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Cessez-le-feu officiel à midi en Algérie

Éditorial paru dans Combat, 19 mars 1962, p. 1

A midi, les armes devraient se taire, en Algérie. Trois ministres français ont apposé hier signature, sur des documents officiels de trêve, en caution de celle d’un ministre algérien.

Le président de la République a fait, hier soir, l’annonce de cette trêve décidée, et un appel a la raison de la France, à la seule raison. Pourquoi faut-il qu’il n’y ait, dans ces heures que l’on proclame décisives, peu de place pour une joie sans réserve, et peu pour l’espérance ?

Appréhension des lendemains lourds que prépare une population, repliée sur elle-même, d’Algériens français ? Scepticisme devant les analyses d’accords où le futur statut de citoyens de droit commun consacre, à chaque paragraphe, le caractère minoritaire des droits acquis ?

Il est trop tôt pour peser les écrits, jauger les promesses, et c’est affaire au Parlement, dont ce sera, peut-être, la dernière session et, pour certains élus, la dure prise de position.

LE cœur voudrait se réjouir à l’occasion d’une aube de paix. La raison se voit offrir de sèches réalités.

Cent trente-deux ans s’effacent de l’Histoire, d’une Histoire qui ne confond pas tous ses chapitres avec ceux de la colonisation, tous ses progrès avec les profits colonialistes.

Les trois vérités « claires comme le jour », dont excipe le chef de l’État pour justifier quatre ans d’une politique, ne sont-elles pas des éclairages crépusculaires ?

D’abord les réalités de l’intérêt national, que l’on jugera plus tard, aux bilans successifs. Les grands besoins et les vastes désirs des Algériens, qui furent appréciés, de Melun aux Rousses, puis à Évian, comme des exigences infinies.

Et puis, l’espoir d’une marche commune sur la route de la civilisation. Tels sont les trois volets de la solution du « bon sens » …

CET armistice sera célébré dans les capitales maghrébines et musulmanes. Il n’y aura pas floraison de drapeaux tricolores à Paris. La paix est lourde, et l’on voudrait que la trêve ne fût pas précaire, mais qui n’a eu conscience, hier, que trois paraphes rayaient quinze départements de l’ensemble du territoire ?

La France redevient métropolitaine. Elle se replie sur l’Hexagone, et rien n’a été fait, conjointement, pour qu’elle s’y sentit moins isolée.

Il lui reste les reliefs des fastes du passé et la consolation de la future grandeur promise. Plus immédiatement, ce sont d’autres réalités qui risquent de remplacer, dans les préoccupations de l’opinion, les angoisses — vivaces encore et rongeuses — de l’évolution en Algérie.

COMME l’on voudrait que tout fût fini. Et que la raison ait raison quand elle évoque des espérances de reprises, d’un recommencement dans l’oubli.

Que le désespoir, dans les grandes cités algériennes, soit un réflexe passionné, passager, et qui cesserait parce qu’il n’y aurait plus de motifs.

Que les réalités évoquées, et qui valurent tant de sacrifices, aient été si scrupuleusement pesées, ajustées avec une telle rigueur que vienne la paix, et qu’elle demeure. Et que soient confondus, dans leurs sceptiques appréhensions, ceux qui redoutent les solutions qui laissent intactes les plus rigoureuses données du problème. Comme on voudrait qu’un tel souhait ait une chance d’être réalisé.

La métropole peut vivre des heures d’un soulagement égoïste. Mais l’Histoire aux pages effacées, l’Histoire irréversible ne restera pas fatalement figée dans ce présent sans joie.

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