution qui l’affirme, de son alliance avec le secteur paysan dépend l’accomplissement de cette orientation. Cette alliance est en bonne voie ainsi que nous pouvons le constater dans le journal de l’ALN « El Djeich » (Le Maquis) dont le numéro 3 est consacré à une étude importante sur la révolution cubaine. L’identité entre les révolutions cubaine et algérienne y est mise en valeur et la conclusion insiste particulièrement sur le rôle joué dans la Révolution cubaine par l’armée rebelle » dont l’exemple est donné aux Moudjahidines algériens. Nul doute que la Révolution Algérienne, qui a déjà inscrit les plus belles pages de la lutte contre l’impérialisme, saura lier comme Cuba la lutte pour les réformes démocratiques à la lutte pour l’avènement d’un pouvoir ouvrier en Algérie.

G. VATAUD.


(1) « L’ouvrier Algérien » et « El Moudjahid » cités par A. Mandouze dans a Les textes de la Révolution Algérienne » paru chez Maspéro

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